Paru dans les Dossiers de l'allaitement n° 130, janvier 2018
Chrystel JULIEN, sage-femme, consultante en lactation IBCLC, animatrice portage, Saint-Pierre, La Réunion
Le cancer du sein est le cancer le plus répandu chez les femmes. Près d'une femme sur neuf sera concernée au cours de sa vie. Le risque de survenue du cancer du sein augmente avec l’âge ; cependant 10 % des cas surviennent avant 40 ans. Dans cette tranche d’âge, les femmes sont encore en âge de procréer et donc potentiellement d’allaiter. L’auteure présente un cas d’allaitement chez une femme ayant développé un cancer du sein.
En 2012, la patiente a présenté un cancer du sein droit de type carcinome canalaire infiltrant. Le traitement qui lui a été proposé s’est déroulé comme suit : mastectomie partielle avec curage axillaire, 6 cures de chimiothérapie et 23 séances de radiothérapie du sein et du creux sus-claviculaire. En 2015, la patiente accouche de son premier enfant qu’elle allaitera uniquement sur le sein gauche pendant 18 mois ; l’allaitement sera mixte dès le départ et le restera tout du long. Elle a 40 ans en 2017 lorsqu’elle accouche de son deuxième enfant. La naissance se fait à terme par voie basse spontanée. Elle est suivie d’une hémorragie de la délivrance rapidement contrôlée. La patiente accueille une petite fille de 3 690 g qu’elle mettra au sein dès la salle de naissance. Elle rencontre l’auteure car elle souhaite mettre en place un allaitement exclusif. Le sein gauche ne présente pas d’anomalie, le volume du sein droit est réduit des 2/3 environ et présente un tissu cicatriciel. La patiente n’a pas constaté de modification du volume mammaire sur ce sein pendant la grossesse, alors que le sein gauche a augmenté de volume.
En accord avec la patiente, il est décidé de tenter de mettre en place la lactation sur les deux seins. La patiente est informée que cela risque d’être difficile du côté traité pour le cancer, mais elle est motivée pour essayer. Elle prend dès le séjour en maternité des tisanes d’allaitement, ainsi que du fenugrec et de l’homéopathie pour soutenir sa lactation. Le démarrage de l’allaitement se déroule sans difficulté, le bébé prenant les deux seins. La mère note toutefois qu’elle a peu de lait du côté droit et n’a pas ressenti de montée de lait sur ce sein.
L’auteure revoit la patiente à J13. Le bébé est exclusivement nourri au sein, principalement sur le sein gauche, le droit donnant tellement peu de lait que la mère ne le propose que très rarement. La prise de poids est d’en moyenne 17 g par jour depuis la sortie de la maternité à J3. La prise du sein est bonne, la maman ne ressent pas de douleur, l’examen clinique de l’enfant est satisfaisant. Il est convenu avec la mère qu’elle pratiquera la compression mammaire lors des tétées afin d’optimiser la prise de poids. L’auteur propose à la patiente l’utilisation d’un tire-lait électrique double pompage 3 à 4 fois par 24 heures pour stimuler la lactation et complémenter le bébé avec du lait maternel. La mère décide de se donner quelques jours pour stimuler le sein droit au tire-lait, et elle décidera ensuite si elle poursuit l’allaitement sur ce sein ou ne donne que l’autre.
À J21, la patiente est revue. Elle a arrêté l’allaitement avec le sein droit, car elle ne réussissait pas à tirer de lait de ce côté et le bébé refusait de le prendre. Elle allaite exclusivement avec le sein gauche, elle a donné quelques compléments de 20 ml de lait maternel exprimé pendant la semaine précédente, mais elle a arrêté d’en donner depuis 48 heures, la prise de poids est satisfaisante.
L’auteure revoit la patiente six mois après la naissance du bébé, elle vient de faire le choix d’arrêter son allaitement après trois mois d’allaitement exclusif et cinq mois d’allaitement au total. Elle est satisfaite de ses deux expériences d’allaitement, fière d’avoir pu nourrir sa fille exclusivement pendant trois mois avec un sein. La patiente formule que ses allaitements lui ont permis de se réconcilier avec cette partie de son corps qui a été source de souffrance. Elle ne souhaite pas avoir d’autre enfant et envisage une reconstruction mammaire maintenant qu’elle a terminé son parcours de mère allaitante. La reconstruction mammaire lui avait été proposée en fin de traitement du cancer, mais la patiente n’avait pas souhaité y avoir recours à ce moment-là, car elle projetait d’avoir des enfants et de les allaiter. Le volume mammaire initial de la patiente étant très important, la chirurgie de reconstruction amènera le chirurgien à travailler sur les deux seins, réduction mammaire du sein gauche et augmentation mammaire du côté droit afin d’obtenir une symétrie. Le choix de la patiente de reporter la reconstruction mammaire après la fin de ses allaitements a été probablement bénéfique pour la réussite de ces allaitements.
Ce cas montre que les mères qui ont présenté un cancer du sein peuvent envisager d’allaiter, même après un traitement lourd combinant chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie.
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