Article paru dans les Dossiers de l'allaitement n° 79, LLL France, 2009
D’après :
Optimal positions for the release of primitive neonatal reflexes stimulating breast-feeding. Suzanne D Colson (maître de conférence, Université de Canterbury), Judith H Meek (néonatalogiste, Collège Universitaire des Hôpitaux Londoniens), Jane M Hawdon (néonatalogiste, Collège Universitaire des Hôpitaux Londoniens). Early Hum Dev 2008 ; 84(7) : 441-9.
et :
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En 2005, 76 % des mères anglaises ont commencé à allaiter après leur accouchement, un taux sans précédent. Mais 37 % avaient sevré leur bébé à 6 semaines ; dans 90 % des cas, le sevrage était survenu plus tôt que prévu par la mère (1). La baisse rapide du taux d’allaitement est une constante depuis les 20 dernières années (1-2). Le concept de l’acquisition par la mère des compétences pour une mise au sein correcte et une bonne prise du sein par le bébé a été introduit en 1986 pour aider à démarrer et à poursuivre l’allaitement (3). Pour mettre leur bébé au sein, les mères doivent s’allonger sur le côté, ou se tenir assises, en mettant leur bébé ventre contre ventre en face du sein ; ensuite, elles doivent mettre leur bébé au sein en approchant son menton du mamelon, puis son nez lorsque le bébé ouvre la bouche (4-9). Suivre ces recommandations est censé permettre aux mères de mettre leur bébé au sein de façon à éviter les problèmes de mamelons douloureux, et à favoriser un transfert optimal du lait. Toutefois, des études récentes (10-14) ont montré que cette approche ne présentait guère d’avantages. En fait, elles suggèrent même la nécessité de remettre en cause les informations actuellement données aux mères. Cet article passe en revue les mécanismes comportementaux qualifiés ici de « Biological Nurturing » (BN), une nouvelle approche de l’allaitement qui combine le nourrissage biologique et le maternage corporel.
Remettre en question nos recommandations
Les recommandations actuellement en vigueur sont fondées sur l’anatomie de la succion de l’enfant, et sur l’observation des mères qui présentaient des problèmes de mamelons douloureux (4-9). Elles partaient du principe que l’enfant possédait à la naissance deux réflexes primitifs permettant son alimentation : le réflexe de fouissement et le réflexe de succion. En revanche, les mères semblaient n’avoir aucune compétence innée pour mettre leur bébé au sein. Woolridge (3-4) estimait donc que les mères devaient « apprendre » à allaiter. Mais cela ne prend pas en compte les compétences que pourrait avoir la mère si on la laissait mettre instinctivement son bébé au sein au lieu de lui expliquer comment elle doit le faire. Les postures assises couramment recommandées pour la mise au sein sont souvent nettement moins confortables qu’une posture inclinée en arrière, qui permet à la mère d’être plus détendue et mieux soutenue. La position assise était également préconisée car on estimait qu’elle permettait au bébé de prendre plus facilement le sein, et qu’elle optimisait l’écoulement du lait. Or, rien ne permet de l’affirmer, comme rien ne permet d’affirmer que les positions inclinées en arrière ou allongées puissent induire un quelconque problème. En fait, bon nombre des problèmes de démarrage de l’allaitement constatés à l’époque dans les pays industrialisés étaient d’origine culturelle, et ils étaient causés par des recommandations inadaptées. Pour y remédier, nous avons commencé à donner aux mères d’autres recommandations, qui pouvaient sembler adaptées aux problèmes à surmonter, mais qui se sont avérées également susceptibles d’induire d’autres problèmes. Il semble donc temps d’étudier de plus près les réflexes innés des mères et des bébés, afin de revenir à des pratiques plus « naturelles ».
Des études ont montré que les bébés naissent avec les réflexes indispensables à leur alimentation. S’ils ne sont pas dérangés après la naissance, les nouveau-nés présentent toute une séquence de comportements réflexes qui les amèneront à prendre le sein et à téter. En dépit de cela, de nombreuses mères rencontrent des problèmes pendant les premiers jours ou les premières semaines, problèmes qui pourront les amener à sevrer plus rapidement que prévu.
Fondé sur des recherches suédoises (15-16), le BN (Biological Nurtering) préconise des positions du bébé qui sont différentes de celles habituellement recommandées, et ce à partir de l’observation du comportement spontané de mères après la naissance. L’auteur a observé des milliers de mères pendant ces 25 dernières années, à la recherche des caractéristiques présentes chez celles pour qui l’allaitement se passait bien. Suite à ces observations, elle a commencé à utiliser le BN, et à en évaluer l’impact. La mère est encouragée à s’installer de façon aussi confortable que possible, quelle que soit la position choisie ; elle doit être totalement détendue, pouvoir garder longtemps cette position sans effort ni fatigue, et tout son corps doit être bien soutenu. Le BN se fonde sur trois affirmations :
• Toutes les mères sont différentes, et en conséquence une position unique ne conviendra pas à toutes les mères ;
• Les mères savent trouver une position confortable lorsqu’on évite de leur donner des conseils sur la façon dont elles doivent s’installer ;
• La position spontanément choisie par la mère ne sera pas forcément la même pour toutes les tétées ; elle peut varier avec l’âge de l’enfant, d’un jour à l’autre, voire d’une tétée à l’autre.
De son côté, le bébé en position de BN a tout le corps plaqué contre celui de sa mère, longitudinalement ou transversalement. Classiquement, on définit la position du bébé au sein comme la position du corps du bébé par rapport à celui de sa mère, la prise du sein définissant la position de la bouche du bébé sur l’aréole. Le sein étant rond, le bébé peut théoriquement tourner autour selon un angle de 360 degrés (en pratique, les possibilités sont nettement plus limitées). Par exemple, une mère qui a eu une césarienne a souvent peur que son bébé appuie sur la cicatrice pendant les premiers jours. Une position d’allaitement où la mère est allongée en arrière, le bébé étant placé obliquement ou transversalement sur sa poitrine, permettra de l’éviter.
Testé à l’occasion d’études précédentes (17-18), le BN semble permettre la mise en œuvre de certains réflexes primitifs chez le nourrisson, qui facilitent l’allaitement. On pensait a priori que le visage du bébé s’écraserait sur le sein, ce qui l’empêcherait de le prendre correctement, s’il était mis au sein par une mère inclinée en arrière. Or, l’observation a permis de constater que, dans cette position, le bébé arrive à prendre le sein sous n’importe quel angle, de façon spontanément correcte. Le corps de la mère est bien soutenu, et il soutient sans fatigue le corps du bébé. La mère a souvent les mains libres. Certaines mères éprouveront le besoin de soutenir le sein, d’autres pas.
Les réflexes archaïques
Les réflexes archaïques regroupent un ensemble de réponses spontanées que l’enfant manifeste dès la naissance, qui sont déclenchées par des stimuli endogènes ou environnementaux (19). Des chercheurs (20-25) en ont décrit plus de 50, et certains d’entre eux sont couramment utilisés pour évaluer l’état neurologique d’un nourrisson. Des études cliniques ont montré que l’âge gestationnel, la position et l’état du bébé influencent l’expression des réflexes archaïques. Afin d’assurer la fiabilité de cette évaluation, Prechtl a standardisé les procédures permettant de les évaluer dans une étude déterminante (21). Chaque réflexe est recherché au milieu de l’intervalle entre 2 tétées, dans un état comportemental spécifique, et dans l’une des trois positions suivantes : sur le dos, à plat ventre, ou en suspension ventrale.
Les réflexes archaïques se développent pendant la vie fœtale, et peuvent être constatés à la naissance chez tous les enfants nés à terme et en bonne santé, ce qui permet de penser qu’ils peuvent favoriser l’allaitement quel qu’en soit le mode. Parmi ces réflexes archaïques, le réflexe de fouissement, celui de la succion et celui de la déglutition ont été largement étudiés (26-27). Au départ, la comparaison phylogénique du réflexe de fouissement entre les espèces prenait en compte les réflexes au niveau de la tête, des joues, des lèvres et de la langue (19). Par la suite, un consensus a limité ce réflexe chez le petit humain au fait qu’il tournait la tête en réponse à la stimulation des joues ou des lèvres (21-25). Bien que la plupart des experts en matière d’allaitement sont d’accord avec ce consensus, l’ensemble des réflexes de fouissement reste parfois évoqué. Par exemple, Blass et Teicher les incluent dans leurs comparaisons phylogéniques (28), ainsi que Als et al (29-30) et Nyqvist et al (31), en se focalisant surtout sur les réflexes des prématurés. Widstrom et al (15), et Righard et Alade (16) y ont ajouté le fait de porter la main à la bouche, de se déplacer et de ramper vers le sein, réflexes archaïques constatés chez les enfants nés à terme et placés en peau à peau pendant la première heure post-partum.
Toutefois, on sait encore peu de choses sur l’impact potentiel des réflexes archaïques sur l’allaitement. C’est pourquoi l’auteur principal a mené récemment une nouvelle étude, afin d’explorer la contribution des réflexes archaïques à l’alimentation infantile, en comparant les observations faites chez des mères pratiquant le BN et chez des mères utilisant d’autres positions de mise au sein. L’objectif de ces observations était de répondre aux questions suivantes :
• Est-ce que le BN favorise l’allaitement ? Si oui, est-il possible d’en décrire les composantes et les mécanismes de leurs interactions ?
• Quels réflexes archaïques peuvent être décrits comme jouant systématiquement un rôle dans le contexte de l’alimentation ?
• Quelle est la nature de ce rôle, et est-ce qu’il varie en fonction du mode d’alimentation ?
• Les variables contrôlées dans le cadre d’une évaluation neurologique sont-elles importantes dans le contexte de l’alimentation ?
Précédemment, les réflexes archaïques ont été analysés par des études naturalistiques qualitatives effectuées par des spécialistes de l’étude du comportement des bébés (32-33), ainsi que par des études quantitatives effectuées par des scientifiques (21-25). Ces deux approches offrent un cadre théorique fiable pour ce type d’étude. En conséquence, et suite aux innovations récentes sur les études à méthodologie mixte (34, 35), une étude descriptive comparative et quantitative a été couplée avec une étude qualitative pour le recueil des données utilisées par les auteurs.
Déroulement de l’étude
Un enregistrement vidéo d’une tétée a été effectué pour chaque dyade mère-enfant, pendant le premier mois post-partum. Cet enregistrement a été effectué au domicile de la mère ou en milieu hospitalier, suivant ce que préférait la mère. Ces vidéos permettaient de suivre les comportements spontanés des mères en temps réel. Une intervention, telle que la suggestion d’un changement de position faite à la mère, ne survenait que si cette dernière rencontrait un problème d’allaitement. Ces vidéos ont ensuite été analysées et structurées pour observation quantitative. La définition des positions de l’enfant, et celle de 14 réflexes archaïques observés à l’occasion de l’étude pilote, a été déterminée en se fondant sur les données scientifiques sur l’alimentation et la neurologie des nourrissons. Pendant l’analyse des données recueillies à l’occasion de cette étude, 6 autres réflexes archaïques ont été constatés et décrits, ainsi que 2 autres critères dynamiques : les positions de la mère, et la direction de la position du bébé.
Les pratiques culturelles peuvent avoir un impact sur l’expression des réflexes archaïques (41). Afin de minimiser l’impact de ce biais, l’étude a été conduite dans le sud-est de l’Angleterre, et à Paris (France). Un comité d’éthique a approuvé le protocole d’étude dans les deux pays. L’âge gestationnel de l’enfant à la naissance a été pris en compte, évalué à partir du premier jour des dernières règles de la mère, avec confirmation par les échographies. Les mères ont été incluses jusqu’au moment où tous les réflexes archaïques ont été observés et décrits pour chaque tranche d’âge gestationnel. Ces mères parlaient anglais ou français, avaient au moins 18 ans, leur grossesse avait été normale, elles avaient accouché à terme d’un enfant en bonne santé ayant un Apgar ≥ 9 à 5 mn, et elles acceptaient qu’un enregistrement d’une tétée soit effectué pendant le premier mois et utilisé à des fins d’études. Ces mères ont été informées sur l’étude, et sur leurs réactions éventuelles au fait d’être filmées, et on leur a demandé si elles souhaitaient que leur visage soit ou non dissimulé. 40 mères ont été incluses.
Les vidéos ont été divisées en épisodes pendant lesquels les réflexes archaïques pouvaient être observés (Tableau 1). Au total, 24 heures d’enregistrement ont été effectuées, comprenant 93 épisodes de mise au sein survenus lors de 50 séances d’enregistrement. Chaque tétée a été divisée en 3 périodes : avant la tétée, mise au sein, absorption du lait. Il n’a pas été défini de durée précise pour chaque période : si certains bébés tétaient rapidement et efficacement, ce n’était pas le cas pour d’autres, raison pour laquelle le nombre d’épisodes de mise au sein était variable suivant les mères. Les réflexes archaïques constatés pendant chaque période ont été identifiés et décrits, puis interprétés sur le plan de leur type, de leur fonction, et des commentaires éventuellement faits par la mère à leur sujet. On a également exploré les associations entre le nombre de réflexes archaïques constatés et diverses variables neurologiques. On a utilisé le concept de « meilleure performance » (Brazelton, 24, p.10), la réussite de la tétée étant le principal critère, pour sélectionner la « meilleure » tétée, qui a été utilisée pour évaluer la fiabilité et la répétabilité des observations, et la concordance des analyses effectuées par chaque auteur.
Résultats
Toutes les mères ont eu une tétée réussie pendant l’enregistrement. Le taux d’allaitement était de 100 % à 6 semaines (35 enfants étant totalement allaités, et 5 étant partiellement allaités). 20 réflexes archaïques ont été observés, qui ont été répartis en quatre catégories : endogènes, moteurs, antigravité et rythmiques. Ils ont également été répartis en deux groupes suivant qu’ils facilitaient la prise du sein ou le transfert du lait (Tableau 2). Il existait une corrélation élevée entre les observations faites par les 3 auteurs. Il n’existait aucune corrélation apparente entre la présence et le nombre des réflexes archaïques observés, et l’âge gestationnel à la naissance, l’âge du bébé au moment de la vidéo, l’état du bébé ou l’ethnicité.
Tableau 2. Réflexes liés à l’alimentation, type et fonction
Type de réflexe : E, endogène ; M, moteur ; AG, antigravité ; R, rythmique
Fonction : 1, trouver et prendre le sein ; 2, transfert du lait
a : réflexes archaïques facilitant l’allaitement en position totale de BN,
mais constituant une barrière dans d’autres positions
Pendant la « meilleure » tétée, 21 mères étaient en position assise classique, une mère était totalement allongée sur le dos, une mère était couchée sur le côté, et les 17 autres mères étaient en position de BN (inclinées en arrière). Tous les bébés étaient totalement ou partiellement en position de BN. Le nombre de réflexes archaïques constatés lorsque la mère n’était pas en position de BN était de 11,6 en moyenne, contre 15,9 lorsqu’elle était totalement en position de BN. Dans cette position, le nourrisson exprimait un nombre significativement plus élevé de réflexes qui l’aidaient à prendre le sein et à téter efficacement. La durée de la tétée était un peu plus longue en position de BN (23 mn 54 s contre 23 mn 11 s), mais la différence n’était pas significative. Lorsqu’une mère qui présentait un problème d’allaitement changeait de position pour adopter une position de BN, le bébé devenait souvent plus actif dans le contrôle de la tétée, aidé par l’expression de différents réflexes archaïques, et la prévalence des problèmes liés à un flot de lait abondant diminuait.
Les réflexes endogènes
Les réflexes endogènes semblent souvent « venir de nulle part ». Peiper (20) désigne ce phénomène comme une stimulation par l’absence, ou une réponse sans stimulus apparent. Les réflexes archaïques endogènes étaient observés dans le contexte précédant la mise au sein, comme manifestations de faim, ou de façon surprenante lorsque la mère arrêtait la tétée car elle pensait que son bébé était repu. Dans ce second contexte, ce comportement semblait indiquer le désir de téter « pour le plaisir », ou d’être dans les bras de la mère, ce qui corrobore les travaux de Blass et Teicher (28) sur les multiples rôles de la tétée.
Matthiesen et al (43) ont observé un « massage du sein avec les mains » chez le nouveau-né pendant la première heure post-partum, avant la mise au sein. Ce comportement est corrélé à une sécrétion maternelle élevée d’ocytocine, ce qui suggère que ce pétrissage inné favorise la lactation, et que le bébé se comporte comme le font d’autres petits mammifères, qui utilisent leurs pattes ou leur tête (20, 28). Dans cette étude, on a observé des comportements de balancement de la tête et de flexion/extension des doigts avant la prise du sein pendant le premier mois post-partum. Des échantillons de sang n’ont pas été prélevés pour cette étude, mais une forte érection des mamelons a été observée, ce qui confirme les observations de Matthiesen et al (43).
Brazelton et Nugent (24) décrivent le réflexe main-bouche comme favorisant l’organisation, et comme une activité d’auto-réconfort. Dans cette étude, le réflexe main-bouche déclenchait l’ouverture de la bouche, le réflexe de fouissement et le réflexe de succion comme manifestations de désir de téter ou pendant la mise au sein, ce qui avait déjà été constaté par Widstrom et al (30). Dans cette étude toutefois, et contrairement à ce qu’ils avaient constaté, ces réflexes ne survenaient pas dans un ordre défini, ce qui rendait chaque tétée unique.
Les réflexes moteurs
Comme cela a été décrit (21-25), lorsque la mère était allongée sur le dos, les pieds du bébé s’appuyaient contre le corps de la mère, ce qui déclenchait le déplacement de l’enfant. La pression exercée sur la plante de ses pieds provoquait le réflexe de marche automatique qui, allié au crawling, propulsait le bébé vers le sein. Toutefois, les bébés ont souvent besoin de l’aide de leur mère pour trouver le sein. En position de « Biological Nurturing », peu de mères prenaient leur bébé dans les bras en appuyant sur son dos. Le plus souvent, le corps de la mère servait d’assise, ses bras constituaient des limites, et ses doigts guidaient le bébé, déclenchant et canalisant le nombre et la nature des réflexes archaïques nécessaires pour aider le bébé à prendre le sein et à téter. Il était surprenant de constater que cette chorégraphie individuelle révélait des séquences de comportements instinctifs chez la mère. Après avoir apporté à leur bébé l’inclinaison et l’espace nécessaire pour atteindre le sein, on observait une pause caractéristique ; les mères attendaient, puis mettaient leur bébé dans une position qui imitait la position dite de suspension ventrale (21-25). Elles orientaient instinctivement le corps de leur bébé de façon à déclencher chez lui le bon réflexe au bon moment. Lors de la mise au sein, on constatait une importante relation entre les pieds et la bouche du bébé. Les mères caressaient spontanément les pieds de leur bébé, déclenchant chez lui à la fois un réflexe de Babinski, et des mouvements des lèvres et de la langue. Cette connection observée entre les réflexes au niveau des pieds et les réflexes buccaux n’était pas constatée lorsque la mère était en position assise, probablement parce que les mains de la mère soutenaient le corps du bébé, ses pieds étant dans le vide.
Les réflexes rythmiques
La succion et la déglutition surviennent de façon rythmique (20-27). Prechtl (21) expliquait comment déclencher la contraction de la mâchoire : le fait de frapper légèrement et vivement le menton induisait une contraction brusque des masséters. Cela pourrait expliquer pourquoi on recommande que la prise du sein par le bébé se fasse en appliquant d’abord le menton sur l’aréole. Toutefois, lorsque l’enfant est à plat ventre sur le corps de sa mère, il est inutile de s’en préoccuper. Avec la gravité, le visage du bébé est plaqué contre le sein, et le menton du bébé appuie rythmiquement contre le sein, ce qui favorise une bonne prise du sein et une succion efficace.
Les réflexes antigravité
Dans cette étude, la position inclinée en arrière de la mère avait une conséquence sur la direction de la position du bébé, qui a été qualifiée de longitudinale, transverse, ou oblique. Lorsque la mère est en position assise, le corps de l’enfant est presque toujours disposé transversalement. Si une mère qui était assise s’allongeait, on constatait une réaction en chaîne : le corps de la mère était plus ouvert, la position du bébé devenait oblique ou longitudinale, et le bébé disposait immédiatement d’un espace plus important pour bouger. La gravité maintenait le bébé contre le corps de sa mère, sans empêcher sa mobilité. Les seuls réflexes antigravité nécessaires dans cette position étaient ceux responsables de l’élévation et du maintien de la tête. Ils favorisaient une ouverture large de la bouche, et permettaient une prise du sein efficace et sans douleur, même lorsque le bébé semblait somnolent.
Lorsque les réflexes deviennent une barrière
L’observation des mères à l’occasion de cette étude a permis également de constater que les réflexes archaïques n’étaient pas toujours une aide. Dans certains cas, ils constituaient même une entrave à la réussite de la tétée. Il est donc nécessaire de mieux comprendre comment la position prise par la mère influence la mise en œuvre et le résultat de ces réflexes. Lorsque la mère était en position assise, l’élévation de la tête et le réflexe de fouissement semblaient être déclenchés par les pressions exercées sur le dos et la poitrine de l’enfant lorsqu’on l’amenait devant le sein. Mais dans cette position, les mouvements désordonnés du bébé rendaient la prise du sein plus difficile. Souvent, la mère réagissait en maintenant son bébé plus étroitement, ce qui intensifiait encore la réaction du bébé : il s’arquait en arrière, agitait les bras et les jambes, et portait ses mains à sa bouche ; le bébé donne alors l’impression de s’énerver, ou de se battre contre le sein. Ce comportement a été observé par Gunther (45), Gohil (46), et il est défini par le cours de l’OMS sur l’allaitement (47) comme étant un refus apparent du sein. Par ailleurs, plus la mère était en position verticale, et plus le poids du bébé se faisait sentir sur les bras de la mère, ce qui rendait encore plus difficile la prise du sein par l’enfant.
Peiper (20) décrit un mouvement pendulaire de la tête comme étant un réflexe endogène. De leur côté, Prechtl (21) et André-Thomas (22) rapportent des automatismes de recherche, qu’ils estiment faire partie du réflexe de fouissement permettant aux petits mammifères de localiser les mamelles maternelles. Peiper comparait les mécanismes chez l’homme et chez les autres petits mammifères : ces derniers, qui sont à plat ventre pour téter, peuvent bouger la tête et le cou horizontalement et verticalement, le point de pivot se situant au niveau cervical ; au contraire, le petit humain, mis au sein en position dorsale, tourne uniquement sa tête de droite à gauche, ses mouvements étant limités par la façon dont il est maintenu. Mais lorsqu’il est mis au sein en position allongée sur le ventre, la tête du petit humain bouge de la même façon que celle des autres petits mammifères. Pendant le BN, les réflexes cardinaux, tels que définis par André-Thomas (22) sont tous stimulés.
Respecter les comportements innés
D’un point de vue mécanistique, ces observations permettent de penser que les comportements d’allaitement sont innés chez le nourrisson comme chez la mère, et n’ont normalement pas besoin d’être « enseignés ». Cela pourrait expliquer pourquoi des interventions d’apprentissage ont paradoxalement donné un résultat équivalent ou même une durée plus courte d’allaitement et un vécu moins satisfaisant des mères (10-14). Il est bien connu que le fait d’acquérir des « connaissances » est incompatible avec l’expression des comportements innés (48) ; la stimulation néocorticale provoquée par l’apprentissage peut inhiber la sécrétion d’ocytocine (49). Une étude suédoise a constaté une corrélation entre la pulsatilité du taux d’ocytocine à J2 et la durée de l’allaitement (50).
À la connaissance des auteurs, c’est la première étude permettant d’objectiver l’impact significatif de la position adoptée par la mère sur le déroulement de la tétée. De plus, alors que les études effectuées auparavant s’étaient uniquement focalisées sur le rôle des réflexes de fouissement, de succion et de déglutition, cette étude a répertorié 17 autres réflexes archaïques jouant un rôle dans l’alimentation. Ces résultats viennent s’ajouter aux travaux de Peiper (19), aux procédures d’évaluation neurologique (20-24), aux comparaisons phylogénétiques (27, 28), et aux positions observées par une équipe suédoise (15, 16). Ils permettent d’améliorer notre compréhension de la contribution des réflexes archaïques à l’allaitement pendant les quatre premières semaines. La méthodologie mixte de cette étude est l’une de ses principales caractéristiques, et on pourrait soutenir que la gamme des diverses positions maternelles favorisant l’expression des réflexes néonataux n’aurait pas pu être observée sans les méthodes utilisées pour les études qualitatives observationnelles. Il est toutefois impossible d’en déduire une relation de cause à effet sans équivoque. Le groupe de mères était de petite taille, et sélectionné pour permettre un certain éventail d’âge gestationnel à la naissance, pour observer les comportements de « Biological Nurturing », et non pour évaluer des corrélations ou une signification.
En conclusion
Les nourrissons ont des réflexes innés. Certains de ces réflexes semblent favoriser la prise du sein, d’autres le transfert du lait. Un nombre plus important de réflexes étaient observés lorsque la mère était en position inclinée en arrière pour mettre son enfant au sein. Les femmes ont également des comportements innés qui sont susceptibles de faciliter l’allaitement. En position inclinée en arrière, les femmes favorisaient instinctivement la survenue chez leur enfant des réflexes facilitant la prise du sein, ce qui n’était pas constaté lorsque la mère était en position assise.
Contrairement à l’avis couramment donné aux mères de s’asseoir pour mettre leur bébé au sein en soutenant son dos et sa tête, il semble que le comportement naturel et instinctif d’allaitement pour la mère et pour l’enfant soit une position inclinée en arrière de la mère, le bébé étant couché contre le ventre de sa mère, bien en contact avec son corps. Dans cette position, les bébés utilisent des réflexes archaïques antigravité pour localiser le sein, et n’ont pas besoin d’être soutenus au niveau du dos pour prendre le sein. Dans cette position également, les mères aident plus instinctivement leur bébé. D’autres recherches sont nécessaires sur le sujet. Cette étude ouvre une voie intéressante de recherche sur la façon dont les réflexes innés peuvent favoriser ou défavoriser l’allaitement, et stimuler ou inhiber la survenue chez la mère d’un comportement instinctif approprié. Elle montre également que les conseils couramment donnés peuvent en pratique être contreproductifs.
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Article très intéressant
Très bel article. Permet de mieux comprendre les comportements des bébés et essayer de nouvelles positions pour notamment éviter un réflexe d'éjection trop fort et également que le bébé n'avale trop d'air et donc fasse des coliques.
Merci beaucoup pour ce site complet !
J'ai depuis le début de ma grossesse voulu allaiter, je pensais que ce serait si simple que je ne me suis pas assez bien renseignée.. A la naissance, il n'ont pas voulu qu'elle téte immédiatement, donc ça ne c'est pas fait, j'ai pu la mettre 2h après au sein! Elle l'a bien pris au début, mais j'ai vite vu qu'elle ne prenait pas grand chose, et s'énerver. Personne ne m'a aider à la maternité pourtant qui a le label " ami des bébés " et des personnes former en allaitement.. J'ai donc demander à tirer mon lait et le donner au biberon.. Elle n'en voulait pas non plus. Je suis rester 1 semaine à la maternité vu qu'elle ne prenait pas assez de poids, rentrée à la maison, je me suis renseignée mais ne connaissait pas votre site et j'ai donc eu que de mauvais conseils, elle prend toujours le sein sans biberons que le sein exclusivement, mais parfois s’énerve ou s'agite.. Résultats des courses, ma poupée à 1 mois et elle n'a toujours pas repris son poids de naissance, je suis anéantie, j'ai cette impression d'être une mauvaise mère et personne pour me comprendre ou on me dit mais arrête et donne lui le biberon (heureusement mon conjoint me soutient énormément pour mon allaitement). J'ai donc décider de prendre rdv avec une conseillère en lactation pour voir d'où vient le problème! Pas envie de lâcher mon allaitement, ça me tiens tellement à coeur. Mais encore merci pour ce site !!!
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