Article paru dans les Dossiers de l’allaitement n° 45 (Octobre – Novembre – Décembre 2000)
D'après : Jaudice and the breastfed baby. LM Gartner. LLLI Conférence, session 132, 4 juillet 1999.
Presque tous les nouveau-nés présenteront une élévation du taux plasmatique de bilirubine pendant les premiers jours post-partum, en raison de la destruction importante des globules rouges, de la réabsorption intestinale de la bilirubine, et des capacités hépatiques réduites de conjugaison de cette bilirubine. C’est pourquoi cette hyperbilirubinémie est appelée « ictère physiologique du nourrisson ». L’intensité de l’ictère variera selon que l’enfant est né à terme ou prématurément, et selon l'origine ethnique (il est par exemple plus important chez les enfants d’origine asiatique).
Chez les enfants nourris au lait industriel, cet ictère disparaît en 10 à 12 jours, le taux de bilirubine devenant similaire à la norme chez les adultes (< 15 mg/l – 23 µmol/l). Chez les enfants allaités, le taux de bilirubine reste élevé pendant beaucoup plus longtemps, le lait mature augmentant la réabsorption intestinale de la bilirubine. Environ 1/3 des enfants exclusivement allaités nés à terme et en bonne santé présentent toujours un ictère à 3 semaines post-partum ; 2/3 des enfants allaités ont à cet âge un taux de bilirubine compris entre 15 et 200 mg/l. Cette prolongation de l’ictère physiologique chez les enfants allaités est connue sous le nom d’« Ictère au lait maternel ». Ce dernier peut persister jusqu’à 2 mois et plus, et le taux plasmatique de bilirubine peut ne pas revenir à la normale avant 4 mois.
Pendant les 5 premiers jours de vie, les enfants exclusivement allaités selon une technique optimale ont des taux de bilirubine similaires à ceux des enfants nourris au lait industriel. L’ictère au lait maternel ne débute guère avant J5. Des enfants allaités pour qui la pratique d’allaitement est inadéquate (tétées trop espacées, mauvaise position au sein, succion peu efficace…) peuvent présenter un ictère plus important. Cet ictère est appelé « Ictère lié à l’allaitement », bien qu’il serait beaucoup plus approprié de l’appeler « Ictère du non-allaitement ». Cet ictère est similaire à celui observé chez les adultes et connu sous le nom d’ictère d’inanition. Chez l’enfant allaité, il est dû au fait qu’il ne reçoit pas suffisamment de calories, ce qui augmente la réabsorption intestinale de la bilirubine. Il peut être prévenu par une première mise au sein rapide, suivie de tétées fréquentes (au moins 10 à 12 par jour), par la suppression du don d’eau sucrée ou non, par une évaluation soigneuse du déroulement des tétées par le personnel soignant de façon à remédier au plus vite à un éventuel problème. Cet ictère d’inanition perdurera pendant des semaines si le problème d’allaitement n’est pas corrigé et si l’apport calorique de l’enfant continue à être insuffisant.
L’ictère « au lait maternel » et l’ictère « lié à l’allaitement » sont tous deux le résultat de l’augmentation de la réabsorption intestinale de la bilirubine ou de la non-conjugaison de cette bilirubine. Dans le cas de l’ictère lié à l’allaitement, l’apport calorique insuffisant et le faible volume de lait dans le tractus digestif favorisent cette réabsorption. Dans le cas de l’ictère au lait maternel, un facteur encore non identifié présent dans le lait maternel mature augmenterait cette réabsorption. Les nourrissons qui présentent un ictère pathologique (incompatibilité rhésus par exemple) et ceux qui présentent un ictère lié à l’allaitement courent un risque non négligeable de voir leur taux plasmatique de bilirubine atteindre un niveau dangereux lorsque viendra s’ajouter, vers J5, l’ictère au lait maternel. La prévention de ces ictères non physiologiques réduira donc le risque de voir le taux de bilirubine atteindre un seuil qui nécessitera un traitement.
Tout doit être fait pour favoriser un bon démarrage de l’allaitement et convaincre la mère que son lait est « bon ». En l’absence d’une circonstance pathologique telle qu’une incompatibilité sanguine, la survenue d’un ictère chez un enfant né à terme et en bonne santé, et exclusivement allaité, ne demande ni examens, ni traitement ; dans ces circonstances, il est rare que le taux sérique de bilirubine dépasse 180 à 200 mg/l. De tels taux ne nécessitent ni suspension de l’allaitement, ni don de compléments, ni photothérapie. Lorsque le taux de bilirubine dépasse 200 mg/l, il sera nécessaire de surveiller l’enfant pour voir si le taux de bilirubine se stabilise ou s’il continue à augmenter. Si un traitement devient nécessaire, le premier choix est de donner à l’enfant un complément (de lait maternel exprimé ou de lait industriel) pendant les tétées à l’aide d’un DAL (dispositif d’aide à la lactation). Si cela n’amène pas d’amélioration, une photothérapie ou une interruption de l’allaitement pendant 24 heures pourront être des mesures envisageables. Une exsanguino-transfusion n’est à envisager que si le taux sérique de bilirubine dépasse 250 à 300 mg/l (enfant né à terme).
Le fait que l’ictère physiologique soit aussi répandu, et qu’il se prolonge pendant des semaines chez la plupart des bébés allaités amène à se poser des questions, dans la mesure où une élévation importante de la bilirubinémie peut induire une pathologie aussi sévère que le kernictère. Le métabolisme de la bilirubine présente des aspects peu ordinaires ; en particulier, le premier stade de la destruction de l’hème a pour résultat la production de biliverdine, substance atoxique et hydrosoluble pouvant être éliminée très facilement par le foie et les reins ; pourquoi tous les mammifères transforment-ils cette biliverdine totalement inoffensive en bilirubine toxique et insoluble, qui nécessite des mécanismes particuliers de transport et d’élimination, et qui peut induire chez un nourrisson une grave encéphalopathie ? La réponse réside peut-être dans le fait que la bilirubine est un puissant antioxydant. De nombreuses maladies, tant chez les adultes (cancer, maladies cardio-vasculaires) que chez les enfants (entérocolite ulcéronécrosante, rétinopathie du prématuré, dysplasie bronchopulmonaire) semblent en rapport avec la présence d’un taux élevé de radicaux libres. Les nourrissons ont de faibles capacités oxydatives. La bilirubine pourrait être un mécanisme naturel destiné à pallier cet état de fait. D’autres recherches sont nécessaires afin de déterminer si le rôle de l’hyperbilirubinémie du nourrisson peut jouer un rôle dans la prévention de certaines maladies.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci