Documentation LLL
- DA 181 : Expression anténatale du colostrum chez des mères diabétiques
- DA 174 : Le point sur les études sur l’expression anténatale du colostrum
- DA 141 : Montée de lait tardive et intérêt de l’expression anténatale du colostrum en cas de pré-éclampsie
- Dr Julie Hamdan, Le point sur l'hypoglycémie du nouveau-né, 2021
- DA 157 : L’expression anténatale du colostrum augmente la confiance en elles des mères
Voir aussi le dossier Tirer son lait
Autres documents
- Article de Marie Courdent paru dans Profession sage-femme n° 223, mars 2016. À télécharger en bas de la page.
- L’expression manuelle du lait humain, Ligue La Leche.
- Pour tirer à la main : Expression manuelle et tire-lait, Naître et grandir en Languedoc-Roussillon. Avec des photos d'explication sur un sein en tissu. À voir ICI.
- Des seringues pour exprimer et conserver le colostrum, voir ICI.
- Recommandations du NHS (service national anglais de la santé) : Expression anténatale du colostrum – Expressing your milk antenatally – Information and advice for diabetic mothers-to-be. National Health Service, 2014. Le NHS a émis des recommandations sur l’expression anténatale du colostrum chez les mères diabétiques (diabète antérieur à la grossesse ou diabète gestationnel). Après avoir exposé l’importance de l’allaitement pour ces mères et leurs enfants, le texte souligne le fait que ces enfants ont un risque plus élevé d’hypoglycémie, et qu’ils pourront avoir besoin de suppléments. L’expression anténatale du colostrum permettra d’évite le don d’un substitut du lait maternel. Il précise que toutes les mères (pas uniquement les mères diabétiques) peuvent tirer leur colostrum si elles le souhaitent, en particulier les mères souffrant d’hypertension, dont le bébé présente un retard de croissance intra-utérin, ou les mères de multiples. L’expression peut débuter à environ 37 semaines de gestation. Exprimer manuellement le colostrum, en pressant doucement l’aréole entre les doigts. La mère pourra avoir besoin de trouver la technique précise la plus efficace pour elle. Le plus souvent, le colostrum coule goutte à goutte. L’expression peut induire des contractions utérines, qui ne posent aucun problème dans la très grande majorité des cas. Si les contractions sont très intenses, il sera préférable d’arrêter l’expression du colostrum. La mère peut exprimer son colostrum aussi souvent qu’elle le souhaite. Le colostrum sera recueilli dans une petite cuillère, et stocké ensuite au congélateur dans de petites seringues en plastique (ou au réfrigérateur si la naissance est prévue dans les 48 heures). Entreposer les seringues dans un sachet en plastique sur lequel la mère notera son nom et la date d’expression. Lorsqu’elle partira pour la maternité, la mère emportera le lot de seringues dans une glacière avec accumulateur de froid, et le colostrum pourra être entreposé dans le réfrigérateur du service.
Vidéo
- Tirer à la main : https://med.stanford.edu/newborns/professional-education/breastfeeding/hand-expressing-milk.html
Études
Expression anténatale du colostrum pour une utilisation en post-partum - Expressing and storing colostrum antenatally for use in the newborn period. SG Cox. Breastfeed Rev 2006 ; 14(3) : 11-16.
Le colostrum est un concentré d’anticorps particulièrement important pour le nouveau-né. La femme commence à en sécréter pendant le second trimestre de la grossesse. Jusqu’à la fin des années 1970, les femmes étaient encouragées à exprimer du colostrum en fin de grossesse, jusqu’au moment où certains ont émis l’idée selon laquelle cela pourrait induire des décharges d’oxytocine susceptibles d’augmenter le risque d’accouchement prématuré, même si rien dans la littérature médicale ne permet de le penser. Toutefois, de nombreuses activités induisent des décharges d’oxytocine, sans que personne ait jamais mis en garde contre ces activités pendant la grossesse.
Un certain nombre d’études randomisées ont été effectuées ces dernières décades sur le risque de déclenchement du travail suite à la stimulation des mamelons. Une étude de Di Lieto et al (1989) a évalué l’impact sur le score de Bishop (échelle d’évaluation de la maturation du col utérin) d’une stimulation des mamelons pendant 45 mn 3 fois par jour chez des primipares à terme, et a constaté un impact significatif. Une étude de Stein et al (1990), une étude de Curtis (1999) et une étude de Mashini (1987) ont évalué l’impact de la stimulation des mamelons versus l’injection d’oxytocine chez des femmes en travail, et ont fait état d’une absence d’efficacité significative de cette stimulation. Dans une étude de Moscone et Moore (1993) sur des femmes qui ont poursuivi l’allaitement d’un enfant plus âgé pendant leur grossesse, toutes ces femmes ont accouché à terme d’un enfant de poids normal.
Suite à la constatation de l’absence d’impact négatif de la stimulation des seins, certains professionnels de santé ont recommencé à suggérer l’expression et le stockage du colostrum pendant la grossesse, afin qu’il puisse être donné au nouveau-né, plutôt que du lait industriel, en cas de besoin, soit que la mère ait un problème tel qu’elle ne puisse pas produire suffisamment de lait, soit en raison d’un problème de santé chez le bébé. Une telle possibilité pourra être discutée avec la femme pendant sa grossesse. On pourra alors lui suggérer de tirer du colostrum pendant 3 à 5 mn à chaque sein, à partir d’environ 34 semaines de grossesse, et de cesser de le faire si elle expérimente des contractions utérines. La femme pourra prélever directement les gouttes de colostrum avec une petite seringue, ou exprimer le colostrum dans un petit récipient bien propre et remplir ensuite la seringue, qu’elle entreposera au réfrigérateur jusqu’à ce qu’elle soit pleine (1 à 3 jours), avant de la placer au congélateur. Elle disposera ainsi de colostrum pour son nouveau-né, et de plus elle s’habituera à exprimer son lait, ce qui est susceptible d’augmenter son niveau de confiance en elle.
Vécu maternel de l’expression anténatale du colostrum - Experiences of expressing and storing colostrum antenatally : a qualitative study of mothers in regional Western Australia. Brisbane JM, Giglia RC. J Child Health Care 2013.
Le but de cette étude qualitative était d’évaluer le vécu de mères ayant exprimé leur colostrum pendant la grossesse, ainsi que l’impact de cette pratique sur l’allaitement.
12 femmes ont été interrogées en profondeur parmi celles qui étaient venus en consultation d’allaitement à 37 semaines de grossesse. La plupart des femmes estimaient que l’expression anténatale du colostrum leur avait permis de se familiariser avec leurs seins, et que le stock de colostrum constitué en fin de grossesse les sécurisait pour le
démarrage de l’allaitement. Le principal vécu négatif était un sentiment de gêne, en particulier si elles exprimaient leur colostrum devant une personne, les difficultés d’expression, et pour une femme la douleur liée à l’expression.
L’expression anténatale du colostrum peut augmenter le sentiment de confiance en elle d’une mère. D’autres études sont nécessaires pour déterminer l’impact à plus long terme sur l’allaitement.
Expression anténatale du colostrum chez des femmes diabétiques - Antenatal breast expression in women with diabetes : outcomes from a retrospective cohort study. Soltani H, Scott AMS. Int Breastfeed J 2012 ; 7 : 18.
Les femmes diabétiques ont un risque plus élevé de complications pendant leur grossesse, et leurs enfants seront suivis plus étroitement après la naissance. L’allaitement présente des bénéfices spécifiques pour les mères diabétiques et leurs enfants, mais son démarrage pourra être plus difficile pour diverses raisons : montée de lait plus tardive, complications pendant l’accouchement, transfert du bébé en néonatalogie…
Certains ont commencé à conseiller à ces femmes de tirer leur colostrum à partir de 36 semaines de grossesse, afin qu’il puisse être donné à leur bébé à la place d’une formule lactée commerciale si des suppléments sont nécessaires. Le but de cette étude anglaise rétrospective était d’évaluer l’impact de l’expression anténatale du colostrum chez des femmes diabétiques.
Environ 4 300 naissances surviennent tous les ans dans les services de maternité de Derby, et toutes les femmes diabétiques qui ont accouché sur une période de 2 ans ont été invitées à participer à cette étude, lorsqu’elles avaient accouché d’in singleton ne présentant aucune anomalie congénitale. Pendant leur grossesse, les femmes ont reçu des
informations sur la gestion de leur diabète, sur l’allaitement et sur l’expression anténatale du colostrum. Elles ont également fourni des données démographiques et socio-économiques. Elles ont ensuite été recontactées (entre 9 et 32 mois) pour recueil de données supplémentaires sur l’allaitement.
Parmi les 235 femmes invitées à participer à l’étude, 94 ont accepté. 15 mères souffraient d’un diabète insulino-dépendant, 11 avaient un diabète de type 2, les autres femmes ayant un diabète gestationnel. 35 femmes ont dit qu’on leur avait conseillé de tirer leur colostrum en fin de grossesse, et 16 femmes l’ont fait. La seule différence entre les femmes qui ont tiré leur colostrum et celles qui ne l’ont pas tiré était un niveau légèrement plus élevé de scolarité chez celles qui l’ont tiré. Le poids et l’Apgar du bébé étaient similaires dans les 2 groupes ; l’âge gestationnel était un peu plus bas chez les enfants dont la mère avait tiré son colostrum. 33 % des bébés dont la mère avait tiré son colostrum ont séjourné en néonatalogie contre 12 % des bébés dont la mère n’a pas tiré son colostrum. Le taux de démarrage de l’allaitement était de 88 % dans l’ensemble du groupe. La mise au sein était le premier repas pour 100 % des nouveau-nés dont la mère avait tiré son colostrum contre 86 % des nouveau-nés dont la mère ne l’avait pas fait.
Les principales limitations de cette étude sont la petite taille du groupe suivi, et la nature rétrospective du recueil des données. Les deux faits les plus marquants de cette étude sont un âge gestationnel plus bas à la naissance et un taux plus élevé de transfert en néonatalogie chez les nouveau-nés des mères qui avaient tiré leur colostrum, la principale cause de transfert étant l’hypoglycémie. La stimulation régulière des seins pourrait avoir déclenché le travail plus tôt. Il est intéressant de constater que 88 % de ces femmes ont commencé à allaiter, alors que le taux de démarrage de l’allaitement dans la population générale locale est de 71 %. Les raisons pour lesquelles les mères ont décidé ou non de tirer leur colostrum n’ont pas été explorées dans cette étude ; une étude sur le sujet serait intéressante. D’autres études sont également nécessaires pour explorer davantage les bénéfices et les risques liés à l’expression anténatale du colostrum (en particulier le risque de transfert en néonatalogie), la perception de cette pratique par les mères, les autres membres de la familles, et les professionnels de santé.
Expression anténatale de colostrum par les mères diabétiques - Advising women with diabetes in pregnancy to express breastmilk in late pregnancy (Diabetes and Antenatal Milk Expressing [DAME]) : a multicentre, unblinded, randomised controlled trial. Forster DA et al. Lancet 2017 ; 389 : 2204-13.
Les enfants dont la mère souffrait de diabète pendant la grossesse ont un risque plus élevé d’hypoglycémie, de transfert en néonatalogie, et de don précoce de suppléments. Dans la mesure où en moyenne 7 % des femmes présenteront un diabète gestationnel et que la prévalence du diabète augmente dans la population, la nécessité d’assurer un soutien adéquat à ces mères est de plus en plus importante. Certains estiment que l’expression anténatale du colostrum permettra, après la naissance, de donner ce colostrum de préférence à un lait industriel au nouveau-né nécessitant un supplément. Toutefois, il existe encore peu de données sur l’intérêt et la sécurité de cette pratique. Les auteurs ont mené cette étude (Diabetes and Antenatal Milk Expressing – DAME) pour évaluer l’impact de l’expression anténatale du colostrum.
Cette étude randomisée en simple aveugle (les auteurs ignoraient le groupe d’allocation des mères mais pas les mères ni les soignants qui les suivaient) a été menée auprès de femmes suivies par six centres hospitaliers de Victoria (Australie). Elle avaient un diabète préexistant à leur grossesse ou un diabète gestationnel, et étaient enceintes de 34 à 37 semaines, d’un singleton qu’elles prévoyaient d’allaiter. Leur grossesse était normale mis à part leur diabète, et elles ne présentaient pas de problème de santé significatif. Elles ont été randomisées en deux groupes, la randomisation prenant en compte le service hospitalier où la femme était suivie, sa parité, la nature du diabète et son éventuel traitement : un groupe témoin pour qui le suivi standard a été poursuivi, et un groupe intervention à qui on a conseillé d’exprimer manuellement son colostrum deux fois par jour à partir de 36-37 semaines de grossesse et jusqu’à l’accouchement, et de le conserver au congélateur dans des seringues fournies aux mères, et qu’elles devaient apporter à l’hôpital dans une petite glacière au moment de leur accouchement ; ces femmes ont également reçu un feuillet d’information sur l’expression anténatale du colostrum, ainsi qu’un formulaire sur lequel elles devaient noter chaque séance d’expression du colostrum. Toutes les femmes ont par ailleurs répondu à un questionnaire détaillé. Elles ont pu discuter d’allaitement avec les sages-femmes à l’occasion du suivi prénatal, et celles qui le souhaitaient pouvaient également rencontrer une consultante en lactation. Les données concernant le déroulement de l’accouchement, du post-partum, du démarrage de l’allaitement et l’éventuelle survenue d’une hypoglycémie chez le nouveau-né ont été extraites des dossiers médicaux. Elles ont été recontactées à 2 et 12 semaines post-partum pour collecte de nouvelles données. 635 femmes ont été incluses : 319 dans le groupe intervention et 316 dans le groupe témoin ; respectivement 305 et 297 femmes ont fourni les données au suivi à 2 semaines, et 286 dans chaque groupe les ont fournies à 12 semaines.
Les deux groupes présentaient des caractéristiques similaires pour l’âge, la durée de la gestation, le niveau de scolarité, le niveau socioéconomique, la parité, les modalités de l’accouchement, l’âge gestationnel à la naissance ou le poids de naissance, le taux d’allaitement d’un enfant précédent chez les multipares, le pourcentage de mères qui prévoyaient d’allaiter ≥ 6 mois, le tabagisme maternel, la prévalence du surpoids et de l’obésité, la nature du diabète (diabète gestationnel pour 93 % des mères, les autres mères présentant à prévalence égale un diabète de type 1 ou 2), et la prévalence d’un diabète gestationnel à l’occasion d’une précédente grossesse. 4 % des femmes dans chaque groupe avaient déjà tiré leur colostrum en période prénatale pendant une précédente grossesse. 14 % des femmes du groupe intervention n’ont pas tiré leur colostrum, ou l’on fait à ≤ 5 occasions ; 42 % des femmes ont tiré leur colostrum ≥ 20 fois et 25 % 6 à 19 fois. 10 % des femmes du groupe témoin ont tiré leur colostrum avec une fréquence non spécifiée. 15 % des nouveau-nés du groupe intervention ont été transférés en néonatalogie ainsi que 14 % de ceux du groupe témoin, essentiellement en raison d’une hypoglycémie, d’une suspicion d’infection ou d’une détresse respiratoire. 42 % des enfants du groupe intervention et 46 % de ceux du groupe témoin ont présenté une hypoglycémie. Cette dernière a été plus souvent gérée en augmentant la fréquence des tétées et en donnant du colostrum exprimé dans le groupe intervention, tandis que la prévalence du don de lait industriel était plus élevée dans le groupe témoin (59 % contre 46 %). 69 % des enfants du groupe intervention et 60 % des enfants du groupe témoin ont été exclusivement allaités pendant les premières 24 heures, respectivement 57 % et 49 % étaient exclusivement allaités à la sortie de maternité, 60 % et 55 % l’étaient toujours à 3 mois, le taux d’allaitement exclusif + partiel étant similaire dans les deux groupes à ce moment (83 et 82 %). La prévalence des problèmes maternels et infantiles en post-partum était basse et similaire dans les deux groupes ; les problèmes les plus sérieux étaient une détresse respiratoire dans le groupe intervention, et la survenue d’une encéphalopathie dans le groupe témoin (touchant < 1 % des enfants dans chaque groupe).
Dans cette étude, l’expression anténatale du colostrum n’avait induit aucun impact néfaste chez la mère ou l’enfant. En particulier, la stimulation des seins n’était pas corrélée à un âge gestationnel plus bas à la naissance. L’intervention n’a pas eu d’impact sur la prévalence du transfert en néonatalogie, mais elle a permis d’augmenter la prévalence de l’allaitement exclusif pendant les premières 24 heures et pendant la durée du séjour en maternité. Les points forts de cette étude sont le nombre important de mères incluses, la randomisation à partir de plusieurs services, les nombreuses données collectées. Les résultats doivent cependant être interprétés avec prudence, en raison des critères stricts de sélection utilisés pour les mères (mères à faible risque dans cette population spécifique). Il serait nécessaire de faire d’autres études avec des critères plus larges d’inclusion, incluant donc des femmes présentant davantage de facteurs de risque de problèmes. Au vu de ces résultats, on peut recommander aux mères diabétiques d’exprimer leur colostrum à partir de 36 semaines de grossesse pour qu’il puisse être donné à leur bébé, mais tant les mères concernées que les soignants en maternité doivent recevoir des consignes précises sur l’expression anténatale du colostrum et son utilisation chez le nourrisson.
Faisabilité et acceptabilité d’un programme d’expression anténatale du colostrum - Feasibility and acceptability of an antenatal milk expression protocol among first-time mothers in the U.S. Demirci JR et al. 2018 BFCI Abstracts. J Hum Lact 2018 ; 34(3) : 607.
L’expression anténatale du colostrum est le fait pour la femme d’exprimer manuellement le colostrum et de le stocker pendant le 3e trimestre de grossesse. Ce colostrum pourra si nécessaire être donné au nouveau-né à la place de lait humain provenant d’un lactarium ou de suppléments de lait industriel. Une étude récente n’a constaté aucun effet secondaire pour cette pratique, qui permet d’augmenter le taux d’allaitement exclusif en maternité. Le but de cette étude était d’évaluer la faisabilité et l’acceptabilité de l’expression anténatale du colostrum chez des primigestes américaines.
Pour cette étude pilote toujours en cours, 43 primigestes ont été recrutées et randomisées en un groupe témoin, qui a reçu des informations sur l’allaitement, et un groupe intervention qui a reçu des informations sur l’expression anténatale du colostrum, avec don d’informations, démonstration et mise en pratique sous la supervision d’une IBCLC. L’expression débutait à 37 semaines de gestation, 1 à 2 fois par jour pendant 10 minutes. Les femmes ont été vues toutes les semaines jusqu’à l’accouchement pour revoir la technique d’expression, puis elles ont répondu à un questionnaire semi-structuré à 1-2 semaines post-partum afin d’analyser leur vécu concernant cette intervention. L’entretien avec les mères a été enregistré et retranscrit pour analyse. La majorité des femmes incluses étaient d’origine caucasienne, mariées, avec un niveau universitaire. Elles avaient en moyenne 30,8 ans. Parmi les 21 mères actuellement randomisées dans le groupe intervention, 14 ont exprimé leur colostrum, 9 d’entre elles l’ont congelé, et 5 ont eu l’occasion de le donner à leur nouveau-né (séparation mère-enfant, impression de ne pas avoir assez de lait, problème de succion, souhait du compagnon de participer à l’alimentation de l’enfant). Ces mères ont tiré leur lait en moyenne à 18,9 reprises, pour un volume total moyen de 18,3 ml. Presque toutes les femmes avaient un vécu très positif de l’expression du colostrum. Les bénéfices cités étaient le fait de s’habituer à toucher ses seins et à tirer son lait, de visualiser et de collecter du colostrum, cela augmentait leur motivation à allaiter, leur sentiment de confiance dans leur capacité à allaiter, ainsi que le soutien de leur compagnon. Certaines femmes estimaient que l’expression anténatale du colostrum avait favorisé une montée de lait rapide et une production lactée abondante. Les inconvénients rapportés par les mères étaient un inconfort mammaire modéré pendant l’expression, le fait que l’expression manuelle était fatigante, que l’obtention d’un faible volume de colostrum était stressante pour la mère, et que certaines mères n’ont pas pu utiliser le colostrum exprimé pendant leur séjour en maternité parce qu’elles avaient oublié de l’amener, que les pratiques du service ne permettaient pas de le stocker sur place, ou que le personnel soignant était peu favorable à cette pratique.
Cette étude montre que l’expression anténatale du colostrum est faisable et bien acceptée par des primigestes d’origine européenne ayant un niveau socioéconomique et culturel élevé. D’autres études sont nécessaires pour évaluer cette stratégie dans des populations plus variées.
Témoignages
Jocelina : Au début de ma troisième grossesse, je me suis posée beaucoup de questions : ce bébé souffrira-t-il de reflux comme mes deux premiers enfants ? Sera-t-il aussi IPLV ? Faut-il que je fasse dès la grossesse un régime d'éviction ? Finalement, je me suis dit que j'allais attendre sa naissance pour voir comment ça se passerait. Une chose était sûre cependant, je voulais allaiter ce bébé et introduire le plus tard possible le lait de vache.
Au cours du septième mois de grossesse, on m'a diagnostiqué un diabète gestationnel. Connaissant les risques pour mon bébé liés à un diabète mal équilibré, j'ai suivi le régime indiqué à la lettre, mais malgré cela, j'ai dû rajouter des injections d'insuline. Un des risques pour mon bébé était des hypoglycémies, et une complication pour moi pouvait être un retard à la montée de lait, donc potentiellement un risque d'avoir besoin d'un complément de lait artificiel à la maternité, ce que je ne voulais surtout pas !
Or j'avais entendu dire qu'il était possible d'exprimer son colostrum en anténatal, afin de le congeler et l'utiliser à la naissance si besoin. J'ai donc commencé à exprimer mon lait à 34 SA. Au début deux fois par jour, puis 1 fois par jour, car c'était plus vécu comme une corvée au vu des résultats : 0,65 ml en deux fois 45 minutes d'expression par jour.
Ensuite, j'ai exprimé tous les jours entre 1 ml le plus souvent et 2,5 ml quelquefois, toujours en 45 minutes en moyenne, c'est-à-dire vraiment goutte à goutte ! J'ai donc cumulé 40 ml en seringues de 1 et 2,5 ml que j'ai congelées chez moi, puis stockées à la maternité dans le congélateur du service de néonatologie.
J'ai accouché à 39 SA d'un petit Elio, 3760 g, qui se portait bien. La première nuit a été très intense avec un bébé très, très actif au sein au point de me décourager. À 4 h du matin, je suis allée chercher des seringues de mon lait pour lui donner. Il n'a pris que 2 ml, mais ça nous a fait du bien à tous les deux, car ensuite on a dormi !
Elio a eu deux contrôles de glycémie à H4 et H24 qui étaient corrects, donc pas besoin de compléments. Je n'ai donc pas utilisé le reste de mon lait, qui est encore dans mon congélateur. Les glycémies d'Elio étaient-elles correctes du fait de ma glycémie stabilisé pendant la grossesse ? Grâce au peau à peau non stop pendant 48 h ? Ou à un bébé hyper efficace et demandeur au sein ?
Même si je n'ai pratiquement pas utilisé mon lait, je suis sûre que l'avoir à disposition « au cas où » m'a permis d'être plus détendue et disponible pour lui, car je ne voulais absolument pas de lait artificiel, du fait des antécédents d'IPLV de son frère.
Julie : J'ai 40 ans et je suis diabétique. J'ai toujours souhaité allaiter exclusivement mes enfants. Mais cela n'a pas bien fonctionné pour mon premier bébé, les choses ont beaucoup mieux marché avec le second. Évidemment, je souhaitais allaiter mon troisième enfant. Comment les choses allaient-elles se passer cette fois ? Aurais-je encore une montée de lait tardive, comme cela avait été le cas pour mes deux premières filles auxquelles du lait artificiel avait été donné "en attendant" ? Le bébé prendrait-il bien le sein ? Ne serais-je pas trop endormie par les produits calmants et anesthésiants après l'opération, et donc moins disponible pour mettre le bébé au sein ? Etc.
J'ai un diabète chronique (dit de type 1), que je traite grâce à une pompe à insuline que je porte en permanence. Réguler mes glycémies requiert une attention continue, et d'autant plus pendant la grossesse, car les besoins en insuline varient tout au long de la grossesse. Être enceinte représente pour moi un "travail" de surveillance accrue, puisque des taux de sucre sanguin trop élevés ou trop bas ont des effets négatifs non seulement pour moi, mais aussi pour le bébé. Cela crée toujours une inquiétude et aussi de la culpabilité, lorsque les glycémies ne sont pas toujours parfaites. J'ai cependant été bien suivie par des médecins diabétologues/endocrinologues pour mes trois grossesses qui, grâce à cette prise en charge, se sont toutes très bien déroulées.
Souvent, les mamans diabétiques n'accouchent pas à terme, car le bébé a tendance à devenir trop gros. Le protocole médical préconise donc un accouchement vers la 38e semaine d’aménorrhée, et je n'y ai pas échappé, pour chacune de mes trois filles. À la naissance, la glycémie des bébés de mamans diabétiques est contrôlée, car il y a un risque d'hypoglycémie. En effet, dans l'utérus, ces bébés sont exposés au taux de sucre sanguin de la maman via le cordon ombilical, et ils adaptent leur production d'insuline afin de réguler une glycémie élevée. Et une fois hors du ventre maternel, le bébé peut continuer à produire de l'insuline en excès, ce qui fait chuter son sucre sanguin, c'est alors l'hypoglycémie. En général, on administre au nourrisson une solution sucrée, voire même on peut lui poser une intraveineuse.
La glycémie de mes deux premières filles était normale à la naissance. Qu'allait-il en être pour la troisième ? C'est au cours du sixième mois de cette troisième grossesse que je tombe sur une invitation à une réunion virtuelle sur l'allaitement, organisée par des animatrices LLL. Je prévoyais évidemment d'allaiter ce nouveau bébé et, même en ayant eu une expérience très positive avec ma seconde fille, je me suis dit qu'il y a toujours des choses à apprendre – chaque bébé est différent et chaque allaitement l'est donc lui aussi. Cette première réunion m'enthousiasme beaucoup, car elle me remet dans le bain de l'allaitement en écoutant d'autres mamans qui sont actuellement dans cette situation. Le mois suivant, je participe à une deuxième réunion. Une animatrice me donne la parole et j'évoque l'accouchement prévu par césarienne et mon inquiétude de l'impact du retard éventuel de la montée de lait sur le démarrage de l'allaitement. Je mentionne par ailleurs que j'ai du colostrum depuis mon quatrième mois de grossesse, ce qui me fait penser que mes seins "se préparent" déjà, et cela me semble de bon augure. L'animatrice me suggère alors que je pourrais exprimer mon colostrum, le congeler et l’apporter à la maternité afin de le donner à mon nourrisson s'il en a besoin et que la montée de lait se fait attendre, plutôt qu'une solution sucrée proposée par le personnel médical.
L'idée me semble vraiment intéressante et, très vite, je trouve en ligne des informations supplémentaires sur l'expression manuelle du colostrum. Je découvre par ailleurs que le colostrum est idéal pour réguler la glycémie d'un nouveau-né. Ce serait parfait d'en avoir à disposition si mon bébé naissait avec une hypoglycémie ! Je parle de ce projet à mon gynécologue/obstétricien qui ne le désapprouve pas, tout en me mettant en garde sur les contractions que l'expression anténatale de colostrum pourrait provoquer. Tenant compte de cela, je constitue une réserve de petites seringues stériles de 5 ml dans lesquelles je collecte de temps à autre, le soir avant de me coucher, environ 4 ml de colostrum à partir des deux seins. Les seringues, sur lesquelles j'inscris la date de collecte et mon nom, sont conservées dans une boîte au congélateur.
Le jour de l'accouchement, j'arrive à la maternité munie d'une petite glacière contenant mes seringues. Une infirmière va les stocker dans le réfrigérateur du service. La césarienne se passe bien, et c'est un beau bébé de 4,2 kg qui voit le jour. On me donne ma fille, que je peux tenir en peau à peau mais seulement pendant quelques minutes, pas plus, malgré ma demande. Cependant, l'anesthésiste a suivi mon souhait de rester le plus alerte possible, et je n'ai aucune envie de dormir en salle de réveil, après l'opération. On m'y amène mon bébé, selon mon souhait et contrairement à la pratique habituelle de cet hôpital. La conseillère en lactation est présente, comme convenu une semaine auparavant, et m'assiste pour le peau à peau et la mise au sein de ma petite fille. Celle-ci "rampe" jusqu'à celui-ci, me reniflant comme un petit animal, et se met à téter comme si elle avait toujours su le faire. Quelle joie et quelle émotion de vivre ce moment !
Tout se passe à merveille, si ce n'est que, plus tard, on m'annonce que la glycémie de mon nouveau-né est trop basse (43 mg/dl). En accord avec le pédiatre, on lui donne mon colostrum à la seringue. Puis, quelques heures plus tard, ma fille est emmenée afin qu'on lui re-mesure sa glycémie. Mon mari et moi attendons, inquiets, le résultat. L'infirmière revient avec le bébé et un grand sourire sur les lèvres : la glycémie est remontée à 55 mg/dl ! Ça a marché !
Par la suite, je mets ma fille au sein autant que possible, le jour et la nuit, malgré la douleur de la cicatrice. Je lui ai aussi donné tout le colostrum des seringues restantes. Au troisième jour, j'ai ma montée de lait, soit un jour plus tôt que pour mes deux premières filles.
Tiphaine : J’ai réalisé l’expression anténatale de colostrum car les échographies nous prédisaient un petit bébé de 2,7 kg à terme. J’ai donc vécu cette première grossesse assez stressée car très surveillée par l’équipe médicale (échographie de contrôle toutes les 3 semaines). C’est ainsi que la crainte d’un nouveau-né trop faible pour téter me gagne. Ayant à cœur de faire un allaitement exclusif, je m’y prépare en lisant énormément et en participant à trois rencontres LLL (on ne le redira jamais assez, l’allaitement bien qu’il soit naturel et inné pour le bébé n’est pas un acquis à son arrivée, loin de là !). C’est alors qu’au cours d’une conversation, Marie Courdent (animatrice de ma région) m’évoque l’expression anténatale. La pratique me fait réfléchir, me questionne. Je me documente également sur le site de LLL (une mine d’informations !). J’ai également la chance de m’apercevoir que, deux mois avant terme, mon corps commence à en produire. C’est un mois avant le terme, bien décidée, que je démarre la pratique afin de constituer une petite réserve qui évitera les éventuels compléments de lait artificiel de la maternité. Confortablement installée dans mon canapé, je parviens à récupérer - goutte par goutte, dans une petite cuillère - ce fameux colostrum (je précise que je n’ai jamais forcé la main. C’est OK si, un jour, un sein ne donne quasiment rien alors qu’il avait donné 2 ml la veille). Mis en seringues de 1/2/5 et 10 ml (je les conservais trois jours maxi au réfrigérateur, puis mise au congélateur). Mon conjoint (réel soutien et commençant, à ce moment-là, à réellement se projeter dans son futur rôle de papa) connaissait sa mission de les apporter à la maternité en cas de besoin (j'ai la chancechance d’habiter à 10 minutes en voiture).
L’expression anténatale de colostrum présente selon moi de nombreux avantages : développement de la confiance en soi/en son corps qui nous montre qu’il est prêt à nourrir ce bébé, impression d’une production plus rapide de colostrum post-accouchement puis de lait maternel, mais surtout apprentissage des gestes qui peuvent être très utiles par la suite. Dans mon cas, nous n’avons finalement pas eu besoin des seringues, mais j’ai complémenté bébé à la petite cuillère sur place en tirant mon colostrum à la main, car il ne réclamait que très peu et s’endormait bien trop rapidement au sein. Quelques jours après, la pratique m’a également aidée à gérer les engorgements post-montée de lait.
À mon sens, le seul inconvénient possible de l’expression anténatale est le manque de recul scientifique, avec un discours médical mettant en garde contre un éventuel accouchement prématuré. Je pense que les soignants sont aussi globalement peu informés. J’ai préféré éviter aborder le sujet, à l’exception de ma sage-femme libérale en qui j’avais toute confiance et qui nous a accompagnés dans notre projet d’accouchement physiologique.
Aujourd’hui, je garde les seringues de colostrum bien précieusement en pensant les donner à mon enfant cet hiver lorsqu’il aura 4-5 mois et rencontrera ses premiers épisodes de maladies.
Delphine :
Lors de ma formation de puériculture, je me suis beaucoup interessèe à l'allaitement et j'ai appris énormément de choses. Durant la semaine nationale de l'allaitement, une conférence est organisée au CH de Roubaix. À cette occasion, je découvre un essai clinique sur l'expression manuelle avant l'accouchement. Le jour arrive (enfin) où j'attends mon premier enfant. L'allaiter est pour moi une évidence. Cette pratique est ancrée depuis plusieurs générations dans ma famille. Lors de ma grossesse, on me diagnostique un diabète
gestationnel. J'ai retenu que cela pouvait retarder la montée de lait et surtout provoquer des hypoglycémies chez le nouveau-né. Le diabète gestationnel faisait partie des critères d'inclusion pour l'essai clinique. C'est pourquoi je décide d'extraire du lait. J'en parle à ma sage-femme et à des amies puéricultrices. Personne ne me soutient, au mieux on me dit "pas avant 38SA". Je décide de m'écouter et de commencer un mois pile avant la date prévue du terme. Une fois par jour, durant 5 minutes au début par sein. Je m'installe devant une série et c'est parti. Finalement, il m'est arrivé de le faire pendant 30 minutes. Plus je voyais du colostrum, plus j'avais envie de continuer.
Je me retrouve avec des tubes rouges remplis de mon lait dans mon congélateur. À la maternité, notre petit Alix n'a pas eu d'hypoglycémie, mais il était épuisé après un accouchement de 3 jours, son papa a pu le compléter lorsque je dormais. Alix a perdu peu de poids, il a très vite repris son poids de naissance. Ma montée de lait est arrivée à J4.
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