Éditorial du n° 139 d’Allaiter aujourd’hui, avril 2024.
Cette année, le thème de la Semaine mondiale de l’allaitement maternel choisi par WABA est le suivant : « Closing the gap : breastfeeding support for all ». Soit : « Réduire les inégalités en matière de soutien à l’allaitement ».
La Cofam a décidé de l’adapter ainsi : « Réduire les inégalités : Soutenir l’allaitement pour tous ». Ce qui est nettement plus vaste, les inégalités en matière de soutien n’étant qu’une des composantes (et l’une des causes) des inégalités en matière d’allaitement.
Car oui, si l’on sort les chiffres, on s’aperçoit que, au moins depuis plusieurs décennies, les taux d’allaitement peuvent énormément varier selon les régions, l’âge de la mère, sa catégorie socio-professionnelle…
Ainsi, dans le rapport de l’Enquête nationale périnatale 2021, on note : « La proportion de nouveau-nés allaités à la maternité (allaitement maternel exclusif ou mixte) varie de manière très importante entre les régions. La part des nouveau-nés allaités est significativement inférieure au taux national dans les Hauts-de-France (57,8 %), en Normandie (58,4 %), dans les Pays de la Loire (61,2 %) et en Bretagne (62,7 %). La région où le taux d’allaitement maternel est le plus élevé est la région Île-de-France (81,2 %). » [1]
Et selon l’étude Elfe (portant sur plus de 18 000 nourrissons nés tout au long de l’année 2011 dans un échantillon aléatoire de maternités de France métropolitaine), « plus des deux-tiers des nourrissons (70,5 %) recevaient du lait maternel à la maternité (59,0 % de façon exclusive, 11,5 % en association avec des préparations pour nourrissons) », mais « ce taux moyen cachait des différences importantes selon le contexte de la naissance et les caractéristiques des parents. Les taux d’allaitement étaient plus faibles en cas de complications à la naissance ainsi que chez les nourrissons dont les parents étaient nés en France, étaient ouvriers, employés ou sans profession » : 63,3 % de bébés allaités à la maternité chez les ouvrières, 66,4 % chez les employées, 81,3 % chez les cadres et « professions intellectuelles supérieures » [2].
Pourquoi donc sont-ce les femmes les plus diplômées et les plus aisées qui allaitent le plus, alors qu’on pourrait penser que ce ne sont pas elles qui en ont le plus besoin économiquement ?
L’explication qui vient d’abord est que ce sont elles qui ont le mieux accès à l’information et au soutien. Oui, il y a bien des inégalités en matière de soutien à l’allaitement.
Mais l’enquête faite par l’anthropologue Bernadette Tillard dans la population d’un quartier défavorisé de Lille en 2002 montre que les raisons du non-allaitement dans ces milieux sont plus profondes : pour les femmes qu’elle a rencontrées, la « gratuité » du lait maternel n’est pas un argument pour allaiter, bien au contraire.
Perçu comme un « mode d’alimentation incertain » (notamment par manque de tradition familiale), l’allaitement empêche aussi de « préparer l’événement » par « l’achat d’objets appropriés : pas de biberon, pas de stérilisateur, pas de chauffe-biberon… ». L’allaitement est mal perçu par ces familles qui souhaitent « le meilleur » pour leurs petits, même au prix de sacrifices financiers (« Ce qu’il en coûte de nourrir… », in Allaitements en marge, L’Harmattan, 2002.
Pour conclure, j’aimerais citer James P. Grant, qui fut Directeur général de l’Unicef de 1980 à 1995 : « L’allaitement maternel est un filet de sécurité naturel contre les pires effets de la pauvreté… l’allaitement maternel exclusif contribue grandement à annuler la différence de santé entre naître dans la pauvreté ou naître dans la richesse. C’est presque comme si l’allaitement maternel sortait le nourrisson de la pauvreté pendant ces quelques mois vitaux afin de lui donner un départ plus juste dans la vie et de compenser les injustices du monde dans lequel il est né. »
Un filet de sécurité bien nécessaire quand on voit la situation des enfants dans le monde telle que la décrivait l’Unicef en 2016 [3].
Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau
[1] https://enp.inserm.fr/wp-content/uploads/2022/10/rapport-2022-v5.pdf, page 168, tableau 64.
[2] Prévalence de l’allaitement à la maternité selon les caractéristiques des parents et les conditions de l’accouchement. Résultats de l’Enquête Elfe maternité, France métropolitaine, 2011, Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 27, 7 octobre 2014.
[3] Unicef, L’égalité des chances pour chaque enfant, 2016, https://www.unicef.fr/wp-content/uploads/2022/08/situationenfantsdanslemonde2016.pdf
Illustration : street art à Inverclyde (Écosse)
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci