Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 86, LLL France 2011
Article écrit par le Dr G. Gremmo-Féger, pédiatre, coordinatrice du DIULHAM, CHU de Brest
Les parents dont les nouveau-nés sont admis en unité de soins intensifs en raison d’une naissance prématurée doivent faire face à de nombreuses difficultés, notamment d’ordre émotionnel. Dans ce contexte parfois très difficile, avec un délai parfois très long entre la naissance et le moment où les tétées au sein deviennent efficaces, la réussite de l’allaitement s’apparente bien souvent à un parcours du combattant.
De nombreuses données de la littérature scientifique attestent de l’importance de la qualité de la nutrition en période périnatale et du rôle primordial du lait maternel sur la bonne santé des individus, et ce notamment en cas de naissance avant terme. En dépit de ces connaissances et des recommandations de toutes les agences de santé nationales et internationales, prévalence et durée d’allaitement sont souvent inférieures chez l’enfant prématuré par rapport à l’enfant à terme. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces plus faibles taux d’allaitement maternel : facteurs liés à la mère (niveau éducatif, connaissances, représentations, contexte psychologique, stress…), facteurs liés à l’enfant (degré d’immaturité, éventuelles pathologies associées) mais aussi facteurs liés à l’environnement au sens large du terme (culture favorable ou non à l’allaitement, séparation mère-enfant, motivation et formation des personnels….).
Après un rappel de l’impact spécifique de l’allaitement en cas de naissance prématurée, nous présenterons les stratégies de soutien d’ordre général et les stratégies de soutien spécifiques à l’allaitement qui devraient être intégrées dans les pratiques de soins afin d’optimiser la prise en charge de l’allaitement pour ces enfants qui en bénéficient tout particulièrement.
A. Les effets du lait maternel et de l'allaitement sont nombreux et bien documentés en cas de naissance prématurée
Sur le plan digestif et nutritionnel
Le lait maternel facilite la tolérance de l’alimentation par sonde, car il améliore la motricité intestinale : la vidange gastrique et le transit intestinal sont plus rapides. Le lait maternel est également plus adapté aux fonctions de digestion et d’absorption du prématuré : la digestion du lactose est facilitée car l’activité lactasique est plus élevée chez les prématurés nourris au lait maternel et le lait maternel non pasteurisé contient une lipase qui améliore le coefficient d’absorption des graisses. On sait depuis longtemps que l’alimentation au lait maternel diminue le risque et la gravité de l’entérocolite ulcéro-nécrosante, une affection grave du tube digestif touchant surtout les prématurés. La méta-analyse Cochrane réalisée en 2007, comparant l’effet de l’alimentation du nouveau-né prématuré ou du nouveau-né de petit poids de naissance par lait artificiel et par lait maternel, a confirmé qu’il existait une incidence significativement plus élevée d’entérocolite dans le groupe d’enfants nourris avec lait artificiel.
Sur le plan du développement
La présence dans le lait maternel d’acides gras à très longue chaîne, de taurine et d’agents antioxydants comme le β carotène, la vitamine E ou l’inositol, améliore les fonctions neurologique et visuelle. Une étude portant sur 300 prématurés nourris par sonde et suivis jusqu’à l’âge de 7½ - 8 ans retrouve des scores de performance intellectuelle plus élevés chez les prématurés nourris par lait maternel avec un QI global de + 8,3 points, y compris après ajustement pour les facteurs psycho-sociaux. Dans la mesure où les enfants étaient nourris par sonde, il s’agit bien d’un effet propre lié au lait maternel, et un effet dose-dépendant a également été mis en évidence. Une étude prospective datant de 2006 portant sur environ 1000 anciens prématurés âgés de 18 mois a montré que le quotient de développement était fonction de la quantité de lait maternel reçue. Ces données ont été confirmées par une étude complémentaire ayant montré, à 30 mois d’âge corrigé, un quotient de développement augmentant avec la quantité de lait maternel ingérée et un taux de réhospitalisation évoluant de façon inversement proportionnelle à la quantité de lait maternel ingérée.
Autres effets (non exhaustifs)
Plusieurs études débutées dans les années 80 chez des prématurés ont montré que la maîtrise de la succion-déglutition-respiration et du flot de lait était meilleure au sein qu’au biberon : le niveau d’oxygénation et la température étaient meilleurs et plus stables, et les enfants faisaient beaucoup moins d’apnées et de bradycardies (ralentissements du rythme cardiaque).
Alors que la plupart des activités de soins sont assurées par le personnel soignant, et même si les parents sont invités à y participer activement, le fait de donner son lait pour nourrir son enfant est pour la mère une opportunité de s’impliquer encore plus et d’exercer ainsi un rôle primordial sur la santé et le devenir de son enfant.
B. Stratégies de soutien d'ordre général
Il s’agit avant tout de programmes structurés comme les « soins kangourou », les soins de développement et le programme NIDCAP ou l’Initiative Hôpital ami des Bébés. Ces démarches de soins ont toutes en commun le respect des bases physiologiques, la compréhension des besoins individuels et une philosophie de « soins centrés sur la famille » qui reconnaît les compétences du bébé et de ses parents. Ces programmes sont complémentaires et leur efficacité dans le soutien à l’allaitement largement démontrée.
Un des points essentiels de ces stratégies est de reconnaître que les parents sont des acteurs essentiels du développement de leur enfant et donc de favoriser leur présence dans l’unité sans restriction et de les intégrer le plus tôt possible dans les soins, et ce en particulier dans tous les aspects concernant l’alimentation de l’enfant car il s’agit là une fonction intrinsèquement parentale.
Les soins de développement ont pour objectif de modifier les événements environnementaux générant du stress, de soutenir l’organisation neurocomportementale en favorisant les comportements de bien-être et de faciliter la compréhension par les parents du comportement de leur enfant afin qu’ils acquièrent progressivement de l’autonomie. Les pratiques de soins participant à ces stratégies de développement incluent : la réduction de l’intensité lumineuse et sonore et du niveau d’activité autour de l’enfant, les échanges olfactifs, le respect des postures en flexion, plus confortables et sécurisantes, à l’aide de matériel de couchage, rouleaux d’appui et langes d’enveloppement, l’organisation des soins en respectant les phases de sommeil et d’éveil, l’utilisation de la succion non-nutritive en particulier pendant l’alimentation par sonde, le peau à peau et les soins kangourou, la mise au sein précoce et le soutien à l’allaitement maternel. Pour que l’organisation des soins soit vraiment adaptée à chaque nouveau-né selon ses capacités, une évaluation précise de ses compétences est réalisée par des soignants entraînés aux observations du comportement de l’enfant prématuré. A partir de ces observations, un programme de soins individualisé est établi par les soignants en collaboration avec les parents. Ce programme individualisé d’évaluation et de soutien du développement ou NIDCAP s’intègre dans la globalité des soins médicaux. Plusieurs études ont montré que le programme NIDCAP améliore le pronostic des enfants de très faible poids de naissance : meilleure croissance staturo-pondérale, diminution des durées de ventilation, d’alimentation par sonde et de séjour en réanimation, meilleure évolution neurocomportementale et diminution significative du stress des parents qui perçoivent mieux le comportement de leur enfant et sont impliqués activement dans son soutien.
L’impact de l’implantation d’un programme de promotion et de soutien au développement et à l’allaitement a été évalué dans une étude réalisée en Grande-Bretagne incluant 60 enfants prématurés nés entre 24 et 34 semaines. La collaboration d’une consultante en lactation IBCLC et d’une spécialiste en soins de développement certifiée NIDCAP a permis de faire passer le taux d’allaitement maternel (exclusif ou partiel) à la sortie de 46 % à 83 %. Un phénomène similaire a été observé au CHU de Brest : le pourcentage d’enfants nés avant 32 SA ayant reçu du lait de leur propre mère a progressé durant l’implantation du NIDCAP de 40 % en 1998 à 60 % en 1999 et 95 % en 2002. Une étude prospective d’observation réalisée au CHU de Brest du 1er novembre 2006 au 20 avril 2007 a également mis en évidence des taux d’allaitement relativement élevés chez les enfants prématurés (69,1 % à la naissance, 57,8 % à la fin de l’hospitalisation et 33,6 % à l’âge de 3 mois) avec un lien inverse entre taux d’allaitement et âge gestationnel. Les taux d’allaitement maternel chez les enfants nés avant 32 SA étaient supérieurs aux taux observés chez les enfants nés entre 32 et 37 SA. Ainsi, le taux d’allaitement à la naissance était de 96,3% à pour les nouveau-nés nés avant 32 SA et de 63,1 % pour ceux nés entre 32 et 37 SA. L’effet positif de la prématurité sur les taux d’allaitement a été peu souvent rapporté. L’implantation du programme NIDCAP dans les unités néonatales du CHU de BREST et les pratiques de soutien à l’allaitement mises en œuvre peuvent expliquer cette association peu habituelle entre prévalence élevée d’allaitement maternel et terme de naissance précoce.
C. Stratégies de soutien spécifiques à l'allaitement
Cette prise en charge de l’allaitement en cas de prématurité est très largement inspirée de l’expérience et des travaux de recherche des centres scandinaves, en particulier, le Karolinska Hospital de Stockholm et l’hôpital d’Uppsala.
1. Encourager la décision de donner son lait pour son enfant
Même s’il est possible de nourrir un prématuré avec du lait de mère provenant d’un lactarium, le lait le plus adapté pour un enfant est celui de sa propre mère. Par ailleurs plusieurs études ont montré que donner son lait à son enfant permet à la mère de se sentir importante en tant que mère et l’aide à faire face au stress de la situation.
Dans un contexte de naissance prématurée, certaines mères n’ont pas encore pris de décision en ce qui concerne l’allaitement. Et parmi celles-ci, beaucoup ne sont pas conscientes de l’importance du lait maternel pour ces bébés fragiles. En consultation prénatale ou en cas d’hospitalisation pour menace d’accouchement prématuré, les parents doivent être informés des bénéfices du lait maternel notamment sur le plan digestif et immunitaire. Dans ce contexte les parents sont souvent plus réceptifs à tout facteur protecteur pour leur enfant. Même si la mère n’avait pas décidé d’allaiter, il est toujours possible de l’encourager à tirer son lait pendant deux ou trois semaines ce qui permettra souvent à l’enfant d’être nourri entièrement au lait maternel pendant plusieurs semaines. La décision d’allaiter au sein ou non, et la durée d’expression, pourront être prises plus tard, mais il est important de débuter précocement après la naissance pour bénéficier du climat hormonal favorable à la mise en route de la lactation.
2. Mettre en route et maintenir la lactation
L’obtention d’une production de lait largement supérieure aux besoins de l’enfant est un facteur clé de la transition de l’alimentation par sonde à la tétée directe au sein. Il est important de donner à la mère toutes les facilités pour tirer son lait : l’aider à obtenir un tire-lait (prêt et/ou location), lui en expliquer patiemment les modalités d’utilisation et lui offrir la possibilité de tirer le lait à proximité de son bébé en veillant au respect de leur intimité. Il est conseillé de commencer à tirer le lait le plus tôt possible après la naissance en combinant expression manuelle et mécanique et d’utiliser un tire-lait électrique à double pompage. Tirer le lait des deux côtés en même temps permet souvent d’avoir plus de lait tout en y consacrant moins de temps. Pendant les 3 à 4 premiers jours, les mères devront être rassurées : il est tout à fait normal qu’elles n’arrivent à tirer que quelques gouttes de lait. La plupart des mères auront besoin de tirer leur lait au moins 6 à 8 fois par 24 heures, y compris une fois la nuit. Afin de tirer son lait souvent, il est recommandé de le faire à son domicile, mais aussi dans le service de néonatologie à proximité de l’enfant, car tout ce qui permet d’être « en relation » avec le bébé aide le lait à couler. Des études ont montré que des massages prolongés des seins avant l’expression, l’écoute de cassettes de relaxation, la rédaction d’un journal, le portage en peau à peau et les soins kangourou sont autant de moyens à utiliser pour optimiser la production de lait. Il est également utile d’établir un relevé des séances de tire-lait et des volumes de lait obtenus. En effet ce suivi permet de repérer d’éventuelles difficultés, de conforter la mère tout au long de sa démarche et d’individualiser la fréquence des expressions nécessaires : plus les volumes obtenus sont faibles, plus la mère aura besoin de tirer son lait souvent et inversement. Pour un enfant de faible poids de naissance, les volumes exprimés dépasseront souvent rapidement ses besoins nutritionnels initiaux. Si l’objectif de la mère est de nourrir son enfant directement au sein, il est important qu’elle essaye d’obtenir aussi vite que possible (2-3ème semaine) un volume de lait correspondant au moins aux besoins de l’enfant au moment probable du retour à la maison (> 500 ml/24 h). En cas de production de lait insuffisante par rapport aux objectifs maternels, il est nécessaire de revoir complètement les modalités d’utilisation du tire-lait, de vérifier si la taille des téterelles est optimale (des téterelles trop étroites peuvent être source de douleurs, mais aussi et indépendamment, gêner l’écoulement du lait), de mettre en place tous les moyens cités plus haut qui permettent d’obtenir plus de lait (peau à peau, etc.) et généralement d’augmenter la fréquence des expressions, en évitant surtout de laisser les seins au repos pendant de longues plages horaires, notamment la nuit. Le recours à des substances galactogènes n’est utile que si le taux de prolactine est bas.
3. Favoriser le contact mère-bébé en peau à peau le plus tôt possible et sans limitation
C’est possible dès que l’enfant montre une stabilité physiologique suffisante même s’il est encore sous assistance respiratoire. En plus des nombreux avantages démontrés pour le bébé, le peau à peau permet d’augmenter la production de lait et est associé à une durée d’allaitement plus longue ; ce soin facilite également l’établissement de liens affectifs et donnent aux parents l’impression d’être plus compétents. Pour l’enfant prématuré, c’est une « mise en situation » qui va lui permettre de manifester son comportement inné de recherche du sein ; chaque séance de peau à peau constitue un prélude, un apprivoisement aux premières tétées et les bébés qui ont fait beaucoup de peau à peau tètent plus tôt. Sauf signes d’instabilité sévère aucune restriction du peau à peau en durée et en fréquence n’est justifiée.
4. Ne pas imposer de critères arbitraires pour les premières « tétées » au sein
En cas de naissance prématurée il est encore fréquent que le moment des premières mises au sein soient décidé sur des critères fixes et arbitraires ; ces limitations sont souvent propres à chaque service et font partie des routines de soins: âge gestationnel minimal ou démonstration par l’enfant de sa capacité à boire un biberon sans faire de fausse route. Les difficultés respiratoires ou les fausses routes étant fréquemment observées en cours de biberon chez les nouveau-nés y compris ceux à terme, on comprend que l’utilisation d’un tel critère n’encourage pas les soignants à démarrer les tétées au sein précocement. Mais aucune de ces limitations ne repose sur des données scientifiques validées. Plusieurs études publiées ces dernières années montraient que au contraire les prématurés sont beaucoup plus stables sur le plan physiologique au sein qu’au biberon et que certains prématurés étaient tout à fait à capables de faire des tétées efficaces et même d’être exclusivement allaités au sein bien avant l’âge du terme. Ainsi, si on leur en donne l’occasion et si les conditions environnementales sont favorables, certains prématurés seront capables de faire une tétée complète dès 31-32 SA ce qui va leur permettre d’être rapidement autonomisés et de rentrer plus tôt à domicile. Ni l’âge gestationnel, ni le poids, ni la capacité à prendre un biberon ne devraient être utilisés comme critères pour démarrer les tétées au sein : il n’y a pas d’âge pour débuter, le plus tôt est toujours le mieux. Le seul critère, c’est la stabilité physiologique de l’enfant.
5. Commencer les premières « tétées » au sein dans des conditions optimales
Le moment et le lieu pour ces premières « tétées » au sein doivent être adaptés : à distance d’une expérience pénible ou fatigante (un simple changement de couche, un bain, un examen de routine peuvent constituer une expérience très stressante pour un enfant prématuré ou fragile…) et dans un endroit calme et pas trop éclairé afin d’éviter une surcharge de stimulations sensorielles chez l’enfant. Il est important que la mère puisse s’installer confortablement dans un fauteuil adapté, avec oreiller ou coussin comme aides au positionnement et si besoin un repose pieds pour qu’elle se sente tout à fait à l’aise. Au cours de ces premières séances, la mère appréciera la présence bienveillante et la disponibilité d’un professionnel compétent qui pourra la guider dans ses interactions avec l’enfant et répondre à ses questions. Différentes positions d'allaitement peuvent être utilisées : la mère choisira celles qui lui conviennent le mieux et permettent une bonne prise du sein. Dans tous les cas il est important que l’enfant soit bien soutenu, tout contre le corps de sa mère, à hauteur du sein, la tête dans l’axe, les bras et les jambes en flexion. La position classique inversée (enfant soutenu avec le bras opposé au sein) ou la position sous le bras sont souvent les plus pratiques pour un petit bébé car elles offrent un bon soutien global du bébé et notamment de sa tête ce qui est fondamental pour sa stabilité au sein.
6. Encourager l’allaitement à l’éveil et expliquer les signaux comportementaux du bébé
Les petits signes qui montrent que l’enfant est disposé à téter doivent être montrés aux parents et la mère sera encouragée à mettre son bébé au sein sans restriction de fréquence ou de durée car si on sait s’adapter aux signaux comportementaux du bébé ce n’est pas fatigant pour lui. Il est en effet essentiel de comprendre la manière dont l’enfant communique par son comportement sur son état de bien être (signes d’approche par ex. mouvements de succion, attitudes en flexion, mains au visage etc.) ou bien sur son état de fatigue ou de désorganisation (signes de retrait, par ex. détournement du regard, trémulations, extension motrice, bâillement, hoquet, pâleur etc.). Les parents peuvent ainsi apprendre à reconnaître les moments où l’enfant peut supporter d’être stimulé et encouragé à téter et les moments où il a besoin de récupérer. C’est fondamental pour que l’apprentissage du bébé au sein se déroule dans des conditions qui lui permettent de progresser en toute sécurité.
7. Permettre la transition d’une alimentation programmée à un allaitement au sein à la demande
Quand l’observation des tétées montre que l’enfant commence à prendre du lait au sein et seulement à ce moment-là, l’une des stratégies de prise en charge consiste à mesurer les quantités de lait absorbées en pesant l’enfant avant et après chaque tétée, car les critères d’observation clinique ne sont pas assez fiables. Ces tests de pesée sont réalisés à chaque tétée sur une balance électronique très précise ; ils n’augmentent pas l’anxiété maternelle dans ce contexte et permettent d’ajuster les apports tant que ceux-ci doivent être « contrôlés ». L’autre stratégie consiste à donner à l’enfant un volume fixe de compléments de lait maternel après chaque tétée. Quand le bébé commence à consommer une bonne partie des rations prescrites (environ la moitié) on peut commencer à assouplir les horaires de l’alimentation en proposant le sein « à l’éveil » ou sinon quand environ 3 heures se sont écoulées depuis le dernier repas. Les quantités prises au sein par l’enfant au sein sont cumulées et déduites de la quantité totale prescrite pour une période de 12 ou 24 heures ; le volume restant sera donné à l’enfant par une méthode alternative. Cette stratégie en « semi demande » peut être poursuivie en s’assouplissant jusqu’à ce que l’enfant ait suffisamment d’éveils spontanés et de tétées efficaces. On veillera à ne pas fixer de durée arbitraire pour cette période de transition qui peut être longue, en ayant des attentes réalistes car le parcours de chaque enfant est différent. Il est important de veiller à obtenir une bonne croissance pondérale moyenne, sans toutefois trop se crisper sur les variations des chiffres d’une pesée à l’autre. La mère sera également encouragée à ne pas abandonner le tire-lait trop vite afin de maintenir la lactation à un niveau suffisant et faciliter ainsi le transfert de lait du sein à l’enfant.
8. Privilégier l’usage de méthodes alternatives au biberon de manière raisonnée
La notion de « confusion sein/tétine » est un sujet très complexe et controversé, et il existe peu d’études permettant d’établir sa réalité et sa prévalence indépendamment de nombreux biais de confusion. S’il est souhaitable de ne pas recommander le biberon au démarrage de l’allaitement, il est néanmoins essentiel de communiquer loyalement sur la problématique du biberon en cas d’allaitement afin que les parents puissent faire des choix éclairés. Il est faux d’affirmer avec désinvolture que « prendre un biberon n’aura aucune conséquence sur la capacité de l’enfant à téter au sein », ou au contraire de dire que « l’enfant ne pourra plus prendre le sein s’il reçoit des biberons » ou qu’il « est interdit de donner des biberons dans le cadre de l’initiative hôpital ami des bébés ».
Les bébés qui reçoivent des compléments au biberon ont souvent des durées d’allaitement plus courtes. Un bébé qui n’arrive pas à bien prendre le sein risque de « préférer » le biberon, et d’avoir des difficultés pour téter au sein, surtout si la production de lait n’est pas très importante et qu’il a été exposé à un flot de lait rapide par l’intermédiaire d’un biberon. Tant que les tétées au sein doivent être complétées, on conseillera de préférence des méthodes alternatives au biberon, adaptées aux besoins et aux capacités individuelles de chaque enfant : alimentation par sonde, au gobelet, au doigt ou encore à l’aide d’un dispositif d’aide à l’allaitement (sonde placée sur le sein permettant d’augmenter le débit et donc le transfert de lait chez un bébé capable de prendre et de se maintenir au sein).
Mais si le biberon est le souhait explicitement exprimé par les parents parce que cette option représente pour eux le meilleur choix dans leur situation (difficultés prolongées de prise du sein, tétées inefficaces etc.), il est nécessaire de reconnaître qu’il s’agit en effet d’une option possible et cette décision, une fois prise, doit être acceptée et accompagnée.
9. Préparer la sortie et organiser le suivi et le soutien après le retour au domicile
Avant le retour à la maison il est primordial de proposer un séjour en chambre mère-enfant pour aider la mère à prendre confiance dans sa capacité à s’occuper de son enfant et à s’autonomiser. La stratégie d’alimentation sera discutée en collaboration avec les parents. Les modalités du suivi de l’enfant après sa sortie de l’hôpital seront organisées : accès à des conseils téléphoniques, visites à domicile ou au centre néonatal, consultations spécialisées en allaitement etc. Les coordonnées des associations de soutien à l'allaitement seront également transmises aux parents.
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Quel article magnifique ! Je suis la maman d une petite fille née prématurée et je peux vous dire que depuis que j ai mis en place l allaitement ma fille va beaucoup mieux et gère mieux sa prématurité l allaitement c est la clefs mesdames mettez toute les chances de votre côté ! Bon courage a nos bébés prématurés
Bonjour et merci pour cet article très intéressant.
Je me permets juste de vous faire part d'un questionnement quand à la mise en place de la lactation.
En effet les données probantes montre que pour mettre en place de façon optimale une lactation le nombre d'expressions doit être de l'ordre de 10 à 12 par 24h et les chiffres de 6 à 8 énoncés sembles loin de donner un maximum de chances aux mères de mettre en place un allaitement optimal.
Je vous souhaite une excellente journée et vous remercie de tout ce que vous faites pour les familles.
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