Article écrit par Marie Courdent (animatrice LLL, formatrice en allaitement, DIU Lactation Humaine et AM) et paru dans les Dossiers de l'allaitement n° 90, janvier-février-mars 2012.
1ère famille
L’enfant A. est né à 40 semaines d’aménorrhée (SA) avec un poids de naissance de 4 240 g pour une taille de 53 cm et un PC de 36,5 cm. A 2 mois ½, l’enfant a une consultation pédiatrique pour stagnation pondérale et staturale : il pèse 4 650 g pour une taille de 58 cm. Sur les courbes de l’OMS, A. était à la naissance au 97ème percentile, il est alors en dessous du 3ème percentile. La courbe staturale est passée de + 1 DS à - 1 DS. En même temps, on sait que certains enfants croisent les percentiles sans que cela soit pathologique (surtout ceux nés avec un poids de naissance élevé qui peuvent rejoindre un percentile inférieur à celui de la naissance, voir l'article de Mei Z. et al. Pediatrics 2004 ; 113 : e617-27).
La maman signale un problème similaire avec son aînée Y., suivi dans le même CH. Elle était alors exclusivement allaitée, et avait été hospitalisée à 1 mois et 3 semaines pour stagnation pondérale. Il n’y avait pas eu de stagnation de la courbe staturale, le problème ayant été pris en charge plus tôt que pour son frère. Le diagnostic de carence en sel avait été alors posé, elle avait reçu du NaCl en gélules à diluer, pendant un mois, ce qui avait été suffisant pour permettre une bonne reprise pondérale. Elle avait été allaitée 2 mois exclusivement, puis partiellement jusqu’à 6 mois.
L’enfant A. est lui aussi allaité. Le premier mois, il avait reçu quelques biberons de lait industriel, qui n’avaient rien changé à la faible prise pondérale. À 2 mois ½, il est en allaitement exclusif, les tétées sont nutritives, et pour essayer de faire grossir l’enfant, la maman complète avec du lait maternel exprimé qu’elle donne avec un DAL (Dispositif d’Aide à la Lactation). À 2 mois ½, il reçoit 8 repas d’environ 90 ml.
Sa natrémie est normale à 137mEq/l, et sa natriurèse verrouillée à < 1 mEq/l. Il n’y a ni allergie aux protéines du lait de vache, ni hypothyroïdie. Une supplémentation de 3 mEq/kg/j de NaCl est prescrite sous forme de gélules à ouvrir pour diluer le sel dans l’eau. À 3 mois ½, A. est en allaitement mixte avec deux biberons de 120 ml de lait industriel par jour. Il pèse 5 100 g (+ 390 g en 3 semaines), un poids toujours inférieur à – 3 DS. La taille est de 61 cm. Sa natriurèse est à 7 mEq/l. La supplémentation en sel alors prescrite est de 0,8 g/j.
À 4 mois, A. est en allaitement mixte avec 3 biberons de 150 ml par jour. Il pèse 5 550 g, soit une prise de 450 g en 12 jours (taille : 61 cm). Il recevra du sel durant deux mois, de 2 mois ½ à 4 mois ½. À 10 mois½, il pèse 8 565 g pour une taille de 71 cm. À 12 mois, environ 9 kg pour 72,5 cm. À 27 mois½, il pèse 12 kg pour 88 cm, avec un PC de 50 cm.
2ème famille
L. est née à 35 semaines d’aménorrhée, par césarienne pour un hématome rétro-placentaire, avec un poids de naissance de 2 700 g (courbes OMS : 15ème percentile). À 3 semaines elle reprend son poids de naissance. À 7 semaines, elle pèse 3 300 g ; à 3 mois, elle pèse 4 650 g. À partir de ce moment, elle restera sous la courbe de croissance de l’OMS durant un an. Elle est allaitée à volonté, et la diversification alimentaire vers 7 mois en plus des tétées ne changera rien à la prise pondérale.
À 14 mois, elle est toujours allaitée et mange de tout, elle pèse 6 600 g. Suite à la faible prise de poids, la directrice de la crèche qu’elle fréquente envoie une information préoccupante à la PMI. Un suivi est mis en place. Un apport de dextrine maltose et d'huile lui permet de prendre 1 kg en un mois. À 15 mois, sa natriurèse est recherchée, et elle est de 4 mEq/l. Elle est alors supplémentée en NaCl en ampoules dans ses petits pots durant deux mois. À 16 mois ½, sa courbe rentre dans la courbe OMS. L'allaitement n'a jamais été remis en question par le pédiatre qui la suit. À 2 ans et 10 mois, sa stature est normale.
Sa sœur P. est née à terme par césarienne avec un poids de 3 400 g. À 2 mois, elle pèse 4 600 g (au-dessus du 15ème percentile de la courbe OMS), et 5 270 g à 3 mois (au-dessus du 15ème percentile). La maman reprend alors son travail à mi-temps. L’enfant bénéficie de 3 biberons de 200 ml de lait maternel exprimé, donnés par l’assistante maternelle, et de tétées à volonté quand elle est avec sa mère. Son poids se met à stagner : à 4 mois, elle pèse 5 300 g, 5330 g à 5 mois, et 5 320 g à 6 mois. La courbe de taille, jusque là entre le 75ème et le 97ème percentile, commence à s'infléchir. L'enfant a par ailleurs un excellent développement psychomoteur.
À 6 mois, le médecin traitant demande l’avis d’un pédiatre. Le premier pédiatre consulté, inquiet de la faible prise de poids de l'enfant, envoie une information préoccupante auprès de la PMI. N’étant pas satisfaits de l'intérêt porté à l'état de leur fille par ce praticien, les parents consultent un second pédiatre, qui décide de faire hospitaliser l'enfant, âgé de 6 mois et 1 semaine. Le diagnostic porté est « rhinite à virus respiratoire syncytial avec surinfection bronchique et stagnation pondérale ». Il est noté une légère anémie avec un taux d’hémoglobine à 10,4 g/dl, une natrémie à 137 mEq/l. Il n'y a pas eu d'analyse d'urines, malgré la demande des parents suite à leur expérience avec leur aînée.
La diversification alimentaire est débutée durant l’hospitalisation avec, dit le compte-rendu médical, introduction des légumes au déjeuner, associée à la prise de laitages, étant donné que P. refusait catégoriquement les biberons de lait industriel, alors que chez son assistante maternelle elle prenait les biberons avec le lait de sa mère ; les parents ont même apporté à l'hôpital les biberons utilisés par la nounou, mais rien à faire, elle n'en voulait pas. Au goûter était proposé un pot de fruits et un laitage, au dîner P. prenait une purée de légumes et un laitage. L’allaitement maternel était bien sûr conservé, à raison de 3-4 tétées par jour. L’enfant est sortie après 5 jours d’hospita-lisation.
La stagnation pondérale persistant après le retour au domicile, la puéricultrice de PMI fait réhospitaliser l’enfant 15 jours plus tard, pendant 24 heures. Au cours de la seconde hospitalisation, une analyse d'urine constate une natriurèse < à 20 mEq/l, sans plus d’exploration. Il n’y a pas de maladie cœliaque. On recommande aux parents l’enrichissement des purées de légumes par l’ajout d’une noisette de beurre ou d’une ½ cuillère à café d’huile, plus ou moins associées à du gruyère râpé, et de préférer les petits suisses à 40 % de matière grasse. Il a aussi été précisé à la maman de respecter les horaires des repas, notamment pour les tétées. La pédiatre de l'hôpital demande d'ajouter « une pincée de sel » à chaque repas, ce qui ne satisfait pas les parents, car pour leur aînée, ils avaient un dosage précis pour le sel qu'ils devaient ajouter (grâce à des ampoules).
À la sortie, la diététicienne donne comme exemple de répartition alimentaire :
• Matin : 1 tétée
• 9 h 30 – 10 h : 120 ml de lait 2ème âge
• Midi : 80 g pommes de terre + 80 g légumes + 10 g de beurre et un yaourt fabriqué avec du lait industriel pour enfant de plus de 6 mois.
• Goûter : 1 yaourt comme ci-dessus + 1 compote sucrée
• Diner : idem déjeuner
• Soirée : 1 tétée.
La maman avait un projet d’allaitement long, et elle n'a pas été entendue. Elle sait très bien qu'avec deux tétées par 24 h, elle n'y arrivera pas. Pour elle, l'allaitement n'est pas qu'alimentaire et elle souhaite pouvoir continuer à allaiter quand son enfant le demande pour lui apporter amour, sécurité, tendresse, réconfort. L'histoire familiale n'a pas été prise en compte durant les deux hospitalisations, malgré la demande maternelle. La PMI est chargée de surveiller la prise de poids de l'enfant comme cela avait été fait pour l’aînée. Les parents se sentent suspectés de mauvais traitements, car l'histoire se répète. La maman est remise en question dans son choix d'allaiter son bébé. Ce qu’elle a entendu sur l’allaitement s’est limité à : « L'allaitement au-delà de l'âge de 6 mois est rarissime », « à cet âge, c'est une tétée matin et soir, il faut lui donner un rythme avec des horaires précis pour les repas », « laissez tomber vos convictions concernant l'allaitement ».
On ne peut douter de la production de lait maternel, puisque la mère est capable de tirer 600 ml de lait les trois jours par semaine où elle travaille pour les donner à l'assistante maternelle. P. était allaitée à la demande jour et nuit quand sa mère était là. Depuis la première hospitalisation, elle est diversifiée, a bon appétit, et tète toujours à volonté entre les repas quand sa mère est là. Sa croissance pondérale a redémarré. La maman souhaite poursuivre son allaitement, et elle rencontre une consultante en lactation IBCLC. Suite à cette consultation d’allaitement, le médecin traitant revérifie la natriurèse, qui est effondrée à < 5 mEq/l. Les parents souhaitent un second avis, et consultent une pédiatre d’un hôpital Ami des Bébés quand la fillette a 7 mois 3 semaines. Cette pédiatre confirme la carence sodée, et une supplémentation en sodium 1 ml 3 fois par jour est instaurée. Elle demande aussi à la maman d’enrichir en sel son alimentation, faiblement sodée, sous couvert d’une surveillance de sa tension. Le taux de sodium dans le lait maternel de la maman de P. était de 7 mEq/l, ce qui est le taux normal selon mes recherches (Nutrition during lactation. National Academy Press, 1991, p. 129), et suite à la supplémentation sodée de l'alimentation maternelle, il est passé à 12 mEq/l.
Un mois après le début de la supplémentation en sel, la natriurèse de l’enfant est de 12 mEq/l, celle de la maman de 40 mEq/l (valeurs acceptables). P. continue à être supplémentée en sel, et à être suivie par la pédiatre Amie des Bébés. Sa croissance se poursuit régulièrement. Elle rentre dans les courbes OMS à 9 mois. L'enfant sera supplémentée en sel durant huit mois. En parallèle, la maman suit une psychothérapie depuis la grossesse de sa seconde fille, expliquant avoir difficilement vécu la césarienne subie lors de son premier accouchement. À 2 ans, P. est toujours allaitée. Son poids est de 10 kg, juste sous le 15ème percentile de la courbe OMS, et sa taille de 86 cm.
L’histoire médicale s’arrête là, mais pas l’histoire juridique. Parce que les parents n’ont pas voulu renoncer à leurs convictions et arrêter l’allaitement, qu’ils se sont mis en retrait vis-à-vis de la PMI, et malgré le diagnostic médical de carence sodée entrainant une stagnation pondérale, les parents ont fait l’objet par le médecin et la puéricultrice de PMI d’un signalement au juge des enfants. « Le service de PMI sollicitait une mesure d’investigation et d’orientation éducative indiquant que la faible prise de poids d’un enfant est souvent en lien avec des carences affectives ». Les parents étaient effondrés, la maman répétait « mais comment on en est arrivé là ? » Ils ont dû prendre un avocat et se préparer à l’audience où devaient être présents la puéricultrice et le médecin de PMI. Le juge dira qu’il n’y a pas lieu d’instituer une mesure de protection à l’égard de P. car il apparait que les parents se mobilisent pour leur enfant, et mettent en place les suivis nécessaires. Un suivi médical régulier est en cours afin de déterminer l’origine de la faible prise de poids de l’enfant. Un travail sur le lien mère/enfant est également fait dans le cadre de la psychothérapie. L’intervention du juge des enfants ne se justifie pas. Un non lieu sera donc prononcé . Il reste alors aux parents à reprendre confiance en eux, à la mère à être rassurée sur sa capacité à nourrir correctement sa fille et à se reconstruire en tant que mère.
De multiples questions restent sans réponse
• Je n’ai trouvé aucune bibliographie sur le sujet « Stagnation pondérale et natriurèse effondrée ». Quelle en est la fréquence ? Quelles sont les normes biologiques chez l’enfant allaité ?
• Quel est le mécanisme sous-jacent ? Sous-nutrition ? Immaturité des surrénales ? Hyperaldostéronisme secondaire à une dénutrition avec hyper-réabsorption du Nacl ?
• Cette pathologie existe-t-elle aussi chez des enfants non allaités ? Il semble que oui, car les enfants dénutris pour quelque raison que ce soit, présentent une natriurèse basse (dénutrition + carence d’apport).
• Le taux de sodium du lait maternel est lié à la fermeture ou non des jonctions serrées au niveau des lactocytes. Peut-il néanmoins varier en fonction de l’alimentation maternelle ? Puisque le Nacl diffuse à partir du plasma de la mère, ce serait plutôt en rapport avec la natrémie maternelle.
• À chaque fois, il s’agissait de fratries. Quelle est l’incidence familiale ?
• Pourquoi P. a-t-elle eu une croissance satisfaisante jusqu’à 3 mois ?
• Le lait maternel apporte environ 70 kcal pour 100 g ; un petit pot de carotte 4-6 mois apporte 36 kcal pour 100 g ; quand arrêtera-t-on de penser qu’introduire des légumes à la place et non en plus des tétées aide un enfant à grossir ?
• Le lait maternel est le lait normal du petit humain. Quand arrêtera-t-on de chercher à remplacer le lait humain, premier choix, par un substitut que l’OMS qualifie de quatrième choix ?
• Quand seront entendus et respectés dans leurs choix les parents qui ont un projet d'allaitement long, en accord avec les recommandations des autorités de santé nationales et internationales ?
Recherche bibliographique sur le taux de sodium dans le lait maternel
• Il semble qu'un apport quotidien de 92 à 184 mg/jr de sodium soit plus que suffisant au cours de la première année de vie, et que même un apport relativement faible de 30 à 41 mg/jour suffirait à assurer un bon rythme de croissance. Le nourrisson nourri seulement au lait maternel obtient un apport quotidien de sodium allant de 23 à 31 mg/kg de poids corporel. Santé Canada. (Accueil - Santé de l'environnement et du milieu de travail - Rapports et publications - Qualité de l'eau - Le sodium) - www.sc-hc.gc.ca
• « Le taux de sodium dans le lait de mère était trois fois plus élevé que celui du témoin (97 vs 36 mmol/l). » Dans : Déshydratation hypernatrémique et allaitement maternel. Hsairi M et al. Journal de Pédiatrie et de Puériculture 2006 ; 19(7) : 265-7.
• L'ouverture des jonctions intercellulaires permet la réabsorption de la sécrétion lactée dans les alvéoles pendant la grossesse et au moment du sevrage. Elle survient aussi en cas de stase pathologique de lait : au cours d'un épisode d'engorgement ou d'une mastite. Sur le plan biologique, elle se traduit par la présence de lactose dans le sang et/ou les urines de la mère, et par une concentration élevée de sodium (> 12 mmol/l) dans le lait (dans Santé Allaitement Maternel : Fabrication du lait féminin).
Je vous renvoie à ce qui est dit dans l'article ci-dessus.
À notre connaissance, il n'y a aucune publication à ce sujet dans toute la littérature mondiale sur l'allaitement, et ça serait fréquent, d'après cette pédiatre ?!
Peut-être pourriez-vous lui demander sur quelles études elle se fonde pour dire ça ?
Bonjour, dans le cadre d'une diminution de la croissance pondérale de notre fille aux alentours de ses 1 mois, nous avons eu un rendez-vous avec une gastro-pédiatre lilloise qui, en dehors d'un très probable RGO compliqué d'une oesophagite, a prescrit une natriurèse en nous précisant qu'il arrivait fréquemment que les bébés suis allaitement maternel exclusif soient carencés en sodium. Le diagnostic a été confirmé par une natriurèse effondrée (↓20meq/l).
Notre fille est supplémentée pour 4 x 1mL de NaCl 20% et suit la courbe -1ds (alors qu'elle était sur le normale pendant tout son premier mois).
Une réévaluation sera effectuée début janvier mais il est difficile de savoir si des courbe pondérale revient dans les "normes" grâce à cette supplémentation et/ou grâce au traitement du RGO compliqué...
Dans tous les cas, il pourrait être intéressant de connaître la natriurèse chez les bébés allaités exclusivement par du lait maternel ayant une bonne croissance pondérale ainsi que celle des bébés avec une cassure de la courbe pondérale, ne serait-ce que pour savoir ce que l'on traite...
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