Article publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 55 (avril-mai-juin 2003)
D'après : JP Langhendries. Arch Pediatr 2001 ; 8 : 1037-41.
Un certain nombre d’études épidémiologiques récentes ont montré que les pathologies infectieuses pendant la petite enfance pouvaient abaisser le risque ultérieur de pathologie allergique. Ceci pourrait être en rapport avec la stimulation du système immunitaire de l’enfant en bas âge. Or, le premier contact bactérien à la naissance se fait par la flore vaginale et fécale de la mère. Ensuite, la flore digestive de l’enfant sera influencée par l’alimentation.
On sait depuis déjà un certain temps que l’antisepsie qui règne en milieu hospitalier induit une colonisation microbienne néonatale différente. Par ailleurs, les enfants nés par césarienne ont une flore intestinale différente. Cependant, l’impact réel de ces différences de colonisation sur la morbidité et la réponse immunitaire n’a jamais été démontré de façon indiscutable. Il semble toutefois que l’on a des raisons de penser que l’éradication de plus en plus efficace et systématique des germes (antiseptiques, antibiotiques) est un des facteurs en cause dans l’augmentation de la prévalence de l’allergie depuis quelques décennies.
L’adhésion bactérienne sur des récepteurs spécifiques représente le premier stade de l’infection. Elle est aussi capitale pour l’initiation du système immunitaire intestinal. Ce système analysera la nature de l’antigène présenté par les entérocytes et les cellules de la plaque de Peyer. La mise en œuvre d’un équilibre entre les réponses de type Th1 (plutôt cellulaire) et Th2 (humorale) dépendra de la qualité de l’information captée. Le nouveau-né a une balance lymphocytaire largement déséquilibrée dans le sens Th2, ce qui est un moyen d’adaptation immunitaire physiologique de la mère pendant la grossesse. Il est donc logique de penser que l’envahissement bactérien intervenant dans les heures qui suivent la naissance est le moyen mis en place par la nature pour corriger ce déséquilibre, en favorisant une stimulation orientée vers une réponse de type Th1, et une organisation de la réponse Th2. La réponse Th1 favorise l’activation des lymphocytes suppresseurs (CD8), qui jouent un rôle capital dans l’acquisition de la tolérance aux antigènes alimentaires.
On commence à mieux comprendre les relations entre les bactéries et le système immunitaire muqueux. La reconnaissance des antigènes microbiens, si elle est correctement contrôlée, induit plus spécifiquement la sécrétion d’IFN-γ. En période périnatale, cette réponse est présente, mais immature, ce qui favorise une intolérance alimentaire qu’on peut presque considérer comme physiologique. Il semblerait que certaines bactéries, par les messages précis au niveau des récepteurs entérocytaires, favoriseraient l’élaboration de cytokines qui diminuent le risque d’une déviance Th2. Ces bactéries sont essentiellement des bactéries acidolactiques.
Deux autres sous-classes de lymphocytes suppresseurs (Th3 et Tr1) interviennent dans le contrôle de l’activation lymphocytaire, par le biais de la sécrétion de 2 cytokines spécifiques : le TGF-β (Th3) et l’interleukine-10 (Tr1). Ces cytokines freinent l’induction lymphocytaire Th1 et Th2 permettant l’apoptose lymphocytaire. De plus, l’action du TGF-β sur le système Th1 varie suivant la concentration d’une autre cytokine, l’IL-2. Le TGF-β sécrété par d’autres cellules immunocompétentes favorise une réponse Th2, avec synthèse d’IgA sécrétoires.
Ce système est complexe, et il existe des interactions très subtiles entre les divers facteurs immunitaires innés et adaptatifs. Nos connaissances en la matière sont en pleine évolution, et il est difficile d’en tirer des conséquences définitives. Toutefois, deux points fondamentaux se dégagent : l’importance de l’activation initiale, et le temps nécessaire pour obtenir une maturation harmonieuse. Une fois constituée, la flore digestive a tendance à rester stable : les expériences sur la prise de probiotiques ont permis de constater qu’une prise régulière et ininterrompue est indispensable chez les adultes si l’on veut modifier durablement la flore digestive ; les choses pourraient être différentes si ces probiotiques étaient introduits dès la naissance. Dans ce domaine, nous n’en sommes qu’au stade expérimental.
Au vu des connaissances actuelles, il est cependant possible de faire des recommandations pour améliorer la colonisation bactérienne du nourrisson, afin de favoriser la mise en place d’une réponse immunitaire de bonne qualité : privilégier au maximum la naissance par voie basse, qui est le meilleur moyen d’avoir une colonisation bactérienne adéquate ; l’épidémie de césariennes dans les pays développés ne peut en aucun cas être considérée comme un indice de l’amélioration de la médecine périnatale ; allaiter exclusivement, et ce pendant au moins les 6 premiers mois ; éviter autant que possible l’allaitement mixte et les compléments ; l’allaitement favorise une maturation progressive de la muqueuse intestinale et du système immunitaire ; éviter autant que possible les antibiothérapies qui ne sont pas réellement justifiées chez les nourrissons ; si une antibiothérapie est indispensable, il sera utile d’utiliser un produit ayant le spectre d’action le plus étroit possible ; la diversification alimentaire ne débutera pas avant 6 mois, et elle sera lente et progressive.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci