Cet article est paru dans Allaiter aujourd'hui n° 14, LLLFrance, 1993
Tout le monde a en mémoire le nouveau-né au sourire de Boudha qui illustrait le livre de Frédéric Leboyer Pour une naissance sans violence (1974), et le film du même nom.
Cette photo fit beaucoup pour le succès de la "méthode Leboyer" (1), en montrant qu'accueillir le nouveau-né autrement qu'à grands coups sur les fesses, avait vraiment un effet visible sur lui.
À l'époque, un feu roulant de critiques s'abattit sur Leboyer. Beaucoup lui reprochèrent évidemment de prendre des risques et de sacrifier la sécurité de l'enfant par des pratiques "moyenâgeuses" (l'absence de lumières fortes fut particulièrement dénoncée). D'autres l'accusèrent de ne pas se préoccuper de la mère, mais uniquement de l'enfant, voire même de la diaboliser (il est vrai que certaines phrases, telles "cette force, ce monstre aveugle qui le broie, qui le pousse au dehors (...) c'est la mère !" pouvaient prêter le flanc à ce genre de critiques).
Et pourtant... Comment pouvait-on ne pas se rendre compte que respecter l'enfant qui naît, c'est obligatoirement respecter aussi la femme qui accouche ? Et que les lieux de naissance en pointe pour la "naissance sans violence" (tels Les Lilas ou Pithiviers) seraient également ceux où les femmes pourraient expérimenter de nouvelles façons d'accoucher.
Les deux logiques
Depuis ces "temps héroïques" des années 70, bien des choses ont changé. En bien comme en mal.
Certains gestes sont entrés dans les moeurs. Je pense que rares sont les endroits où l'on "accueille" encore les nouveau-nés avec la brutalité d'avant Leboyer. Le bain s'est répandu (bien que souvent, ce soit plus un gadget qu'autre chose). Le père est admis à peu près partout (c'en est même devenu parfois une obligation!).
Mais dans le même temps, malheureusement, une nouvelle "norme" s'est répandue, concernant l'accouchement. Et cette norme, dans sa version "grand jeu", c'est : accouchement programmé - déclenchement - perfusion + monitoring - péridurale - grande épisiotomie - forceps. Le "grand jeu" suprême étant évidemment la césarienne, qui est l'aboutissement logique de cette vision interventionniste (au Brésil, dans les cliniques privées, on pratique entre 60 et 90 % de césariennes...).
Parlez un peu autour de vous, et vous vous apercevrez que pour une immense majorité de jeunes femmes, c'est ainsi que doit se passer un accouchement "normal".
C'est là le résultat de la conjonction de deux phénomènes : le désir très général des femmes d'accoucher sans risque et sans douleur, et l'avènement de la péridurale.
Il ne s'agit pas d'entreprendre ici le procès de la péridurale (2), mais bien de souligner que sa diffusion a permis aux services de maternité d'éviter de réfléchir sur leurs pratiques et sur les conditions de la naissance en général, et a fait que les femmes se sont retrouvées objets passifs, dépendantes d'un geste médical pour leur bien-être, et de tout un enchaînement d'autres gestes pour le "bon" déroulement de l'accouchement.
Quand on sait que dans un accouchement normal (et toutes les statistiques officielles les chiffrent à environ 95 %), pratiquement aucun geste n'est nécessaire (3), on mesure à quel point l'accouchement est actuellement confisqué.
Il y aurait beaucoup à dire sur la méthode psycho-prophylactique (et notamment la "tromperie sur la marchandise" qu'a représentée pour beaucoup de femmes son appellation populaire d'"accouchement sans douleur"). Il n'en reste pas moins que l'ASD et toutes les "méthodes" qui en sont issues, visaient à faire de la femme l'acteur de son accouchement (on pourrait même en critiquer l'aspect par trop volontariste). Actuellement au contraire, la femme est spectatrice. Une spectatrice détachée (4) de ce qui se passe "en bas" : l'extraction la plus rapide et avec le moins de sensations possible du contenu d'un contenant.
Pourquoi est-il important de vivre son accouchement ?
Face à tous ceux et celles qui revendiquent "la péridurale pour toutes" comme le but à atteindre (but déjà atteint dans certains endroits comme la Salpêtrière ou l'hôpital Robert-Debré), parler d'une autre logique de l'accouchement (5) qui privilégie le besoin d'intimité, la liberté posturale, le respect de la physiologie de l'accouchement avec le moins d'interventions possible, la possibilité d'être accompagnée de la personne de son choix (qui n'est pas obligatoirement le père), parler d'une autre façon d'aborder la douleur, peut sembler rétrograde.
Et pourtant... Il suffit d'écouter les femmes qui ont pu vivre pleinement leur accouchement, accoucher avec leurs propres hormones comme dit Michel Odent, les entendre dire la fierté qu'elles ont éprouvée, la force qu'elles ont découverte en elles, la façon dont cela a changé leurs perspectives et influencé leur vie entière... pour se dire qu'il est vraiment dommage que tant d'autres passent à côté de cela, simplement par manque d'information et donc de choix réel (6).
Les conséquences sur le bébé ne sont pas moins importantes.
D'abord, la façon dont la mère a vécu la naissance retentit sur les premières relations qu'elle va nouer avec l'enfant, augmente ou diminue la confiance qu'elle a en ses capacités à être mère. Une étude en cours à la maternité des Lilas a par exemple trouvé que 80 % des mères connaissant des problèmes précoces d'allaitement avaient eu une péridurale. A l'inverse, une étude sur 468 accouchements à domicile a trouvé un taux d'allaitement maternel de 99 % (7).
Ensuite, à plus long terme, on peut penser qu'un enfant qui s'est senti "expulsé" avant terme (cas d'un déclenchement de convenance) et précipité dehors par des contractions très violentes (cas d'une accélération du travail par perfusion d'ocytocine) n'abordera pas la vie de la même façon qu'un bébé qui aura lui-même déclenché l'accouchement, comme on sait maintenant que cela se passe.
Des études récentes ont même trouvé des corrélations statistiques entre les toxicomanies à l'adolescence et l'administration de drogues à la mère pendant l'accouchement (8).
Comment trouver son lieu ?
Trouver le lieu où l'on se sentira bien pour mettre son enfant au monde, est un travail de longue haleine. Mais après tout, ce n'est pas une urgence, on a plusieurs mois pour s'informer, poser des questions et se décider. Poser des questions, connaître les bonnes questions à poser, ce n'est pas évident lorsqu'on attend son premier enfant. Mais c'est vraiment la seule façon de savoir si la maternité que l'on visite pratique 15 ou 30 % de césariennes, 10 ou 100 % d'épisiotomies, fixe ou non un temps maximum pour accoucher (9), pose systématiquement une perfusion d'ocytocine, et à quel moment de la dilatation, impose ou non une surveillance en continu par monitoring, laisse ou non une liberté de mouvement pendant la dilatation et de posture pendant l'expulsion, permet ou non de quitter l'établissement rapidement après la naissance, etc., etc. (10).Si les réponses ne sont pas totalement satisfaisantes mais semblent indiquer une possibilité de discussion, cela vaut la peine d'aller plus loin, de bien faire préciser les choses, d'insister sur ce qui semble primordial (éventuellement en le mettant par écrit). Si les réponses sont par trop évasives, voire contraires à son attente, mieux vaut peut-être aller voir ailleurs.
Après tout, la clinique du coin de la rue ou celle "recommandée" par son gynécologue, ne sont pas les seules possibilités. Il existe tout un éventail de lieux possibles (même si certains sont pour le moment en très petit nombre, voire inexistants dans certaines régions) : hôpitaux, cliniques, petites maternités, cliniques "ouvertes" (permettant à des sages-femmes libérales de venir avec les femmes qu'elles ont suivies pendant leur grossesse), petites maisons de naissance (telles celle de Sarlat en Dordogne), domicile avec possibilité d'accueil dans une structure hospitalière
Accepter l'imprévu
Mais on aura beau s'être informée, avoir tout préparé, tout prévu, tout programmé, il est possible que l'accouchement réel vienne tout bousculer, et que l'on ne contrôle plus rien. Ce n'est pas obligatoirement un mal, si l'on pense que pour que l'enfant naisse, il faut aussi savoir làcher prise, accepter de perdre le contrôle (11) d'une certaine manière (ne serait-ce que le contrôle de ses sphincters...), et laisser son propre corps devenir, avec la violence que cela implique, le passage glorieux du bébé.
Alors, vraiment, on aura mis au monde.
Claude Didierjean-Jouveau
(1) J'emploie l'expression communément utilisée bien qu'il ne s'agisse évidemment pas d'une "méthode" se réduisant à un certain nombre de "recettes" (silence, obscurité, bain) : pas une façon de faire, mais une façon d'être.
(2) Quoiqu'il y aurait beaucoup à dire sur ses risques (qu'on pense par exemple au danger d'une rupture utérine chez une femme qui n'a plus de sensations), ses "ratages" (les femmes insensibilisées à moitié), ses effets possibles sur le nouveau-né.
(3) Quand il n'est pas carrément nuisible. Voir sur ce sujet les livres de Michel Odent et celui de F.E. Morin.
(4) A ce point "détachée" que dans certains endroits, on a installé des postes de télévision dans les salles d'accouchement...
(5) Qui n'exclue pas systématiquement le recours à la péridurale, bienvenue dans certains cas.
(6) "Donner naissance est un événement majeur dans la vie d'une femme. Une expérience positive rehausse son estime personnelle, tandis qu'une expérience négative peut laisser un goût amer; des sentiments non résolus peuvent l'habiter toute sa vie et colorer les relations qu'elle aura avec son partenaire et ses enfants" (Rahima Baldwin, consultante en périnatalité, et Terra Palmarini, sage-femme). Cité dans Une autre césarienne ? Non merci ! d'Hélène Vadeboncoeur (Ed. Québec/Amérique).
(7) Françoise Olive, sage-femme, in Dossiers de l'obstétrique, n° 182, mars 1991.
(8) Jacobson B. et al., "Obstetric pain medication and eventual adult amphetamine addiction in offspring", Acta Obstet. Gynecol. Scand. 1988 ; 67 : 677-682.
(9) Le temps, c'est important : au Burnaby General Hospital (Colombie britannique, Canada), après qu'on ait supprimé toutes les horloges dans les salles de naissance, le taux de césariennes a immédiatement chuté de 18 à 13% ! (Maternal Health News, 14, n° 2).
(10) Voir le dépliant de l'association Maternité et communication, "Comment choisir son lieu d'accouchement", qui donne une liste très complète de questions à poser.
(11) D'où, encore une fois, l'importance de bien choisir le lieu et les personnes présentes : on ne se laisse pas aller n'importe où ni avec n'importe qui...
Peut être reproduit, imprimé ou diffusé à condition de mentionner la provenance de cet article.
Clothilde, votre message me touche infiniment, cependant que, face aux mots de "courage", " challenge", "guerre", je suis interpelée.
L' expérience de la violence du fait de donner la vie, peut apparaître après coup comme le parcours héroïque du" combattant", mais ce serait nier notre sexe que de gommer ce que cela a de spécifiquement féminin.
Nous ne combattons rien en mettant au monde ; de fait, nous cottoyons la mort et nous tremblons jusqu'aux os!! Et quand l'enfant nous vient , ce n'est pas par nos seules volontés personnelles : C'est par un profond assentiment à ce que j'appellerais" l'ordre des choses" , ce qu'aucune de nous ne peut prétendre maîtriser!
Nous le savons toutes.
Il me semble que tous ces mots tellement virils pour parler de notre expérience de femmes, ne nous viennent que parce-que le langage lui-même est patriarcal, comme le sont nos maternités.
Ce sont le plus souvent des hommes qui nous accouchent, en tout cas des passionnés de technique et de maîtrise! Eux combattent, eux s'en vont en guerre contre les dangers dont nous menace La Nature.
Je reviendrais donc seulement sur le fait que, vous en arrivez à nous parlez de la pudeur ; Vain mot pour tout technicien, à la recherche de preuves évidentes! Ils leur faut toucher du doigt et visualiser comment ça marche...
Seulement voilà : Le mystère reste intact!
Inaccessible au regard, comme l'est notre sexe .
Et nous, femmes, il nous est donné de leur en révéler la puissance, et de l'incarner véritablement au moment de l'accouchement .
Ce qui les horrifie, à mon sens, c'est d'abord leur propre impuissance devant des forces naturelles incoercibles, mais aussi et peut-être surtout, notre complicité, notre assentiment, notre abandon ( le fameux "lacher-prise des sages femmes..) devant ces forces qu'ils essaient ( heureusement en un certain sens) de combattre.
Mais est-ce qu'accoucher, c'est tenter de mettre la science et tous les heureux progrès qu'elle a permis à l'humanité en échec? Et par là même tous les détenteurs d'un savoir scientifique?
Aucune femme ne le croit...
Chacun son sexe...
Cet article est intéressant.
Il amène l'idée que celles qui choisissent un accouchement "naturel" ne sont pas que des cinglées. C'est rassurant, non?
J'ai accouché à la maternité sans péridurale. Pour le challenge, en toute franchise. Je garde un souvenir exceptionnel de cette étape de vie où je me suis découvert une force physique et mentale exceptionnelle.
Le même sentiment qu'une guerrière qui est en train de libérer un peuple entier!
Je soulèverais la question de la pudeur dans le choix de la péridurale.
Est-ce qu'on veut garder sa bienséance, son comportement social (et non animal, car en plein accouchement on est un petit animal...) au yeux de son mari, de l'équipe et de soi-même? Eviter la douleur physique est une manière de mettre un voile sur son instinct animal? La douleur est-elle l'alibi de la gêne de son comportement naturel de mammifère?
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