Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 67 (Avril-Mai-Juin 2006)
D'après "Improving on perfection : breast milk and breast-milk additives for preterm neonates". D Fraser Askin, WL Diehl-Jones. Newborn Infant Nurs Rev 2005 ; 5(1) : 10-18. Mots-clés : prématurés, lait humain, produits d’enrichissement.
Lorsque le nouveau-né est un grand prématuré, le lait humain pourra ne pas lui apporter suffisamment de calories et de nutriments. Divers produits d’enrichissement du lait humain ont été mis au point. Les auteurs font le point sur l’alimentation des prématurés.
De nombreuses études ont montré que le lait humain était encore plus important pour les prématurés. Mais les prématurés ont des besoins plus importants que les bébés nés à terme. De plus, ils sont encore plus immatures que les bébés nés à terme sur le plan digestif, endocrinien, rénal… L’objectif des produits d’enrichissement est de permettre au lait humain d’apporter des taux de calories et de nutriments suffisants pour permettre une croissance plus importante, si possible similaire à la croissance intra-utérine. Ces produits peuvent contenir des protéines, du calcium, des phosphates, des glucides, des vitamines et autres minéraux. Les études qui ont évalué leur impact portent le plus souvent sur de petits nombres d’enfants. Et dans la mesure où tous les produits d’enrichissement n’ont pas la même composition, il n’est pas facile de comparer les résultats d’études dans lesquelles des produits différents ont été utilisés.
Une étude de Hayashi (1994) a suivi 6 prématurés nés à moins de 1300 g, nourris avec du lait humain enrichi, ainsi que 7 prématurés recevant du lait humain non enrichi. Pendant les 12 premiers mois, les enfants du groupe étudié avaient une meilleure croissance ; à 12 mois, ils avaient également une densité osseuse plus élevée que les enfants du groupe témoin, mais il est impossible de savoir si cet impact persistait à long terme et était bénéfique. En 1996, une étude de Lucas a constaté une croissance plus rapide chez les prématurés qui recevaient du lait humain enrichi, mais il n’existait plus aucune différence entre ces enfants et le groupe témoin à 18 mois. D’autres études ont donné des résultats similaires : une croissance plus rapide au départ, mais dont l’impact n’était plus mesurable après 12 mois. Aucun effet secondaire n’a été rapporté. Toutefois, la petite taille des cohortes d’enfants sur lesquelles portaient ces études limite la fiabilité des résultats. Il semblerait que les produits d’enrichissement en poudre aient un impact plus favorable à court terme sur la minéralisation que les produits d’enrichissement liquides. D’autres études seraient nécessaires sur l’impact à court et à long terme de ces produits.
Avant la mise au point des produits d’enrichissement, on utilisait dans certains cas des polymères de glucose pour enrichir le lait humain. Aucune étude n’a été effectuée sur leur impact. Quelques études ont évalué l’impact de l’enrichissement avec des protéines du lait de vache ; à court terme, cela améliorait la croissance staturo-pondérale de l’enfant, mais aucune étude n’a évalué l’impact à long terme. Il n’existe aucune étude sur l’intérêt éventuel d’un enrichissement en certains acides aminés. Les graisses sont une source importante de calories. Toutefois, là encore, les études effectuées sur l’impact de l’enrichissement du lait humain avec soit des lipides provenant du lait humain, soit des lipides provenant d’une huile, n’ont retrouvé aucun impact significatif.
Le phosphore et le calcium sont les deux sels minéraux pour lesquels un grand prématuré peut présenter une carence. Les études portant sur l’impact d’une supplémentation du lait humain avec uniquement des minéraux à des taux variables sont difficilement interprétables. Les prématurés ont des réserves très basses en fer, et auront donc besoin de suppléments de fer. Mais cette supplémentation doit être très prudente, en raison du stress oxydatif qu’elle peut induire. Les études portant sur l’intérêt d’une supplémentation en vitamine A et E sont en faveur d’un impact favorable de ces vitamines.
2 études ont évalué l’intérêt du don d’un mélange d’immunoglobulines (IgA-IgG) pour la prévention de l’entérocolite ulcéronécrosante chez les prématurés qui n’étaient pas nourris avec du lait humain ; elles faisaient état d’un abaissement du risque d’EUN chez les enfants du groupe étudié. Mais une méta-analyse ne retrouvait aucun impact statistiquement significatif. D’autres études sur le sujet sont donc nécessaires. L’utilisation de probiotiques pourrait aussi être intéressante chez ces enfants, mais les quelques études sur le sujet ne sont pas concluantes.
Il existe peu d’études sur l’impact des produits d’enrichissement ajoutés au lait humain sur la biodisponibilité des nutriments du lait humain. Quelques études concluaient que l’enrichissement du lait humain favorisait la prolifération bactérienne dans le lait ainsi traité. Une étude a constaté une baisse de 20% du taux de l’epidermal growth factor dans du lait humain enrichi par rapport au lait humain non enrichi. Une autre étude a retrouvé des altérations des cellules de la muqueuse intestinale au niveau de cultures cellulaires mises en présence de lait humain enrichi. Bien que la signification de ces constatations soit difficile à établir, il est possible que l’enrichissement du lait humain abaisse la biodisponibilité de certains facteurs du lait humain. Il est recommandé d’ajouter le produit d’enrichissement au lait humain juste avant qu’il soit donné à l’enfant, mais il est impossible de savoir ce qui se passe ensuite dans le tractus digestif du bébé.
On peut conclure des données existantes que les produits d’enrichissement ajoutés au lait humain améliorent la croissance et la minéralisation à court terme des prématurés. Mais on ignore s’ils présentent un quelconque avantage à plus long terme. Presque toutes les études effectuées sur ces produits présentent des biais méthodologiques majeurs : cohortes de petite taille, mauvaise randomisation, recueil des données peu fiable… De même, les risques éventuels liés à ces produits d’enrichissement restent mal évalués ; le fer, certaines vitamines, certains acides gras peuvent générer de dangereux radicaux libres, susceptibles de contrebalancer l’impact positif de cet enrichissement. Il serait urgent de faire des études de bonne qualité, portant sur des groupes suffisamment importants, en respectant une méthodologie précise. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra réellement savoir comment améliorer l’alimentation de ces enfants aux besoins spécifiques, et ce avec le moins d’effets négatifs possible.
merci pour cette observation les critiques et les conclusions bien documentées.
vraiment intéressant,
merci
Docteur JP Magne
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