Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 65, LLL France, 2005
Quand les circonstances amènent à recourir à une césarienne pour la mise au monde d’un bébé, la nouvelle mère est confrontée à un vécu particulier de l’enfantement et son bébé vit une naissance aux modalités différentes. Le taux de césariennes augmentant considérablement dans nos pays industrialisés (pour des raisons diverses et parfois discutables), de plus en plus de femmes sont amenées à vivre cette expérience.
Or, la césarienne est une intervention chirurgicale importante et ses suites physiques et psychologiques interfèrent dans la rencontre de la maman avec son bébé et le début de leur relation.
Quelles sont ces interférences ? Comment s’y préparer au mieux ? Quel est leur impact sur les débuts de l’allaitement ? Quelles sont les solutions pour résoudre les difficultés qui peuvent se présenter ? C’est ce que nous allons essayer d’aborder ensemble.
Un soutien plus nécessaire
Plusieurs facteurs font que l’allaitement peut avoir besoin d’être davantage soutenu en cas de césarienne.
La douleur, la gêne que ressent la maman dans ses mouvements, la nécessité de protéger sa cicatrice de tout contact quand elle tient son bébé dans ses bras et l’allaite, une plus grande fatigue, tout cela rend particulièrement importante l’aide concrète et continue apportée à la mère dans les premiers jours jusqu’à ce qu’elle retrouve son autonomie.
Dans les circonstances d’une césarienne, même planifiée, la mère peut être surprise ou même bouleversée par des sentiments encore plus complexes que pour une naissance normale.
L’organisation des soins post-opératoires et des suites de couches, dans les maternités, n’est pas toujours adaptée pour répondre au mieux aux besoins de la mère, et le nouveau père est souvent la personne la plus précieuse pour elle dans cette situation.
Pour le bébé, la césarienne est une expérience « hors norme » : il lui manque tout ou partie du processus d’adaptation à la naissance et il subit des contraintes physiques particulières. Certains bébés se mettront à téter sans problème, mais d’autres vont avoir besoin d’une surveillance spécifique et d’une aide patiente au démarrage.
De fait, l’allaitement maternel n’est pas forcément compromis, mais ses débuts peuvent être retardés et plus laborieux, et la nouvelle maman a particulièrement besoin de soutien pour son projet d’allaitement.
S’informer avant
Les parents qui disposent d’informations concrètes sur la césarienne et ses suites, ainsi que sur ce qui favorise un bon démarrage de l’allaitement, seront plus autonomes, dès le séjour en maternité.
Ils peuvent se renseigner sur le taux de césariennes du service et sa politique officielle vis-à-vis de l’allaitement maternel, mais aussi sur les pratiques habituelles de chacun des professionnels de santé qui seront amenés à intervenir auprès de la mère et du bébé. Même en présence d’une politique officielle de service, des obstétricien(ne)s et des pédiatres peuvent en effet avoir des routines personnelles très différentes.
Ces contacts peuvent permettre aux parents de discuter avec le personnel soignant des modalités de l’accueil du nouveau-né et d’envisager très concrètement ce qui peut être fait pour faciliter les débuts de l’allaitement. Des parents témoignent souvent de leur heureuse surprise d’avoir pu bénéficier d’aménagements par ailleurs inhabituels dans le service, simplement parce qu’ils ont osé en discuter.
Cette étape de recherche d’informations et de négociations avec le service est toujours positive pour l’autonomie et la responsabilisation des parents. Elle l’est encore plus en cas de césarienne parce que le temps d’hospitalisation est plus long, parce que la mère a besoin de soins médicaux, parce qu’elle est moins autonome pour s’occuper de son bébé dès le début et qu’elle est souvent plus fragile émotionnellement.
Quelques questions possibles
Même s’il faudra peut-être faire face à des imprévus et si les réponses des professionnels de santé ne peuvent pas être contractuelles, ces réponses peuvent constituer une aide précieuse pour ces parents qui souhaitent se préparer au mieux. La liste suivante de questions n’est bien sûr pas exhaustive, mais elle peut permettre de mieux cerner ce à quoi il est raisonnable de s’attendre.
A propos de la césarienne
- Le recours à une césarienne est-il rendu nécessaire par l’état de santé de la maman ou celui du bébé à venir ? Dans ce cas, quelles seront les suites médicales pour chacun ?
- Quelle sera l’anesthésie utilisée et ses modalités ?
- Comment se déroule une césarienne ? Quelles en sont les suites : risques, cicatrisation, convalescence ?
A propos de l’accueil du nouveau-né
- Un contact mère-bébé dès la naissance est-il envisageable, comment et combien de temps ?
- Quel est le protocole de soins et de surveillance habituel pour le bébé ?
- Les soins du bébé sont-ils envisageables auprès de la mère ? Parmi eux, lesquels sont envisageables pendant que le bébé est posé sur la poitrine de sa maman ? Sinon, le père pourra-t-il accompagner son bébé et dans quelles limites ?
- Le service a-t-il l’habitude de mettre le bébé en couveuse ? A proximité de sa mère, dans une autre pièce, à un autre étage, dans un autre service ?
- Le papa aura-t-il la possibilité de rester auprès de la couveuse ou, mieux, de prendre son bébé contre lui en peau à peau jusqu’à ce qu’il puisse être mis dans les bras de sa maman ?
A propos de la surveillance post-opératoire
- Comment fait-on dans le service pour surveiller les suites immédiates de l’opération et de l’anesthésie ? Par exemple, la mère césarisée est-elle systématiquement transférée en salle de réveil ? Pour combien de temps au minimum ? Le père pourra-t-il l’accompagner ou l’y rejoindre ? Le bébé pourra-t-il y suivre ou y rejoindre sa mère ? En salle de réveil, quelqu’un du service pourra-t-il aider la mère à s’installer pour mettre son bébé au sein ?
- A partir de leurs retrouvailles, la mère pourra-t-elle garder son bébé en permanence auprès d’elle ?
A propos de l’allaitement maternel
- Quelle est la politique officielle de la maternité par rapport à l’allaitement maternel ? De quelle formation le personnel bénéficie-t-il dans ce domaine ?
- Quand une mère veut allaiter, quelles sont les habitudes pour la première tétée ?
- Quelles sont les pratiques habituelles du service en ce qui concerne les dons de complément ? Quelles sont leurs indications médicales ? Choisit-on d’abord de compléter avec le lait de la maman et selon quelles modalités ?
- Le service pourra-t-il mettre, à coup sûr, un tire-lait à la disposition de la mère ? De quel type et dans quel délai ? Ou bien vaut-il mieux que la mère arrive dans le service avec son propre tire-lait ? Dans l’équipe soignante à laquelle les parents ont affaire, à qui demander l’ordonnance pour louer un tire-lait à double set de pompage ?
- Quelles sont les options proposées pour donner au bébé le lait de sa mère (ou même du lait artificiel) : cuillère, seringue à médicaments, compte-gouttes, biberon, expression directe de son lait par la maman sur les lèvres du bébé, dispositif d’aide à l’allaitement, etc. ? Quelqu’un du service est-il disponible pour expliquer aux parents les avantages et les inconvénients de ces différentes options afin qu’ils puissent choisir ce qu’ils pensent pouvoir gérer le mieux ?
A propos de la prématurité
- Le bébé sera-t-il prématuré et de combien ?
- Risque-t-il d’y avoir hospitalisation séparée et quelles en seront les modalités ?
- Est-ce le père qui amènera le lait de la maman à son bébé et quelles précautions et recommandations devra-t-il respecter ?
- Une hospitalisation mère-enfant est-elle envisageable et dans quel délai ?
Il se peut qu’il faille de la diplomatie, de la courtoisie et de la persévérance pour obtenir des réponses à ces questions, mais c’est un investissement payant.
Les témoignages des parents, confrontés à une naissance par césarienne, expriment en effet trop souvent le regret de ne pas avoir été assez informés ou de ne pas s’être assez renseignés à l’avance pour pouvoir ensuite mieux faire face aux difficultés de cette expérience.
Bouleversements émotionnels
Une césarienne programmée donne souvent plus de temps et de possibilités à la future mère pour « encaisser le choc émotionnel », évoluer dans ses sentiments et s’adapter à la situation.
Cependant, avoir le temps de se préparer à une réalité ne donne pas forcément l’assurance de bien la vivre émotionnellement, et la mère peut être aussi surprise, gênée ou bouleversée par l’émergence de sentiments et d’émotions complexes et difficiles à vivre que dans le cas d’une césarienne imprévue.
Inversement, une césarienne imprévue peut quelquefois être vécue avec gratitude comme un soulagement au terme d’un travail épuisant, douloureux, inefficace et chargé d’angoisse.
Cependant, les témoignages les plus fréquents font plutôt état de déception, de tristesse, de culpabilité, de sentiment d’être « nulle », de honte, d’impuissance, d’image de soi dégradée, de sentiment d’avoir été dépossédée, volée, agressée, de colère, de rancœur, de difficulté à « adopter » son bébé, etc.
Le nouveau papa peut traverser des émotions comparables ou être en décalage avec la mère, ce qui peut aggraver le désarroi de celle-ci.
Les sentiments peuvent s’entremêler, se succéder ou revenir en boucle. Ils peuvent submerger la mère les premiers jours, aggravant le phénomène du baby blues, puis s’atténuer progressivement. Ils peuvent n’apparaître que quelques jours plus tard, par exemple au retour à la maison, ou encore plus tard. Certaines mères, qui ont apparemment bien vécu leur césarienne, peuvent sentir leur cœur se serrer et les larmes leur monter aux yeux des années après, quand les circonstances font émerger des souvenirs de maternité.
La mère peut s’en vouloir à elle-même et avoir beaucoup de mal à restaurer sa confiance dans ses capacités à s’occuper de son bébé. Elle peut aussi se sentir incomprise par le papa dans sa douleur physique et sa détresse morale et lui en vouloir. Elle peut se sentir maltraitée du fait des soins et de sa douleur et en vouloir au personnel de santé. Enfin, elle peut aussi ressentir des sentiments négatifs par rapport à son bébé et être très malheureuse du décalage entre ce qu’elle vit et la rencontre dont elle avait rêvé avec son bébé.
Ces bouleversements émotionnels sont courants et normaux : ce sont tout simplement les étapes normales d’un processus de deuil et elles doivent être respectées.
Dans ce cadre, l’existence d’associations et de sites Internet où les parents peuvent trouver de l’information, de l’écoute et du soutien au sujet de l’expérience de la césarienne ainsi que de l’allaitement, est une ressource particulièrement précieuse.
La principale difficulté
Le principal problème associé à une césarienne pour le démarrage de l’allaitement est le retard de la première tétée au sein.
Les études et l’observation clinique montrent que ce retard initial est corrélé à des difficultés pour le bébé à prendre correctement le sein et à téter efficacement, à un retard de la « montée de lait » et à des engorgements lorsqu’elle survient, au recours plus fréquent à des biberons de lait artificiel en complément, à des taux plus faibles d’allaitement exclusif et à des durées plus courtes d’allaitement.
En fait, ces difficultés s’enchaînent en une suite logique – un cercle vicieux – et tous les efforts doivent viser à permettre une première tétée efficace le plus précocement possible pour restaurer un « cercle vertueux » et revenir à une bonne conduite de l’allaitement.
Les avantages du peau à peau précoce et prolongé
L’outil essentiel, pour permettre une tétée efficace le plus tôt possible et donc pour prévenir les difficultés consécutives à une césarienne, c’est le contact peau à peau précoce et prolongé, qui présente d’immenses avantages aussi bien pour la mère que pour le bébé.
Les bénéfices du peau à peau concernent toutes les mamans et tous les bébés, mais ils sont encore plus précieux quand il faut résoudre une difficulté dans la relation mère-enfant ou dans la conduite de l’allaitement.
Pour la mère, le contact peau à peau est associé à un meilleur vécu de la naissance et de la rencontre avec son bébé ; c’est le principal moyen de réparation émotionnelle quand les circonstances d’une naissance ont été perturbées. Le peau à peau est par ailleurs toujours associé à une meilleure stimulation de la lactation.
En ce qui concerne le bébé lui-même, les travaux de Nils Bergman nous permettent de comprendre en quoi le peau à peau est également fondamental.
Il représente « l’habitat » naturel du bébé, c’est-à-dire les conditions biologiques les plus adaptées à ses besoins vitaux et au déploiement de ses compétences de survie. Le peau à peau présente en effet des avantages physiologiques très concrets pour le nouveau-né. Il lui permet de maintenir au mieux sa température corporelle, la régularité de son rythme cardiaque et de son rythme respiratoire, d’être colonisé par la flore bactérienne familiale (celle qui représente le moins de danger pour ses défenses immunitaires), d’être rassuré, paisible et de ne pas perdre de précieuses forces et des calories à pleurer, d’être stimulé et tonifié et d’être au mieux de ses capacités.
C’est dans ces conditions, optimales pour lui, que le nouveau-né peut déployer le maximum de ses compétences et mettre en œuvre activement son réflexe de fouissement qui lui permet d’atteindre le sein, de le prendre correctement et de téter efficacement. C’est l’aboutissement de son activité autonome ; le nouveau-né, en tétant, assure désormais sa part de ce qui est nécessaire pour sa survie, il est un partenaire actif dans la dyade mère-enfant.
Les travaux de KH Nyqvist et ceux de Nils Bergman révèlent les bénéfices indéniables du peau à peau, même en néonatalogie, pour la santé et l’évolution du nourrisson. Quand Nils Bergman montre l’intérêt de faire des soins médicaux à des prématurés, dès leur naissance, sans rompre le contact entre la mère et l’enfant, cela ouvre une voie royale pour s’autoriser à faire profiter du contact peau à peau précoce et prolongé même les bébés qui naissent par césarienne.
Mais les bénéfices du peau à peau ont besoin de temps pour apparaître : le bébé qui ne reste que quelques minutes sur le corps maternel (ou dont le contact est gêné par un linge) n’en profite pas autant que s’il peut être longuement blotti nu contre sa mère et que si les câlins peuvent se renouveler sans restriction. En d’autres termes, les bénéfices du peau à peau sont dose-dépendants.
Les bébés à terme et en bonne santé ont généralement besoin d’environ une heure ou plus pour dérouler toutes les séquences de leur réflexe de fouissement ; ceux qui sont plus rapides sont plutôt l’exception que la norme. Et ceci alors que ces bébés à terme, nés par voie basse, ont profité du processus de l’accouchement qui les a préparés à être dans un état exceptionnel d’éveil calme et actif.
Un bébé né par césarienne n’a pas bénéficié de cette préparation physiologique, et le peau à peau sans restriction est l’aide optimale que sa mère peut lui offrir pour compenser les manques de cette naissance aux modalités particulières.
Le peau à peau en cas de césarienne
Pendant longtemps, le retard de la première tétée au sein était principalement dû à l’utilisation d’une anesthésie générale et au temps nécessaire au réveil de la mère, à la crainte du passage des produits anesthésiants dans le lait maternel et de leur impact sur le nouveau-né, ainsi qu’aux routines de soins privilégiant la surveillance séparée du bébé, placé en couveuse.
L’obstétrique utilise maintenant couramment des médicaments anesthésiques, anti-infectieux, anti-inflammatoires et analgésiques compatibles avec l’allaitement maternel et tout souci particulier à ce sujet peut être confronté à la documentation disponible sur les médicaments et l’allaitement.
La plupart des césariennes se font maintenant plutôt sous analgésie péridurale que sous anesthésie générale. Dans ce cas, la mère est consciente, elle n’est pas encore gênée par la douleur, elle est avide de rencontrer son bébé et de le garder contre elle dès la naissance.
Pour que la mère et le bébé puissent profiter du contact peau à peau, il suffit qu’ils soient installés de façon confortable et sûre, et que l’enfant soit surveillé sur sa mère plutôt que dans une couveuse. Ceci peut nécessiter un changement des mentalités et une évolution des pratiques en service de maternité, et passe souvent par un fort investissement des équipes soignantes.
Il faut par exemple prévoir d’installer soigneusement et en sécurité le bébé sur la poitrine de sa mère en composant avec les perfusions maternelles, la présence du champ opératoire, l’étroitesse de la table d’opération, etc.
Comme dans le cas d’un bébé à terme et en bonne santé, il faut aussi satisfaire aux principales recommandations de sécurité pour le nouveau-né : le sécher, le poser nu à plat ventre sur sa mère, visage et nez dégagé, le recouvrir d’un linge chaud et d’un bonnet, et pouvoir surveiller les étapes de son réflexe de fouissement pour évaluer que tout se déroule bien pour lui.
La quatrième condition de l'Initiative Hôpital Ami des Bébés
Les équipes soignantes qui travaillent à faire évoluer leurs pratiques dans le sens du label Hôpital Ami des Bébés cherchent déjà à accueillir les bébés à terme et en bonne santé en leur permettant du peau à peau prolongé et ininterrompu jusqu’à la première tétée, avant les soins dits de routine, pour remplir la quatrième des 10 Conditions pour le Succès de l’Allaitement promulguées par l’OMS et l’UNICEF : « Aider les mères à mettre leur enfant au sein dans l’heure qui suit la naissance ».
Ces équipes sont plus susceptibles, en cas de césarienne, d’offrir des conditions d’accueil analogues au bébé né par césarienne, quand il ne nécessite pas de soin médical urgent.
Une étude australienne de 2003, extrêmement intéressante (HJ Rowe-Murray, JRW Fisher), a cherché à faire le point sur les pratiques entourant la naissance qui sont susceptibles de retarder la première mise au sein.
Le temps écoulé entre l'accouchement et la première tétée était de une heure en moyenne, avec des extrêmes allant de « immédiatement après la naissance » à « toujours pas mis au sein à J2 ».
Le délai entre l'accouchement et la première mise au sein était le plus court chez les femmes ayant eu un accouchement spontané par voie basse ; venaient ensuite les femmes ayant eu un accouchement par voie basse avec extraction instrumentale ; il était le plus long chez les femmes ayant accouché par césarienne.
Il existait aussi d'importantes différences entre les quatre services de maternité ; dans l'un des services (celui ayant le label Hôpital Ami des Bébés), 60 % des femmes césarisées avaient pu mettre leur enfant au sein dans l'heure suivant la naissance, contre aucune des femmes césarisées dans les trois autres services.
Ce même service était aussi celui dans lequel le pourcentage de mères ayant accouché par voie basse qui avaient eu un contact peau à peau avec leur enfant après la naissance était le plus élevé (80,6 %, contre 12,5 à 25,7 % dans les autres services) ; c'était aussi le seul où une femme césarisée avait pu avoir un contact physique avec son bébé immédiatement après la naissance (contre aucune femme dans les trois autres services).
Les auteurs concluent que la césarienne reste une barrière à un démarrage précoce de l'allaitement. Cette conséquence de la césarienne n'est cependant pas inéluctable, comme le montre le pourcentage de mères ayant pu mettre leur enfant au sein dans l'heure qui suit la naissance dans le service qui a obtenu le label Hôpital Ami des Bébés.
Cela montre qu'il est possible de favoriser un démarrage précoce de l'allaitement quel que soit le mode de naissance.
L'Initiative Hôpital Ami des Bébés prévoit que 50 % des mères césarisées devraient avoir un contact peau à peau avec leur bébé dans l'heure qui suit la naissance.
Même si on peut conclure avec les auteurs que de très gros progrès restent à accomplir dans ce domaine,cette étude ouvre des perspectives optimistes sur l’accueil du nouveau-né et sur l’allaitement après césarienne, dans notre contexte national où l’Initiative Hôpital Ami des Bébés intéresse de plus en plus de services de maternité qui se forment dans ce sens.
D’autres sources de difficultés
Les femmes qui ont eu une anesthésie générale sont généralement moins nombreuses à allaiter et leur allaitement est moins exclusif et moins long. Mais n’est-ce pas essentiellement en raison de la séparation plus longue entre la mère et son bébé (à cause de l’isolement de la mère en salle de réveil), en raison du moment encore plus tardif de la première tétée et en raison de la méconnaissance des avantages du peau à peau pour compenser ce retard ?
De nombreuses études notent d’autre part une forte corrélation entre la pratique d’une péridurale pendant l’accouchement et un moins bon démarrage de l’allaitement. Or, la plupart des césariennes se faisant sous péridurale, il faut bien prendre en compte ces interactions entre péridurale et allaitement.
Beaucoup de choses peuvent entrer en ligne de compte pour expliquer ce tableau. L’observation clinique relève que les bébés sont généralement plus somnolents après une anesthésie maternelle, générale ou péridurale : ils ont plus facilement tendance à avoir de longues plages de sommeil et des éveils peu actifs – et donc une première tétée retardée ou moins efficace et des tétées plus espacées.
Il est possible que les médicaments utilisés affectent les capacités neurologiques du nouveau-né, ce qui le rend souvent plus malhabile, plus confus et plus lent pour arriver à téter efficacement.
A cela s’ajoutent les inévitables tensions physiques spécifiques que subit l’enfant au niveau du cou, quand il naît par césarienne : il est saisi par une prise sous le menton ou derrière la nuque et tiré pour être extrait de l’utérus maternel.
L’enfant vit là un étirement inhabituel et des tensions anormales au niveau de la nuque, du cou et des mâchoires et il est tout à fait courant de constater, chez un bébé né par césarienne, des difficultés particulières pour ouvrir grand la bouche et étirer correctement la langue. Les débuts de l’allaitement sont, de ce fait, souvent plus laborieux pour le bébé, qui a une mauvaise prise du sein et des tétées insuffisantes. Pour la maman, c’est le cercle vicieux des tétées douloureuses et d’une mauvaise stimulation de la lactation qui risque de s’installer.
L’observation clinique permet aussi de remarquer certains bébés qui, comme après un accouchement très rapide, semblent littéralement sidérés, comme stupéfaits d’être là : ceux-là ne sont pas malhabiles au sein, ils sont totalement inactifs. Le nez sur l’aréole, ils ne cherchent pas du tout à prendre le sein : eux non plus ne se nourrissent pas correctement et les débuts de l’allaitement sont difficiles.
Quelles solutions ?
Tous les problèmes évoqués ci-dessus restent des problèmes courants d’allaitement, et la meilleure solution, c’est toujours de permettre au bébé de téter le plus efficacement et le plus souvent possible. Il va falloir déployer les efforts et l’investissement habituels pour restaurer une bonne conduite de l’allaitement maternel.
Le meilleur outil dont nous disposons, c’est encore et toujours le peau à peau.
Il n’y a pas eu de contact possible, à la naissance, ou très peu ? Qu’à cela ne tienne, la maman doit être aidée à s’installer confortablement pour pouvoir profiter longtemps de son bébé en peau à peau. Ce sont les conditions optimales pour permettre au bébé de franchir toutes les étapes de son réflexe de fouissement et de construire sa compétence à téter efficacement.
Le deuxième outil, c’est la tétée aux signes d’éveil.
Il s’agit de repérer les signes indiquant que le bébé est prêt à téter en observant les étapes de son sommeil : dès que l’on remarque des mimiques sur son visage, ses yeux qui bougent sous ses paupières fermées, on peut le caresser, lui parler, le bouger. Lui proposer le sein à ces moments-là – où il peut être bien actif et efficace – est la meilleure façon d’éviter de rentrer dans le cercle vicieux de la somnolence, de l’absence de demande franche pour téter, de la somnolence accrue, du trop grand espacement des tétées, de la chute de poids supérieure à 5‑7 %, et du recours aux compléments de lait artificiel.
Il est d’autre part particulièrement important pour une maman césarisée de mettre toutes les chances de son côté dès le départ, quand elle bénéficie encore des effets de l’analgésie et qu’elle ne ressent pas encore le contrecoup de la fatigue de l’opération. Il est beaucoup plus difficile de faire face à des difficultés d’allaitement quand la douleur et la fatigue arrivent, quand l’inquiétude au sujet du poids du bébé devient pressante, quand la montée de lait tarde ou s’annonce délicate parce que le bébé n’a pas assez souvent tété les deux premiers jours.
Bien sûr, cette vigilance et cet investissement de la maman ne sont possibles que si elle est installée très confortablement pour pouvoir garder son bébé contre elle tout en pouvant rester longtemps parfaitement détendue, sans inconfort, crispations ou tensions.
Personnellement, pour aider une mère césarisée à s’installer, je l’aide d’abord soigneusement à caler son corps de toutes parts. Ensuite, nous installons son bébé contre elle dans une position où il ne risque pas de glisser ou de rouler vers l’arrière, en s’éloignant du corps maternel, ni d’enfouir trop profondément son visage contre la poitrine maternelle. Je demande alors à la maman : « Comment vous sentez-vous ? Pensez-vous que vous pourriez vous endormir ainsi sans avoir rien à craindre pour votre bébé ? » Quand la réponse est oui, je considère que la maman est bien installée et qu’elle sent que son bébé est en sécurité. Quand la réponse est non, nous cherchons un calage encore plus sûr et confortable.
Le n° 6 d’Allaiter aujourd’hui, déjà consacré à « Allaitement et césarienne : oui, c’est possible » comportait un excellent encart sur les principales positions d’allaitement intéressantes pour une maman césarisée. Cet encart est toujours d’actualité et nous le reproduisons ici.
- Une position souvent utilisée au départ est la position latérale : la mère est allongée sur le côté, le bébé également sur le côté face à elle. Installer un coussin pour bien caler le dos et éliminer toute tension. Garder la jambe supérieure fléchie reposant sur un coussin. Un troisième coussin (ou une serviette pliée) peut être utilisé pour protéger la cicatrice de coups de pied intempestifs. La tête du bébé est dans le creux du coude de la mère, la bouche du bébé est au niveau du sein, ce qui permet une bonne préhension et donc une bonne succion de l’aréole (et non du mamelon).
- Les premières heures après la césarienne, certaines mères auront du mal à se tourner. Elles préfèreront la position allongée : sur le dos, un coussin sur le ventre, elles placeront leur bébé perpendiculaire à elles-mêmes, la tête sur le sein et les jambes sous le bras opposé.
- Une autre solution : la position assise dans le lit, la maman se calant bien le dos avec de gros oreillers. Elle a particulièrement besoin d’être soutenue pour éviter d’être fatiguée par la douleur qu’entraîne une mauvaise position d’allaitement, d’autant que la douleur a comme désagrément secondaire, mais non négligeable, d’inhiber le réflexe d’éjection du lait. La position du bébé au sein est la même que pour toutes les autres mères : tout le corps du bébé tournée vers le corps de la maman, sa tête reposant au creux du coude.
- Une fois que la mère se sentira plus à l’aise pour se lever, elle aura peut-être envie de s’asseoir dans un fauteuil ou sur une chaise. En reposant ses bras sur les accoudoirs ou de gros oreillers, en appuyant ses pieds sur une cuvette retournée, par exemple, de façon à ce que les genoux soient alors fléchis et reposent sur les côtés, la maman souffrira moins de son abdomen.
- Enfin, la position dite « ballon de rugby » : le corps de l’enfant passe sous l’aisselle de la maman et ne repose donc pas sur son ventre. Il suffit alors de maintenir la tête du bébé sur un coussin ou sur les jambes pliées de la mère.
On peut rajouter deux aménagements complémentaires de positions, que je trouve parfois bienvenus et utiles.
Pour la position allongée sur le côté, une maman particulièrement gênée pour bouger peut donner le deuxième sein sans se retourner de l’autre côté, en basculant simplement son bébé sur le dos et en penchant son buste au-dessus de lui pour lui offrir le deuxième sein.
Pour la position allongée sur le dos, on peut proposer un calage sous l’épaule et le bras qui amène la mère à enrouler ceux-ci vers son buste. Le bébé peut alors être allongé latéralement le long de sa mère, dans le sillon entre le buste et le bras. La cicatrice est hors de portée des petits pieds et le bébé a son visage dégagé en face du sein. Nous pourrions parler de « position en sillon ».
Mise à jour 2016 : la position Biological nurturing peut être intéressante en cas de césarienne.
La surveillance du poids du bébé
A Montgomery (2000) a relevé que les enfants nés sous péridurale avaient un poids moyen plus élevé d’environ 250 g (en raison du niveau d’hydratation plus élevé consécutif à l’analgésie péridurale) et que la perte de poids des premiers jours était supérieure chez ces bébés (environ 75 g de plus).
La surveillance de l’évolution de la courbe de poids, les premiers jours, doit intégrer cette donnée pour évaluer d’autant plus soigneusement l’efficacité du transfert de lait chez le nouveau-né : le bébé qui perd du poids, perd-il seulement son excès d’hydratation ou bien ne tète-t-il pas assez efficacement et assez souvent ?
KC Evans, RG Evans, E Royal et al. (2003) ont cherché d’autre part à évaluer la prise de lait pendant la première semaine post-partum et à relever s’il existait des différences selon les modalités de la naissance, voie basse ou césarienne. Leur étude a mis en évidence que les bébés nés par césarienne prenaient moins de lait au sein maternel pendant les cinq premiers jours et que leur prise de poids était plus lente sur cette période transitoire, mais qu’il n’y avait pas d’impact négatif à plus long terme.
Ils n’ont par contre pas établi si cette différence dans la prise de poids était intrinsèquement liée à la césarienne ou si elle dépendait des routines de service, déjà évoquées, qui amènent en cas de césarienne à un retard de la première tétée et aux conséquences qui en découlent.
Quand, malgré tous les efforts, bébé ne tète pas ou tète peu et mal
Nous savons qu’il est important que la mère connaisse l’intérêt qu’il y a alors à commencer tôt à extraire son lait. Un bébé malhabile, ou même inefficace, pourra ainsi être nourri tôt et souvent, avec le lait de sa maman, ce qui lui évitera une chute de poids importante et le recours à du lait artificiel en complément.
Nous savons aussi que plus une mère draine tôt et souvent ses seins, plus sa lactation sera abondante. Elle aura ainsi une montée de lait plus rapide, avec moins de risques d’engorgement.
Les études sur l’expression du lait chez les mamans de bébés prématurés ou hospitalisés à la naissance donnent des repères sur ce qui fournit à la mère les chances optimales pour l’installation d’une bonne lactation : commencer à stimuler sa lactation dans les six heures qui suivent l’accouchement, tirer son lait avec un tire-lait à double set de pompage, au minimum six à sept fois par 24 heures, pour un total minimum d’expression de 100 minutes par 24 heures.
Toute mère césarisée devrait recevoir ces informations pour être autonome et pouvoir réagir très vite si son bébé tète peu, mal ou pas du tout, malgré le peau à peau et les nombreuses offres du sein aux signes d’éveil. Elle devrait même disposer de ces informations avant l’intervention si une césarienne est programmée ou envisagée.
La maman pourra alors choisir de stimuler manuellement ses seins ou de recourir au tire-lait de son choix, pour extraire souvent du colostrum et le donner à son bébé. Elle a ainsi la possibilité d’éviter que s’installe le cercle vicieux qui mène aux biberons de lait artificiel et de maintenir le cercle vertueux d’une lactation bien stimulée et d’une fourniture suffisante de lait maternel à son bébé le temps que celui-ci devienne actif et efficace au sein.
En conclusion
Allaiter après une césarienne, c’est rencontrer potentiellement les mêmes joies et les mêmes difficultés d’allaitement qu’après n’importe quel type d’accouchement – mais dans un contexte où la maman est confrontée à une plus grande fatigue, à une plus grande dépendance vis-à-vis de son entourage à cause des suites opératoires et de la douleur qui la gênent pour s’occuper de son bébé de façon autonome. Cette maman est aussi confrontée à de plus grands bouleversements émotionnels.
S’informer à l’avance sur les réalités de la césarienne, sur les difficultés prévisibles du démarrage de l’allaitement dans ce contexte et sur les solutions à ces difficultés, trouver un soutien compétent et une écoute empathique, voilà ce qui pourra aider les parents à réussir leur projet d’allaitement.
Les joies de l’allaitement offrent alors une véritable réparation, un baume sur la cicatrice psychique et un cadeau après l’épreuve, pour la maman.
Pour le bébé, c’est simplement la restauration de l’évidence et de la norme biologique après une naissance « hors norme » !
Chantal Audoin
animatrice LLL, consultante en lactation IBCLC, formatrice à LLL France Formation
Du soutien
Créée en 2002, l’association Césarine offre de la documentation sur son tout nouveau site, deux listes de discussion et depuis peu des groupes de parole, notamment en région parisienne. Césarine, Les Allées du Château, 1, square du Bourbonnais, 78180 Montigny-le-Bretonneux. 02 43 71 85 39. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Existent également, sur le net, le forum Césavie ainsi que des fils de discussions sur plusieurs sites comme doctissimo, famili, futures mamans. Et des pages consacrées à la césarienne et l'AVAC (accouchement vaginal après césarienne) sur le Portail naissance ou Périnatalité Info.
Références
• Advocacy in the hospital : changing policy to permit mothers and babies to remain together after cesarean delivery. E Crawford Blitzer, M Yankaskas. ABM News and Views 2001 ; 7(4), p. 35.
• Allaitement et césarienne : oui, c’est possible. G. Treille et M. Ouachée, Allaiter aujourd’hui n° 6, janv-fév-mars 1991.
• Baby friendly hospital practices : cesarean section is a persistent barrier to early initiation of breastfeeding. HJ Rowe-Murray, JR Fisher. Birth 2002 ; 29(2), p. 124-31.
• Breastfeeding and Human Lactation. J .Riordan et K. Auerbach, dernière édition.
• Breastfeeding: A Guide for the Medical Profession. R. Lawrence, éd. St. Louis : Mosby, dernière edition.
• Do breastfed babies whose mothers have had labor epidurals lose more weight in the first 24 hours of life? A Montgomery. Université de Washington. Conférence présentée au 5ème congrès de l'Academy of Breastfeeding Medicine (11-13/09/2000). ABM News and Views 2000 ; 6(3).
• Effect of caesarean section on breast milk transfer to the normal term newborn over the first week of life. KC Evans, RG Evans, E Royal et al. Arch Dis Child Fetal Neonatal 2003 ; 88, p. F380-82.
• Effect of early breastfeeding initiation after cesarean delivery on short-term continuation rates. JP LeBlanc, ER Pschirrer, PD Berens. ABM News and Views 2001 ; 7(4), p. 37.
• Effect of labor epidural anesthesia on breast-feeding of healthy full-term newborns delivered vaginally. DJ Baumgarder, P Muehl, M Fischer, B Pribbenow. J Am Board Fam Pract 2003 ; 16, p. 7-13.
• How can kangaroo mother care and high technology care be compatible ? KH Nyqvist. J Hum Lact 2004 : 20(1), p. 72-74.
• Impact of epidural analgesia on breastfeeding duration. JJ Henderson, JE Dickinson, SF Evans et al. Austr NZ Obstetrics Gynaecol 2003 ; 4, p. 372-77.
• L’art de l’allaitement maternel. Ligue internationale La Leche, Saint-Hubert, Québec. Dernière édition.
• Le portage kangourou. N Bergman. Dossiers de l’allaitement, hors-série 6ème Journée Internationale de l’Allaitement 2005.
• Maternal analgesia during labor disturbs newborn behavior : effect on breastfeeding, temperature, and crying. AB Ransjo-Arvidson, AS Matthiesen, G Lilja, E Nissen, AM Widstrom, K Uvnas-Moberg. Birth 2001 ; 28(1), p. 5-12.
• The effect of labor pain relief medication on neonatal suckling and breastfeeding duration. J Riordan, A Gross, J Angeron, B Krumwiede, J Melin. JHL 2000 ; 16(1), p. 7-12.
• Traité de l’allaitement maternel, LLLI, 1999.
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Merci pour cet article très intéressant et instructif!
Et merci Pauline pour votre commentaire optimiste!
J'ai une césarienne programmée dans 2 mois. J'espère vraiment que l'allaitement de mon bébé se passera bien, car j'y tiens beaucoup, notamment pour rattraper un peu ma culpabilité de cette naissance "hors norme" et recréer un lien fort avec mon bébé après les 2h de séparation de la salle de réveil... (protocole de la maternité où je vais accoucher)
Très intéressant et effectivement simplement de l'information pour les mamans mais aussi les equipes medicales pourrait changer beaucoup de choses, cet article manque juste un peu d'optimisme quand aux suites d'une césarienne d'expérience cela n'est pas forcément très douloureux ou encore moins physiquement gênant pour un allaitement réussi, comme pour tout il y a sûrement de tout.
maman depuis un an d'un bébé né par césarienne en urgence nous vivons depuis un an un tres bel allaitement
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