Article publié dans le n° 130 des Dossiers de l'allaitement, janvier 2018.
Une méthode efficace d’espacement des naissances est nécessaire en post-partum, afin de prévenir la survenue rapide d’une grossesse non désirée. Des études ont constaté qu’un intervalle d’au moins 2 ans entre deux grossesses limite les risques pour la santé de la mère et de l’enfant précédent (Conde-Agudelo ; Shachar ; WHO). Un intervalle plus court est corrélé à un risque plus élevé de prématurité, d’enfant de petit poids de naissance, de mort intra-utérine et de décès néo-natal. Aux États-Unis, une enquête menée en 2015 a constaté que 30 % des femmes se retrouvaient enceintes moins de 18 mois après leur accouchement précédent, ce taux étant de 67 % chez les adolescentes de 15 à 19 ans (Copen).
Modifications endocrines en post-partum
Les praticiens doivent connaître les mécanismes endocriniens qui surviennent en post-partum, ainsi que leur impact sur la fertilité de la mère. Immédiatement après l’accouchement, le taux sérique de progestérone et d’œstrogène commence à chuter, et la sécrétion pulsatile de FSH et de LH va pouvoir reprendre (Hodgen). Chez les femmes qui n’allaitent pas, la première ovulation survient 45 à 94 jours après la naissance (25 jours étant le délai le plus court jamais rapporté – Gray ; Jackson ; Stoddard). Les femmes non-allaitantes devraient donc commencer à se protéger vis-à-vis d’une nouvelle grossesse dès 4 semaines post-partum. La lactation augmente significativement ce délai : la stimulation régulière des mamelons par le bébé augmente le taux de prolactine, qui inhibe la sécrétion pulsatile de GnRH par l’hypothalamus, ce qui bloque la sécrétion pulsatile des hormones indispensables au cycle menstruel (McNeilly).
La MAMA
Cela a amené à décrire les conditions de la MAMA (Méthode de l’Allaitement Maternel et de l’Aménorrhée), qui peut être utilisée pour la régulation des naissances chez les mères allaitantes. Ces conditions sont que la mère doit allaiter exclusivement ou presque exclusivement (le lait maternel représentant ≥ 85 % des apports), avoir accouché depuis < 6 mois, et ne pas avoir eu son retour de couches. Des études sur l’efficacité de la MAMA ont fait état d’un risque de grossesse de 0,5 à 1,5 % pendant les 6 premiers mois post-partum (Labbok ; Pérez ; Ramos). Une méta-analyse de la Cochrane Database faisait état d’un taux d’échec de la MAMA allant de 0,45 à 7,5 % (Van der Wijden). Certains estiment que la MAMA sera moins efficace chez les femmes qui tirent régulièrement leur lait (Kazi). Par ailleurs, au vu du faible taux d’allaitement exclusif et de la courte durée d’allaitement dans de nombreux pays industrialisés, cette méthode ne s’appliquera pas à la majorité des femmes.
Pendant longtemps, on a recommandé d’attendre environ 6 semaines après la naissance pour mettre en route une contraception, temps estimé nécessaire pour l’involution utérine et la reprise des relations sexuelles. Une étude prospective portant sur environ 1 500 multipares a constaté que 41 % avaient repris les relations sexuelles à 6 semaines, et que 78 % les avaient reprises à 12 semaines (McDonald), le délai étant fonction des éventuelles difficultés de l’accouchement (épisiotomie, accouchement instrumental, césarienne).
Outre la MAMA, il existe un certain nombre de méthodes de régulation des naissances, dont l’efficacité est variable ; les méthodes à longue durée d’action (dispositif intra-utérin = DIU hormonal ou non – implant contraceptif) sont les plus efficaces en raison de la suppression du risque d’oubli. Toutefois, l’impact potentiel de la contraception avec une libération hormonale sur l’allaitement doit être pris en compte. Malheureusement, les données sur cet impact sont limitées, ce qui est à l’origine de contradictions dans les recommandations de diverses organisations, celles de l’OMS sont habituellement plus prudentes que celles d’autres organisations. S’il existe un consensus pour estimer qu’un délai de 3 à 6 semaines est nécessaire avant le démarrage d’une contraception hormonale combinée, l’OMS considère que ce type de contraception présente plus de risques que de bénéfices pendant les 6 premiers mois, tandis que les CDC (US Centers for Disease Control) affirment le contraire (Curtis ; Jackson).
Contraception œstroprogestative
Une méta-analyse des CDC incluant 15 articles portant sur 13 études a évalué l’impact d’une contraception œstroprogestative chez les femmes allaitantes (Tepper). La principale constatation était la qualité médiocre de ces études, qui étaient par ailleurs anciennes et portant sur des pilules contraceptives nettement plus fortement dosées en œstrogènes. Aucune étude ne faisait état d’un impact négatif sur l’allaitement ou sur la santé infantile lorsque la contraception était débutée à 6 semaines post-partum ou plus tard, mais la fiabilité de ces résultats est sujette à caution. En 2012, une étude randomisée a évalué l’impact de la prise, à partir de 12 semaines, d’une pilule contenant 35 µg d’éthinylœstradiol et 1 mg de noréthindrone (ou noréthistérone, non commercialisée en France) versus une pilule contenant 35 µg de noréthindrone ; il n’existait aucune différence entre les 2 groupes sur le plan de la perception de leur production lactée par les mères, du taux de supplémentation, de la prise de poids infantile, ou des raisons maternelles pour sevrer (Espey). Dans la mesure où la pilule combinée était plus efficace, qu’elle était prise plus régulièrement et avait moins d’effets secondaires, les auteurs estimaient que leurs résultats étaient rassurants. À noter qu’une étude toute récente a constaté un taux plus faible d’allaitement à 4 mois chez des femmes motivées lorsqu’elles utilisaient une pilule combinée plutôt que d’autres types de contraception (Goulding). Il n’existe pas d’étude randomisée sur d’autres types de contraception combinée comme le patch contraceptif ou l’anneau vaginal (Tankeyoon).
Contraception progestative
L’OMS considère que les bénéfices d’une contraception progestative (per os) sont supérieurs à ses risques éventuels pour une utilisation à partir de 6 semaines en post-partum (WHO), et recommande son utilisation par injection (médroxyprogestérone) après 6 semaines. Quant aux CDC, ils estiment que ces types de contraception sont déjà bénéfiques pendant les 30 premiers jours (Curtis).
Si l’OMS reconnaît que les données actuelles ne mettent pas en évidence un quelconque impact négatif sur l’allaitement ou la santé infantile, on peut se poser des questions sur l’éventuel impact de la contraception hormonale, notamment injectable, sur l’enfant allaité ; les données sur le sujet sont limitées et peu claires (Lopez ; WHO). Par ailleurs, on peut comprendre que l’OMS et les CDC n’aient pas le même point de vue sur l’importance de l’allaitement exclusif pour la santé infantile, les États-Unis et bon nombre de pays dans le monde n’ayant pas les mêmes statistiques en matière d’allaitement et de santé infantile. Certains spécialistes estiment que le démarrage d’une contraception en post-partum immédiat avant le retour à la normale de l’équilibre hormonal chez la femme (en particulier avant la fin de la baisse du taux de progestérone) peut avoir un impact sur le démarrage de l’allaitement.
Le taux de progestatif excrété dans le lait maternel varie suivant la méthode d’administration. Une étude sur des porteuses d’implants rapportait un taux lacté d’étonogestrel passant de 178 ng/l à 1 mois à 131 ng/l à 4 mois, un nourrisson exclusivement allaité recevant en moyenne 19,9 ng/kg à 1 mois et 10,5 ng/kg à 4 mois de produit actif (Reinprayoon). Une autre étude a constaté que le taux de produit actif absorbé par l’enfant allaité était de 90 à 100 ng/jour pour le lévo-norgestrel et de 75 à 120 ng/jour pour l’étonogestrel (Diaz). Une exposition similaire a été constatée chez des femmes prenant une pilule progestative ; exposition qui était significativement plus basse que chez les femmes recevant un progestatif injectable (Diaz ; Fraser ; Heikkila ; Koetsawang). Toutefois, les nourrissons sont incapables de métaboliser les hormones exogènes (Patel). Des études n’ont constaté aucun impact sur le plan biologique chez des enfants allaités par une mère porteuse d’un DIU hormonal (Abdulla ; Koetsawang ; Shikary). Une méta-analyse évaluant l’impact d’une pilule progestative sur l’allaitement ne constatait aucun impact significatif, que la prise soit ou non débutée avant 6 semaines (Phillips). Aucun impact n’était constaté sur la prise de poids du bébé à J14 (Giner Velazquez ; Tankeyoon) ou par la suite (Shaamash). Une étude randomisée comparant la pose d’un DIU au lévonorgestrel soit en post-partum immédiat, soit à 6-8 semaines, constatait que le taux d’allaitement était similaire dans les deux groupes à 6-8 semaines comme à 3 mois, mais qu’il était plus élevé à 6 mois dans le groupe à pose plus tardive (Chen), et une étude très récente ne constatait aucun impact significatif entre les deux groupes pour le taux d’allaitement à 8 semaines (Turok). Globalement, les études évaluant l’impact de la pose d’un implant à l’étonogestrel (Braga ; Brito) ou d’une injection de médroxyprogestérone (Brownell ; Halderman ; Matias) avant la sortie de maternité sont plutôt rassurantes, et l’absence de concordance dans les résultats de certaines études permettent de penser que les femmes qui décident de débuter une contraception hormonale dès les premiers jours post-partum pourraient présenter des différences significatives par rapport aux femmes qui font des choix différents.
Contraception d’urgence
La contraception d’urgence fait partie des stratégies de limitation des naissances, et les femmes devraient être mieux informées sur cette contraception. Ce type de pilule doit être pris le plus rapidement possible après un rapport à risque de grossesse, habituellement dans les 72 à 120 heures qui suivent ce rapport.
Deux types de contraception d’urgence progestative sont actuellement utilisés : le lévonorgestrel (Norlevo) et l’acétate d’ulipristal (EllaOne), ce dernier semblant plus efficace, en particulier chez les femmes en surpoids et chez celles qui étaient proches de l’ovulation au moment du rapport sexuel.
Le lévonorgestrel est considéré comme compatible avec l’allaitement (WHO).
Le fabricant de l’acétate d’ulipristal a mené une étude sur son excrétion lactée (Afaxys Inc. Ella Package Insert 2014). Son taux a été recherché chez 12 mères allaitantes, une fois par périodes successives de 24 heures après la prise ; il était en moyenne de 22,7 µg/l pendant les premières 24 heures, de 2,96 µg/l pendant le 2e jour, 1,56 µg/l pendant le 3e jour, 1,04 µg/l pendant le 4e jour et 0,69 µg/l pendant le 5e jour. Concernant son métabolite actif, l’acétate de monodéméthyl-ulipristal, son taux était respectivement de 4,49, 0,62, 0,28, 0,17 et 0,10 µg/l. D’après ces données, un nourrisson exclusivement allaité recevrait pendant les cinq jours suivant la prise maternelle en moyenne 4,1 µg de produit actif, soit en moyenne 1 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Si certains estiment préférable de suspendre l’allaitement pendant 24 heures en raison de l’absence de données sur un éventuel impact sur l’enfant allaité, aucun effet secondaire n’a été rapporté chez un enfant allaité suite à la prise maternelle ponctuelle d’ulipristal.
Les méthodes barrières et les méthodes naturelles
Certaines femmes préféreront les méthodes barrières (préservatif, diaphragme, cape cervicale, spermicides) ou les méthodes naturelles (méthode Billings, méthode symptothermique…), qui présentent l’avantage de n’avoir aucun effet secondaire sur la lactation ou sur le bébé allaité, mais qui sont plus contraignantes, moins efficaces, et pour lesquelles un « apprentissage » pourra être nécessaire. Les femmes qui souhaitent les utiliser devraient consulter un professionnel connaissant ces méthodes afin d’être bien informées sur leur utilisation.
En conclusion
De nombreuses femmes qui souhaitent une contraception ont du mal à obtenir la méthode qu’elles souhaitent. Certains professionnels de santé refusent de poser un DIU en post-partum précoce. De plus, de nombreuses femmes reçoivent des informations incorrectes et souvent contradictoires sur la contraception en post-partum, de la part des professionnels qu’elles peuvent consulter.
Les femmes des pays industrialisés passent l’essentiel de leur vie reproductive à essayer d’éviter une grossesse non désirée, et la contraception est donc un aspect important de leur suivi médical. Les méthodes non hormonales de contraception sont associées à un risque significativement plus élevé d’échec que les contraceptions hormonales. Les professionnels de santé doivent informer les femmes sur les divers types de contraception disponibles, et les aider à mettre en œuvre la contraception la plus efficace en tenant compte de leurs caractéristiques individuelles et de leurs préférences. Il sera utile de le faire avant la naissance, puis avant la sortie de maternité. Les femmes qui souhaitent une contraception doivent l’obtenir aussi rapidement que possible.
Vous pouvez consulter également le protocole n°13 de l’Academy of Breastfeeding Medicine : Contraception pendant l’allaitement.
Bibliographie
• Sridhar A, Salcedo J. Optimizing maternal and neonatal outcomes with postpartum contraception : impact on breastfeeding and birth spacing. Mat Health Neonatol Perinatol 2017 ; 3 : 1.
• Taub RL, Jensen JT. Advances in contraception : new options for postpartum women. Expert Opin Pharmacother 2017 ; 18 : 677-88.
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