Paru dans les Dossiers de l'allaitement, n° 119, février 2017.
La notion de "confusion sein/tétine" a évolué dans le temps. On pense aujourd'hui qu'elle englobe en fait plusieurs problématiques distinctes : elle couvre à la fois les perturbations de la succion liées aux différences de débit, et celles liées aux expériences sensorielles buccales du bébé différentes selon l'accessoire utilisé (biberon, sucette, sonde, seringue, bout de sein).
Si, après une autre expérience de succion, la tétée devient inconfortable ou douloureuse, et/ou si le bébé devient agité au sein, prenez rapidement contact avec une personne formée en allaitement pour observer la tétée et trouver des solutions aux difficultés rencontrées.
D'après : Clarifying nipple confusion. Zimmerman E, Thompson K. J Perinatol 2015 ; 35(11) : 895-9.
La confusion sein-tétine est un problème au sujet duquel il n’existe guère de consensus, que ce soit pour sa définition, sa cause ou ses manifestations. La définition la plus souvent citée est celle de Neifert et al, qui présentent deux sortes de confusion sein-tétine ; le type A est le fait que le bébé n’arrive plus à téter efficacement de façon à extraire le lait correctement du sein après avoir été exposé à la tétine d’un biberon, tandis que le type B est rencontré chez un enfant plus âgé pour qui l’allaitement est bien établi, et qui se met à refuser le sein et à préférer le biberon. D’autres auteurs définissent la confusion sein-tétine comme la réponse à la différence de sensations et du flot de lait entre la prise d’un biberon et la prise du sein, l’enfant préférant un type de sensation à un autre (Dowling & Thanattherakul). Au vu de ces définitions, on pourrait globalement définir la confusion sein-tétine comme étant la préférence d’un enfant pour le mécanisme de succion sur une tétine, ou sa difficulté à téter au sein après avoir été exposé à une tétine.
Parmi les 10 Conditions pour le succès de l’allaitement que doivent appliquer les services de maternité ayant le label Hôpital Ami des Bébés, la 9e stipule de réserver, pour les enfants allaités, l’usage des biberons et des sucettes aux situations particulières. Ce point a été largement débattu, d’autant que certaines organisations (comme l’Académie Américaine de Pédiatrie) recommandent l’utilisation de sucettes lorsque l’allaitement est mis en place, pour limiter le risque de mort subite inexpliquée du nourrisson. Les parents ne sont pas les seuls à se poser des questions devant ces recommandations contradictoires. C’est également le cas des professionnels de santé, qui sont par ailleurs peu convaincus par l’existence de la confusion sein-tétine. Une étude dans laquelle on a demandé à des professionnels de santé travaillant en maternité et en néonatalogie s’ils pensaient que le don régulier de biberons aux nouveau-nés était susceptible d’induire une confusion sein-tétine a constaté que 15 % des infirmières en maternité, 44 % des infirmières en néonatalogie et 56 % des pédiatres estimaient que c’était le cas ; et respectivement 2,4 %, 17,4 % et 6,2 % estimaient que c’était possible si le nouveau-né recevait un seul biberon (Al-Sahab). Une autre étude constatait que de nombreux professionnels de santé croyaient à l’existence de la confusion sein-tétine, en dépit des données limitées sur le sujet, ou préféraient « ne pas prendre de risque » (Cloherty) ; par exemple, parmi les 20 sages-femmes et puéricultrices interrogées, 15 ont dit déconseiller les biberons pour cette raison.
Un certain nombre d’études ont pourtant évalué l’impact des biberons et tétines sur l’allaitement (durée, succès, succion de l’enfant). Les auteurs ont effectué une recherche sur le sujet, et ont retrouvé au total 19 études, qu’ils ont analysées sur le plan de leur méthodologie. Ils ont retenu uniquement les études de qualité moyenne à bonne, soit 14 études, évaluant le risque de confusion sein-tétine lié au don de biberons, ou lié à l’utilisation d’une sucette. 6 études portaient sur l’impact des biberons de compléments. 2 d’entre elles ne retrouvaient aucun signe permettant de supposer la possibilité d’une confusion sein-tétine, tandis que 4 en constataient des signes. Une étude transversale a évalué la succion chez des enfants de 3 à 4 semaines et de 3 à 5 mois exclusivement allaités, partiellement allaités et exclusivement nourris au biberon (Moral). Les auteurs constataient des différences dans la succion entre des enfants exclusivement allaités et des enfants exclusivement nourris avec une formule lactée commerciale, mais les enfants qui étaient partiellement allaités modifiaient leur mode de succion suivant qu’ils étaient au sein ou au biberon, ce qui montrait qu’ils s’adaptaient. Toutefois, les auteurs n’ont pas inclus des enfants plus jeunes. Une étude a randomisé des enfants qui, pendant les 5 premiers jours, n’ont pas reçu de biberons ni de sucette, et des enfants qui en ont reçu, tous les enfants étant par ailleurs allaités (Shubiger). La prévalence de l’allaitement et la fréquence des tétées étaient similaires dans les 2 groupes pendant les 6 premiers mois. Une étude a fait état d’une durée plus courte d’allaitement chez des mères qui avaient introduit une formule lactée commerciale avant 6 mois (Hla). Toutefois, les femmes qui avaient des problèmes d’allaitement étaient également les plus enclines à sevrer. Une autre étude a constaté que les enfants qui recevaient des biberons avaient un risque 26 fois plus élevé de sevrage que ceux qui étaient exclusivement nourris au sein, mais les auteurs donnaient peu d’informations permettant d’établir la possibilité d’une confusion sein-tétine comme cause du sevrage (Molmaz). 2 autres études ont constaté que les enfants qui recevaient des biberons tétaient moins souvent. L’une d’entre elles concluait que les enfants qui avaient du mal à prendre le sein étaient plus nombreux à être sevrés s’ils recevaient rapidement des biberons de suppléments (Righard). Cela permet de penser que le don de suppléments au biberon aggrave les problèmes d’allaitement préexistants. L’autre étude portait sur des prématurés, et concluait que ceux qui recevaient les suppléments via une sonde nasogastrique étaient plus souvent allaités pendant les 6 premiers mois que ceux qui les recevaient au biberon (Kliethermes). Les auteurs estimaient que le nourrisson s’habituait aux biberons, mais aucune donnée expérimentale n’était présentée pour le confirmer. Certains pensent également que le bébé qui prend un biberon est immédiatement récompensé par l’écoulement de lait tandis que le bébé au sein doit attendre le réflexe d’éjection pour en recevoir (Fisher).
10 études évaluaient l’impact de l’utilisation d’une sucette sur l’allaitement ; 4 concluaient à la présence d’un impact, tandis que les 6 autres n’en retrouvaient aucun. Une étude constatait que les enfants qui recevaient une sucette à 1 mois étaient trois fois plus nombreux à être sevrés avant 6 mois (Barros). Une autre étude arrivait à une conclusion similaire, avec un taux de sevrage quatre fois plus élevé à 6 mois (Victoria). Il faut noter toutefois que si la sucette avait un impact négatif chez les mères qui avaient des problèmes d’allaitement, cela ne semblait pas être le cas lorsque l’allaitement était gratifiant pour la mère, et la sucette pourrait donc être un facteur contribuant au sevrage mais non sa cause directe. Une étude transversale constatait un taux plus élevé d’introduction des biberons de compléments chez les bébés qui recevaient une sucette (do Nascimento). Une étude randomisée a suivi des enfants allaités qui recevaient également soit des biberons et une sucette dès les premiers jours, soit un biberon et une sucette introduite après 5 semaines post-partum, soit les mêmes catégories pour la sucette, les suppléments étant donnés à la tasse et non au biberon (Howard). Les enfants qui avaient reçu une sucette dès les premiers jours étaient moins nombreux à être exclusivement allaités à 4 semaines, mais le moment d’introduction de la sucette n’avait pas d’impact sur la durée totale d’allaitement pendant les six premiers mois. Globalement, ces études ne permettent pas de savoir si la sucette cause une confusion sein-tétine, ou si elle est le marqueur de difficultés d’allaitement.
3 études ont évalué l’impact de la suppression ou de la restriction de l’utilisation de sucettes. Contrairement aux attentes des auteurs, la première a constaté que la suppression des sucettes en maternité était corrélée à un taux plus bas d’allaitement exclusif et à un taux plus élevé d’allaitement partiel et de don exclusif d’une formule lactée commerciale (Kair). Une autre étude randomisée constatait un taux plus élevé de sevrage en cas d’utilisation d’une sucette, mais après prise en compte de toutes les variables, cet impact disparaissait totalement (Kramer). Là encore, les auteurs concluaient que la sucette semblait plutôt être un marqueur de problèmes d’allaitement ou d’une faible motivation maternelle. Une étude citée plus haut (Shubiger) ne constatait aucun impact pour l’utilisation d’une sucette pendant les 5 premiers jours sur le taux d’allaitement pendant les six premiers mois. Une étude a recherché l’impact de la sucette chez les prématurés (Collins), chez des enfants randomisés pour recevoir les suppléments au gobelet ou au biberon et pour recevoir ou non une sucette. Cette dernière n’avait aucun impact significatif sur le taux d’allaitement complet ou le taux d’allaitement 3 et 6 mois après la sortie de néonatalogie. Toutefois, le niveau maternel de respect des consignes données était faible, de nombreuses mères ayant donné une sucette à leur bébé dans le groupe sans sucette. Une étude sur la physiologie de la succion non nutritive réfute l’hypothèse de la confusion sein-tétine dans la mesure où elle a constaté que le nourrisson modifiait sa succion en fonction des caractéristiques mécaniques de la sucette (Zimmerman) ; une sucette très ferme avait un impact négatif sur la succion de l’enfant. Cette dernière étude permet de penser que le nourrisson a la capacité de moduler sa succion en réponse aux variations de la stimulation orale. Toutefois, cette étude n’a pas évalué la capacité de l’enfant à moduler sa succion non nutritive suivant qu’il était au sein ou qu’il avait une tétine.
Globalement, les données actuelles sont plutôt en faveur de l’existence d’une confusion sein-tétine en cas d’utilisation d’un biberon, elles sont plutôt en défaveur de son existence en cas d’utilisation d’une sucette. Toutefois, la principale limite des études sur le sujet est l’impossibilité de déterminer le rapport de cause à effet, et la confusion sein-tétine pourrait être en rapport avec d’autres problèmes d’allaitement, liés à la mère (faible production lactée, mamelons difficiles à prendre par l’enfant…) ou au nourrisson (prématurité, hypoglycémie, problème de succion…). Par exemple, un enfant qui ne prend pas correctement le sein et qui n’obtient donc pas assez de lait en recevra plus facilement avec un biberon, ce qui l’amènera à préférer le biberon. Au vu des connaissances actuelles, il reste impossible d’affirmer que la confusion sein-tétine est un problème d’allaitement en soi, et quelles en sont exactement les causes. D’autres études sur le sujet sont nécessaires.
Références
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Merci pour un article qui reprend factuellement les recherches à date sur le sujet.
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Bonjour, je suis à 31SA. Je souhaite allaiter et Je vais reprendre le travail quand bb aura +/- 4 mois. En allaitement exclusif j espere:-) il va aller ds une MAM, comment continuer a donner mon lait? A quelle frequence bebe va manger a cet age? Peut on utiliser le biberon, si oui lequel en particulier pour que je puisse continuer a allaiter matin, 16het soir (voir nuit si besoin encore)
y a t il risque de refus de la part de bb?
Y a t il risque de confusion et de refus du sein par la suite ?
Devrais je essayer de tirer mon lait un peu avant ma reprise afin de l habituer au biberon et allaiter en meme temps pour que bb s adapte?
Jusqu'à combien de mois le lait maternel est il bénéfique pour le bb?
Doit on eviter la sucette physiologique lorsqu on allaite?afin d eviter d avoir bb au sein h24? (Bien que cela ne me derangerai pas mais plus mon entourage.....)
Désolé pour toutes ces questions....pour bb 1, bb m a repoussé et a refusé le sein ( ne l a meme pas mis en bouche, les bras croisés en avant?) les sages femmes ont donné un biberon..je n ai pas abandonné et j ai tiré mon lait, au bout d un mois bb s est décidé a boire au sein...quel bonheur....il a recu la tétée du soir car pas suffisamment de lait pour le reste de la journée et recevait du lait en poudre au biberon le reste de la journee.
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