Professeur Peter Hartmann. Département de Sciences Biomédicales, Biomoléculaires et Chimiques, M310. Université d’Australie Occidentale, Perth, Australie Occidentale.
35 Stirling Highway, Crawley WA 6009 Australia
Pour se reproduire, les animaux doivent non seulement donner naissance à une nouvelle génération, mais ils doivent également trouver le moyen de nourrir correctement leurs petits. Chaque espèce a développé des stratégies pour ce faire. Les mammifères se caractérisent par la sécrétion, par des glandes spéciales, d’un liquide destiné à nourrir les petits de l’espèce après leur naissance. L’utilisation de ce terme pour classer une espèce est inhabituelle, dans la mesure où il caractérise une fonction qui n’existe que chez les femelles. Il existe actuellement plus de 4 000 espèces de mammifères, vivant sur les 5 continents et dans les mers. Pond attribue la diversité de cet habitat à l’avantage que constitue la lactation : la mère produit elle-même ce qui est nécessaire pour nourrir son petit, au lieu de dépendre de l’environnement pour ce faire. L’origine évolutionnaire de cette spécificité est difficile à établir. Oftedal et Vorbach ont développé des théories innovantes sur l’apparition des glandes mammaires et le développement de la lactation.
Origine du lait : une perspective historique
L’origine du lait maternel a soulevé de nombreuses hypothèses au fil des millénaires. En Grèce antique, on avait constaté que les femmes n’avaient pas de règles pendant la grossesse et l’allaitement, et que de nombreuses femmes expérimentaient des sensations abdominales (contractions utérines) lorsqu’elles mettaient leur bébé au sein. Hippocrate, puis Galien, en ont conclu qu’il existait une connexion entre l’utérus et les seins, et que le sang menstruel était dérivé vers les seins pour nourrir le bébé après la naissance. Cette ancienne croyance reste encore vivace dans l’expression « la montée laiteuse ». L’anatomiste italien Gasparo Aselli (1627) estimait que le lait dérivait directement du chyle, après avoir observé la couleur de ce liquide (une émulsion lipidique provenant du système digestif, absorbé par le système lymphatique). Il en avait déduit que le chyle était amené aux seins par les vaisseaux lymphatiques. Cette théorie a été battue en brèche par les travaux d’Astley Cooper en 1840. Pourtant, von Haller avait émis dès 1778 la théorie selon laquelle le lait était fabriqué à partir de substances présentes dans le sang maternel.
Lorsque l’idée selon laquelle le lait était fabriqué par la glande mammaire à partir de composants provenant du sang maternel a été largement acceptée, le débat s’est focalisé sur les mécanismes de la production lactée. On a d’abord pensé que la glande mammaire ne faisait que filtrer le sang pour en retenir les composants nécessaires. Mais au 19ème siècle, on a constaté que le lait contenait des molécules qui n’étaient pas présentes dans le sang, et on a donc conclu que la glande mammaire synthétisait certains des composants du lait. La compréhension des mécanismes de la production lactée est ensuite restée stationnaire pendant plus d’un siècle, en raison de la conviction erronée selon laquelle le réflexe d’éjection du lait constaté pendant la stimulation du sein était la phase de synthèse active du lait, cette synthèse étant supposée très basse en dehors des périodes de stimulation. Au vu des connaissances actuelles, cela revient à dire que la phase d’activation sécrétoire survient au moins à chaque tétée. De plus, cette phase devrait être suffisamment spectaculaire pour produire 500 ml de lait en moins de 10 secondes chez la truie.
C’est en 1915 que Gaines a établi une distinction claire entre la sécrétion lactée et l’éjection du lait, la première étant probablement continue, et la seconde étant discontinue. Il a par ailleurs conclu que l’expulsion du lait était causée par une contraction musculaire qui augmentait la pression dans la glande mammaire. Il a également constaté que l’anesthésie de la mère abaissait la quantité de lait reçue par le petit, et en a déduit l’existence d’un arc réflexe impliquant le système nerveux central. En 1941, les observations d’Ely et Petersen ont permis d’affirmer le rôle de l’hypophyse postérieure dans le réflexe d’éjection. Ils ont également constaté que le stress inhibait le réflexe d’éjection. Les études histologiques de Richardson ont mis en évidence l’existence de cellules myoépithéliales autour des alvéoles mammaires. Et en 1942, Gunther a pour la première fois décrit avec exactitude la physiologie du réflexe d’éjection, et a affirmé que le réflexe d’éjection était la résultante de l’activation d’un réflexe neuro-hormonal, ce qui a été confirmé par les travaux de Newton et Newton sur le réflexe d’éjection et le rôle de l’ocytocine.
La première mention d’un engorgement de la montée de lait après la naissance a été faite par Cadogan en 1748. Toutefois, le moment de cette montée de lait variait d’une femme à l’autre, et certaines femmes réussissaient à allaiter sans avoir eu de montée de lait visible. La comparaison entre le moment où la montée de lait devient cliniquement visible et le moment où surviennent des modifications de certains marqueurs de l’activation sécrétoire (baisse du taux lacté de sodium et augmentation du taux de lactose) a permis de constater que l’activation sécrétoire précède la montée de lait. En fait, il semblerait que la montée de lait soit un phénomène d’hyperactivation de la sécrétion, cette dernière devant ensuite baisser pour s’adapter aux besoins du nourrisson.
Au contraire de ce qui est observé chez d’autres mammifères, l’activation sécrétoire survient après l’accouchement dans l’espèce humaine, et une faible quantité de colostrum (~30 ml/24 heures) est sécrétée pendant les 30-40 premières heures post-partum. Et au contraire d’autres petits mammifères, le nouveau-né humain naît avec des réserves énergétiques facilement mobilisables, qui lui permettront d’attendre la survenue d’une production lactée abondante. La graisse constitue à la naissance seulement 2 % de la masse corporelle du porcelet, mais plus de 10 % chez le nouveau-né humain. L’avantage de ce délai entre l’accouchement et l’activation sécrétoire est que cela permet au bébé d’acquérir une solide protection au niveau de ses muqueuses, grâce au taux élevé d’anticorps présents dans le faible volume de colostrum. Dans les années 1950, les spécialistes acceptaient globalement le fait que le réflexe d’éjection du lait représentait l’expulsion du lait stocké dans les seins, et non le résultat d’une synthèse accélérée du lait pendant la tétée, même si cette conception de synthèse accélérée reste encore en vigueur chez certains professionnels de santé.
Origine de la lactation : de nouvelles théories
Oftedal pose l’hypothèse d’une approche multifonctionnelle ayant amené à un développement progressif de la capacité à allaiter. Il considère que la lactation est une caractéristique des mammifères, mais qu’elle a évolué en tant que facteur en rapport avec la reproduction bien avant l’existence des mammifères. Les glandes mammaires dérivent de glandes ancestrales apocrines-like qui étaient associées aux follicules pileux. Le rôle initial de leur sécrétion semblait être de procurer un climat humide et des facteurs antimicrobiens au niveau de la coquille des œufs. Les monotrèmes (mammifères ovipares) tels que les échidnés ou l’ornithorynque pondent des œufs dont la coquille est souple et perméable, et ils excrètent du lait au niveau de glandes tubulaires simples, organisées en plaques mammo-pilo-sébacées. Par la suite, ces sécrétions sont devenues une source importante de nutrition pour les petits après leur éclosion, apportant des protéines qui remplaçaient celles de l’œuf. Cette hypothèse semble confirmée par la perte progressive de la fonction des vitellogénines, les protéines qui transportent les nutriments du jaune de l’œuf.
Vorbach s’est penché sur la synergie métabolique et moléculaire entre le système immunitaire, et la composition du lait et la régulation de la lactation. Nous savons que le lait maternel protège les bébés vis-à-vis de nombreuses maladies, et cela aussi est un indice : le lait de la mère n’est pas seulement une source de nutriments, c’est également un facteur de protection. Il semble que nombre des composants protecteurs du lait ont évolué à partir des enzymes antibactériennes sécrétées par les glandes cutanées pour protéger la peau contre certaines agressions. De ce point de vue, il est possible que la fonction primaire de la sécrétion lactée était de protéger le petit de l’espèce, l’évolution vers un produit également nutritif étant survenue par la suite. La xanthine oxydoréductase (XOR) et le lysozyme sont des enzymes qui ont d’importantes propriétés antimicrobiennes, mais elles ont également un rôle clé dans la régulation des composants nutritionnels du lait, et Vorbach et al estiment que la XOR a joué un rôle central dans le développement de la lactation. Un autre point en faveur de cette théorie est le rôle majeur du NF-kappa dans l’inflammation et dans la lactation, démontré par un certain nombre d’études (Cao, Brisken, Nishimori, Friedrichsen, Terzidou).
Durée d’allaitement et croissance du petit
Mieux comprendre comment s’est développé la capacité à allaiter est capital pour déterminer les changements environnementaux susceptible de mettre en péril la survie des plus de 4000 espèces de mammifères qui vivent sur notre planète. L’étude de la lactation chez les différents mammifères donne des éléments très importants pour percevoir l’historique du développement de la capacité de lactation, et son utilité. Les mammifères ont des schémas de lactation très variés, qui représentent une composante centrale de leur adaptation évolutive. Notre espèce a appris à domestiquer certaines espèces de mammifères pour leur lait, et à sélectionner progressivement les espèces « supérieures » de ce point de vue. Mais la femme ne peut être considérée ni comme un mammifère « sauvage », ni comme un mammifère « domestiqué », et comprendre la physiologie de la lactation dans notre espèce pose donc un certain nombre de problèmes. Nous avons choisi de comparer les diverses composantes de la lactation entre des espèces très différentes : le quokka (un petit marsupial) et la hase (2 espèces sauvages), la truie et la vache (2 espèces élevées par l’homme), et la femme.
Chez le quokka, comme chez tous les marsupiaux, la lactation peut être divisée en 4 phases. Le petit naît extrèmement immature, et il sera allaité pendant environ 300 jours ; pendant les 70 premiers jours, il reste attaché à sa mamelle en permanence ; entre 70 et 180 jours, il reste en permanence dans la poche maternelle, et tète à volonté ; entre 180 et 200 jours, il sort de plus en plus souvent de la poche, et après 200 jours il passe l’essentiel de son temps hors de la poche, mais y retourne régulièrement pour téter (Miller ; Shield ; Trott). Le petit quokka double son poids de naissance en 3 jours, et au moment du sevrage, son poids de naissance a été multiplié par 5600 (femelles) à 6700 (mâles). Par contre, le poids au moment du sevrage est seulement 4 à 6 fois plus élevé que le poids de naissance chez les lapereaux, les porcelets, les veaux et le petit humain.
Si la femelle quokka donne naissance à un seul petit à la fois, la hase a en moyenne 6 petits à chaque portée. Les petits sont très immatures, et restent dans un nid. Les petits doublent leur poids de naissance en 6 à 7 jours, ils commencent à consommer d’autres aliments au bout d’environ 3 semaines, et ils sont sevrés à 4-5 semaines (Cowie). Pendant la durée d’allaitement d’un seul petit quokka, la hase peut allaiter et sevrer 3 portées. D’un point de vue écologique, il semble que la durée de la lactation est hautement corrélée aux conditions environnementales. Le quokka vit dans un environnement désertique, et il est capital que la femelle puisse élever un petit dans des conditions où les ressources alimentaires sont très limitées pendant de longues périodes.
La truie sauvage construit un nid pour ses petits, et ils y restent environ 2 semaines. Ils sont sevrés au bout d’environ 8 semaines (Hartmann ; Smith). Le porcelet double son poids de naissance en 1 semaine, et dans les élevages on le sèvre habituellement au bout de 3 semaines, pour que la truie puisse rapidement être à nouveau fécondée. Chez la vache laitière, en revanche, la production lactée est le facteur de sélection, et le veau n’existe que pour déclencher cette production. L’objectif est d’obtenir un veau tous les ans. Le veau est déjà bien mature à la naissance, et peut se déplacer au bout de quelques minutes. Il double son poids de naissance en environ 36 jours, et si le petit reste avec sa mère, il est allaité pendant 6 à 8 mois (Coates, Grondahl).
On pourrait donc estimer que les pratiques d’allaitement en vigueur dans les tribus de cueilleurs-chasseurs représentent « la norme » pour l’espèce humaine, mais cela ne prend pas en compte le fait que chez Homo sapiens l’alimentation est également porteuse de symboles et de mythes, et qu’elle sera fortement influencée par la culture. Et cette culture a également eu un impact sur l’allaitement. Par exemple, le colostrum est considéré comme « mauvais » dans de nombreuses sociétés traditionnelles. Le bébé humain double son poids de naissance en moyenne à 15 semaines pour les garçons, et 18 semaines pour les filles, et sa croissance est beaucoup plus lente que celle des autres mammifères. La durée de l’allaitement est très variable, y compris dans les sociétés traditionnelles : jusqu’à 6 ans chez les aborigènes australiens (Thomson), mais seulement quelques mois chez les Hottentots (Wickes). On peut toutefois estimer que la durée moyenne de l’allaitement dans l’espèce humaine est de 3 à 4 ans. Normalement, le petit est sevré lorsqu’il est capable de consommer et de digérer une quantité suffisante des aliments consommés par les adultes.
La fréquence des tétées
Il existe également des différences inter-espèces sur le plan de la fréquence des tétées. L’observation des !Kung a montré que le bébé tétait très souvent, mais pendant peu de temps (Konner & Worthman). La première intervention pour modifier la fréquence des tétées a été initiée en 1748 par Cadogan (Rendle-Short), qui recommandait de restreindre cette fréquence pour abaisser le risque d’obésité. Cette restriction a été de plus en plus souvent recommandée avec le temps, et elle a joué un rôle significatif dans le déclin de l’allaitement ; une fréquence suffisante de mises au sein est nécessaire pour entretenir la production lactée (Daly). L’appétit du bébé devrait déterminer la fréquence des tétées, et la quantité de lait absorbée à chaque tétée. Ce mécanisme fonctionne très bien tant qu’on laisse l’enfant réguler lui-même ses apports, et il semble que les problèmes d’obésité qui surviennent sont liés au fait que les parents estiment savoir mieux que l’enfant ce qu’il doit consommer. Une étude de Kent et al a constaté des différences très importantes dans la fréquence quotidienne des tétées chez des bébés exclusivement allaités : de 5 à 17 tétées, 58 % des bébés étant allaités la nuit. Si les vaches laitières sont traites 2 fois par jour, le veau laissé avec sa mère tète en moyenne 5 fois par jour (Odde). Le porcelet tète toutes les 50 à 60 min, pendant 2 à 5 min (Smith). La hase allaite ses petits une fois par jour, pendant 2 à 5 min, pendant lesquelles jusqu’à 250 ml de lait seront absorbés par les petits (Zarrow). La fréquence des tétées est donc hautement variable suivant les espèces, mais elle peut également l’être entre les individus d’une même espèce. Il doit donc y avoir des mécanismes régulant la production lactée afin de l’adapter à ces variations.
Marqueurs de la différenciation sécrétoire, et de l’activation sécrétoire
La glande mammaire est une glande exocrine qui se caractérise par de longues périodes de quiescence, entrecoupées de périodes d’activité importante, qui débutent de façon assez brutale avec la lactogenèse qui survient dans les jours qui suivent l’accouchement. On sait depuis longtemps que des modifications surviennent dans la glande mammaire pendant la grossesse. Toutefois, le concept de lactogenèse en 2 stades (le premier étant la sécrétion limitée de colostrum en fin de grossesse, le second étant l’apparition d’une production lactée abondante) a été émis pour la première fois en 1973, suite à des recherches sur des espèces laitières. On a donc commencé à parler de stade I et de stade II de la lactogenèse, mais ces termes ne correspondent pas réellement à la réalité, qui est que la mise en route de la lactation constitue une cascade d’évènements. Le premier stade de la lactation se situe pendant la grossesse, lorsque les cellules épithéliales mammaires commencent à se différencier en lactocytes, qui auront la capacité de synthétiser des molécules spécifiques du lait (lactose, caséine…). Le second stade est l’apparition d’une production lactée abondante. Il serait donc nécessaire de remplacer les termes de stade I et II de la lactogenèse par « différenciation sécrétoire » et « activation sécrétoire ».
Les premières études sur le sujet ont recherché l’impact d’injections locales de prolactine. Puis on a réalisé qu’on pourrait obtenir de meilleurs résultats par le biais d’études histologiques et biochimiques. Et on a alors constaté que s’il fallait attendre l’accouchement pour voir débuter une production lactée abondante, il existait des signes cytologiques, immunologiques et biochimiques démontrant l’existence d’une différenciation sécrétoire pendant la seconde moitié de la grossesse.
Au début des années 1950, des études utilisant des traceurs isotopiques ont montré que du carbone 14 était incorporé dans les acides gras présents dans la glande mammaire de lapines gestantes. Folley et Greenbaum ont constaté que le taux de phosphatases alcalines dans la glande mammaire de rates était multiplié par 10 en fin de grossesse, ce taux restant élevé pendant la lactation, pour diminuer lors de l’involution mammaire. Pendant les années suivantes, le laboratoire de Folley a développé des techniques biochimiques d’études, qui ont permis d’importantes avancées dans nos connaissances sur la différenciation et l’activation sécrétoires. Les études in vivo de Linzell, avec transplantation d’une glande mammaire sur le cou d’une chèvre, vascularisée par anastomose, ont permis de mesurer les différences de composition entre le sang entrant et le sang sortant. Récemment, les études de l’équipe de Neville ont examiné les modifications de l’expression des gènes mammaires pendant la gestation et la lactation chez la souris ; cela concerne littéralement des milliers de gènes. Toutefois, ces études sont délicates et coûteuses.
La plupart des techniques utilisées pour étudier la lactation chez les espèces laitières et chez les animaux de laboratoire ne peuvent pas être utilisées chez la femme. Toutefois, les jonctions serrées sont relativement perméables pendant la grossesse, et le lactose (un sucre spécifique du lait) qui passe dans le sang est excrété dans les urines peut être utilisé comme marqueur indirect de la différenciation sécrétoire chez la femme. A partir de la quantité totale de lactose excrétée dans les urines sur une période de 24 heures, et du taux de lactose présent dans le colostrum, il a été possible d’estimer à ~30 ml/jour la sécrétion de colostrum. Les méthodes utilisées pour mesurer les taux des divers composants du lait de vache utilisent des volumes importants de lait, mais il a été nécessaire de mettre au point des techniques nécessitant un faible volume de lait (< 1 ml) pour les études sur le lait humain. On peut ainsi demander aux mères d’exprimer un peu de colostrum et de lait pendant la période d’activation de la sécrétion, afin de suivre l’évolution du taux des marqueurs de cette activation (taux de lactose, de citrate, de sodium, de protéines…).
Contrôle endocrine de la différenciation et de l’activation sécrétoire
En 1938, Folley et Young ont montré que la prolactine seule ne permettait pas d’induire une sécrétion lactée chez des animaux dont ont avait supprimé l’hypophyse. La prolactine était efficace uniquement en présence d’autres hormones hypophysaires. Ils ont donc émis l’idée d’un complexe hormonal lactogène, et ont suggéré que le complexe hormonal nécessaire pour induire la lactation pourrait être différent de celui nécessaire pour maintenir la lactation.
Les études de l’équipe de Lyons ont apporté les fondations de nos connaissances actuelles. Elles étaient effectuées sur des souris vierges à qui on avait enlevé l’hypophyse, les ovaires, et les surrénales. Diverses combinaisons d’hormones leur étaient ensuite injectées afin d’évaluer leur impact sur le développement de la glande mammaire. Ces études ont démontré que l’œstrogène, l’hormone de croissance et la déoxycorticostérone stimulaient la croissance ductale. Si on ajoutait de la progestérone et de la prolactine, on obtenait une croissance lobulo-alvéolaire, et la suppression de l’hormone de croissance, de l’œstrogène et de la progestérone déclenchait la production lactée. In vitro, on a fait des constatations similaires, sauf que dans ce cas il était nécessaire de rajouter de l’insuline pour obtenir le développement lobulo-alvéolaire.
La présence de prolactine chez les animaux a été démontrée dans les années 1950 et 1960. Toutefois, on estimait que la prolactine n’existait pas dans l’espèce humaine, parce qu’on n’arrivait pas à l’isoler à partir de l’hypophyse, et parce que l’hormone de croissance humaine avait une activité prolactine-like. Toutefois, Pasteels avait déjà conclu que la prolactine humaine était distincte de l’hormone de croissance. Il a fallu près de 10 ans pour que Bryant et Greenwood confirment l’existence de la prolactine grâce à une technique de radio-immunologie.
Dans toutes les espèces étudiées jusqu’à ce jour, l’œstrogène, la progestérone et la prolactine sont nécessaires pour la différenciation sécrétoire, ainsi que d’autres hormones (hormone de croissance, glucocorticoïdes et insuline). Les études chez les femmes ont montré une augmentation nette du taux urinaire de lactose à environ 20 semaines de grossesse, même s’il existait d’importantes variations entre les femmes. Cette augmentation du taux urinaire de lactose était corrélée à une augmentation du taux sanguin de prolactine, mais pas au taux d’œstrogène, de progestérone, ou d’hormone lactogène placentaire. Il est donc possible que l’augmentation du taux de prolactine soit responsable de la différenciation sécrétoire chez la femme.
La baisse du taux d’œstrogène en post-partum semble être le principal facteur déclenchant de l’activation sécrétoire : des doses pharmacologiques d’œstrogène inhibent la synthèse du lait, et on a même recommandé à une époque l’utilisation de diéthylstilbestrol pour supprimer la montée de lait. On sait maintenant toutefois, grâce aux études de Kuhn en 1969, que la chute du taux de progestérone est le principal facteur déclenchant chez les rates. Si cette chute survient juste avant la parturition chez de nombreux mammifères, elle ne survient qu’après la sortie du placenta chez la femme, et l’activation sécrétoire est donc retardée. Par ailleurs, Neifert et al ont constaté que cette activation était inhibée chez les femmes qui présentaient une rétention placentaire, et que l’élimination des fragments placentaires déclenchait cette activation. Or, la présence du fœtus est nécessaire pour que le placenta sécrète de l’œstrogène, mais pas pour la sécrétion de progestérone, ce qui confirme le rôle de la chute du taux de progestérone dans l’activation sécrétoire.
L’administration de bromocriptine (qui inhibe la sécrétion de prolactine) inhibe l’activation sécrétoire chez la femme, et l’administration de produits qui augmentent le taux de prolactine (comme la dompéridone) augmente la production lactée. On peut donc penser que la prolactine est nécessaire à l’activation sécrétoire. Au contraire de la différenciation sécrétoire, l’activation sécrétoire doit être étroitement couplée avec la naissance, afin de pouvoir nourrir le bébé lorsqu’il sera né. Nous avons vu plus haut que, au contraire de ce qui est observé chez d’autres mammifères, une faible quantité de colostrum (~30 ml/24 heures) est sécrétée pendant les 30-40 premières heures post-partum.
Les études sur des animaux vierges et ovariectomisés ont montré qu’il était possible d’induire une lactation simplement en stimulant les glandes mammaires par la traite régulière, à partir du moment où l’hypophyse était fonctionnelle (Cowie). On a également constaté que des femmes arrivaient à allaiter un bébé adopté (Brown) en stimulant leurs seins (succion du bébé ou expression du lait). La grossesse n’est donc pas un pré-requis pour le démarrage d’une lactation. Ces faits doivent nous rappeler que nous sommes encore loin de comprendre tous les mécanismes physiologiques et biochimies impliqués dans le fonctionnement de la glande mammaire.
Succion et réflexe d’éjection du lait
Le réflexe d’éjection du lait un réflexe neuro-hormonal qui induit la sécrétion d’ocytocine par l’hypophyse postérieure, cette dernière provoquant (entre autres) la contraction des cellules myoépithéliales qui entourent les ascini mammaires, et donc l’éjection du lait. Ce réflexe est présent chez tous les mammifères. L’ocytocine est même l’une des hormones les plus répandues dans le monde animal, et on trouve des formes très proches d’ocytocine chez les reptiles, les poissons, les oiseaux et les mammifères (Argiolas & Gessa). Chez les femmes, les truies, les hases et les quokkas, le petit obtiendra très peu de lait en l’absence du réflexe d’éjection, alors que le pis de la vache contient des citernes qui stockent du lait facilement disponible. Le rôle majeur de l’ocytocine dans l’éjection du lait a été démontré à la fois par l’observation du comportement du petit au sein (modification de la succion), et par des études en laboratoire. Le fait que le réflexe d’éjection est nécessaire au succès de l’allaitement permet de penser que son apparition a joué un rôle central dans le développement fonctionnel de la glande mammaire.
Quel que soit leur degré d’immaturité, les petits de tous les mammifères sont capables de téter très rapidement après leur naissance. Cette capacité est particulièrement remarquable lorsqu’on constate le degré majeur d’immaturité du petit quokka (environ celle d’un embryon humain de 10 semaines). Si au départ la sécrétion lactée avait pour objectif de fournir aux œufs un environnement favorable (hypothèse d’Oftedal), et que le lait était produit par des glandes au niveau de la peau du ventre, et gouttait le long des poils, le fait qu’elle se soit peu à peu centralisée au niveau de glandes bien dissociées et pourvues d’un mamelon rendait la sécrétion lactée inefficace pour l’hydratation des œufs. Oftedal estime que cela peut avoir encouragé l’évolution vers la viviparité, tandis que la composition du lait évoluait pour s’adapter aux besoins du petit après la naissance. La seule exception reste celle des monotrèmes australiens, comme le platypus, dont la femelle sécrète toujours du lait au niveau de plaques mammo-pilo-sébacées, le petit léchant ce lait qui coule le long des poils.
Une succion efficace est indispensable à la survie du petit. Elle a été étudié chez diverses espèces, selon des méthodes variées (German & Crompton), mais les rôles respectifs de la succion et de la compression restent discutés. La succion au sein ou sur une tétine a été étudiée chez le bébé humain et chez de jeunes animaux. Les modalités des premières études étaient assez artificielles, et les procédés mis en œuvre pouvaient donc interférer avec la succion normale. Récemment, Geddes et al ont évalué la succion au sein par échographie, selon une méthode permettant d’obtenir de meilleures images des structures orales du bébé, du mamelon, des canaux lactifères, et du flot de lait. Les auteurs ont constaté l’existence d’une dépression intra-buccale de base, qui fait que l’enfant reste au sein même s’il fait une pause. Lorsque le bébé tète activement, la langue s’abaisse, la dépression augmente, le lait coule au niveau du palais mou, et il est dirigé vers le pharynx. Les auteurs n’ont pas observé de mouvement péristaltique de la langue, et ils concluaient que la dépression semblait jouer un rôle majeur dans la sortie du lait.
La complémentarité morphologique entre les structures orales du bébé et le mamelon maternel est également un point intéressant. Les glandes mammaires de la plupart des mammifères ont un mamelon proéminent que le petit prend en bouche pour téter, et tous les mammifères ont des structures faciales communes. Il semble que l’apparition de glandes mammaires nanties de mamelons ait coïncidé avec le développement de l’aspect nutritionnel de la lactation. Même un petit aussi immature à la naissance que le quokka est capable de se déplacer vers le mamelon maternel et de le prendre (Cannon), une compétence innée des petits mammifères, constatée également chez le nouveau-né humain (Widstrom).
La sécrétion lactée
Diamond a confirmé la théorie d’Aristote selon laquelle le nombre de mamelles est étroitement corrélé au nombre de petits par portée, la majorité des femelles mammifères ont 2 fois plus de mamelles que le nombre moyen de petits par portée. Cela permet de penser que la mère a la capacité de produire nettement plus de lait que nécessaire pour nourrir ses petits. On a en effet constaté que des femmes pouvaient allaiter plusieurs enfants en même temps (Saint). Dewey & Lonnerdal ont constaté que le fait de tirer le lait en plus des tétées augmentait la production lactée, et que lorsque la mère cessait de tirer son lait, le bébé ne consommait pas plus de lait qu’auparavant même si davantage de lait était disponible. On a longtemps pensé que la production lactée était fonction de la nutrition maternelle, parce qu’on a constaté que c’était le cas chez les vaches laitières et les truies, ainsi que chez certains animaux de laboratoire. Mais une étude a constaté que des mères gambiennes malnutries produisaient autant de lait que des mères anglaises bien nourries (Prentice), et on sait maintenant que la lactation chez la femme est peu affectée par le statut nutritionnel maternel.
Pendant les 60 dernières années, nous avons fait d’énormes progrès dans notre compréhension de la synthèse et de la sécrétion du lait humain. La complexité de la composition du lait est absolument remarquable, et adaptée au petit de chaque espèce. Il contient des composants nutritifs de base (protéines, lipides et glucides) sous une forme particulièrement digeste, ainsi que de nombreux minéraux, éléments trace et vitamines nécessaires à la croissance du petit, afin de couvrir absolument tous ses besoins nutritionnels. Il apporte en outre des composants immunocompétents, et de nombreux facteurs bioactifs (facteurs de croissance, hormones, enzymes…). Le lait humain contient environ 130 oligosaccharides différents, et le lait de vache contient plus de 600 acides gras différents. Même s’il existe d’importantes différences entre les laits de diverses espèces, certains composants sont retrouvés dans le lait de la plupart des mammifères.
Les composants prélevés dans le sang passent dans le lait par voie trans-cellulaire ou paracellulaire. Neville et al ont subdivisé la voie trans-cellulaire en 4 mécanismes : exocytose à partir de l’appareil de Golgi (certaines protéines spécifiques au lait, lactose, oligosaccharides, citrate, calcium, phosphate) ; sécrétion de globules lipidiques (triacylglycérols, protéines des globules lipidiques, vitamines liposolubles) ; sécrétion des ions, du glucose, du calcium, de l’eau à travers la membrane apicale ; et la pinocytose des immunoglobulines, et probablement de diverses hormones. Le passage paracellulaire permet la diffusion limitée de certains composants sanguins (leucocytes, sodium, protéines plasmatiques). Le passage paracellulaire est relativement facile pendant la grossesse et en cas de mastite, mais il l’est très peu pendant le cours normal de la lactation.
Si la composition du lait varie de façon importante chez les marsupiaux, elle change relativement peu une fois la lactation installée chez la plupart des mammifères euthériens. Le taux de protéines varie considérablement suivant les espèces : 9g/l chez la femme, contre 32 g/l chez la vache, et 60 g/l en milieu de lactation chez la femelle quokka (Jensen). Le principal glucide du lait de la plupart des mammifères est le lactose, dont le taux est là aussi très variable : traces dans le lait de l’otarie à fourrure, plus de 80 g/l chez certains primates. Par ailleurs, le lait de certaines espèces contient un taux élevé d’oligosaccharides (en moyenne 13 g/l chez la femme - Coppa). Dans de nombreuses espèces, le taux lacté de lipides augmente au fur et à mesure que la glande mammaire est drainée, ce qui rend difficile la détermination du taux moyen de lipides. Toutefois, on estime que ce taux va de moins de 10 g/l chez certains primates, à plus de 500 g/l chez certains phoques.
80 à 90 % des protéines lactées sont synthétisées par la glande mammaire au niveau du réticulum endoplasmique. D’autres, comme l’albumine ou les IgAs passent du sang au lait par endocytose. Les protéines peuvent être divisées en 2 grands groupes : les caséines, et les protéines du petit lait. Si 80 % des protéines du lait de vache sont de la caséine, c’est le cas de seulement 17 % des protéines du lait humain, le taux le plus bas parmi tous les mammifères (Lonnerdal). La kappa-caséine a un rôle essentiel pour stabiliser les autres fractions de caséine dans la suspension colloïdale que constituent les micelles de caséine. Ces dernières contiennent également un taux élevé de phosphate de calcium. On peut estimer que l’évolution du gène de la kappa-caséine a permis la formation de micelles de caséine et la sécrétion de quantité significatives de protéines nutritionnelles, permettant d’apporter au petit suffisamment d’acides aminés, de phosphate et de calcium. Les micelles sont dénaturées dans l’estomac. La caséine du lait de vache forme de gros caillots fermes, dont la digestion lente permettra un apport prolongé de nutriments entre les tétées qui sont espacées. En revanche, la caséine du lait humain forme des caillots fins, dont la digestion est facile et rapide, ce qui est adapté à un mammifère devant téter fréquemment. L’alpha-lactalbumine est une protéine spécifique aux mammifères, dérivée du lysozyme (Hayssen). C’est la principale protéine du lait humain. La bêta-lactoglobuline est la principale protéine lactée chez la vache, la truie et les marsupiaux, alors qu’elle est absente chez la femme et la hase.
Le lactose est le principal sucre lacté chez la femme, la truie, la vache et la hase, et il régule la phase aqueuse du lait par son impact osmotique au niveau de l’appareil de Golgi où il est synthétisé. Chez de nombreux mammifères, le démarrage de la lactation est associé à une augmentation de la synthèse de lactose, corrélée à une augmentation du volume de lait. La presque totalité des lipides lactés est sous forme de globules lipidiques. Le lait humain contient plus de 200 acides gras différents, mais seulement 7 % sont présents à un taux supérieur à 1 % du taux total des acides gras. La composition exacte des triglycérides lactés est le plus souvent spécifique à chaque espèce (Martin, Beckienridge). L’acide palmitique est plus facilement absorbé par le bébé sous forme de monoglycéride que sous forme d’acide gras libre (Innis). Dans le lait humain, l’acide palmitique est préférentiellement estérifié en position sn-2 par les lipases pancréatiques, ce qui lui permettra, après hydrolyse des 2 autres acides gras portés par le triglycéride, de se retrouver sous forme de monoglycéride au niveau de l’intestin du bébé.
Un liquide multifonctionnel
Fabriquer du lait est coûteux en énergie pour la mère. Or, la nature recherche toujours l’économie. On peut donc penser que la capacité à allaiter présentait des avantages majeurs pour les mammifères, amplement suffisants pour justifier la dépense énergétique chez la mère. Une souris excrète dans son lait une quantité de lipides équivalente à son poids pendant l’allaitement d’une portée. Même chez la femme, alors que la croissance du petit humain est particulièrement lente, la lactation représente environ 30 % du métabolisme basal. La lactation est capitale pour la survie des petits mammifères, et la possibilité, pour la mère, de fournir à son petit une alimentation optimale en quantité comme en qualité, y compris dans des circonstances défavorables, est indiscutablement un avantage important.
Les nouveau-nés des mammifères ont un système immunitaire immature, et le lait de leur mère est également conçu pour compenser cette immaturité. Il existe un transfert placentaire d’anticorps maternel chez la femme et la hase, mais pas chez la truie, la vache, ou le quokka (Brambell, Yadav). L’essentiel des immunoglobulines que recevront le porcelet et le veau leur sont transférés via le colostrum pendant les 2 premiers jours de vie, alors que ce transfert se poursuivra jusqu’à 170-220 jours post-partum chez le quokka. Si les IgG sont les principales immunoglobulines dans le colostrum de vache et de truie, ce sont les IgA sécrétoires dans le colostrum et le lait de femme. On peut estimer qu’un bébé de 4 mois exclusivement allaité reçoit environ 75 mg d’IgAs par kg et par jour, alors qu’un adulte fabrique en moyenne 40 mg d’IgAs par kg et par jour (Hanson). Le lait humain contient de très nombreux composants qui ont une activité immunocompétente, agissant selon des mécanismes variés et synergiques ; certains d’entre eux ont également une action anti-inflammatoire, ou sont des prébiotiques. Ce sytème de défense protège également la glande mammaire : sauf chez les vaches laitières et chez les femmes occidentales, les infection de la glande mammaire allaitante sont exceptionnelles, y compris chez les truie dans les élevages intensifs.
L’immaturité immunologique pourrait s’être développée parce que le petit est protégé contre de nombreux germes pendant la vie intra-utérine, et pour éviter les réactions immunologiques maternelles vis-à-vis du tissu étranger que constitue le fœtus (Goldman). À la naissance, la proximité de l’anus favoriset la colonisation du nouveau-né par la flore intestinale maternelle, et le lait apportera ensuite des éléments qui favoriseront la prolifération de cette flore commensale.
Le lait contient également des éléments qui facilitent le métabolisme du bébé. Il apporte de nombreuses enzymes (la lipase stimulée par les sels biliaires étant la plus étudiée), des hormones et des facteurs de croissance (prolactine, insuline, prostaglandines, hormone de croissance…). De nombreux composants du lait humain ont un double rôle, nutritionnel et immunitaire. La caséine du lait humain est facilement digérée en acides aminés, mais également en peptides qui transportent le calcium sous une forme facilement assimilable ; par ailleurs, certaines fractions de la caséine bloquent la fixation de certains germes pathogènes sur leur cellule cible. La lactoferrine fixe le fer et augmente sa biodisponibilité, et sa digestion libère la lactoferricine, un peptide bactéricide. Le lactose favorise l’absorption du calcium, et son hydrolyse favorise la croissance des bifidobactéries et des lactobacilles.
La quantité et la composition du lait sont globalement stables chez les mammifères, et sont peu influencées par l’alimentation maternelle. Chez les mammifères placentaires, la production lactée de la mère augmente en réponse aux besoins du petit, et la mère a la capacité physiologique de produire nettement plus de lait que ce qui est habituellement nécessaire (Janssens & Ternouth). Chez la femme, la lactation semble affectée uniquement en cas de déshydratation majeure (Morrison). Ni la malnutrition (Lonnerdal), ni les maladies courantes (Lonnerdal, Zavaleta) ne semblent avoir d’impact significatif sur la quantité ou la qualité du lait. Le taux lacté de la plupart des minéraux est plus ou moins indépendant des apports maternels. À l’exception de la vitamine B12, il en va de même des vitamines hydrosolubles. En revanche, le taux lacté des vitamines liposolubles est affecté par l’alimentation maternelle. En fait, de tous les composants du lait, les acides gras sont les plus nettement corrélés à l’alimentation maternelle, même si les variations de leurs taux restent dans certaines limites. Par exemple, il existe une relation étroite entre le taux lacté d’acides gras à chaîne moyenne et celui d’acide oléique. La protéine PPAR gamma joue un rôle majeur dans le contrôle de la composition des lipides lactés ; des souris chez qui ce gène n’était pas actif produisaient un lait « toxique » en raison de son contenu en acides gras oxydés pro-inflammatoires (Wan).
En conclusion
Un mode efficace de reproduction et d’élevage des petits est un facteur déterminant dans la sélection des espèces. Les études sur les espèces domestiquées sont faussées par les modifications physiologiques induites par la sélection dans un but économique (obtenir un maximum de lait, ou le plus grand nombre d’animaux par an). Celles sur les espèces sauvages sont rares. Chez la femme, il existe encore peu de données sur le volume de la production lactée et sur la composition du lait. De nombreuses études comparent divers paramètres chez les enfants allaités ou non allaités. Mais les normes pour la croissance et la physiologie des bébés en bonne santé sont larges, et relativement peu utiles pour évaluer la plupart des nombreux paramètres de la lactation humaine.
Le fait que de très nombreux macronutriments du lait humain ont également des rôles non nutritionnels montre que ces composants du lait ont évolué à partir de molécules appartenant au système immunitaire inné. On peut donc penser que la lactation avait au départ un rôle essentiellement protecteur, et que la composition du lait a par la suite évolué pour développer également un rôle nutritionnel. Dans la mesure où les glandes mammaires semblent avoir évolué à partir de glandes ayant une réponse inflammatoire, le fait que le lait contienne un certain nombre de facteurs anti-inflammatoires semble être une contradiction. Toutefois, la prévention des lésions tissulaires que peut induire l’inflammation, ainsi que la prévention des dégâts que peuvent induire les germes pathogènes et les toxines, et ce grâge aux multiples facteurs immunoprotecteurs du lait, représente un avantage majeur pour les petits mammifères.
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