Publié dans le n° 58 des Dossiers de l'allaitement, 2004.
D'après : The cost-effectiveness of using banked donor milk in the neonatal intensive care unit : prevention of necrotizing enterocolitis. LDW Arnold. J Hum Lact 2002 ; 18(2) : 172-77.
Dans les pays industrialisés, le coût des soins augmente constamment, et cette augmentation pose de plus en plus de problèmes. Il devient nécessaire de réfléchir aux moyens de limiter ce coût avant qu'il ne devienne insupportable pour la société, les organismes d'assurance maladie et les gouvernements. La prévention est un domaine rentable : son coût est habituellement modéré et elle peut prévenir des maladies invalidantes ou des décès. Le lait humain peut, lui aussi, abaisser la prévalence d'un certain nombre de maladies, et permettre de réaliser d'importantes économies. Cet article évalue les économies réalisables par l'utilisation de lait humain provenant de donneuses pour l'alimentation des prématurés hospitalisés en néonatalogie, dans le domaine de la prévention des entérocolites ulcéronécrosantes (EUN).
La prévalence de cette pathologie grave est plus basse chez les enfants qui reçoivent du lait humain, que ce soit celui de leur mère ou celui d'autres femmes. Par exemple, dans le service de néonatalogie d'Ostra Sjukhuset (Suède), le protocole de traitement des prématurés prévoit de débuter l'alimentation entérale entre 6 et 12 heures après la naissance, avec de faibles quantités de lait humain (1 à 2,8 ml/kg toutes les 3 heures, 10 à 20 ml/kg/jour) ; le lait provient d'un lactarium, puis de la mère dès qu'elle a commencé à tirer son lait. Le lait humain est donné pur ; il n'est enrichi qu'à partir du moment où l'enfant est totalement alimenté par voie entérale.
Ce service admet 800 à 900 prématurés tous les ans, et la prévalence des EUN est de 0,1 à 0,125 %. Une étude sur la prévalence des EUN aux USA a retrouvé un taux de 10,1 %. Ce taux beaucoup plus élevé est probablement dû, au moins en partie, au fait que les prématurés hospitalisés aux USA reçoivent beaucoup moins souvent du lait humain comme premier aliment donné par voie entérale. Il existe plusieurs méthodes pour évaluer les économies réalisables grâce à l'utilisation de lait humain dans les services de néonatalogie. L'auteur décrit ici plusieurs modèles de calcul.
Wight a analysé le coût de l'utilisation de lait humain dans un service de néonatalogie californien. À partir d'études ayant évalué, en fonction de l'alimentation reçue, la durée du séjour de l'enfant en néonatalogie, la prévalence des EUN et celle des septicémies, Wight estimait que l'utilisation systématique de lait humain pour nourrir ces enfants permettrait d'économiser 8 800 € par enfant. Pour chaque euro dépensé pour le lait humain, 11 à 37 € étaient économisés par enfant.
Un autre modèle a utilisé les coûts de fonctionnement hospitaliers rapportés par la March of Dimes. D'après leur rapport, publié en 1997, un séjour de 15 jours dans un service de néonatalogie américain coûte en moyenne 50 000 €, soit environ 3 300 € par jour. Si l'on prend pour base théorique de calcul le fait que 500 enfants prématurés sont hospitalisés tous les ans aux USA, et que 60 % d'entre eux sont allaités, cela signifie que 200 prématurés présenteront un risque plus élevé d'EUN. Une étude de Schanler et al. a constaté que les prématurés nourris avec du lait humain avaient une durée d'hospitalisation moins longue (jusqu'à 15 jours de moins). Cela signifie que pour chaque prématuré allaité, 50 000 € pourraient être économisés (desquels il faut déduire le coût du lait humain si le bébé ne reçoit pas le lait tiré par sa mère).
Prenons par exemple un prématuré né à 1 100 g, en bonne santé par ailleurs, et pour lequel aucun traitement particulier ne sera nécessaire. L'enfant aura juste besoin d'être nourri et suivi médicalement pendant 60 jours, moment où il atteindra 1 800 g. Pendant son séjour en néonatalogie, ce bébé consommera en moyenne un peu moins de 10 litres de lait humain. Si on chiffre à environ 100 € le litre le coût du lait humain, le coût total de l'alimentation au lait humain sera d'environ 950 €. Il faut ajouter à ce montant le coût du produit d'enrichissement du lait humain, mais même ainsi ce coût reste très bas par rapport aux économies réalisées uniquement sur la durée du séjour en néonatalogie.
Si l'on prend en compte le coût du traitement d'une EUN, l'hospitalisation de l'enfant sera alors considérablement plus coûteuse. Une EUN implique habituellement 2 à 3 semaines supplémentaires d'hospitalisation ; il faudra y ajouter le coût de la remise de l'enfant sous nutrition parentérale totale, celui des examens et des traitements qui seront indispensables, celui de la chirurgie (35 % des cas d'EUN nécessitent une chirurgie en deux étapes : ablation de la zone nécrotique avec iléostomie, puis fermeture de l'iléostomie après guérison de l'EUN). L'EUN pourra laisser des séquelles définitives, qui nécessiteront un traitement à vie, et abaisseront nettement la qualité de vie de la personne. Le coût de l'alimentation avec du lait humain devient alors dérisoire par rapport aux économies réalisables.
Bisquera et al. ont constaté que le coût d'hospitalisation en néonatalogie d'un prématuré était beaucoup plus élevé lorsque l'enfant avait présenté une EUN. Ils avaient calculé que, par rapport à un prématuré n'ayant pas souffert d'EUN, un cas d'EUN ne nécessitant pas de chirurgie coûtait 138 000 € de plus, tandis qu'un cas d'EUN ayant nécessité un traitement chirurgical coûtait 238 000 € de plus. En utilisant les statistiques du Center for Diseases Control and Prevention sur le nombre de naissances prématurées, le taux d'allaitement et celui des EUN, Morgan avait calculé que, rien que pour le Texas et en 1994, 189 cas d'EUN auraient pu être évités si les enfants avaient été nourris au lait humain ; cela représente 66 prématurés pour qui une chirurgie sera nécessaire. Cela représente, pour cette seule année et pour ce seul État américain, une dépense de 32 682 000 €, qui aurait pu être évitée grâce à l'utilisation de lait humain pour nourrir ces enfants.
Dans les pays industrialisés où les prématurés peuvent bénéficier de soins d'un haut niveau de technologie (et donc très coûteux), les services de santé pourraient faire de substantielles économies en faisant en sorte que ces prématurés soient systématiquement nourris avec du lait humain (celui de leur mère ou celui provenant d'un lactarium), en dépit du coût relativement élevé de ce dernier. L'argent économisé pourrait être très utilement employé à promouvoir l'allaitement et à soutenir les mères allaitantes, en particulier chez les femmes de bas niveau socio-économique, qui ont la prévalence d'allaitement la plus basse, de moindres connaissances sur l'allaitement, et une moins bonne couverture sociale.
Les services de santé pourraient faire de substantielles économies en faisant en sorte que les prématurés soient systématiquement nourris avec du lait humain
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