Cet article a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 47, LLL France, 2001
Rares sont les manuels de puériculture, les articles de magazine, les sites Internet..., qui abordant le sujet de l'allaitement maternel, ne parlent pas en préalable d'une "préparation" quelconque : massages, étirements, frottements, crèmes à appliquer, etc., etc.
Face à une telle profusion de conseils, on peut se poser la question : est-il nécessaire, est-il utile, de se préparer à l'allaitement, et plus particulièrement de préparer ses seins ?
Ailleurs et autrefois
L'idée qu'il faudrait d'une façon ou d'une autre "préparer" les seins à l'allaitement, n'est ni récente ni propre à nos sociétés.
Voici par exemple ce qu'en disent les historiennes Catherine Rollet et Marie-France Morel dans Des bébés et des hommes (Albin Michel) : "Dans la France ancienne, chez les femmes des milieux aisés, il faut souvent faire sortir les mamelons, rétractés par le port de baleines et de corsets : les médecins recommandent de les étirer dès avant la naissance à l'aide de massages ou par la pose de petites bouteilles de verre appelées 'suçoirs'. Certains médecins, comme Desessartz au XVIII° siècle, se proposent même de téter eux-mêmes leurs patientes pour former les bouts de seins afin que l'allaitement démarre de façon satisfaisante ! Au Burkina Faso, la jeune mère a droit à un traitement de choc : on lui étire les seins entre deux pierres chaudes ; le bon sein nourricier doit être allongé comme une calebasse".
Dans les Hauts-Cantons héraultais, il existait des tétaïres, vieillards ou "simplets", chargés à la fois de résoudre certains problèmes aigus (engorgements, abcès...) et de préparer les seins : "on le faisait venir essentiellement dans un but de façonnage, pour 'lier le bout du sein' (...) C'est une pratique culturelle qui rappelle les 'enconodoras' catalanes, des femmes qui viennent montrer comment on allaite et mettre tout en place." Pierril, le dernier tétaïre du Somail, est mort en 1957 (DEA d'ethnologie de Valérie Cabrol, Toulouse).
La forme des seins allaitants
À ma connaissance, aucune femelle mammifère ne "prépare" ses mamelles à l'allaitement de ses petits.
Si les femmes se croient obligées de le faire, et ce depuis toujours, c'est que chez l'espèce humaine, l'allaitement n'est pas seulement "naturel", mais aussi "culturel". Et que chaque culture possède ses propres attentes, notamment par rapport à l'aspect des seins allaitants.
Dans de nombreuses régions d'Afrique, par exemple, les seins d'une mère allaitante se doivent d'être longs et pendants, très différents de seins de jeune fille. D'où certaines manipulations (bandages serrés, écrasement des seins, appelé rungri chez les Mossis et pratiqué lors de la première grossesse) destinées à briser les fibres mammaires.
En Occident, au contraire, les seins doivent rester hauts et fermes, quelles que soient les circonstances. D'où les soutiens-gorges de maintien, les crèmes raffermissantes, les pommades anti-vergetures, etc., plus ou moins efficaces d'ailleurs... Et la peur récurrente que l'allaitement "abîme" la poitrine.
Pas besoin d'"endurcir" les mamelons
Comme chez nous, l'allaitement est loin d'"aller de soi", on pense prévenir toutes les catastrophes qu'on anticipe (crevasses, douleurs, etc.) en "habituant" les seins au préalable, en les "endurcissant".
En fait, il existe maintenant un consensus à peu près général parmi les experts en allaitement pour dire que dans quasiment tous les cas, les douleurs de mamelons et crevasses sont dues à une mauvaise succion du bébé (mauvaise position de son corps et donc de sa bouche, de sa langue...), et que toutes les préparations, toutes les crèmes appliquées en prévention n'y changent rien.
Mais rien n'empêche évidemment, si on le souhaite, de se masser doucement les seins pendant la grossesse. Pour certaines femmes, cela aidera à apprivoiser l'idée que bientôt la bouche d'un bébé les happera avec une vigueur parfois étonnante. Et cela peut se révéler utile plus tard si l'on doit tirer son lait.
De même, chez certains couples, les caresses des seins et la succion du mamelon, qui font partie des jeux amoureux, peuvent être une façon naturelle de se préparer à l'allaitement.
Certaines femmes aiment aussi appliquer une crème hydratante sur leurs seins et leurs mamelons pendant la grossesse. Par contre, il est déconseillé d'utiliser du savon (et encore plus de l'alcool) sur l'aréole et le mamelon, car cela dessèche et fragilise la peau. D'autant que les seins produisent, dès la grossesse, leur propre "produit cosmétique" : les glandes de Montgomery, ces petites boules sur l'aréole, sécrètent une substance qui lubrifie et protège les mamelons.
Les seins se préparent à l'allaitement
En fait, la partie la plus importante de la préparation se fait naturellement et automatiquement : que la mère ait ou non décidé d'allaiter, son corps se prépare à l'allaitement tout au long de la grossesse.
Les seins augmentent de volume (c'est même souvent le premier signe de grossesse !) et peuvent devenir sensibles à mesure que les glandes mammaires situées à l'intérieur des seins se développent. L'aréole, cercle de peau colorée entourant le mamelon, prend une couleur plus foncée et les mamelons peuvent devenir plus durs et protubérants. Les glandes de Montgomery se développent.
La taille et la forme des seins et des mamelons varient énormément d'une femme à l'autre. Mais la taille des seins n'a rien à voir avec la capacité de la femme à produire du lait pour son bébé : les gros seins contiennent simplement plus de tissu adipeux.
Au cours du deuxième trimestre, les seins commencent à produire du colostrum, ce premier lait qu'absorbera le nouveau-né, au taux d'anticorps particulièrement élevé. Certaines femmes remarquent qu'un peu de colostrum s'écoule de leurs seins vers la fin de la grossesse. Mais si ce n'est pas le cas, cela n'a rien d'inquiétant pour la suite de l'allaitement.
À une certaine époque, on recommandait d'extraire quelques gouttes de colostrum chaque jour, mais il n'a jamais été prouvé que cela aidait en quoi que ce soit à prévenir l'engorgement ou les douleurs de mamelons (Ndlr 2016 : par contre cela peut être utile d'avoir une petite réserve de colostrum pour après la naissance, voir Exprimer du colostrum avant la naissance).
Si les mamelons sont plats ou rétractés
Les mamelons plats ou rétractés peuvent rendre la prise du sein plus difficile pour le bébé, qui trouve généralement plus aisé de saisir un mamelon protubérant.
Divers traitements ont été proposés pour remédier à ce problème.
Tout d'abord le port de coupelles, portées quelques heures par jour pendant le dernier trimestre de la grossesse : un anneau, posé sur la peau, exerce une légère pression sur l'aréole et force le mamelon à pointer.
On a également préconisé les exercices de Hoffmann, à effectuer plusieurs fois par jour pendant la grossesse : il s'agit de pressions fermes des pouces à la base du mamelon.
L'efficacité de ces deux méthodes a été fortement mise en question par une étude de 1992 qui a comparé quatre groupes de femmes : les unes avaient utilisé des coupelles, les autres avaient pratiqué les exercices de Hoffmann, les troisièmes avaient eu recours aux deux, et les dernières n'avaient fait aucune préparation spéciale. L'étude n'a retrouvé aucune différence significative entre les quatre groupes quant à la survenue de crevasses, aux problèmes de mise au sein et aux mastites. Quant au taux d'allaitement, il était nettement plus élevé chez celles... qui n'avaient fait aucune préparation !
Plus récemment, on a entendu parler de la Niplette, un petit appareil qui placé sur le mamelon, permet grâce à une seringue, d'aspirer l'air, de faire le vide et d'ainsi aspirer le mamelon qui s'allonge (on peut avoir le même effet avec une simple seringue dont on a retourné le piston). L'efficacité de cet ustensile reste plus ou moins controversée.
En fait, si l'on veut bien se souvenir que le bébé tète l'aréole et non le mamelon, on comprend qu'il est plus important de montrer à la mère comment faire prendre à son bébé une bonne "bouchée de sein" que de l'inciter à manipuler ses mamelons pendant la grossesse, pour un résultat douteux (1).
En cas de chirurgie mammaire
Il est sûr que certaines chirurgies du sein (surtout les réductions mammaires où des canaux lactifères ou des nerfs ont été sectionnés ou enlevés) peuvent avoir un effet dommageable sur l'allaitement. Les implants, quant à eux, ne posent généralement pas de problèmes, sauf si des nerfs ou des canaux ont été coupés.
De toute façon, il n'y a rien de spécial à faire pour se préparer : la seule façon de savoir si l'allaitement est possible, c'est... d'essayer.
Habits et gadgets
La société marchande ne perdant jamais ses droits, la femme qui prévoit d'allaiter est censée arriver à la maternité munie de tout un attirail soi-disant indispensable à l'allaitement : coussinets, coupelles, tire-lait, bouts de sein, soutien-gorge, coussin, crème...
Beaucoup de ces produits sont inutiles, certains sont même nuisibles (2). Et pour le soutien-gorge, mieux vaut attendre que l'allaitement ait débuté pour savoir quelle taille acheter...
Pour les habits, rien ne vaut les tenues deux-pièces, dont on peut relever le haut pour installer le bébé au sein, sans avoir à se "dépoitrailler" (3).
La vraie préparation
En fait, la vraie préparation, celle qui peut faire la différence entre un allaitement réussi et un allaitement raté, elle ne se fait pas dans le corps, mais dans la tête.
La vraie préparation, c'est d'avoir vu, depuis qu'on est petite fille, des femmes de sa famille ou de son voisinage allaiter leurs bébés avec bonheur. Personnellement, je fais remonter mon désir d'allaitement au fait d'avoir vu ma soeur aînée allaiter sa première fille, lorsque j'avais 8 ans.
La vraie préparation, ce serait d'avoir toujours entendu parler de l'allaitement comme la manière normale de nourrir un bébé. D'en avoir entendu parler en famille, à l'école, dans les livres, les magazines, sur les affiches, à la télé, au cinéma...
La vraie préparation, c'est de s'informer pendant la grossesse, de lire, de rencontrer des femmes qui allaitent dans les groupes de mères.
En effet, l'allaitement étant un comportement en partie acquis, sa réussite implique la connaissance d'un certain nombre de faits. Combien de sevrages précoces ont pour raison un problème d'allaitement qui aurait pu être évité ou résolu si la mère avait été correctement informée ? (4)
La vraie préparation, c'est de s'informer sur les pratiques en matière d'allaitement du lieu où l'on a prévu d'accoucher. Qu'en est-il de la première mise au sein ? Sépare-t-on l'enfant de sa mère pendant la "période sensible" des deux ou trois premières heures après la naissance ? Laisse-t-on le bébé avec sa mère pendant la nuit ? etc. (5)
La vraie préparation, c'est de s'informer non seulement sur l'allaitement, mais plus généralement sur le comportement normal d'un nouveau-né. Trop de futurs parents arrivent à l'accouchement dans l'ignorance totale de ce qu'est la réalité de la vie quotidienne avec un bébé, et avec des attentes totalement irréalistes. Du coup, si le bébé ne fait pas rapidement ses nuits, réclame à téter avant le délai prescrit, a des coliques, etc., ils vont se sentir perdus, incompétents... et arrêter l'allaitement, accusé de tous les maux.
Claude Didierjean-Jouveau
(1) Voir le dossier "Le point sur les mamelons rétractés", dans la LLLettre des associés médicaux n° 17, 1993, p. 19-23.
(2) Voir dans AA n° 35, "De quoi a-t-on vraiment besoin quand on allaite ?", 1998.
(3) On trouve aussi des vêtements spécialement conçus pour l'allaitement.
(4) Voir l'étude australienne, Ready for birth - but what about breastfeeding ? J. James, Breastfeeding Review 1999 ; 7(3) : 29-32.
(5) Pour "enquêter", on peut utiliser les 10 conditions OMS/ Unicef comme grille de questionnaire. Espérons que de plus en plus de maternités les respectent et suivent l'exemple de Lons-le-Saunier en devenant "maternité amie des bébés"...
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