Cet article est paru dans le n° 16 des Dossiers de l'allaitement, 1993.
Stripping out pus in lactational mastitis : a means of preventing breast abcess. H Bertrand, LK Rosenglood. CMAJ 1991 ; 145(4). B Review, Nov 92.
3 phases ont été décrites pour la mastite : la phase d'inflammation du tissu conjonctif entre les canaux ; la phase d’adénite, avec infection des canaux ; la phase de collection, avec la création d'un abcès. Au stade d'adénite, du pus peut être extrait du sein, et le lait contient plus de 103 bactéries/ml. Au stade de l'abcès, une masse fluctuante est perçue dans le sein, et peut être visualisée à l'échographie. Le taux d'abcès est de 0 % chez les femmes présentant une mastite de stade un, et de 3,6 % chez celles présentant une adénite. Le traitement le plus fréquent des mastites allie tétées fréquentes, tirer le lait manuellement, et les antibiotiques. Cette étude a cherché à déterminer dans quelle mesure le fait d'extraire le pus du sein en cas d'adénite est susceptible d'empêcher la formation d'un abcès.
Cette étude a porté sur la clientèle privée d'un médecin de Montréal (Canada), entre 1975 et 1983. Toutes les femmes présentant une induration érythémateuse et douloureuse du sein, une température supérieure à 38°C, ou du sein desquelles on pouvait faire sortir du pus, ont été incluses dans l'étude.
On a dit à toutes les mères de faire téter leur bébé au sein affecté avant l'examen. Ceci rendait plus faciles tant l'examen du sein que l'extraction du pus. Le sein était palpé afin de délimiter l'induration. Un lubrifiant était appliqué sur le sein, et celui-ci était massé selon une technique particulière permettant de faire sortir le pus présent dans les canaux lactifères. On appuyait fermement le pouce au niveau de l'induration, en pressant vers la cage thoracique, puis on glissait lentement le pouce vers l'aréole en maintenant la pression. Quand le pouce atteignait l'aréole, on plaçait l'index de la même main à l'opposé du pouce autour de l'aréole. Les deux doigts encerclant le sein poursuivaient le mouvement pour se rejoindre au bout du mamelon. La manœuvre était répétée au moins trois fois et jusqu’à ce qu'il n'y ait plus émission de pus. Si la douleur provoquée par les manœuvres d’extraction était trop intense, une injection intramusculaire de mépéridine était pratiquée. En moyenne, le massage durait 15 minutes. Il était prescrit aux mères de continuer à allaiter, et de faire ce massage après chaque tétée.
Les mères qui prenaient déjà des antibiotiques ont poursuivi leur traitement, avec éventuellement un changement d'antibiotique si le premier n'apportait aucune amélioration. Les mères qui n'en prenaient pas se sont vues en prescrire si du pus sortait spontanément au mamelon, si elles avaient des crevasses, si elles souhaitaient sevrer, ou si elles avaient une mastite très étendue. On demandait aux autres de revenir pour prescription d'antibiotiques si leur état ne présentait aucune amélioration 2 heures après la mise en route du traitement par massage.
414 femmes ont participé à l'étude. 30 % présentaient une mastite depuis 6 jours ou davantage. 42 % avaient des crevasses. En moyenne, l'infection atteignait 1/3 du sein. À la première visite, toutes les femmes ont eu un massage du sein. Du pus a été obtenu chez 210 femmes. 153 (73 %) de ces femmes ont continué à extraire du pus de leur sein par la suite : pour 90 % d'entre elles, l'émission de pus a cessé dans la semaine. La plupart des femmes prenaient du repos au lit, et appliquaient des compresses chaudes sur le sein atteint. La moitié d’entre elles allaitaient plus fréquemment du côté atteint.
189 (46 %) des femmes ont reçu des antibiotiques. 66 en prenaient déjà avant leur première visite, et on en a prescrit lors de cette première visite à 123 autres. Sur les 226 mères qui n'ont pas reçu d'antibiotiques lors de leur première visite, une seule a rapporté ne présenter aucune amélioration, et un traitement antibiotique a été institué. 92 % des mères ont poursuivi l'allaitement. Sur les 35 femmes qui avaient décidé de sevrer leur enfant, 20 ont reçu de la bromocriptine.
Seulement 4 femmes ont développé un abcès, soit un taux de moins de 1 %. Ces femmes présentaient des smyptômes de mastite depuis 6 à 14 jours ; 3 d'entre elles avaient des crevasses et un engorgement, et toutes avaient reçu des antibiotiques. Aucun abcès n'est apparu chez les 289 mères chez qui l’extraction du pus a commencé dans les 5 jours suivant le début de la mastite, ni chez les 204 mères ne présentant qu'une inflammation.
La durée des symptômes a été très variable. Les mères multipares, celles qui ne prenaient pas d'antibiotiques et celles qui faisaient téter fréquemment leur bébé du côté atteint ont guéri plus vite. Les mères dont la mastite durait depuis plus de 5 jours à la première visite, celles qui avaient des crevasses, celles chez qui plus de la moitié du sein était atteinte, ont guéri plus lentement.
La mastite a récidivé chez 14 % des femmes, sans qu'aucun facteur puisse y être corrélé de façon significative. 33 (6 %) des mères sont tombées malades dans les 6 semaines suivant la mastite (réaction à l'antibiotique, douleur lors des tétées, maladies diverses…) ; le fait d’être malade était significativement corrélé à la gravité de la mastite. 38 (9 %) des enfants sont tombés malades dans les 6 semaines suivant la mastite (diarrhée, otite, candidose, stagnation staturo-pondérale ou autre maladie). La diarrhée, les coliques, la candidose et les éruptions cutanées étaient significativement corrélées à l'antibiothérapie de la mère.
La population étudiée comportait de nombreuses mères dont la mastite évoluait depuis déjà un certain temps. Ceci rend la comparaison difficile avec d'autres études où les mères présentaient des mastites moins sévères. Les enfants dont les mères prenaient des antibiotiques couraient plus de risque de présenter une maladie dans les semaines suivantes, en grande partie à cause des effets secondaires des antibiotiques. Cependant, ces antibiotiques ayant été donnés aux mères les plus atteintes, il est difficile d'apprécier dans quelle mesure l'antibiothérapie pouvait être rendue responsable d'effets négatifs sur l'évolution de la mastite ou l'apparition de troubles chez la mère et l'enfant par la suite. Certaines études ont remis en question le fait de donner des antibiotiques en cas de mastite, alors que d'autres ont trouvé que leur utilisation réduisait la durée d'évolution de celle-ci.
Les auteurs recommandent de masser le sein pour extraire du pus dans tous les cas de mastite évoluant depuis plusieurs jours. Si du pus est extrait, la mère devrait refaire ce massage toutes les 2 à 4 heures, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de pus. Elle doit aussi être encouragée à mettre son bébé au sein fréquemment. Le pus extrait sera mis en culture, pour établissement d'un antibiogramme, afin de pouvoir prescrire un antibiotique approprié si aucune amélioration n'est obtenue au bout de 24 heures de pratique du massage.
Ndlr. On peut se demander dans quelle mesure des tétées vraiment très fréquentes (au moins toutes les deux heures) ne seraient pas aussi efficaces et beaucoup moins douloureuses. Il faut aussi noter que les publications où il est expressément dit que le bébé peut téter même si du pus sort du sein sont rares.
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