Cet article est paru dans le n° 117 des Dossiers de l'allaitement, décembre 2016
D'après : Still LEAPing to wrong conclusions ? Minchin M. Breastfeed Rev 2016 ; 24(2) : 7-10.
De plus en plus de médias clament qu’il est maintenant démontré que l’introduction « précoce » d’autres aliments chez les enfants allaités pourrait prévenir le développement des allergies alimentaires. Précoce signifie aux alentours de 4 mois, et certaines organisations professionnelles recommandent donc l’introduction des solides entre 4 et 6 mois. Mais 4 mois et 6 mois ne sont pas les âges utilisés comme définition d’un sevrage précoce et tardif dans toutes les études. L’auteur souhaite analyser de ce point de vue l’étude LEAP (Randomized trial of peanut consumption in infants at risk for peanut allergy. Du Toit G et al. NEJM 2015 ; 372(9) : 803-13. Résumé dans Doss All 2016 ; 103 : 19).
Cette étude avait pour objectif de déterminer les relations entre les pratiques de consommation ou d’éviction de l’arachide et la survenue d’une allergie aux arachides chez des enfants anglais et israéliens, et elle mettait en avant l’exposition environnementale, suggérant que le contact cutané pouvait être moins bien toléré par les bébés que l’ingestion. Les auteurs n’ont cependant pas pris en compte l’alimentation maternelle pendant la grossesse et l’allaitement en tant que variable confondante, alors qu’on sait qu’une sensibilisation peut survenir chez l’enfant pendant ces périodes. Cette étude a été très largement citée dans les médias comme justification de l’intérêt d’introduire d’autres aliments avant 6 mois. Pour quelle raison est-ce erroné ?
L’un des critères d’inclusion était que les enfants devaient avoir au moins 4 mois et moins de 11 mois, et qu’ils devaient déjà consommer « avec succès » des solides. Le fait que ces enfants souffraient tous d’eczéma sévère et/ou d’allergie à l’œuf était-il une des conséquences de cette introduction « réussie » des solides ? On a considéré que ces enfants avaient été sensibilisés par la présence des allergènes présents dans la poussière au domicile familial, mais les auteurs n’ont pas évalué la possibilité qu’ils l’aient été in utero ou via le lait maternel. Des prick-tests ont été effectués pour recherche d’une allergie à l’arachide, et environ 10 % des enfants ont été exclus de l’étude en raison de leur réaction trop importante à ce test. L’âge médian des enfants à leur entrée dans l’étude était 7,8 mois, la majorité des enfants ayant donc plus de 6 mois. Et ces enfants partiellement allaités, présentant déjà d’importants signes cliniques d’allergie, dont certains avaient un test cutané positif à l’arachide (mais pas « trop » positif) ont été randomisés pour consommer de l’arachide (au moins 2 g, 3 fois par semaine jusqu’à 60 mois) ou ne pas en consommer, et ils ont été évalués sur le plan de l’allergie à l’arachide à 5 ans. Pour ce faire, ils ont été répartis en 2 groupes suivant que l’introduction de l’arachide avait été précoce (avant 11 mois) ou tardive (après 11 mois), en fonction du respect du protocole de l’étude par les parents. Les enfants du groupe « arachide » avaient un taux significativement plus bas d’allergie à l’arachide que les enfants qui n’étaient pas censés en recevoir. Cela signifie que la consommation régulière d’un aliment auquel l’enfant est allergique pourra être efficace si l’enfant accepte l’aliment, probablement parce qu’il n’est pas trop intolérant (de nombreuses mères allaitantes ont constaté que leur bébé refusait de consommer les aliments qu’il ne tolérait pas). De ce point de vue, il aurait été intéressant d’en savoir davantage sur le pourcentage élevé (environ 42 %) d’enfants perdus de vue dans le groupe arachide. Globalement, la conclusion réelle de cette étude était que les enfants qui avaient commencé à consommer de l’arachide avant 11 mois avaient un risque plus bas d’allergie à l’arachide à 5 ans que ceux qui avaient commencé à en recevoir après 11 mois. Et il faut se souvenir qu’au démarrage de l’étude, ces enfants recevaient déjà d’autres aliments, qu’ils présentaient déjà des allergies, qu’on a éliminé les enfants réagissant fortement à l’arachide et qu’aucune donnée n’a été collectée sur la consommation maternelle d’arachides pendant la grossesse et l’allaitement, ni de l’éventuelle présence d’arachide dans la formule lactée commerciale donnée au bébé. Par ailleurs, les études sur la prévention de l’allergie devraient se focaliser sur des stratégies qui peuvent être appliquées en pratique avec un niveau élevé de compliance, et il risque d’être difficile de convaincre les parents d’un enfant allergique d’essayer de lui donner régulièrement un aliment qu’il tolère mal.
Pour quelle raison les médias ont-ils conclu que l’expression « introduction précoce » impliquait avant 6 mois ? Rien dans cette étude ne permet de conclure qu’il est intéressant de commencer à introduire d’autres aliments à 4 mois plutôt qu’à 6 mois. Par ailleurs, les recommandations pourront être différentes suivant que l’enfant est exclusivement allaité, partiellement allaité, ou qu’il est nourri avec une formule lactée commerciale. Dans la mesure où les enfants qui avaient un taux plus bas d’allergie à l’arachide avaient pour la plupart commencé à en recevoir entre 6 et 11 mois, les conclusions de cette étude sont plutôt conformes à la recommanda-tion de l’OMS d’allaiter exclusivement jusqu’à 6 mois.
Le Centre Australien pour la Recherche sur les Allergies a organisé une rencontre qui a réuni des allergologues, des nutritionnistes et diététiciens, ainsi que des consultant(e)s en lactation, des représentant(e)s des organisations de soutien à l’allaitement et des associations de soutien aux familles allergiques. À la suite à cette rencontre, ils ont émis 3 recommandations :
- Lorsque le bébé sera prêt, environ à 6 mois mais pas avant 4 mois, commencer à introduire divers aliments solides, en commençant avec des aliments riches en fer, tout en poursuivant l’allaitement.
- Tous les enfants devraient commencer à consommer des aliments réputés allergisants, incluant des arachides, des œufs cuits, des produits laitiers et des céréales, pendant la première année de vie, y compris les enfants à haut risque d’allergie.
- Les formules lactées commerciales hydrolysées (partiellement ou totalement) ne sont pas recommandées pour la prévention des allergies.
Ces recommandations ne sont pas en contradiction avec celle de l’OMS concernant l’allaitement exclusif. Elles soulignent également un aspect important : lorsque le bébé sera prêt. Les signes montrant que l’enfant est prêt pour les solides surviennent généralement entre 5 et 7 mois. Et elles préconisent la poursuite de l’allaitement pendant l’introduction des solides. Elles soulignent l’importance de l’introduction d’aliments riches en fer, et encouragent l’introduction des aliments allergisants avant 12 mois. L’absence d’intérêt des formules lactées commerciales hydrolysées est la bienvenue, au vu des pressions exercées sur les mères pour les utiliser plutôt que leur lait pour la prévention des allergies. Il est intéressant que les recommandations de l’OMS concernant les enfants nourris avec une formule lactée commerciale se bornent à souligner l’importance capitale du respect des règles précises de leur préparation pour limiter le risque d’infections infantiles.
Dans les années 2000, on recommandait d’éviter les aliments les plus allergisants pendant les 12 premiers mois, et d’introduire les solides chez tous les enfants entre 17 et 26 semaines. Les fabricants de formules lactées commerciales ont suggéré que 4 mois était la limite pour l’utilisation exclusive de leurs produits. Supposer que les recommandations concernant l’introduction des solides doivent être les mêmes pour les enfants exclusivement allaités et les enfants nourris avec une formule lactée commerciale n’est fondé sur aucune donnée scientifique. Et il est probable que si l’allaitement exclusif est suffisant jusqu’à environ 6 mois, les enfants qui ne sont pas allaités ne devraient pas recevoir un unique produit (la formule lactée commerciale) jusqu’à 6 mois. Autrefois, on commençait à introduire les solides à 1 mois, ce qui est très différent des recommandations actuelles. Un compromis peut être trouvé. Chez les enfants exclusivement allaités, une introduction précoce des solides semble n’avoir aucun avantage et peut présenter des inconvénients. Chez les enfants nourris avec une formule lactée commerciale, qui ne peut couvrir tous les besoins des nourrissons comme le fait le lait humain quelle que soit sa qualité, des carences pourront survenir plus rapidement.
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