Article paru dans les Dossiers de l’Allaitement n°67 (Avril – Mai – Juin 2006)
Marie Courdent, animatrice LLL, formatrice LLL France Formation, puéricultrice, consultante en lactation IBCLC.
Madame G vit une grossesse difficile avec une menace d’accouchement prématuré. L’accouchement se déclenche à terme. Une péridurale est posée, qui se transforme en rachi-anesthésie sans pour autant devenir efficace. Madame G se voit alors proposer du protoxyde d’azote, qui provoque chez elle une syncope. Une autre péridurale est posée, mais la naissance d’un petit garçon finira par avoir lieu par césarienne sous anesthésie générale. Pour calmer les douleurs post-opératoires dans les jours qui suivent la naissance, Madame G reçoit des antalgiques en IV. A l’arrêt de la perfusion, Madame G souffre de fortes céphalées, à cause d’une brèche durale liée aux péridurales. Elle reçoit un blood patch : injection de sang autologue dans l'espace péridural lombaire, dont le but est d’éviter la pérennisation de la fuite et de permettre la restitution progressive d'un volume normal de LCR pour colmater cette brèche.
Pendant son séjour en maternité, les tétées ont été difficiles à cause des complications de la naissance. Le petit garçon pesait 4220 g à la naissance ; à la sortie de la maternité, il pèse 3900 g. La mère sort sans prise en charge particulière. Dans les jours qui suivent la sortie de la maternité, Madame G souffre de crevasses qui l’amèneront à utiliser des bouts de sein. Elle aura une mastite avec hyperthermie, et utilisera un tire-lait manuel sur le sein malade, mais n’exprimera que 20 ml. A J 24, l’enfant est pesé tout habillé par un professionnel de santé : 3600 g ; aucune prise en charge spécifique n’est effectuée. A J 27, avec une couche propre et un body, il pèse 3490 g. Le médecin prescrit un traitement pour les coliques. A J 28, avec une couche souillée et un body, il pèse 3500 g. A J 29, Madame G appelle une animatrice LLL qui habite à 60 km de chez elle. La mère décrit un petit garçon qui :
tète sept fois par 24h, sans que la mère ne puisse dire si l’enfant déglutit ;
prend un sein par tétée, dort la nuit de 23h30 à 7h30 ;
mouille d’urine trois couches par 24h, et a des selles peu abondantes ;
présente un léger ictère ;
pleure beaucoup après les tétées, ces pleurs étant mis sur le compte de coliques.
Il n’a pas de tétine. La maman n’utilise plus de bout de sein, n’a pas de contraception orale, n’a pas à sa connaissance de problème de thyroïde, n’a pas subi d’intervention sur les seins. Au vu de la situation, une consultation en milieu hospitalier est demandée le jour même en vue d’une hospitalisation. A l’hôpital, l’enfant complètement nu pèse 3360 g. Il a perdu 20% par rapport à son poids de naissance. Le bilan sanguin est normal, et l’ECBU est stérile. L’enfant n’est pas gardé à l’hôpital. Le praticien hospitalier propose à Madame G de continuer à donner une tétée le matin et ensuite de nourrir l’enfant avec 6 biberons de 120 ml de lait industriel. L’enfant va très vite reprendre du poids : à J 37, il pèse 4000 g, et il reprendra son poids de naissance à J 52.
La maman va essayer d’entretenir sa lactation avec l’aide d’un tire-lait double pompage et l’utilisation d’un DAL (Dispositif d’Aide à la Lactation) pour apporter la quantité prescrite de lait industriel. A six semaines, la mère dit : « si je me suis tant accrochée à l’allaitement, c’est parce qu’il représente le petit fil de vie qui me relie à mon fils : le petit fil que je ne voulais pas couper, puisque l’accouchement fut tellement difficile pour nous deux qu’il nous faut garder notre lien d‘amour le plus possible…Ce n’est pas de ma faute, mais j’aurais l’impression de rater quelque chose de plus ». Mais l’isolement, la fatigue extrême, le stress, la déprime, auront raison de son allaitement. Deux mois après son accouchement, à bout, elle consultera un psychiatre qui lui prescrira de la risperdone et ordonnera l’arrêt des dernières « tétées câlins » que Madame G. donnait encore à son fils.
Au vu des conditions de naissance, il est certain que la mise en route de la lactation ne s’est pas faite correctement, et qu’il aurait fallu un suivi et un accompagnement après la sortie de la maternité avec consultation entre J 8 et J 15 :
1.L’enfant a été imprégné d’une quantité importante d’anesthésiques, qui n’ont pu qu’affaiblir sa capacité à téter et à stimuler l’arrivée du lait en abondance. Madame G a eu des crevasses compliquées d’une lymphangite, ce qui confirme que l’enfant tétait mal et vidait mal le sein, d’où une faible production de lait.
2.La maman a quitté la maternité sans qu’on lui ait donné des critères de surveillance de son allaitement (surveillance du poids bi-hebdomadaire, suivi du nombre d’émission d’urines et de selles).
3.Les pleurs ont été étiquetés dès la maternité pleurs de coliques et traités comme tels, alors que l’enfant perdait du poids.
4.A J 24, l’enfant tout habillé avait déjà perdu 620 g soit 14 % de son poids de naissance, et l’insuffisance de la production lactée n’a pas été pointée.
5.A J 27, l’enfant avait perdu 730 soit 17% de son poids de naissance ; aucune évaluation clinique n’a cherché à en comprendre la cause, aucun complément n’est proposé à l’enfant.
6.Le bilan hospitalier effectué à J 29 étant normal, la mère et l’enfant n’ont pas été hospitalisés, et Madame G. rentre chez elle sans rendez-vous de suivi et sans conseils pour augmenter la production de lait. Seule chez elle, avec la souffrance de cet accouchement si difficile, la déception de ne pas avoir réussi à allaiter son bébé, Madame G. va être de plus en plus fatiguée et déprimée et va devoir sevrer à cause d’un traitement pour lequel on a peu de recul.
Il ne suffit pas d’encourager les mères à allaiter, encore faut-il les accompagner avec compétence. Cette maman devra surmonter non seulement la douleur de ne pas avoir accouché par voie basse, mais aussi le deuil de son allaitement, qu’elle n’a pas pu vivre comme elle le souhaitait. Qui se préoccupera des séquelles de ces traumatismes ?
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