Article publié dans le n° 128 des Dossiers de l'allaitement, novembre 2017.
D'après : Cleft lip and palates and breastfeeding. McGuire E. Breastfeed Rev 2017 ; 25(1) : 17-23.
Les fentes labiales et palatines sont une des anomalies anatomiques les plus fréquentes chez les nouveau-nés (environ 1/7 000 naissances). Elles peuvent être isolées ou survenir dans le cadre d’un syndrome polymalformatif. L’anomalie sera corrigée chirurgicalement, et plusieurs interventions pourront être nécessaires en fonction de la sévérité du problème. Les fentes labiales sont généralement corrigées entre 3 et 6 mois, et les fentes palatines entre 9 et 18 mois. Une enquête a constaté que les 2/3 des chirurgiens autorisaient la reprise rapide de l’allaitement après la correction chirurgicale d’une fente, alors qu’ils déconseillaient les biberons et les solides sur une période pouvant aller jusqu’à 2 semaines après l’intervention. Aucune étude scientifique permettant de conclure qu’il est réellement utile de restreindre la succion n’a été publiée. Une plaque palatine est parfois utilisée en cas de fente palatine, mais une étude randomisée a constaté que cela n’avait aucun impact sur l’efficacité de la succion de l’enfant ou sur sa prise de poids.
Les fentes labiales et palatines rendent l’alimentation de l’enfant nettement plus compliquée, et peuvent rendre la mise au sein impossible. Il existe peu de données scientifiques sur l’allaitement de ces enfants, et les données existantes sont donc essentiellement fondées sur le vécu des mères et le point de vue des spécialistes. Les mères auront besoin d’un soutien individualisé, qui les aidera à avoir des attentes réalistes et à se sentir moins frustrées par les difficultés rencontrées. Les mises au sein sont souvent possibles en cas de fente labiale isolée, la mère pouvant utiliser un doigt ou son sein pour couvrir la fente et permettre à l’enfant de prendre correctement le sein. La fente palatine empêche l’enfant de maintenir une dépression intra-buccale, ce qui rendra le bébé plus ou moins inefficace au sein. En pareil cas, la mère peut tirer son lait et le donner à l’aide de biberons spécialement conçus pour ces enfants. Des études ont constaté que le lait maternel abaissait la prévalence des otites auxquelles ces enfants sont particulièrement sujets. Il est toutefois difficile de lancer, puis d’entretenir au long cours une production lactée uniquement en tirant son lait. L’auteur, consultante en lactation à Melbourne (Australie), présente 2 cas d’allaitement d’enfants souffrant de fentes orales.
Premier cas
Ce bébé est né par césarienne, et présentait un collapsus pulmonaire. Il a été transféré en néonatalogie, où il a séjourné pendant 16 jours. À J3, on a constaté la présence d’une fente touchant le palais dur et le palais mou. La mère allaitait encore son aîné, et elle était donc motivée et expérimentée en matière d’allaitement. Toutefois, les tentatives pour mettre son nouveau-né au sein ont échoué, ce qui a été très frustrant pour la mère. Même avec le biberon spécial, le bébé avait beaucoup de mal à se nourrir, et une sonde nasogastrique a été posée pour faciliter l’alimentation. Pendant des semaines, le bébé a été nourri de lait maternel exprimé donné via la sonde, puis au biberon souple. Une nouvelle hospitalisation a été nécessaire pour aider le bébé à se sevrer de la sonde nasogastrique, l’alimentation étant poursuivie au biberon souple. Le bébé avait 16 semaines lorsque la mère a décidé de se rendre à Melbourne pour rencontrer une consultante en lactation. La mère a réussi à mettre son bébé au sein pendant la consultation, mais les mises au sein ont échoué lorsqu’elle est rentrée chez elle.
La fente palatine a été corrigée à 9 mois. Le protocole post-opératoire institué par le chirurgien était de ne donner que des purées pendant les 2 premières semaines, puis des aliments pré-mâchés pendant 3 à 6 semaines, l’alimentation normale étant alors reprise. L’enfant ne devait pas recevoir de tétine, sucette ou jouet à porter à la bouche pendant les 6 premières semaines post-opératoires. Toutefois, le chirurgien a accepté que la mère tente de le mettre au sein dès le lendemain de la chirurgie ; le bébé n’a pas tété, même lorsque la mère a comprimé son sein pour faire couler son lait dans la bouche de son bébé. La mère a attendu 4 semaines supplémentaires avant de reproposer le sein, mais son bébé a refusé de le prendre. Elle a poursuivi ses tentatives de mise au sein en utilisant un bout de sein, ainsi qu’un DAL « maison » (sonde nasogastrique branchée sur une seringue remplie de son lait, l’autre extrémité étant fixée sur le sein et sous le bout de sein). Les premières tentatives ont été très difficiles, mais la mère a persévéré. Environ 10 semaines après la chirurgie, le bébé prenait directement le sein sans bout de sein. L’enfant était toujours allaité à 30 mois.
Deuxième cas
Ce bébé est né 5 semaines avant terme. L’existence d’une fente labio-palatine avait été constatée à l’échographie à 20 semaines de gestation, et les parents avaient eu le temps de s’informer avant la naissance. La mère a vu une consultante en lactation et a établi avec elle un planning pour l’alimentation de l’enfant, qui a été bien accueilli par le service où elle a accouché. Elle a commencé à exprimer son colostrum, qui était donné à la seringue pendant que le bébé (en position semi-assise) tétait un doigt. Par la suite, elle a commencé à le mettre au sein, en position de ballon de rugby, le bébé étant bien maintenu avec des oreillers. La mère utilisait son sein pour obturer la fente labiale, et elle comprimait son sein pour faire couler son lait dans la bouche de son bébé. Un peu de lait sortait par le nez de son bébé, mais cela ne semblait pas le perturber. Les mises au sein étaient complétées par le don de lait maternel à la seringue. Elle donnait à son bébé uniquement le sein droit, qu’il préférait visiblement (le lait coulait plus rapidement et son mamelon était plus long de ce côté), et elle tirait son lait au sein gauche.
La fente labiale a été corrigée à 4 mois. Les mises au sein sont devenues plus faciles. Si le bébé ne parvenait toujours pas à créer une dépression intrabuccale, il arrivait à obtenir au sein la majorité de ses apports. La fente palatine a été corrigée à 10 mois. Le chirurgien a accepté que le bébé reprenne le sein presque immédiatement après la réparation de la fente labiale mais il a vivement recommandé à la mère d’attendre 6 semaines après la chirurgie de la fente palatine pour le remettre au sein. La mère a nourri son bébé de lait maternel exprimé pendant cette période. Malheureusement, le bébé a refusé par la suite de reprendre le sein en dépit de toutes les tentatives de sa mère. Cette dernière a lâché prise, épuisée après des mois de difficultés d’allaitement et d’expression du lait. Peu de temps après, elle a constaté qu’elle était enceinte, ce qui pouvait avoir joué un rôle dans le refus du sein de son bébé.
En conclusion
Nourrir un bébé souffrant d’une fente orale est difficile et prend du temps. Lorsque la mère souhaite allaiter, exprimer le lait et nettoyer le matériel est une charge supplémentaire. Dans le premier cas ci-dessus, la mère a calculé qu’elle avait passé environ 120 heures à tirer son lait pendant les 4 premiers mois, le don de chaque biberon prenait 30 à 60 minutes, et le don d’un repas par sonde nasogastrique prenait 20 à 60 minutes. La complexité de l’alimentation de son bébé était très frustrante pour la mère. Par ailleurs, cette mère vivait dans une zone peu peuplée, et son bébé avait déjà 16 semaines lorsqu’elle a rencontré une consultante en lactation. Elle estimait que l’allaitement aurait été plus facile si elle avait pu bénéficier d’un tel soutien rapidement après la naissance.
Ces deux mères ont toutefois réussi à allaiter grâce au soutien de leur famille et de leur entourage, ainsi que grâce au partage d’expérience avec d’autres mères dans la même situation. Ces cas illustrent bien les difficultés rencontrées par les mères qui souhaitent allaiter un enfant présentant une fente, en particulier palatine. Les mères avaient en commun une très forte motivation, qui les a amenées à tirer leur lait pour leur bébé pendant plus de 10 mois, afin qu’il soit exclusivement nourri de lait maternel.
Lorsque la fente est découverte après la naissance, le diagnostic sera un choc pour les parents, qui auront besoin de recevoir des informations et du soutien émotionnel, et d’être orientés aussi rapidement que possible vers un spécialiste. Lorsque la mère souhaite allaiter, on discutera avec elle d’un planning réaliste pour l’alimentation de son bébé. Dans certains cas, les mises au sein seront possibles ; dans d’autres, on pourra encourager la mère à tirer son lait pour son bébé avec un tire-lait d’un modèle hospitalier.
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