Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 30 et 68, LLL France, 1995 et 2006
Voir son bébé refuser le sein est sans doute une des situations les plus déroutantes et les plus angoissantes que puisse vivre une femme qui allaite. De nombreux témoignages en sont la preuve : « je me sentais rejetée », j'étais « frustrée », « désemparée », « incrédule », « désespérée », « je ne comprenais rien », etc. Tous témoignent d'un désarroi intense.
D'autant plus intense que très souvent, l'entourage médical et familial n'est alors d'aucune aide (« manifestement votre bébé préfère le biberon », « il doit sentir que vous ne désirez pas vraiment l'allaiter », « tu as essayé, c'est bien, n'insiste pas », « ton bébé veut sûrement se sevrer », etc.), quand il ne désapprouve pas ouvertement ce qu'il perçoit comme un « acharnement » inexplicable, voire pathologique.
Pourtant, les épisodes de refus du sein et les « grèves de la tétée » ne sont pas si rares que cela, et peuvent survenir à divers moments de la relation d'allaitement.
Si elles ne sont pas abusivement confondues avec un sevrage (1), les grèves de la tétée finissent généralement par se résoudre, soit qu'on en ait trouvé la cause et qu'on ait pu y remédier, soit que, sans qu'on la connaisse jamais (il y a des grèves sans revendications affichées !), un peu de temps et d'attention résolve le problème.
Dès la naissance
Un bébé qui semble refuser le sein dès le début est souvent un bébé qui a été perturbé pendant l'accouchement ou dans les moments qui ont suivi.
Les médicaments donnés à la mère pendant l’accouchement peuvent induire chez le bébé une léthargie, une somnolence pendant les premiers jours, qui peuvent être confondues avec un refus du sein. Certaines études semblent montrer que la péridurale peut engendrer une désorganisation chez les nouveau-nés (2), avec des conséquences possibles sur l’allaitement les premiers jours.
Certains gestes faits systématiquement sur les nouveau-nés peuvent gravement perturber la capacité du bébé à téter le sein. En particulier l’aspiration gastrique consistant à introduire une sonde dans l’œsophage et jusqu’à l’estomac (3).
On sait également que la séparation mère/enfant pendant les premières heures après la naissance peut perturber le réflexe de succion, qui est au plus fort à ce moment-là, et faire qu'ensuite le bébé ne « veuille plus téter ». Des séparations ultérieures, notamment la nuit, peuvent avoir le même effet, surtout si l’on donne alors des biberons au bébé « pour que sa maman puisse se reposer ».
De même, certaines mises au sein particulièrement « musclées » peuvent avoir des résultats catastrophiques. Si, par exemple, en voulant « aider » le bébé à prendre le sein, on tient sa tête et on la pousse vers le sein, il y a un risque important pour qu'il la rejette en arrière de façon réflexe. Et ceci peut se reproduire lors des tentatives suivantes, même si plus personne ne touche sa tête.
Une autre possibilité est que la mère, soit parce qu'elle n'est pas informée, soit parce qu'elle n'a pas le bébé tout près d'elle, ne détecte pas les petits signaux que celui-ci envoie et qui montrent qu'il est prêt à téter : yeux qui bougent sous les paupières, lèvres qui font des mouvements de succion, succion des poings, des mains, bras et jambes qui bougent, appel par de petits cris doux d'une syllabe...
Si ces signaux d'appel ne sont pas perçus, que va-t-il se passer ? Au début, souvent rien : le bébé va rester sur sa faim et replonger assez vite dans un sommeil profond. Si ensuite on essaie, pendant ce sommeil profond, de lui proposer le sein, il n'arrivera pas à se réveiller suffisamment et aura l'air de « refuser » le sein.
Si ces signaux sont ignorés pendant plusieurs heures, au réveil suivant, le bébé va plus ou moins sauter ces signaux subtils et se mettre tout de suite à pleurer. C'est alors qu'il peut hurler, se cabrer, donner l'impression qu'il ne sait plus les gestes pour téter, voire qu'il « refuse » le sein, en rejetant tout son corps en arrière.
Autres causes possibles d'un apparent refus du sein : douleur du bébé due à un traumatisme au moment de l'accouchement, problème médical (cécité, surdité...), ictère, hypertonie du bébé qui lui fait « arquer » son corps, odeur des produits mis sur le mamelon, hypersensibilité du bébé aux stimuli, etc.
Face à tous ces cas de figure possibles, un seul mot d’ordre : patience ! Le bébé et sa mère ont besoin de temps, d’essais et erreurs, pour arriver à bien maîtriser la technique de la tétée (4). Un contact peau à peau et un accès au sein en continu, le fait de laisser le bébé prendre le sein de lui-même au lieu de vouloir le lui mettre dans la bouche, de varier les positions, d’éventuellement tirer son lait et le donner au bébé (si possible pas au biberon), de prendre un bain avec le bébé (5)… : tout cela peut aider à faire en sorte que le bébé finisse par prendre le sein, correctement et efficacement.
À noter qu’on voit des bébés se mettre à téter le sein au bout de plusieurs jours, voire plusieurs semaines (6).
Après quelques jours
Un bébé qui a bien tété les premiers jours et se met à « refuser » le sein a, le plus souvent, été perturbé dans sa succion par l'introduction de biberons de complément et/ou de sucettes.
Nous ne reviendrons pas ici sur le problème de la confusion sein/tétine, mais c'est sans doute la cause principale de refus du sein dans les premiers jours.
Une seconde cause possible est l’engorgement : le bébé peut avoir du mal à prendre le sein en bouche, le lait peut avoir du mal à sortir, et on entre dans un cercle vicieux dont on ne peut sortir qu’en traitant l’engorgement.
Il faut aussi penser au réflexe d'éjection fort : le bébé qui se débrouillait bien les tout premiers jours avec le débit du colostrum, est soudain complètement submergé et dépassé au moment de la « montée de lait ». Il tousse, s'étrangle, et si l'on n'y prend pas garde (7), peut finir par vraiment refuser ce qui, pour lui, est devenu une expérience franchement désagréable.
Au fil de l'allaitement
Un bébé de quelques mois peut faire la grève de la tétée pour des raisons très diverses. Citons-en quelques-unes.
Un bébé particulièrement sensible à l'humeur de l'entourage, et en premier lieu de sa mère, peut faire grève si le climat est trop « chargé » (conflits familiaux, par exemple), ou si la famille est trop occupée (cas typique du déménagement).
Un bébé qui franchit une étape dans son développement psychomoteur peut être tellement occupé par ça qu’il peut se désintéresser temporairement du sein.
Un bébé qui a mordu le sein et dont la mère a réagi trop vivement, peut être tellement sidéré et choqué qu'il en arrête de téter.
Un bébé peut avoir une affection (rhume, otite, dents qui percent, muguet, aphtes dans la bouche, etc.) qui rend la tétée désagréable, voire franchement douloureuse.
Un bébé peut être dérouté par le goût « salé » qu'a souvent le lait juste après une mastite (8).
Grève unilatérale
Cette dernière cause entraîne en général le refus d'un seul sein, celui qui a été affecté par la mastite.
D'autres raisons peuvent faire que le bébé refuse un seul sein. Elles tiennent en général au fait que le bébé ne se sent pas bien quand il est positionné à un des seins : narine bouchée, otite, hernie, vertèbre déplacée, clavicule cassée au moment de l'accouchement, position in utero.
Ou bien qu'objectivement, un des seins est « moins bien » que l'autre : sein plus engorgé, mamelon plat ou ombiliqué, sein qui « donne » moins de lait, canaux lactifères endommagés par une blessure ou une chirurgie, tumeur.
Il faut savoir terminer une grève
Si la cause de la grève ou du refus est bien identifiée, il faut bien évidemment travailler d'abord à la supprimer. Par exemple, si l'on pense que le bébé est incommodé par un parfum ou un déodorant, on commencera par s'en débarrasser.
Mais la suppression de la cause (quand elle est connue, ce qui est loin d'être toujours le cas) ne suffit pas toujours à rétablir la situation. Il faut souvent, en quelque sorte, « réapprivoiser » le bébé, pour qu'il soit à nouveau convaincu du bonheur de téter.
Pour cela on peut essayer d'allaiter le bébé dans une autre position et dans un autre environnement que d'habitude, l'allaiter quand il est à moitié (voire complètement) endormi, l'allaiter en marchant, prendre un bain avec lui, favoriser le plus possible le contact peau à peau... et essayer de se détendre !
Il est en tout cas indispensable de ne pas essayer de mettre le bébé au sein de force, car cela ne ferait qu’empirer les choses.
Si la grève se prolonge plus d’un ou deux jours, il sera nécessaire de tirer son lait régulièrement, tant pour éviter l’engorgement que pour entretenir la sécrétion lactée.
Conclusion
Fort heureusement, la plupart des grèves de la tétée se résolvent en deux ou trois jours, et rien ne peut égaler la joie qui inonde la mère – et le bébé – quand elle sent à nouveau son petit téter goulûment et avec bonheur. Cela aurait vraiment été trop bête de confondre cet épisode avec un sevrage...
(1) Pour distinguer sevrage et grève de la tétée, une règle simple, qui souffre peu d'exceptions : un refus brutal du sein ne peut pas être un sevrage induit par le bébé. De plus, dans une grève de la tétée, le bébé semble malheureux de la situation, alors que s’il se sèvre, il semble satisfait et a par ailleurs un comportement normal.
(2) Walker M, Do labor medications affect breastfeeding ?, J Hum Lact 1997 ; 13(2) : 131-7.
(3) Widström AM, Ransjö-Arvidsson AB, Christensson K, Matthiesen AS, Winberg J, Uvnäs-Moberg K, Gastric suction in healthy newborn infants. Effects on circulation and developing feeding behaviour. In : Widström AM, ed. Studies on breast-feeding : behaviour and peptide hormone release in mothers and infants. Applications in delivery and maternity ward care. Stokholm, Karolinska Institutet, 1988.
(4) Selon certains, il serait même normal pour les bébés de ne pas téter correctement pendant les deux à cinq premiers jours post-partum, quand ils commencent à organiser leur comportement… Voir l’intervention de Kittie Frantz à la 5e Journée internationale de l’allaitement, Le bébé qui rechigne à téter. Quand bébé refuse le sein, hors-série des Dossiers de l’allaitement, mars 2003.
(5) Cette technique, employée à l’origine par les sages-femmes australiennes, semble avoir un effet de « rebirth » qui remet les compteurs à zéro et permet de repartir sur de bonnes bases.
(6) Voir Newman J, Bébé qui ne prend pas le sein : 2 cas, Dossiers de l’allaitement 2004 ; 60 : 9.
(7) AA n° 104, Trop de lait, trop vite, trop fort.
(8) Ou tout autre changement d’odeur ou de goût (parfum, déodorant, aliment absorbé par la mère, retour des règles…).
Pour en savoir plus
- LLLI, Traité de l’allaitement maternel, chapitre « Maussade au sein et le refus de téter », p. 89-127.
- Françoise Railhet, Quand bébé se met en grève, LLLettre des associés médicaux 1994 ; 18 : 5-6.
- K Winchell, Nursing strike : misunderstood feelings, J Hum Lact 1992 ; 8(4) : 217-19.
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
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