Ce dossier a été publié dans Allaiter aujourd'hui n° 89, LLL France, 2011
Les animatrices LLL sont régulièrement contactées par des parents, principalement des mères, en instance de séparation d’avec leur conjoint. Leur question très directe, à savoir « Comment poursuivre l’allaitement compte tenu de la situation ? », demande à chaque fois de longues heures d’échanges. Les enfants concernés peuvent être de très petits bébés ou déjà des bambins. Plus rarement, l’enfant vient de naître, ou n’est pas encore né.
Les animatrices soutiennent les familles dans des situations très variées, et leur formation continue est riche des expériences partagées par les mères sur ce thème de la séparation, lors d’appels téléphoniques, d’échanges par courriel, ou au cours de réunions mensuelles. Dans le Nord, une réunion spéciale « L’allaitement lorsque papa et maman se séparent », réservée aux parents vivant la séparation et animée par des animatrices l’ayant vécu personnellement, a été récemment organisée.
Toutes ces rencontres, réelles ou virtuelles, appelaient une compilation des informations et expériences connues de nous à ce jour concernant l’allaitement et la séparation.
Le rôle des parents
Les blessures de la séparation du couple rendent la concertation et le dialogue entre le père et la mère difficiles. L’enfant devient un enjeu au même titre que les biens matériels ; le temps passé avec lui, un bien à partager.
Une chanson des années 1980, de Jean-Jacques Goldman, le dit très bien :
Je garderai les disques, et toi l’électrophone
Les préfaces des livres, je te laisse les fins
Je prends les annuaires, et toi le téléphone
On a tout partagé, on partage à la fin
Je prends le poisson rouge, tu gardes le bocal
À toi la grande table, à moi les quatre chaises
Tout doit être bien clair et surtout bien égal
On partage les choses quand on partage plus les rêves
Tu garderas tes X et moi mes XY
Tant pis, on saura pas c’que ça aurait donné
C’est sûrement mieux comme ça, c’est plus sage, plus correct
On saura jamais c’qu’en pensait l’intéressé(e ?)
Celui qui n’a pas voix au chapitre, c’est le tout petit enfant. C’est donc tout à fait volontairement que cet article parle de ce qui est à prendre en compte du point de vue de l’enfant. Lorsque les parents se séparent, ils reprennent ou retrouvent, bon gré mal gré, une liberté. Comment gérer les besoins d’un tout-petit dans cet envol sans se sentir lésés ?
Le bébé allaité
Lorsque le bébé est allaité, la mère va demander à aménager les périodes de visite et d’hébergement du père en tenant compte de l’allaitement. De l’autre côté, bon nombre de pères et éventuellement d’avocats puis de JAF (juges aux affaires familiales) ne vont pas tenir compte de cette requête, voire vont remettre en question l’allaitement lui-même.
On se souvient du jugement de Salomon. Deux mères se disputent la maternité d’un enfant. Le roi Salomon propose de le couper en deux pour qu’elles se le partagent. L’une accepte, l’autre refuse. Salomon confie alors l’enfant à celle qui a refusé que l’enfant soit blessé.
Dans notre société, on fait l’exact inverse du jugement de Salomon : on propose de ne pas tenir compte de l’allaitement (et donc de blesser le développement physiologique de l’enfant), et l’enfant est confié à celui qui est d’accord avec ça...
Pourtant, si on se place dans le contexte de la vie de ce bébé qui connaît l’allaitement « depuis toujours », il n’est pas logique de lui faire perdre cette relation, lui qui perd déjà ses repères familiaux initiaux.
Faire une place à l’allaitement permet de respecter le besoin de l’enfant de garder des liens avec ses deux parents. Or, comme le dit l’article 373-2 alinéa 2 du Code civil, « Chacun des père et mère doit s’efforcer de maintenir des relations personnelles avec l’enfant et surtout respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent. Il en va de l’équilibre psychologique de l’enfant ».
L’allaitement maternel dure peu de temps. Il accompagne quotidiennement l’enfant dans son développement les une ou deux premières années de sa vie, selon les familles. Au-delà, il peut ne plus être quotidien. Lorsqu’une mère évoque l’allaitement maternel au regard du droit de visite et d’hébergement du père, elle parle de l’habitude de l’enfant jusqu’à présent, et de l’intérêt d’aménager la rupture avec bon sens.
Respecter l’allaitement permet à l’enfant de maintenir la relation qu’il a toujours connue jusqu’ici avec sa mère. Guider son enfant en tenant compte de l’évolution de ses capacités est le plus merveilleux cadeau qu’un parent puisse faire.
Nous ne doutons pas que chaque père saura également transmettre à ses enfants les valeurs qui lui sont chères. Dans le AA n° 48 sur l’importance du père et le rôle qu’il occupe dans la vie de ses enfants (1), nous écrivions : « Toutes les recherches récentes montrent que le comportement paternel ne peut en aucune façon être confondu avec le comportement maternel. Comme le montre très bien Tine Thevenin dans Mothering and fathering, hommes et femmes ont une façon différente d’élever les enfants. Les premiers valorisent l’indépendance, les secondes ont plus naturellement tendance à materner. Ce dont l’enfant a besoin, c’est ‘d’un père qui ne soit ni un étranger ni une mère bis, mais un père-homme qui fasse pleinement et sereinement acte de présence’. »
Bienfaits de l’allaitement
L’article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant (2) stipule que les États parties de la Convention « reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible ». Plus spécifiquement, les États doivent s’assurer que la société dans son ensemble, et les parents en premier lieu, sont informés des bienfaits de l’allaitement. Quant au Comité des droits de l’enfant, il estime que les obstacles mis à l’allaitement sont des obstacles au droit de l’enfant à la santé optimale (3).
Au-delà de l’aspect nutritif (4) et de l’optimisation de la santé de l’enfant, il est reconnu que l’allaitement abaisse le taux de stress de la mère et du bébé dans les situations de crise (5).
De plus, de la même manière qu’une mère reprenant son emploi vit mieux la séparation d’avec son tout-petit grâce à la poursuite de son allaitement, une mère devant se séparer « involontairement » pour quelques heures d’avec son bébé sera rassurée par la perspective de l’allaiter de nouveau à son retour, et sera ainsi plus disposée à accepter les séparations à venir. La réciproque concernant l’enfant est vraie aussi.
Maintenir la communication
L’allaitement est une relation impliquant trois personnes : le bébé, sa mère et son père. Et ces trois personnes continuent d’exister au-delà du couple. En ne vivant plus ensemble, elles n’ont plus d’interactions naturelles, le sentiment a fait place au ressentiment, à quoi viennent s’ajouter des difficultés classiques de communication : « Entre Ce que je pense, Ce que je veux dire, Ce que je crois dire, Ce que je dis, Ce que vous avez envie d’entendre, Ce que vous entendez, Ce que vous comprenez... il y a dix possibilités qu’on ait des difficultés à communiquer. Mais essayons quand même...» (6)
Au final, chaque famille suivra un chemin, souvent pas exactement celui prévu ou souhaité.
Remettre ses choix de vie entre les mains d’un Juge aux Affaires Familiales est une lourde épreuve.
L’histoire de l’allaitement des aînés pourra aider à justifier l’allaitement du petit dernier. L’investissement de la mère après un début d’allaitement compliqué pourra également être entendu comme explication du souhait de ne pas rompre le quotidien difficilement établi.
Si elles ont fait le choix de prendre conseil auprès d’un avocat, et alors que, spontanément, une femme va souvent se faire représenter par une femme, certaines mères se sont senties plus en confiance représentées par un homme : le fait qu’un homme « endosse » leurs choix leur a redonné confiance.
D’autres ont dû insister pour que leur avocate entende leur choix de proximité. Cela a rendu la préparation de l’audience fastidieuse. Ce qui est dommage, au vu du coût de la procédure, qui peut aisément atteindre les 1 700 euros avec l’assistance d’un avocat.
Enfin n’oublions pas que comme dans chaque relation d’allaitement, il y a autant de situations que de parents et de bébés : certaines mères rencontrées auraient aimé recevoir un mot de leur ex-conjoint pour la fête des mères, alors que d’autres ont été agacées de cette attention.
Patricia Hodicq-Vuillemot, animatrice LLL
1. Pères de bébés allaités
2. Convention relative aux droits de l'enfant
3. Stratégie mondiale pour l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant
4. Avantages de l'allaitement. Et : Allaitement : les bénéfices pour la santé de l'enfant et de sa mère
5. Allaitement en situation de crise. Et aussi : L'allaitement calme la mère et l'enfant
6. Bernard Werber, extrait de L’encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu.
Questions/réponses
Q – Séparée du papa de ma fille de 2 ans, j’en ai la garde. La petite voit son père 1 samedi sur 2, puis ce sera 1 week-end sur 2, pour arriver à 2 semaines cet été. Dans des cas similaires, est-ce que les séparations longues ont induit un sevrage ? Est-ce que les mamans ont sevré avant le départ en vacances ?
R d’Isabelle, animatrice LLLF – Une maman de mon groupe LLL était dans cette situation, et son bambin restait 15 jours en vacances l’été avec son papa. Il tétait à nouveau à son retour.
R de Marie, animatrice LLLF – Vous pouvez vous procurer dans la boutique LLL le n° 134 de notre revue Allaiter Aujourd’hui, "L'allaitement, quand les parent se séparent", pour y lire de nombreux témoignages.
R de Marie-Pierre, animatrice LLLF – Je peux témoigner d'une situation proche avec des jumeaux de 3 ans et des temps de séparation longs et fréquents, suite à un mode de garde alternée incluant des temps de vacances de deux à trois semaines. L'allaitement s'est poursuivi avec bonheur jusqu'à leurs 5 ans, où ils ont eux-mêmes dit qu'ils ne voulaient plus téter. Je dis avec bonheur parce que le contact physique (allaitement, cododo) nous permettait de renouer affectivement et émotionnellement de manière instinctive, spontanée, directe et pleinement.
Q – Mon fils a 10 mois, il n’a jamais eu d'autre lait que le mien, il n'a dormi qu’avec moi en cododo. Je n’ai jamais habité avec son papa. Il voit son père une à deux fois par semaine, une après-midi ou une journée. Un juge aux affaires familiales vient de décider que mon fils devait partir la moitié des vacances scolaires, donc une semaine complète, sans sa figure d attachement et sans moi. Après les vacances, le papa aura notre enfant une semaine du mercredi soir au jeudi soir, et une semaine du vendredi soir au lundi matin. Aucune progressivité, rien. Je suis anéantie.
R d’Anne Catteau, animatrice LLL France – C'est arrivé à une maman de notre groupe LLL. Le bébé avait 8 mois. La maman a tiré son lait tous les jours durant la séparation. Quand le petit lui a été rendu, il a tété comme si de rien était ! Elle s'est toujours demandé comment se passait l'endormissement chez le papa.
Elle a suivi la règle simple "avec maman, c'est le sein, avec quelqu'un d'autre, c'est autre chose". Ça a duré des années.
Ressources
On trouve sur ce blog une table de calcul des pensions alimentaires :
Pension alimentaire - Enfants mineurs - Calcul
Un site qui a aidé certaines mamans :
http://www.parent-solo.fr/
Un livre de Carine Graux, Comment c'est pour toi ? La séparation racontée par les enfants, Lanore éditions, 2023.
Écrivez ! Concrètement, et pour simplifier autant que possible la communication, il est utile que chacun des parents réfléchisse aux priorités pour chaque période de vie de l’enfant.
En tenant compte des besoins de l’enfant évoqués plus haut, écrivez ce qui est possible, acceptable pour vous en tant que mère, ou en tant que père, car gérer la durée de l’absence des enfants est probablement la base dans tout divorce (que le bébé soit allaité ou non, d’ailleurs).
Voici un exemple basé sur une vraie situation, celle de bébé N.
âge du bébé | droits de visite et d’hébergement du père |
1 mois | |
2 mois | |
3 mois | |
4 mois à 9 mois |
2 fois 2 heures par semaine au domicile de la maman |
9 mois à 12 mois | 2 fois 2 heures par semaine à l’extérieur |
12 mois à 15 mois | une demi-journée par semaine à l’extérieur |
à partir de 15 mois | une journée complète par semaine |
à partir de 36 mois | une nuit et une journée par semaine + la moitié des vacances scolaires, les mois d’été étant scindés en deux (2 semaines en juillet puis 2 semaines en août) |
La médiation, pour sortir du conflit
« La médiation familiale est, selon la définition qu’en donne le Conseil national consultatif de la médiation familiale, “un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de ruptures ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et son évolution”.
Elle s’appuie sur une démarche volontaire des personnes et peut, dans le cadre d’une procédure judiciaire, être ordonnée par un juge aux affaires familiales, après avoir recueilli l’accord des parties.
(...) Le but est de préserver les liens familiaux et de maintenir un environnement favorable à l’enfant (répondre aux besoins de l’enfant, organiser sa vie quotidienne, ses relations avec l’ensemble des membres de sa famille, les modalités d’accueil des enfants chez leur père et leur mère, etc.).
Le médiateur familial est un professionnel qualifié, formé aux techniques spécifiques de médiation familiale, qui respecte des principes déontologiques, observe une stricte confidentialité, ne prend pas parti et ne juge pas. Son rôle est d’aider à trouver des solutions concrètes, d’identifier la source du conflit, de rétablir la communication, de créer un climat de confiance propice à la recherche d’accords entre les différentes parties.
Dans certaines situations très conflictuelles, le juge peut ordonner l’interruption du droit de visite et d’hébergement pour l’un des deux parents et décider que les rencontres entre l’enfant et ce parent se dérouleront dans un lieu “neutre” désigné par la loi espace de rencontre.
(...) Dans ces lieux neutres, associatifs ou publics, des enfants viennent rencontrer le parent avec lequel ils ne résident pas au quotidien suite à une séparation (...) Les espaces de rencontre sont préconisés dans toute situation où la relation parent-enfant et/ou l’exercice d’un droit de visite sont interrompus, difficiles ou trop conflictuels. Ils interviennent ainsi dans certaines situations liées aux divorces, aux séparations conjugales ou familiales. Ils permettent un soutien à la rencontre de l’enfant avec son parent, favorisent l’établissement, le maintien ou la reprise de leur relation. »
Extrait de : Prévention en faveur de l'enfant et de l'adolescent, p. 31-32.
Une interview de Martine Herzog-Evans
Mère de cinq enfants, Martine Herzog-Evans est professeure de droit privé et pénal. Elle est l’auteure de Allaitement maternel et droit (L’Harmattan, 2007), a écrit un article « Allaiter, vous avez le droit ! » pour le n° 67 (avril-mai-juin 2006) d’Allaiter aujourd’hui et a accordé à Grandir autrement une interview publiée dans le n° 16 (mars-avril 2009), que GA nous a autorisées à reproduire ici.
Grandir Autrement : Que conseilleriez-vous à une mère qui allaite son enfant et à qui son conjoint fait part de son intention de divorcer ?
Martine Herzog-Evans : La mère doit essayer de différer la saisine du juge aux affaires familiales jusqu’au sevrage ou jusqu’à l’âge où la séparation sera plus facile à accepter pour l’enfant. Toutefois, bien souvent, les mères ne peuvent assumer seules la charge financière d’un ou plusieurs enfants et saisissent le juge. Aujourd’hui, en France, sous prétexte du respect du principe d’égalité des droits des conjoints, le principe, en matière d’attribution de la résidence des enfants, est celui de la garde alternée. Chez les tout-petits, c’est une aberration, une horreur. L’enfant est réellement coupé en deux.
GA. Que doit savoir une mère qui allaite et qui souhaite poursuivre son allaitement du déroulement d’une audience de conciliation ?
MHE. Au cours de la première audience, dite audience de conciliation, le juge aux affaires familiales doit tenter de trouver un accord entre les époux sur le principe du divorce mais aussi sur ses conséquences. Alors que plusieurs mois peuvent s’écouler entre le dépôt de la requête au greffe et le jugement de divorce, lors de cette audience, tout va vite, trop vite. En effet, faute de temps, le juge ne peut étudier en détail toutes les questions liées à la rupture de la vie conjugale, dont la nouvelle résidence des enfants. En outre, il se dégage des audiences de conciliation une certaine forme de théâtralité. D’un côté, la réglementation sur le divorce oblige le juge à jouer un rôle très embarrassant : celui de voyeur. Sa position, qui est par nature contraire aux règles de la politesse, le contraint à s’immiscer dans la vie du couple. Et, de l’autre côté, les parents sont censés ne pas extérioriser leurs sentiments, faire comme s’il n’y avait pas de conflits et, bien entendu, respecter les droits de l’autre.
GA. Est-il judicieux d’évoquer l’allaitement pour aménager les conditions de fixation du droit de visite et d’hébergement de l’enfant allaité ?
MHE. Lorsque les parents n’arrivent pas à trouver un consensus sur les conséquences du divorce, il est préférable que la mère n’aborde pas la question de la poursuite de l’allaitement de son enfant ; celui-ci étant souvent considéré comme un fauteur de trouble dans la relation père-enfant, un prétexte utilisé par la mère pour limiter le droit de visite et d’hébergement du père. Aussi, lorsque la séparation a déjà eu lieu et que le père ne se doute pas que son enfant est encore allaité, je conseillerais à la mère de ne pas en faire état. Le père ne pourra ainsi pas s’en servir contre elle. Par contre, si le père est au courant de la poursuite de l’allaitement, plusieurs solutions s’offrent à la mère : minimiser l’allaitement, en disant par exemple : « Il tète deux fois par jour. J’espère que cela va bientôt s’arrêter », justifier l’allaitement lorsque l’enfant est allergique en produisant un certificat de l’allergologue, ou jouer sur le ressort de la culpabilité en indiquant par exemple : « Il est très affecté par le divorce. Il connaît une phase de régression. Il se réveille la nuit et réclame la tétée. » En conséquence, lorsque les parents d’un enfant allaité divorcent, la discussion doit être centrée sur l’enfant et non sur l’allaitement.
GA. Lorsque la situation est moins conflictuelle entre les parents, les conditions de fixation du droit de visite et d’hébergement peuvent-elles être aménagées pour permettre de concilier poursuite de l’allaitement et respect des droits du père ?
MHE. Habituellement, le droit de visite est fixé à un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Toutefois, il ne s’agit que d’une pratique généralement constatée qui n’a aucun caractère obligatoire. Pour que l’allaitement puisse être poursuivi sereinement et que la séparation soit moins longue et difficile pour l’enfant, la mère peut arriver chez le juge avec un projet adapté et évoluant en fonction de l’âge de son ou ses enfants et respectant les droits du père. Elle peut ainsi proposer de remplacer, dans un premier temps, le week-end sur deux par tous les samedis ou tous les dimanches. Elle peut également demander que, au moins au début, son tout-petit ne passe pas de nuit chez son père, et ses enfants plus âgés pas plus d’une nuit et un jour. Il est très important que la mère se montre souple et conciliante. Lorsque les parents parviennent à se mettre d’accord pour fixer les modalités du droit de visite et d’hébergement (et à condition que leur accord soit conforme à l’intérêt de l’enfant), celui-ci sera homologué par le juge aux affaires familiales.
Propos recueillis par Madalena Bortnik
Trois décisions encourageantes
M. Herzog-Evans a néanmoins connaissance d’au moins deux décisions prenant en compte un allaitement long.
Tout d’abord, la décision d’un juge aux affaires familiales de Dax concernant une petite fille de 15 mois, qui dit qu’« il ne saurait être question de vacances pour un bébé de quelques mois et l’allaitement empêche de confier celui-ci au père durant les vacances de Pâques 2006 et celles de l’été 2006. Dès les deux ans de L., la partie la plus diligente pourra nous ressaisir pour faire évoluer l’exercice... » (26 avril 2006, RG n° 05101418).
Ensuite, une décision de la Cour d’appel de Douai (29 juin 2006, RG n° 06-01199) concernant une petite fille de 14 mois, qui, prenant en compte « que l’enfant est toujours allaitée deux fois par jour », accorde comme droit de visite et d’hébergement au père : un dimanche sur deux, de 10 h à 18 h, jusqu’aux 2 ans de l’enfant ; puis un week-end sur deux jusqu’à ses 3ans ; et seulement après 3 ans, des périodes de vacances d’une semaine ou plus.
En voici une troisième où la mère souhaitait parler librement de l’allaitement au tribunal, et savait qu’elle pouvait compter sur le soutien du père à ce sujet. Par chance, la juge aux affaires familiales, une femme, approuvait l’allaitement long.
La décision de la juge a été « d’entériner l’accord des parties et de :
– fixer la résidence de l’enfant chez sa mère tant que l’enfant est allaité, et au plus tard, jusqu’à ce que celui-ci ait atteint l’âge de 3 ans, soit jusqu’au .. novembre 20..,
– fixer la résidence de l’enfant alternativement chez le père et chez la mère à compter du .. novembre 20.., selon les disponibilités respectives des parents, à raison d’une semaine chez l’un et de la semaine suivante chez l’autre et, pendant toutes les vacances scolaires, à raison de la première moitié des vacances chez l’un puis la seconde moitié chez l’autre parent ;
(...)
Attendu que tant que la résidence de l’enfant est fixée chez sa mère, soit au plus tard jusqu’au .. novembre 20.., le père bénéficiera d’un droit de visite et d’hébergement élargi à raison d’une demi-journée par jour ou d’un jour sur deux suivant les disponibilités professionnelles des parents, à l’exception des périodes représentant la moitié des vacances scolaires durant lesquelles l’enfant résidera exclusivement avec sa mère en vacances ;
Attendu que jusqu’au .. novembre 20.., le père ne pourra pas exercer son droit de visite et d’hébergement durant la moitié des vacances scolaires compte tenu de l’allaitement de l’enfant par sa mère ;
Attendu qu’à compter du .. novembre 20.., c’est le principe de la garde alternée qui s’applique comme indiqué ci-dessus, de sorte qu’il n’y a plus lieu à exercice d’un droit de visite et d’hébergement (...) »
Une JAF témoigne
Lorsque, dans une affaire de divorce, un enfant est allaité, il m’appartient de concilier deux impératifs : le maintien des liens avec le père et la poursuite de l’allaitement. Lorsqu’un avocat s’y oppose, je rédige un petit paragraphe en disant que, certes, les liens avec le père sont essentiels et fondamentaux pour l’enfant, mais que le lait maternel est recommandé par l’OMS, qu’un sevrage brutal et non souhaité par la mère serait très perturbant pour l’enfant et qu’en tout état de cause, ce n’est pas à un juge d’imposer une telle décision. Je mets donc en place des droits de visite à la journée ou à la demi-journée, un, deux jours ou plus par semaine si le père peut, en précisant « jusqu’au sevrage de l’enfant ». Je ne me verrais vraiment pas imposer une date pour le sevrage ! Maintenant, si une mère s’oppose à cette disposition en me disant que c’est impossible, je lui rappelle que son enfant a un père, qu’il serait très destructeur pour lui d’en être privé au tout début de sa vie car les liens se créent à ce moment-là...
Il est vrai que la difficulté en matière d’allaitement et de séparation vient du fait que chaque juge a sa propre pratique et certains manquent de connaissances basiques sur l’allaitement parce qu’ils sont jeunes, parce que ce sont des hommes ou parce qu’ils ou elles ne se sont jamais intéressés à la question. Certains ne sont pas du tout informés sur la possibilité de poursuivre un allaitement en travaillant ou en laissant son enfant quelques heures à son père. D’autres ont des idées bien arrêtées sur la durée « normale » d’un allaitement : l’exemple typique, c’est celui ou celle qui considère qu’après six mois ou un an, l’allaitement ne se justifie plus, voire devient pathologique... Par conséquent, ils rendent des décisions dans lesquelles il est prévu qu’à compter des six mois ou du premier anniversaire de l’enfant, le père aura un droit de visite et d’hébergement classique (un week-end sur deux et la moitié des vacances). Je travaille avec une autre juge aux affaires familiales qui a les mêmes pratiques que moi : au moins, au sein de notre tribunal, la jurisprudence est la même, quel que soit le juge devant lequel passent les couples en instance de divorce. Nous essayons péniblement d’expliquer notre position à nos collègues, mais il y a encore beaucoup de travail à faire sur ce terrain.
Témoignage paru dans Grandir autrement n° 16
À propos de la garde alternée
Recherches actuelles concernant la résidence alternée
Le Pr Maurice Berger est un pédopsychiatre qui se positionne et argumente contre la garde alternée. Ce texte, destiné aux parents et aux professionnels, fait le point sur les connaissances actuelles en matière de garde alternée pour les bébés.
Défenseur des enfants _ rapport annuel - année 2005
Le rapport 2005 de Claire Brisset, Défenseure des enfants, est une ressource intéressante. Extrait : « La Défenseure des Enfants a été saisie de situations individuelles particulièrement délicates, comme celle d’un enfant qui, dès l’âge de 6 mois, alternait entre six semaines chez sa mère en France et six semaines chez son père aux États-Unis, ou celle d’un enfant scolarisé en primaire qui alterne une année sur deux chez l’un de ses parents dans des pays de langues différentes (...) Cette question nous paraît mériter l’organisation d’une conférence de consensus. D’ici là, la prudence paraît s’imposer pour les plus jeunes enfants. Cette prudence élémentaire pourrait conduire à exclure le principe de la résidence alternée pour les très jeunes enfants, par exemple avant l’âge de 5 ou 6 ans. »
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