(Ndlr : la dompéridone a un effet galactogène rapporté mais n'a pas d'AMM en France pour cette indication)
Le point sur la dompéridone en tant que galactogène
D'après : Domperidone : the forbidden fruit. Anderson PO. Breastfeed Med 2017 ; 12(5) : 258-60.
Le sujet de l’utilisation de dompéridone pendant l’allaitement induit des réactions très contrastées chez les professionnels de santé, allant de la consternation à la colère, ou à des rumeurs de collusion entre les législateurs et les fabricants de lait industriel. L’auteur fait le point sur ce produit, en prenant en compte le contexte global concernant cette molécule.
La dompéridone est un antiémétique (antivomitif) antagoniste de la dopamine, autorisée en France depuis 1980. L’un de ses effets secondaires étant d’augmenter la prolactinémie, elle est également utilisée (hors AMM) comme galactogène. Aux États-Unis, une AMM a été demandée en 1989, mais a été refusée. En octobre 2015, une nouvelle demande d’autorisation a été demandée et à nouveau refusée au prétexte des risques cardiaques. Déjà en 2004, la FDA avait publié un document déconseillant l’utilisation de dompéridone en raison du risque d’arythmies, constaté après administration en IV dans d’autres pays, et avait averti les pharmacies que délivrer de la dompéridone constituait une violation de la loi fédérale. Cela n’a toutefois pas fait disparaître l’utilisation de dompéridone aux États-Unis : une enquête a fait état de 7 500 à 11 000 prescriptions de dompéridone entre 2009 et 2015, essentiellement chez des femmes. 60 % des prescriptions étaient le fait de gastro-entérologues et 6 % provenaient de gynécologues-obstétriciens, probablement comme galactogène (U.S. Food and Drug Administration).
La prescription de dompéridone pendant l’allaitement implique de prendre en compte la sécurité de la mère et celle de l’enfant. Avec des posologies maternelles de 10 à 20 mg 3 fois par jour, le taux lacté est < 1 µg/l, soit environ 0,01 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Le risque théorique pour l’enfant semble donc négligeable. Le risque potentiel serait donc essentiellement pour la mère, la dompéridone étant en effet susceptible de prolonger l’espace QT et d’induire des arythmies (Hondeghem ; Leelakanok). D’autres produits, tels que le cisapride ou la terfénadine, ont un impact similaire. Des études de population ont constaté un taux plus élevé de décès chez les personnes âgées prenant de la dompéridone. Les mères qui allaitent ne font pas partie de cette catégorie à risque. Toutefois, une étude a constaté que les femmes avaient un risque plus élevé de décès suite à un impact cardiaque de la dompéridone que les hommes. La prise concomitante d’autres médicaments allongeant l’espace QT est également un facteur de risque.
Une grande base de données compilée en Colombie Britannique (Canada) portant sur 225 532 mères qui ont eu 320 351 enfants pendant la période d’étude et à qui on a prescrit de la dompéridone (45 518 mères) ou pas (le reste de la cohorte) en post-partum constatait que les mères à qui on en avait prescrit avaient un risque 2,25 fois plus élevé d’hospitalisation pour arythmie cardiaque (Smolina). Les autres facteurs prédisposants étaient des antécédents familiaux d’arythmie et une obésité. Toutefois, le nombre d’hospitalisations restait très faible : 21 cas pour l’ensemble des mères, dont 6 chez celles qui avaient pris de la dompéridone et 15 cas chez les autres mères. À partir de ces chiffres, on peut estimer qu’un cas d’hospitalisation pour arythmie cardiaque serait constaté pour 12 950 mères traitées par dompéridone pendant les 6 premiers mois. Cette prévalence est suffisamment rare pour que n’importe quel professionnel de santé ayant l’occasion de prescrire de la dompéridone ne voie aucun cas pendant toute sa carrière. La dompéridone est métabolisée par le cytochrome CYP3A4, qui est inhibé par diverses substances telles que le jus de pamplemousse, le fluconazole, l’érythromycine ou la clarythromycine (Straus). Ce type de produit peut multiplier par 3 à 5 le taux sérique de dompéridone. Même aux posologies couramment utilisées, des effets secondaires ont été rapportés chez une femme suite à l’arrêt du traitement : douleurs abdominales, nausées, diarrhées, sécheresse buccale, céphalées et vertiges (Papastergiou). Un arrêt brutal après une longue période d’utilisation à doses importantes peut également induire des insomnies, une anxiété ou une tachycardie ; il sera alors nécessaire de reprendre de la dompéridone, et de l’arrêter progressivement.
À l’échelle internationale, aucun pays n’a approuvé l’utilisation de la dompéridone comme galactogène. En France, l’ANSM mettait en garde contre son utilisation chez la mère allaitante. En Hollande, une étude estimait qu’un électrocardiogramme devait être effectué en cas de prescription de doses supérieures à 30 mg/jour, ou pendant plus de 2 semaines (Van Paasen). Une étude australienne a constaté que la plupart des services de néonatalogie avaient modifié leurs pratiques en matière de prescription de dompéridone aux mères allaitantes, en abaissant la posologie et/ou la durée d’utilisation (Gilmartin). Au Canada, les recommandations contre son utilisation ont limité la possibilité de mener des études sur cette utilisation (Asztalos).
Diverses études ont été menées sur l’utilisation de la dompéridone comme galactogène, parmi lesquelles peu sont de bonne qualité méthodologique. Une méta-analyse de la Cochrane (Donovan) constatait que seulement 2 études correspondaient à leurs critères d’inclusion. Une autre méta-analyse (Osadchy) incluait 3 études, dont les deux retenues par celle de la Cochrane. Une 3e méta-analyse plus récente ne prenait pas en compte l’une de ces études, mais en incluait une autre non prise en compte par les deux autres (Paul). Toutes concluaient à l’efficacité de la dompéridone, cette efficacité étant toutefois modeste. Ces études portaient au total sur une soixantaine de mères, ce qui est très peu. Tout récemment, une étude évaluant l’impact de la dompéridone chez des mères de très grands prématurés a été publiée (Asztalos, voir ci-dessous)). Elle était de bonne qualité méthodologique. Même si elle constatait une augmentation de la production lactée dans le groupe intervention, cette augmentation était modeste et transitoire, ce qui permet de penser que deux semaines de traitement sont probablement suffisantes.
Le niveau d’efficacité de la dompéridone est globalement similaire à celui d’autres produits également utilisés comme galactogènes. Une étude sur le métoclopramide chez des mères de prématurés ne constatait pas d’impact significatif sur la production lactée ou la durée de l’allaitement (Hansen). Il est utile de noter que les études sur les galactogènes étaient menées sur des mères qui recevaient également un soutien dans leur allaitement, et que cela pourrait être à l’origine du faible écart entre les mères des groupes intervention et témoin (Anderson). Les études ayant constaté un écart important entre les 2 groupes sont généralement celles où les mères recevaient le galactogène, mais aucun soutien par ailleurs. Enfin, si le « manque de lait » est une raison souvent donnée par les mères pour arrêter l’allaitement, cela ne signifie pas que la production lactée soit réellement insuffisante. Si la prise de poids du bébé est correcte, la mère aura juste besoin d’être rassurée (Galipeau).
Pour conclure, la dompéridone est un galactogène modérément efficace, susceptible d’avoir des effets secondaires sérieux mais rares chez la mère. Elle peut être perçue comme un remède miracle en cas de problèmes d’allaitement, mais évaluer soigneusement les pratiques d’allaitement et les optimiser, ainsi que rassurer la mère, semble être beaucoup plus efficace pour assurer une production lactée adéquate dans la plupart des cas.
Références
• Anderson PO, Valdes V. A critical review of pharmaceutical galactagogues. Breastfeed Med 2007 ; 2 : 229-42.
• ANSM. Utilisation hors AMM de la dompéridone dans la stimulation de la lactation : mise en garde - Point d’information. 16/12/2011.
http://ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Utilisation-hors-AMM-de-la-domperidone-dans-la-stimulation-de-la-lactation-mise-en-garde-Point-d-information
• Asztalos EV et al. Enhancing human milk production with domperidone in mothers of preterm infants. J Hum Lact 2017 ; 33 : 181-7.
• Donovan TJ, Buchanan K. Medications for increasing milk supply in mothers expressing breastmilk for their preterm hospitalised infants. Cochrane Database Syst Rev 2012 ; 3 : CD005544.
• Galipeau R et al. Perception of not having enough milk and actual milk production of first-time breastfeeding mothers : Is there a difference ? Breastfeed Med 2017 ; 12(4) :
• Gilmartin CE et al. Using domperidone to increase breast milk supply : A clinical practice survey of Australian neonatal units. J Pharm Pract Res 2017 ;
• Hansen WF et al. Metoclopramide effect on breastfeeding the preterm infant : A randomized trial. Obstet Gynecol 2005 ; 105 : 383-9.
• Hondeghem LM, Logghe NH. Should domperidone be used as a galactagogue ? Possible safety implications for mother and child. Drug Saf 2017 ; 40 : 109-13.
• N Leelakanok N et al. Domperidone and risk of ventricular arrhythmia and cardiac death: A systematic review and meta-analysis. Clin Drug Investig 2016 ; 36 : 97-107.
• Osadchy A et al. Effect of domperidone on insufficient lactation in puerperal women : A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Obstet Gynecol Int 2012 ; 2012 : 642893.
• Papastergiou J et al. Domperidone withdrawal in a breastfeeding woman. Can Pharm J 2013 ; 146 : 210-2.
• Paul C et al. Use of domperidone as a galactagogue drug : A systematic review of the benefit-risk ratio. J Hum Lact 2015 ; 31 : 57-63.
• Smolina K et al. The association between domperidone and ventricular arrhythmia in the postpartum period. Pharmacoepidemiol Drug Saf 2016 ; 25 : 1210-4.
• Straus SM et al. Non-cardiac QTc-prolonging drugs and the risk of sudden cardiac death. Eur Heart J 2005 ; 26 : 2007-12.
• U.S. Food and Drug Administration. Center for Drug Evaluation and Research. Pharmacy Compounding Advisory Committee (PCAC). Wednesday, October 28, 2015, p. 1-147.
www.fda.gov/downloads/AdvisoryCommittees/.../Drugs/.../UCM484908.pdf
• Van Paassen N et al. Domperidone to promote lactation. Ned Tijdschr Geneeskd 2017 ; 161 : D305.
Utilisation de dompéridone pour augmenter la production lactée chez des mères de prématurés
D'après : Enhancing human milk production with domperidone in mothers of preterm infants : results from the EMPOWER trial. Asztalos EV et al. J Hum Lact 2017 ; 33(1) : 181-7.
Les mères qui doivent tirer leur lait pour leur bébé prématuré ont souvent des difficultés à obtenir une production lactée suffisante. En pareil cas, la prise d’un produit galactogène pourra être utile. L’étude EMPOWER est une étude canadienne multicentrique randomisée dont le principal objectif est d’évaluer si la prise de dompéridone pendant les 3 premières semaines post-partum est efficace pour augmenter la production lactée par rapport à un placebo. Un objectif secondaire est d’évaluer l’impact d’un traitement de 4 semaines par rapport à un traitement de 2 semaines.
Les mères devaient avoir accouché à ≤ 29 semaines, leur bébé devait avoir 7 à 21 jours, et elles devaient avoir tiré leur lait ≥ 6 fois par jour pendant les 4 jours précédant leur entrée dans l’étude. Leur production lactée devait être < aux 150 ml/kg/jour estimés nécessaires pour les besoins de leur bébé (en cas d’accouchement de jumeaux, ce volume était estimé à partir du poids de l’enfant le plus lourd). Ce critère a par la suite été changé, pour inclure les mères dont la production lactée était < 250 ml/kg/jour, ou avait baissé de ≥ 20 % pendant les 72 heures précédentes. L’enfant ne présentait pas d’anomalie cardiaque, la mère était en bonne santé, n’avait pas subi de chirurgie mammaire, et ne présentait pas de contre-indication à la prise de dompéridone. L’étude a été menée dans 3 services de néonatalogie. Dans ces 3 centres, les mères éligibles ont été randomisées en 2 groupes pour recevoir soit 10 mg de dompéridone 3 fois par jour (groupe intervention) soit un placebo 3 fois par jour (groupe témoin), en veillant à ce que les 2 groupes contiennent un nombre similaire d’enfants dans les diverses tranches d’âge gestationnel à la naissance (23 à 26 semaines et 27 à 29 semaines) et pour leur âge au moment de leur entrée dans l’étude (7-14 et 15-21 jours). Le portage kangourou était encouragé, et on a conseillé aux mères de tirer leur lait 6 à 8 fois par jour pendant la durée de l’étude. Elles devaient noter dans un journal de bord les horaires des séances d’expression et le volume de lait obtenu (ce volume étant régulièrement vérifié par les équipes soignantes), ainsi que les éventuels effets secondaires constatés. Les mères ont reçu les comprimés nécessaires pour 2 semaines à leur entrée dans l’étude, puis le reste des comprimés pour 2 semaines supplémentaires de traitement 15 jours plus tard. Les mères ont été recontactées à 40 semaines d’âge gestationnel, puis à 6 semaines d’âge corrigé pour recueil de données sur leurs pratiques d’alimentation infantile.
90 mères ont été randomisées : 45 mères et leurs 52 enfants dans le groupe intervention, et 45 femmes et leurs 51 enfants dans le groupe témoin. Les caractéristiques générales des 2 groupes étaient similaires, ainsi que le volume de lait exprimé par les mères à leur entrée dans l’étude : 121 ± 96 ml dans le groupe intervention, et 115 ± 95 ml dans le groupe témoin. Pendant la période d’étude, 5 mères ont cessé de tirer leur lait pendant les 2 premières semaines, et 6 autres mères pendant les 2 dernières semaines. La production lactée avait augmenté de > 50 % chez 77,8 % des mères du groupe intervention et chez 57,8 % des mères du groupe témoin au bout de 2 semaines de traitement, ces chiffres étant respectivement de 68,9 % et 62,3 % au bout de 4 semaines de traitement. Toutefois, la différence de volume de la production lactée était modeste au bout de 14 jours (265 ± 189 ml contre 217 ± 168 ml), et elle n’était plus significative au bout de 28 jours. Dans les 2 groupes, près de 60 % des femmes donnaient toujours leur lait à 40 semaines d’âge gestationnel, et un peu plus de 40 % le faisaient toujours à 6 semaines d’âge corrigé. Aucun effet secondaire sérieux n’a été constaté, et la majorité des effets négatifs rapportés par les mères l’ont été pendant les 2 premières semaines dans les 2 groupes. Si les mères du groupe intervention étaient plus nombreuses à faire état de céphalées, celles du groupe témoin étaient plus nombreuses à rapporter des troubles digestifs. Aucun effet secondaire cardiaque n’a été constaté chez les mères à l’occasion des ECG effectués à l’occasion du suivi.
Les points forts de cette étude étaient son caractère randomisé, la participation de 3 services de néonatalogie, et le soin mis à collecter les données nécessaires, les mères étant suivies toutes les semaines par les coordinateurs de l’étude. Elle permet de constater que si la dompéridone a permis d’augmenter la production lactée chez des mères de grands prématurés pendant les 2 premières semaines du traitement, cette augmentation restait modeste, et elle devenait non significative pendant les 2 dernières semaines du traitement. Il serait utile d’évaluer de façon plus approfondie l’intérêt éventuel de la dompéridone dans ce cadre, afin de déterminer quelles mères pourraient en tirer un bénéfice.
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