Dr Julie HAMDAN, médecin généraliste, animatrice LLL France, DIULHAM, IBCLC, janvier 2021.
Définition
L'hypoglycémie correspond à un taux de glucose (sucre) dans le sang trop faible.
Le chiffre en-deçà duquel la glycémie sera considérée trop basse n'est pas fixe et dépend de la situation dans laquelle on se trouve : adulte, nouveau-né, personne souffrant d'un diabète ou non...
En effet, les études n’ont pas mis en évidence de corrélation entre un chiffre de glycémie particulier et des signes cliniques d’hypoglycémie ou des séquelles neuro-développementales. Une hypoglycémie significative (c’est-à-dire qui nécessitera un traitement) ne peut pas être définie par un chiffre unique qui serait utilisé universellement chez tous les patients.
Évolution de la glycémie chez le nouveau-né
Au moment de la naissance, le passage de la vie intra-utérine à la vie extra-utérine met en jeu de nombreux mécanismes adaptatifs ; le métabolisme énergétique ne fait pas exception à la règle. En effet, dans les premières heures qui suivent la naissance, la glycémie (taux de glucose dans le sang) va progressivement baisser, car le nouveau-né n'est plus alimenté en continu par le cordon ombilical. Le colostrum, bien que concentré en facteurs immunologiques et en calories, est produit en toutes petites quantités et apporte donc de faibles apports énergétiques au nouveau-né jusqu'à la montée de lait. Pourtant, le bébé n'en pâtira pas puisqu'il est tout à fait équipé pour faire face à ce temps de transition : il sait à la fois puiser dans ses réserves (glycogène – stocké dans le foie – et tissu graisseux) pour fabriquer lui-même du glucose, et utiliser d'autres substrats que le glucose pour produire de l'énergie (lactates, corps cétoniques).
En conséquence, une hypoglycémie transitoire asymptomatique chez le nouveau-né est un phénomène physiologique, qui survient d'ailleurs chez quasiment tous les mammifères. La glycémie va donc baisser jusqu'à un nadir (taux le plus bas) entre une et deux heures de vie, nadir qui peut atteindre 0,30 g/L soit 1,7 mmol/L, et même parfois encore moins. Le taux de glucose va ensuite progressivement remonter durant les quatre premiers jours de vie, même en l'absence d’alimentation, pour se stabiliser ensuite. Durant les premiers jours de vie du nouveau-né, des glycémies basses sont donc fréquentes, et cela, surtout s’il est allaité. En effet, le nouveau-né utilise alors mieux les corps cétoniques pour fabriquer de l'énergie qu’un nourrisson recevant du lait artificiel. Suivre en routine la glycémie de tous les enfants nés à terme, en bonne santé et d’un poids normal est donc inutile, et potentiellement néfaste pour le bien-être parental comme pour le bon démarrage de l’allaitement.
Facteurs de risque de l'hypoglycémie
Certaines situations sont plus à risque d'hypoglycémie et conduisent la plupart du temps les professionnels qui suivent le nouveau-né à surveiller sa glycémie plus étroitement :
- réserves énergétiques insuffisantes : prématurité (c’est-à-dire naissance avant 37 semaines d’aménorrhée ou SA), retard de croissance intra-utérin (entre autres, poids de naissance inférieur au 3ème percentile) ;
- augmentation des besoins énergétiques : par exemple complication à la naissance telle que détresse respiratoire, hypothermie persistante, mauvaise adaptation à la vie extra-utérine, infection du nourrisson ;
- facteurs métaboliques : diabète maternel mal contrôlé et/ou insulinodépendant, macrosomie (c’est-à-dire poids de naissance supérieur au 97ème percentile), certains traitements médicamenteux chez la mère tels que corticoïdes ou bêtabloquants, certaines malformations ou pathologies chez le bébé.
Âge gestationnel en SA Retard de croissance intra-utérin en grammes Macrosomie en grammes
36 < 1890 > 3290
37 < 2120 > 3610
38 < 2330 > 3930
39 < 2500 > 4220
40 < 2560 > 4400
41 < 2600 > 4500
Courbes de Usher et McLean 1969
NB : les chiffres présentés ci-dessus sont indicatifs, les protocoles pouvant varier d’une maternité à l’autre. Certains pays considèrent macrosomes des enfants nés au-dessus du 90ème percentile, la France, les enfants nés au-dessus du 97ème percentile, etc.
Le diabète gestationnel, sous régime seul, bien équilibré, n’est pas une raison suffisante pour surveiller la glycémie du nouveau-né si celui-ci n’est pas né macrosome.
Prévention de l’hypoglycémie
Il est possible d’éviter certaines hypoglycémies, notamment en favorisant le peau-à-peau le plus fréquemment possible. Cela permet au nouveau-né de stabiliser au mieux sa température et prévient donc l’hypothermie (cause fréquente des hypoglycémies néonatales). En diminuant les pleurs, cela lui permet aussi d’économiser son énergie.
Un nouveau-né qui tète précocement après la naissance, dès la première heure, aura également moins de risque de présenter une hypoglycémie. On retrouve ensuite le "b-a-ba de l’allaitement" : favoriser la proximité entre la mère et son bébé, proposer le sein au moindre signe d’éveil, poursuivre des temps fréquents de peau-à-peau pour atteindre au minimum 8 à 12 tétées par 24 heures. Si le bébé ne tète pas efficacement, on pourra utiliser l’expression manuelle pour exprimer du colostrum qui pourra lui être proposé dès qu’il s’éveille, par exemple au moyen d’un DAL (Dispositif d’Aide à la Lactation) au sein ou au doigt, d’une petite cuillère...
La supplémentation en routine des enfants nés à terme et en bonne santé́ avec de l’eau, de l’eau sucrée ou une préparation pour nourrisson est inutile, et peut interférer avec le bon démarrage de l’allaitement.
Dépistage et traitement de l’hypoglycémie
Chaque maternité suit un protocole qui lui est propre. Nous nous basons ici sur le protocole de la maternité du Centre Hospitalier Francis Robert à Ancenis, en Loire-Atlantique (44), maternité de niveau 1 labellisée IHAB depuis 2009, protocole lui-même basé sur les recommandations établies par le Réseau Sécurité Naissance des Pays de la Loire.
La glycémie capillaire (ou "dextro") est obtenue au moyen d’une piqûre au talon du nourrisson pour obtenir une goutte de sang. C’est la mesure habituellement utilisée pour faire le diagnostic et décider d’une éventuelle prise en charge d’une hypoglycémie. La glycémie capillaire sous-estime la glycémie veineuse, c’est-à-dire que le chiffre du dextro est habituellement un peu plus bas que le chiffre de glycémie qui aurait été obtenu au moyen d’une prise de sang.
Comme expliqué plus haut, il n’y a pas d’indication médicale à réaliser un dextro chez tous les nourrissons nés à terme et en bonne santé. Il peut être fait :
- dès l’apparition de signes cliniques pouvant faire évoquer une hypoglycémie : hypothermie persistante, hypotonie, cyanose, apnée, convulsions ;
- en cas de complication liée à la naissance (infection, prématurité, détresse respiratoire, etc.) : dès 30 minutes de vie ;
- en cas de facteurs de risques autres (diabète maternel non contrôlé, macrosomie, etc.) : avant la deuxième tétée ou au maximum à 3 heures de vie.
Ensuite, le dextro est habituellement contrôlé avant chaque tétée, puis avant une tétée sur deux, et la surveillance s’arrête dès que plusieurs dextros "pré-tétée" successifs sont satisfaisants. Un objectif raisonnable, bien qu’arbitraire, peut être d’atteindre ou dépasser 0,45 g/L soit 2,5 mmol/L. Si le personnel soignant n’est pas disponible pour rechercher la glycémie et que l’enfant ne présente pas de signe clinique d’hypoglycémie, les tétées ne devraient jamais être retardées inutilement juste parce qu’on veut attendre la personne qui fera le prélèvement.
Pendant les premières 24 heures :
- si les dextros sont limites (entre 0,30 et 0,35 g/L, soit 1,7 à 2,0 mmol/L), il est possible de proposer au bébé du colostrum exprimé en plus de la tétée, et de recontrôler la glycémie une heure plus tard. Si la maman ne parvient pas à exprimer de colostrum en quantité suffisante (habituellement une ou deux petites cuillères), il sera proposé au nouveau-né un complément de préparation pour nourrisson. Bien sûr, la maman peut continuer à faire du peau-à-peau le plus souvent possible, ce qui limitera le risque d’hypothermie, et à proposer le sein le plus fréquemment possible ;
- si les premiers dextros sont très bas (sous 0,30 g/L soit 1,7 mmol/L), il sera habituellement proposé d’enrichir en sucre le colostrum exprimé, tout en poursuivant bien sûr les tétées au sein et la surveillance des dextros. Le sucre (dextrine-maltose) sera mélangé à un volume de colostrum suffisant (ou à un complément de préparation pour nourrisson si le volume de colostrum recueilli n’est pas suffisant). La supplémentation en sucre est toujours associée au colostrum exprimé, car l’eau sucrée seule ne contient ni graisses ni protéines et représente un faible apport énergétique. Elle permet de faire remonter rapidement la glycémie, mais pas de la maintenir dans la durée à un niveau satisfaisant. Certaines maternités prévoient d’ailleurs dans leur protocole d’utiliser non pas du sucre, mais des acides gras à chaînes moyennes pour traiter l’hypoglycémie ;
- quand le nourrisson est symptomatique ou que la glycémie est effondrée (sous 0,25 g/L soit 1,5 mmol/L), une perfusion de sérum glucosé sera habituellement nécessaire, ainsi qu’une surveillance pédiatrique.
Après 24 heures de vie, les glycémies sont un peu plus hautes, les seuils retenus pour parler d’hypoglycémie seront donc un peu plus élevés (compléments de colostrum + sucre habituellement proposés en-dessous de 0,45 g/L soit 2,5 mmol/L).
Les compléments de colostrum s’entendent ici pour un nourrisson capable de s’alimenter par voie orale. Dans les cas où cela n’est pas possible et s’il y a une indication à traiter l’hypoglycémie du bébé, une alimentation par sonde naso-gastrique peut être envisagée par l’équipe médicale.
Recueil du colostrum avant la naissance
De plus en plus de mamans s’interrogent, et interrogent leur professionnel de santé sur l’intérêt d’exprimer leur lait, en l’occurrence leur colostrum, avant la naissance, pour commencer à faire un peu de stock. Cela peut avoir plusieurs intérêts :
- nourrir le bébé en cas de séparation d’avec sa mère : césarienne, anesthésie générale, problème de santé chez le bébé qui impose une prise en charge spécialisée dès la naissance, etc. ;
- compléter le bébé en cas d’hypoglycémie avérée : voir tous les facteurs de risque d’hypoglycémie mentionnés plus haut ;
- favoriser le démarrage de l’allaitement : certaines données suggèrent que la montée de lait pourrait être un peu plus précoce chez les mamans qui ont recueilli leur colostrum avant la naissance, ce qui peut être intéressant dans des contextes où la montée de lait peut justement être plus tardive, par exemple en cas de diabète maternel.
Les futures mamans sont donc amenées à se poser la question de recueillir leur colostrum en fin de grossesse si elles savent qu’elles risquent d’être séparées de leur bébé et/ou qu’il y aura une surveillance des glycémies après la naissance : par exemple les mamans présentant un diabète insulinodépendant ou difficile à équilibrer, les mamans qui attendent des jumeaux, ou celles pour qui une césarienne ou un déclenchement a été programmé.
Il n’y a, a priori, pas de contre-indication à exprimer son colostrum en fin de grossesse, sauf en cas de menace d’accouchement prématuré, quand la future maman est strictement alitée. En effet, certains estiment que cela peut provoquer un accouchement plus précoce, car la stimulation des mamelons provoque des contractions utérines. Il semble raisonnable de ne pas démarrer trop tôt dans la grossesse. Un essai randomisé contrôlé de 2017 n’a pas mis en évidence de risque particulier dans un groupe de 319 femmes enceintes diabétiques qui ont exprimé leur colostrum deux fois par jour à partir de 36 SA, par rapport au groupe de 316 femmes qui ne l’ont pas fait. Dans tous les cas, la maman peut rester à l’écoute de son corps, et ralentir le rythme des expressions de colostrum si celles-ci provoquent trop de contractions ou la fatiguent trop.
Comment recueillir le colostrum ?
Certaines mamans seront plus à l’aise en utilisant l’expression manuelle, d’autres avec un tire-lait manuel ou électrique. On pourra néanmoins garder à l’esprit que les quantités recueillies sont en général très petites, par conséquent l’expression manuelle est souvent la méthode qui permet d’optimiser au maximum la quantité recueillie (sans perte sur les parois de la téterelle ou/et du flacon). Les règles habituelles pour le recueil et la conservation du lait maternel s’appliquent, à la différence que les volumes recueillis seront plus petits, et donc les contenants de ce précieux liquide pourront être adaptés en conséquence, afin d’éviter les pertes !
Parfois, le colostrum ne coule que goutte à goutte, parfois il est possible d’en recueillir de plus grands volumes. Chaque femme est différente.
Il est ensuite possible de congeler ce colostrum, par exemple dans des seringues stériles (sans aiguille !), ou d’autres petits contenants, en attendant la naissance. On veillera à noter la date et l’heure du recueil, ainsi que le nom de la maman, dans l’hypothèse où le colostrum serait plus tard apporté à la maternité.
Quand proposer le colostrum recueilli avant la naissance ?
En France, en 2021, très peu de maternités ont actuellement un protocole qui prévoit le cas de figure où la maman apporte son colostrum tiré en fin de grossesse. Mais beaucoup d’établissements commencent à y réfléchir et souhaitent l’intégrer dans leurs pratiques, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays, en Allemagne par exemple. Si la situation fait pressentir un possible besoin de compléments de colostrum pendant le séjour à la maternité (voir ci-dessus), la maman peut discuter de cette possibilité avec les professionnels qui la suivent et qui suivront le bébé après la naissance. La discussion visera surtout à réfléchir au transport et au stockage du colostrum afin de ne pas rompre la chaîne du froid et d’éviter toute perte. Si cela n’est pas du tout envisageable, la maman peut aussi demander le nécessaire pour exprimer manuellement son colostrum en salle de naissance.
S’il y a effectivement besoin de compléter le bébé, il sera préférable de proposer d’abord du colostrum fraîchement exprimé, si c’est possible. Les propriétés du colostrum frais seront meilleures que celles du colostrum décongelé, et de plus, cela contribuera à la mise en route de la lactation ! Le colostrum anténatal décongelé pourra être proposé en seconde intention, car il reste bien plus adapté au nourrisson qu’une préparation pour nourrisson.
Comment administrer le complément de colostrum ?
Il est habituellement préférable d’administrer les compléments d’une manière qui interférera le moins possible avec la succion du nouveau-né. Pour cela, le DAL (Dispositif d’Aide à la Lactation) au sein est habituellement l’idéal, car le bébé reçoit le complément tout en tétant au sein. Cependant, quand les volumes sont très petits, de l’ordre d’une ou deux petites cuillères, il peut être plus simple de donner le colostrum à la cuillère. D’autres dispositifs sont parfois utilisés (DAL au doigt…).
Bibliographie
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- Réseau Sécurité Naissance – Naître ensemble des Pays de Loire. Prise en charge de l’hypoglycémie du nouveau-né en maternité. Consulté le 27/01/2021 sur https://www.reseau-naissance.fr/medias/2020/01/PEC-nne-hypoglyce-sans-courbes.pdf
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