Article publié dans les Dossiers de l'Allaitement numéro 63 (Avril - Mai - Juin 2005)
Dr Camille Schelstraete, Généraliste, Consultante en Lactation IBCLC. Chambéry (73).
L’incidence de l’abcès du sein lactant est évaluée à 10% des mastites, ce qui fait à peu près 1% des allaitements (OMS 2000). Avec l’augmentation du taux d’allaitement en France, nous allons donc être plus fréquemment confrontés à cette pathologie qu’il va être nécessaire de mieux connaître et mieux gérer. Le diagnostic n’est pas toujours aisé avec des situations cliniques trompeuses. Le traitement par chirurgie classique est remis en question. En effet, certaines équipes commencent à pratiquer de façon courante la ponction du sein sous échographie, la difficulté étant l’absence de protocole consensuel.
Bilan de 10 années de médecine générale et 5 ans de consultante en lactation
Première leçon, 1er doute
1er cas : Mme A, 1996
Cette femme a démarré une 2ème grossesse à l’âge de 41 ans, grossesse désirée après une fausse couche spontanée quelques mois plus tôt. Son premier enfant, une fille, avait 18 ans. Elle ne l’avait pas allaitée par choix personnel. Elle souhaitait, par contre, allaiter son 2ème enfant pour les qualités nutritionnelles du lait maternel. La grossesse s’est passée sans problèmes particuliers et elle a accouché à terme d’un garçon.
Les débuts d’allaitement n’ont pas été très faciles, avec mamelons douloureux, manque de confiance, grande difficulté à comprendre et à se plier aux rythmes d’un nouveau-né. Cette femme n’arrivait pas à accepter les tétées fréquentes avec horaires irréguliers, les tétées nocturnes alors que ce bébé n’avait qu’une demande « normale » de nouveau-né. Elle était déjà d’un naturel anxieux et manquait totalement de confiance en elle. Les choses se mettaient tant bien que mal en place avec persistance d’un sein douloureux et facilement engorgé, mais elle ne suivait pas les consignes de drainage de ce sein avec augmentation de la fréquence des tétées lorsqu’il s’engorgeait. De plus elle décrivait des douleurs évoquant une candidose du sein, qui a été traitée localement avec une crème mycostatique.
Elle a fini par présenter une mastite qui a évolué vers l’abcès malgré le traitement antibiotique mis en place. A l’époque, je ne connaissais pas la possibilité de ponction en cas d’abcès, je l’ai donc adressée à un chirurgien gynécologue qui a drainé chirurgicalement. L’enfant a été sevré immédiatement. Lorsque cette mère est revenue me voir, elle m’a dit : « ça y est ! Je l’ai crevé mon abcès, comme ma mère lors de son allaitement, qui m’avait d’ailleurs bien dit que cela finirait ainsi »…
Moralité :
• Toujours essayer de trouver l’équilibre entre technique et décryptage des besoins ! Vaste programme…
• Peut-être que les antibiotiques auraient pu être donnés plus vite devant la persistance du problème de sein douloureux, et avant le tableau de mastite.
A l’époque, cette histoire m’avait énormément culpabilisée, car il est écrit partout qu’avec un allaitement bien conduit et un accompagnement efficace, une mastite ne doit pas évoluer vers l’abcès ; je ne comprenais pas cet échec. En fait, je n’ai pas su entendre cette femme qui n’avait pas envie d’allaiter. Forte de mes convictions, je ne lui ai donné que les mesures pour poursuivre l’allaitement, alors qu’elle n’avait qu’une envie : arrêter. Inconsciemment, elle a donc tout fait pour arriver au sevrage « médical », car elle ne pouvait pas prendre cette décision par elle-même, et moi l’aider à le faire. Par la suite, je deviens consultante en lactation, j’acquiers un peu d’expérience, de reconnaissance professionnelle, et j’enrichis mon expérience.
2ème leçon, les doutes se précisent
2ème cas : Mme S, Février 2002
Cette femme, primipare, vient me voir alors que son bébé a 10 jours. Elle présente des crevasses depuis les premiers jours. Nous corrigeons les défauts de position mais les douleurs perdurent, avec des douleurs plus profondes à type de brûlure, persistant après les tétées. Malgré l’absence de signes mamelonnaires patents de mycose, je suspecte une candidose et prescris un traitement par violet de gentiane qui s’est révélé inefficace (Sur le violet de gentiane, voir : Controverses autour du violet de gentiane : où en est-on en 2020 ?). Quelques jours plus tard, cette patiente a présenté un abcès du sein sans tableau franc de mastite au préalable. Elle a alors consulté son gynécologue qui l’a adressée à un chirurgien, et a donc bénéficié d’un traitement chirurgical avec sevrage brutal de l’enfant. Là encore les antibiotiques pris avant la mastite auraient-ils évité cette évolution ?
3ème cas : Mme V, mai 2003
Cette mère vient me voir avec son premier enfant âgé de 1 mois. L’accouchement a été déclenché, et a nécessité l’utilisation d’une ventouse. La première tétée a été donnée au bout de 2 heures, après mise en couveuse de l’enfant. Elle consulte car elle présente des crevasses depuis le début de son allaitement. La prise de poids est à surveiller : l’enfant n’a pris que 320 g et ne dépasse son poids de naissance que de 20 g. Nous corrigeons les défauts de position, et je la revois 3 jours plus tard. L’enfant a pris 100 g, les crevasses se sont améliorées, et la situation semble normalisée.
Elle revient en consultation 9 jours plus tard avec l’impression de manquer de lait. Elle donne 1 à 2 biberons par jour depuis quelques jours. La prise de poids est bonne puisque l’enfant a pris 250 g ; par contre, elle se plaint à nouveau d’une crevasse sur le sein gauche, et signale que la tétée sur ce sein n’a pas cessé d’être douloureuse. A la palpation, je trouve une zone rétro-mamelonnaire indurée, sans fièvre. Je lui donne les consignes de drainage du sein, et je demande une échographie afin d’éliminer un abcès. Elle commence à être découragée, et se demande si elle va continuer à allaiter. L’échographie retrouve une zone indurée avec dilatation du canal galactophorique, sans collection. Il a été décidé de sevrer progressivement avec contrôle échographique. Je ne revois plus cette patiente qui me rappelle 2 mois plus tard : elle avait présenté un abcès 10 jours après la dernière consultation, ayant nécessité un drainage chirurgical et sevrage brutal… A nouveau, nous retrouvons un sein douloureux chronique avec passage à l’abcès sans mastite au préalable. Là encore aurait-il fallu donner rapidement des antibiotiques alors qu’il n’y avait pas de signes cliniques d’infection ?
3ème leçon. Les situations pièges : ne pas méconnaître le diagnostic
4ème cas : Mme L, Mars 2002
Cette femme vient me voir en consultation sans son bébé. Il a trois mois, c’est son 2ème enfant, et elle doit bientôt reprendre le travail. Depuis une semaine, elle présente une zone engorgée sur la partie supéro-externe du sein droit. Le sein n’est pas inflammatoire, et elle ne pense pas avoir de fièvre ; en revanche, elle suspecte une baisse de lait depuis l’apparition de l’engorgement. Après vérification, elle a une température à 38° et présente une adénopathie. Devant ce tableau, je lui préconise les mesures de drainage du sein avec des positions adaptées, des tétées fréquentes, ainsi qu’un traitement antibiotique par pristinamycine, anti-inflammatoire, antalgique, et un contrôle échographique. 3 jours plus tard, la zone indurée persiste malgré une diminution de volume, la fièvre reste autour de 37°8, et l’échographie confirme un abcès profond. Un traitement chirurgical est organisé avec hospitalisation courte et persistance de l’allaitement du côté sain puis reprise après cicatrisation. Elle m’avoue son étonnement devant les mesures à prendre car elle aurait bien pu ne pas consulter : les douleurs ne lui semblaient pas si importantes, et la situation peu grave. Ce n’est que la persistance des symptômes qui commençait à la préoccuper.
Elle est revenue me voir le mois dernier (2 ans plus tard) pour son 3ème enfant. L’allaitement se passe bien, et elle est satisfaite d’avoir pu mener à bien son allaitement précédent malgré l’abcès.
5ème cas : Mme H, Juin 2003.
Attention aux interprétations
radiologiques
Cette femme, d’origine australienne, vient me voir avec son premier enfant de 1 mois, adressée par son médecin traitant car elle présente depuis une semaine une zone indurée dans la partie supéro-externe du sein gauche. Jusque-là, l’allaitement se passait bien. Le bébé tête bien, elle n’a pas de fièvre ni d’adénopathie. Par contre, le sein est en effet induré et douloureux. Elle se sent fatiguée. A l’échographie, on peut voir une zone liquidienne de 5 cm de diamètre, typique d’un abcès. Sur le compte-rendu : « Ectasie galactophorique de 5 cm de diamètre, pas de collection purulente ». L’abcès étant profond, je l’envoie chez un gynécologue pour ponction sous échographie. Après une semaine d’amélioration, elle récidive et voit un autre gynécologue ne pratiquant pas cette technique. Elle est opérée, et doit sevrer brutalement.
6ème cas : Mme B, Novembre 2003
Cette mère de 2 enfants vient me voir avec son bébé de 6 semaines. Le premier allaitement a été un échec, et elle voudrait faire mieux cette fois. L’accouchement a été normal et à terme. La 1ère tétée a été précoce et efficace. Mme B a présenté des crevasses rapidement à la maternité à J2, au bout des mamelons. Elle sort à J4 avec des crevasses et un engorgement. Les crevasses persistent, avec apparition d’un placard rouge sur le sein gauche vers J13. Elle présente un tableau de mastite depuis 15 jours. Elle a vu son généraliste, qui a commencé un traitement par pristinamycine (allergique aux pénicillines) depuis 1 semaine ; elle a eu une échographie le 27/10 et une autre le 5/11.
Que nous dit le radiologue ? « Sur le rayon de 11h, il existe une plage nodulaire de 17 x 13 mm de diamètre, d’écho-structure mixte tissulaire et hypoéchogène non strictement transsonique, la composante hypoéchogène mesurant 13 x 6,7 mm de diamètre, de contours bien limités. Il existe une autre formation hypoéchogène hétérogène sur le rayon de 12h, en situation juxta aréolaire, mesurant 9 x 8,2 mm de diamètre. Il existe une nette infiltration de l'ensemble des plans cellulo conjonctivaux au contact. Au total : mise en évidence de deux formations nodulaires bien limitées d'écho-structure hétérogène mesurant 17 et 9 mm de diamètre, compatibles avec des abcès en voie de consti¬tution, mais non collectés. Aspect de « mastite » loco régionale de continuité. Pas d'indication ce jour de ponction. A recontrôler à distance. »
Devant le peu d’amélioration des symptômes, elle me contacte et vient me voir après avoir eu une 2ème échographie le 5/11. Les crevasses se sont améliorées depuis qu’elle a diminué la fréquence des tétées, qui étaient devenues trop douloureuses, et elle présente un petit fébricule à 37°5. Au niveau du sein droit, on observe un petit placard inflammatoire à droite, très superficiel, de la taille d’une pièce de 1€. Au niveau du sein gauche, voir photo et échographie. Le bébé a une bonne succion, et son état clinique est normal.
Compte-rendu du radiologue : « A gauche, il existe un épaississement du plan cutané d'origine inflammatoire, en regard de l'anomalie cliniquement palpable. En situation intra-glandulaire superficielle, mise en évidence d’une plage hypoéchogène de 11 x 9 mm de diamètre, non transsonique, avec halo périphérique hyperéchogène de type fibreux… A droite, en regard du rayon de 8 h, épaississement du plan cellulo graisseux sous cutané mesuré à 4,8 mm de diamètre associé à une plage hypoéchogène de 17 x 6 mm de diamètre, non transsonique. Au total : aspect de cellulo mastite focale des rayons de 12 h du sein gauche et de 8 h du sein droit, avec collection non liquidienne de 11 mm de diamètre en situation intra glandulaire du sein gauche. Absence d'argument échographique nécessitant une ponction évacuatrice. Régression volumétrique de la formation nodulaire du rayon de 12 h du sein gauche, qui semble « s'extérioriser » à la peau sans fistule ni plage liquidienne individualisable. Discussion d'une ponction à visée cytologique de principe. »
Devant l’aspect typique et superficiel de cet abcès, je ponctionne 6cc de pus franc au cabinet, n’ayant pas besoin d’échographie pour localiser la collection. La bactériologie met en évidence un Staphylocoque doré sensible à tous les antibiotiques antistaphylococciques. Le lendemain, l’échographie montre une amélioration et la ponction pratiquée revient blanche. Son compte-rendu précise : « L'examen échographique actuel montre au niveau de la zone de rougeur légèrement fluctuante, avec un revêtement cutané très aminci et presque fistulaire des quadrants supérieurs du sein gauche, une formation bilobée d’environ 20 x 10 mm à contenu hypoéchogène hétérogène, bordée d’un contour hyperéchogène. La ponction à ce niveau avec une aiguille 18 G ramène difficilement un matériel jaunâtre épais. Ces données sont par conséquent en faveur d’une cavité abcédée entourée d’une gangue inflammatoire…
A droite, au-dessous de la rougeur para aréolaire inféro externe, il est mis en évidence outre des ectasies galactophoriques, deux formations arrondies avoisinant les 10 mm, anéchogènes avec renforcements postérieurs ; il s’agit vraisemblablement de simples ectasies galactophoriques avec réaction inflammatoire, ne justifiant pas actuellement de tentative de ponction évacuatrice. En conclusion : mastite bilatérale, vraisemblablement secondaire à des ectasies galactophoriques ; constitution d’une poche vraisemblablement purulente, bilobée, au niveau des cadrants supérieurs du sein gauche, dont l’évacuation par ponction apparaît difficile actuellement (matériel très épais). »
La patiente revient me voir 5 jours plus tard. Il y a une nette amélioration de l’état des 2 seins. Je lui prescris du diclofenac pour améliorer l’inflammation persistante, elle va essayer de diminuer les compléments et augmenter les tétées. Le traitement antibiotique a été poursuivi tant que l’état inflammatoire persistait, et du dompéridone a été donné pour aider à la relance de la lactation (Ndlr : la dompéridone a un effet galactogène rapporté mais n'a pas d'AMM en France pour cette indication). L’état clinique du bébé est resté parfait, et il n’a pas été nécessaire de refaire des ponctions. Aux dernières nouvelles, l’allaitement a continué de façon quasi exclusive jusqu’à la mise en route de la diversification.
Moralité : l’interprétation d’une échographie nécessite une habitude que n’ont pas tous les radiologues, qui peuvent être soit très pessimistes (diagnostic de mastites carcinomateuses par exemple, ou abcès n’existant pas encore), soit ne pas faire le diagnostic comme dans ce cas là. Il est donc indispensable de garder notre sens clinique et critique, et de se faire aider par des intervenants habitués aux seins lactants.
4ème leçon : ce que devraient connaître tous les personnels soignants
Mme G vient me consulter alors que son bébé a 2,5 mois. Elle l’a sevré brutalement à 6 semaines, après avoir présenté un tableau de mastite typique. Le médecin de garde avait recommandé d’arrêter l’allaitement, et prescrit de l’amoxicilline. Dans un premier temps, le tableau clinique s’est normalisé, mais depuis 8 jours ce sein recommence à lui faire mal, et présente une rougeur. A l’examen clinique, cette femme présentait un abcès typique.
Moralité :
faire savoir partout que la meilleure façon d’obtenir un abcès est de mal gérer une mastite, c’est-à-dire ne pas drainer le sein par tétées fréquentes, de prescrire un antibiotique mal adapté, ou de préconiser un sevrage brutal.
Que retenir de ces histoires de vie ?
1. Je ne culpabilise plus lorsque je n’arrive pas à éviter cette évolution, mais j’essaie de me remettre en question.
2. J’essaie d’équilibrer écoute et technique.
3. Je me méfie beaucoup plus des situations cliniques qui traînent, des « candidoses » qui ne réagissent pas aux traitements, et je prescris facilement des antibiotiques dans ces cas là.
4. J’essaie de travailler avec des radiologues habitués à la sénologie en général, et au sein lactant en particulier.
Que nous dit la littérature médicale ?
Qu’est-ce que l’abcès ?
D’après le Larousse : du latin « abcessus » : corruption. Collection de pus bien délimitée dans un tissu ou un organe. Chaud : avec signe d’inflammation ; froid, plus rare, sans signes d’inflammation. Dans la situation précise qui nous intéresse, l’abcès est une complication de la mastite et touche à peu près 1% des femmes allaitantes (OMS 2000). A ce stade, la coque inflammatoire qui entoure la collection de pus empêche la pénétration des antibiotiques ce qui les rend totalement inefficaces. Un drainage chirurgical est indispensable.
La mastite représente le stade précédent. C’est une inflammation du sein, avec infection ou non. Elle concerne environ 10% des femmes allaitantes d’après l’OMS (2000, 11). Elle apparaît le plus souvent autour de la 2ème semaine du post-partum, avec 95% des cas dans les 12 semaines qui suivent la naissance. L’abcès quant à lui apparaît autour de la 6ème semaine, mais peut survenir plus tard (OMS 2000). Kinley et coll (7), dans une étude prospective sur 6 mois, ont étudié 1075 femmes. 233 ont présenté une mastite (20%), dont 75% dans les 7 semaines qui suivent la naissance ; 35% ont eu des épisodes multiples, et 10% après 6 mois. Dans la plupart des cas, les femmes ont consulté en premier un médecin généraliste.
La plupart des professionnels de santé font sevrer rapidement, ou font tirer et jeter le lait, et prescrivent une antibiothérapie pas toujours nécessaire, voire inefficace, car non ciblée sur le Staphylococcus doré, principal germe en cause. Cette pratique est inadaptée, car le drainage intensif du sein est indispensable, ce qui n’est pas facile à faire avec un tire-lait, et une mauvaise gestion de cette situation clinique est la meilleure façon d’aller vers l’abcès.
Thomson et coll (1984) ont proposé une classification :
• Stase de lait : leucocytes < 106 /ml, bactéries < 103 /ml
• Mastite non infectieuse : leucocytes > 106 /ml, bactéries < 103/ml
• Mastite infectieuse : leucocytes > 106/ml, bactéries > 103/ml
Etiologie
Les 2 principales causes de mastite sont : stase de lait le plus souvent, et infection. Les situations favorisantes sont :
Engorgement du post partum ou tétées insuffisantes (qui favorisent la stase lactée) associés à :
• faible intérêt de l’enfant pour le sein
• succion incorrecte
• restriction du nombre de tétées
• canal lactifère bouché
• les vêtements serrés, la position allongée, ou d’autres facteurs de compression du sein ont été observés, mais semblent anecdotiques
D’autres situations prédisposent à la mastite :
• don de compléments
• allaitement de jumeaux ou plus
• travail à temps plein
Autres facteurs favorisants :
• âge et parité : les études sont contradictoires
• un épisode précédent prédispose à la récurrence
• délivrance difficile
• stress et fatigue
• traumatisme du sein lactant (compression, coup…)
Les mastites infectieuses semblent être le résultat d’une mastite non traitée. Normalement, le lait maternel élimine les bactéries mais en cas de stase, le système immunitaire est dépassé. Par contre, les signes cliniques ne permettent pas de différencier mastite infectieuse ou non.
Mastites récurrentes :
• mastite mal traitée initialement
• mauvaise technique d’allaitement
• association avec candida albicans
• Plus rarement, une cause entraînant un faible drainage d’une partie du sein : anomalie d’un canal ou tumeur. A l’inverse, tout ce qui favorise l’allaitement comme le peau à peau, l’enfant 24 h /24 avec la mère, semblent protecteur
Les germes : Staphylocoque doré dans la plupart des cas, E Coli ou Streptocoque B plus rarement. Candida albicans possible. Toute femme ayant des germes pathogènes dans le lait ou sur la peau ne développera pas forcément de mastite ; toute femme qui développe une mastite n’a pas forcément de passage du germe pathogène dans le lait.
L’abcès est souvent le résultat d’une mastite mal soignée ou soignée tardivement. C’est une infection localisée du tissu mammaire avec barrière inflammatoire formant une capsule limitant une collection de pus. Le tableau clinique est sévère, avec rougeur, douleur, chaleur et œdème. Ce qui le différencie de la mastite est la perception d’une masse fluctuante avec changement de coloration de la peau qui est d’un rouge violacé. Il peut y avoir une nécrose cutanée. La fièvre est plutôt plus modérée que dans la mastite voire absente. Le début est souvent insidieux avec douleurs chroniques et tableau évoluant à bas bruit. La prévention conssite à éviter toutes les situations favorisant la stase de lait, et agir vite dès que l’on a un engorgement, un canal bouché ou des mamelons douloureux.
Comment faire le diagnostic ?
La clinique sera évocatrice quoique souvent trompeuse. En cas de doute, la biologie pourra montrer un état infectieux avec hyper-leucocytose et CRP augmentée, mais ce bilan n’est pas pathognomonique puisque l’on aura les mêmes résultats dans les mastites. L’échographie pratiquée par un radiologue compétent en sénologie sera l’examen le plus spécifique.
Comment traiter ?
Dans l’étude de Dener et coll (2), 20% des femmes ayant présenté une complication infectieuse avaient un abcès. A un stade tardif, l’antibiothérapie per os seule ne peut plus être efficace à cause de la coque inflammatoire qui cerne la collection purulente. Il va donc falloir ouvrir une brèche pour évacuer le pus. Jusqu’à présent, le traitement était chirurgical avec incision et drainage de l’abcès, sous anesthésie générale. Ce traitement n’est pas sans inconvénient pour la mère et l’enfant : il exige une séparation de la mère et son enfant avec hospitalisation, risque opératoire et résultat esthétique pas toujours satisfaisant. L’allaitement est d’ailleurs le plus souvent arrêté dans ces situations cliniques.
Devant ce constat, depuis une dizaine d’années, certaines équipes ont essayé de trouver une solution plus légère avec ponction/lavage sous échographie. Cette solution présente de nombreux avantages : traitement ambulatoire possible, anesthésie locale uniquement, et meilleur résultat esthétique. De plus, la mère et l’enfant ne sont pas séparés et il est plus facile de maintenir l’allaitement. D’ailleurs, cette idée n’est pas si nouvelle puisqu’en 1927, Battle et Bailey suggéraient que l’abcès du sein pouvait être traité par une ponction/lavage avec une solution de Dakin, et Florey et coll (1946) suggéraient une ponction/lavage avec injection intra cavitaire de pénicilline.
L’analyse bactériologique du produit de ponction permettra de pratiquer un antibiogramme afin de prescrire une antibiothérapie adaptée au germe retrouvé. Le choix se portera sur un antibiotique compatible avec l’allaitement, ayant une bonne diffusion dans l’abcès et à visée anti staphylococcique, puisque ce germe est le plus souvent retrouvé. Plusieurs classes d’antibiotiques sont possibles : la prystinamycine sera le premier choix. La clindamycine est aussi possible. La cloxacilline est une bonne alternative, mais avec davantage de problème de résistances. La durée du traitement n’est pas bien établie mais il semble qu’un traitement de 10 à 15 jours soit nécessaire.
Depuis la fin des années 1980, plusieurs équipes ont essayé cette technique, en s’aidant de l’échographie qui permet un diagnostic et un guidage pour la ponction. L’analyse de la littérature est difficile car :
• Beaucoup d’études ne différencient pas les seins lactant et non lactant ;
• Le nombre de cas traités est faible ;
• Les protocoles de soins ne sont pas homogènes, chaque équipe a une façon de faire et une analyse différente.
Il est donc pour l’instant impossible d’avoir une conduite à tenir bien établie. Par contre, les résultats restent tous bons dans l’ensemble.
Dixon et coll (1989, 3) ont ponctionné des abcès du sein chez 6 femmes âgées de 24 à 32 ans, 3 à 8 semaines post partum. Elles ont toutes été traitées auparavant par de la flucloxacilline dans les 48 h. A la première ponction, le plus de pus possible a été ponctionné (15 à 40 cc de pus, moyenne 26 cc), et une antibiothérapie à visée antistaphylococcique a été prescrite, puisque ce germe a été retrouvé dans les 6 cas. 3 femmes ont été ponctionnées 3 fois, 2 femmes 4 fois, une a dû subir 5 ponctions. Trois semaines après la dernière ponction, toutes les femmes étaient guéries et deux femmes sur 6 ont poursuivi leur allaitement. Elles ont toutes été satisfaites par ce traitement qui leur a permis de ne pas être séparées de leur famille.
Hook et coll (1995) ont ponctionné un abcès du sein chez 13 femmes, dont 3 pendant l’allaitement. Ils ont conclu que l’aspiration de l’abcès sous échographie pouvait constituer l’unique traitement pour des abcès de petit volume (< 3 cm de diamètre).
Imperiale et coll (2001, 6) ont traité 28 abcès du sein chez 26 femmes. Le traitement antibiotique initial a été insuffisant. Les abcès ont été ponctionnés sous échographie, avec injection locale d’antibiotique à large spectre (gentamycine), ou de sérum physiologique lorsque les cultures sont revenues amicrobiennes. Le traitement a été répété 1 fois/semaine jusqu’à guérison complète (1 à 7 ponctions, 2 en moyenne). Dans 1 cas, l’abcès initial était très volumineux, et il a fallu recourir à la chirurgie traditionnelle. Les auteurs ont conclu que la ponction-aspiration avec injection locale d’antibiotique était une bonne alternative à la chirurgie, avec une efficacité comparable, un coût moindre, un résultat esthétique plus satisfaisant, et un meilleur confort pour la patiente.
Rageth et coll (9) ont traité 17 femmes ayant présenté des abcès du sein dans le post-partum entre 1991 et 2003. Ils ont ponctionné les abcès sous échographie et sous anesthésie locale tous les 2 à 3 jours, jusqu’à ce que la cavité soit < 1.5 cm de diamètre. Pour les abcès volumineux, ils ont complété avec un lavage avec du sérum physiologique. 10 femmes/17 ont été traitées en ambulatoire. Dans 7 cas, une seule ponction a suffi ; dans 5 cas, il a fallu 2 ponctions, et 3 ponctions ou plus dans 4 cas. Une patiente a préféré un traitement chirurgical après la première ponction. Le traitement antibiotique a été continué pendant 6 à 10 jours. 3 patientes ont arrêté l’allaitement, 1 femme a allaité avec le sein controlatéral. Les auteurs de cette étude ont conclu que le traitement conservateur de l’abcès du sein en post-partum pouvait être recommandé comme traitement standard.
Comment gérer l’allaitement après traitement ?
La plupart des professionnels de santé pensent qu’il existe un risque de contamination de l’enfant par le lait maternel et recommandent l’expression du lait, voire le sevrage. Or de nombreuses études ont montré que l’on pouvait continuer l’allaitement sans mettre l’enfant en danger en cas d’infection par staphylocoque doré (OMS 2000). Il semble donc qu’il y a plus de désavantages à arrêter l’allaitement dans ces cas là. Par contre, en cas d’infection par streptocoque B, la contamination de l’enfant est possible. Si l’enfant présente des signes d’infection, il faudra le traiter ainsi que la mère. A long terme, si le traitement a été bien conduit, l’allaitement pourra être poursuivi de façon correcte. En cas de lésions importantes entraînant une destruction étendue de la glande mammaire, la lactation future pourra être compromise (10% des femmes ayant présenté un abcès).
Conclusion
• Ne pas méconnaître le diagnostic de l’abcès.
• Se méfier des situations cliniques trompeuses ou insidieuses comme les « candidoses » ne réagissant pas au traitement. Ne pas hésiter à donner un traitement antibiotique précoce afin d’éviter une évolution vers l’abcès.
• Travailler en réseau avec les radiologues et gynécologues compétents en lactation pour être plus efficace dans le diagnostic et plus conservateur dans le traitement.
• La ponction/lavage d’une collection purulente semble une bonne alternative à la chirurgie à condition que les abcès ne soient ni trop nombreux ni trop volumineux.
• Analyser le produit de ponction afin de permettre une antibiothérapie efficace.
• Agir vite et privilégier les traitements conservateurs par ponction de l’abcès, qui éviteront des lésions étendues entraînant un délabrement de la glande mammaire.
• Il serait nécessaire que les différentes équipes arrivent à un consensus de traitement : jusqu’à quelle taille peut-on ponctionner un abcès, avec quel produit faut-il pratiquer le lavage, combien de temps faut-il maintenir l’antibiothérapie, quand recourir à la chirurgie classique, autant de questions auxquelles nous n’avons pas de réponse précise actuellement.
Bibliographie
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9. Rageth C , Ricklin E, Schooll B, Saurenmann E. Beandlung puerperal mammaabszesse durch wiederholte ultraschallgezielte punktionen und perorale antibiotikagabe. Brust zentrum Zürich, article à paraître.
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11. OMS Genève 2004. Mastite. Causes et prise en charge. Cette brochure peut être téléchargée gratuitement à l’adresse suivante :
http://whqlibdoc.who.int/hq/2004/WHO_FCH_CAH_00.13_fre.pdf
Très bon article et merci pour votre témoignage, vigilance et compétences.
Je me permets de relever une chose non dit dans votre article et qui vous sera intéressant et utile.
Autre cas: certaines personnes présentes des mastites etc, abcès sein, sans aucun lien avec un allaitement ou accouchement.
Ces abcès dite spontanés révèlent parfois le diagnostic de la maladie de Verneuil.
C'est une maladie à ne pas oublier devant tout abcès d'une femme qui plus est n'est pas en cours d'allaitement ou que les enfants sont grands.
Cordialement
Bsr, merci de nous édifier a ce sujet, par ce ke vos informations m'ont été capitales
Merci!
Document très complet.
Nombreux cas cliniques qui nous renvoient à notre vécu professionnel.
Document utile pour convaincre les médecins d'adopter la meilleure attitude thérapeutique.
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