Article publié dans le n° 134 des Dossiers de l'allaitement, mai 2018.
Marie Courdent, animatrice LLL, consultante en lactation IBCLC – DIULHAM- PDE, Lille (59).
Pendant sa première grossesse, Mme N. a de plus en plus de difficultés à se déplacer. Elle avance à petits pas glissés au sol, sans pouvoir soulever ses talons. Comme il s’agit de sa première grossesse, elle n’imagine pas, malgré la douleur, qu’il puisse y avoir une pathologie derrière ses symptômes. Le gynécologue banalise et la rassure : "C’est typique des femmes enceintes, les ligaments du bassin travaillent !" À partir de 5 mois 1/2 de grossesse, les douleurs vont en empirant, chaque mouvement est pénible, rien ne la soulage, le moindre appui est douloureux. La moindre contraction des abdominaux et des quadriceps provoque une douleur intense au niveau de la symphyse pubienne. Mme N. est judoka, elle a fait des compétitions, elle a subi de nombreuses entorses et fractures, et elle a un niveau élevé de tolérance à la douleur. Elle adopte donc des postures compensatoires pour limiter la douleur et elle tarde à consulter.
Elle est enceinte de 7 mois lorsqu’une amie, sage-femme spécialisée en acupuncture, évoque un syndrome de Lacomme, ou "syndrome ostéo-musculo-articulaire abdomino-pelvien bénin". Le diagnostic est confirmé par le gynécologue. Ce syndrome, qui peut être très douloureux, résulte de la distension des articulations sacro-iliaques et/ou de la symphyse pubienne pendant la grossesse, en particulier pendant les derniers mois. Hormis le repos et le port d’une ceinture de grossesse, il n’existe pas de traitement efficace. Mme N. va avoir besoin d’un fauteuil roulant pour ses déplacements. On lui dit que tout s’arrangera après la naissance.
Lors de son arrivée à la maternité, elle a dû expliquer ce qu’était le syndrome de Lacomme aux soignants (méconnu de toute l’équipe), car ils ont pensé qu’elle était paraplégique au vu du fauteuil et des difficultés de mobilisation. La péridurale a été très efficace, mais seulement pendant deux heures. Mme N. a vomi à plusieurs reprises sur la table d’accouchement, et les contractions abdominales induites par les vomissements, couplées aux contractions utérines, sont devenues insupportables. Ces contractions ont contribué à la naissance très rapide de son bébé, et Mme N. accouche spontanément et par voie basse à 36 semaines et 5 jours d’aménorrhée, d’un petit garçon qui pèse 2,730 kg. La première tétée en salle de naissance se passe bien. En l’absence d’expulsion spontanée du placenta, une révision utérine a été tentée, mais elle s’est avérée impossible à réaliser tant la douleur était insupportable pour la mère. Une nouvelle injection péridurale a été effectuée, qui a permis de retirer le placenta. Mme N. est convaincue que cette révision utérine a été particulièrement traumatisante pour les ligaments pubiens. Considéré comme prématuré, le bébé est transféré en néonatalogie avec sa mère après les premiers soins.
Contrairement à ce qui lui avait été annoncé, la naissance n’a eu aucun impact miraculeux sur le syndrome de Lacomme de Mme N. Aucun des professionnels de santé du service de néonatalogie où elle est hospitalisée avec son fils ne le connaît. Les soins à l’enfant et l’allaitement vont se révéler très compliqués, car Mme N. ne peut toujours pas bouger. Chaque geste – sortir son bébé de son berceau, s’asseoir, s’installer dans le lit, allaiter, changer son fils, manger, se lever – est long et extrêmement douloureux. À J3, les tétées deviennent très douloureuses au niveau d’un sein, lequel présente une crevasse. Elle décide alors de pratiquer un tire-allaitement. Le personnel de la maternité lui explique qu’elle doit tirer son lait avec un tire-lait double pompage, huit fois par jour, soit toutes les trois heures, ce qu’elle va faire scrupuleusement. Elle sort à J5 ; avant sa sortie, on lui dit qu’elle a une bonne production lactée. L’enfant est exclusivement nourri de lait maternel donné au biberon.
Après le retour au domicile, les douleurs sont toujours là, très invalidantes. Elle doit entièrement se reposer sur son entourage pour s’occuper de son petit garçon jour et nuit. Elle se sert toujours du fauteuil roulant dans son appartement et a dû adapter son mobilier à ses difficultés pour se mouvoir. Un mois après la naissance, elle appelle une consultante en lactation IBCLC. Sa production lactée est surabondante : elle tirait quotidiennement 2,1 l par 24 h jusqu’à ce que le bébé reprenne il y a peu le sein sans difficulté. Elle pouvait obtenir en moyenne 100 ml de lait en 1 minute, et elle devait changer 2 ou 3 fois de biberon pendant la séance d’expression. Cette surproduction est pour Mme N. tout aussi difficile à vivre que les douleurs au niveau du bassin. Elle est trempée de lait plus ou moins en permanence, elle doit dormir avec un soutien-gorge rempli de coussinets d’allaitement, voire même sur un drap de bain, car le lait détrempe le lit. Elle est exténuée et commence à être dégoûtée par tout ce lait qui sort de ses seins. On lui explique que la production lactée quotidienne d’une mère qui allaite un singleton est d’en moyenne 750 à 800 ml, et qu’elle est donc en hyperlactation avec plusieurs réflexes d’éjection forts durant une même tétée, probablement suite aux informations inadéquates données en maternité. Des suggestions lui sont faites pour l’aider à gérer le réflexe d’éjection et diminuer progressivement la production lactée, en ne proposant qu’un sein par tétée. Progressivement, la lactation va se réguler. Elle tire encore pour son confort, stocke du lait au congélateur et donne du lait au lactarium (11 litres en tout).
Contrairement à ce qui avait été dit à la mère, le syndrome de Lacomme persiste toujours. Son médecin lui prescrit un scanner qui n’apporte aucune information puisqu’il ne visualise pas les ligaments. Il lui faut une IRM avec injection de produit de contraste. Quand elle prend rendez-vous, la secrétaire lui dit qu’elle devra suspendre l’allaitement pendant 24 heures. Elle se renseigne alors auprès du centre de pharmacovigilance de Lyon qui lui dit qu’aucune suspension de l’allaitement n’est nécessaire (le produit de contraste est à base de gadolinium, et l’excrétion lactée est infime). L’IRM est normale ; le médecin parle de "pubalgie du footballeur", et lui dit que c’est grosso modo normal d’avoir mal car elle a accouché récemment.
À 4,5 mois, Mme N. reprend son travail bien que les douleurs soient toujours présentes. Elle boite toujours énormément, elle a deux séances de kinésithérapie par semaine, une séance d’ostéopathie par mois. Elle ne peut toujours pas conduire une voiture, ce qui a un impact sur son activité professionnelle. Par contre, tirer du lait ne lui pose aucune difficulté. À 11 mois, le petit garçon est toujours allaité. La maman tire entre 150 et 200 ml par jour en une fois, sur son temps de travail (en 10-15 min). Son réflexe d’éjection fort est toujours là ; il survient une seule fois durant la tétée maintenant et l’enfant le gère parfaitement. Pour Mme N., les choses ne sont pas encore réglées : bien que moins intense, la douleur est toujours présente. Elle ne peut pas lever les jambes lorsqu’elle est assise ou allongée, se relever du sol lui demande toute une stratégie. Elle appréhende le moment où son fils va marcher, car elle se déplace lentement et elle ne pourra courir pour le rattraper…
Note de Mme N. (27/11/17)
Depuis 15 jours (soit un an après mon accouchement et donc un an de séances de kinésithérapie, ostéopathie et divers rendez-vous auprès de spécialistes), j'arrive de nouveau à soulever mes jambes en position allongée. Il s'agit d'un progrès spectaculaire, car je ne suis pas passée par des paliers de progression. Je suis immédiatement passée d'un stade où mes jambes ne se soulevaient pas du tout à une amplitude parfaitement normale.
Ce petit "miracle", j'en suis convaincue, est en lien direct avec le fait que j'ai arrêté d'allaiter mon fils il y a trois semaines. Le progrès a été trop "brusque" (et surtout je n'ai rien changé à mes habitudes) pour que cela puisse être le fruit d'autre chose. L'hypothèse selon laquelle les hormones de la lactation (et surtout dans mon cas d’hyperlactation) ont contribué à la persistance de ma pathologie ligamentaire me semble parfaitement plausible.
Par ailleurs, le fait d'arrêter d'allaiter a également provoqué chez moi un retard de 10 jours de mon cycle menstruel (sans prise de pilule contraceptive et sans être de nouveau enceinte...). Or je n'ai jamais eu un tel retard de toute ma vie et j’avais retrouvé un cycle menstruel extrêmement régulier dès le premier mois suivant mon accouchement. Cela me conforte dans l'idée que les modifications hormonales liées au sevrage ne sont pas étrangères à ma subite récupération physique.
Cette découverte m'a fait un bien fou, tant sur le plan physique que moral. Je n'aurais pas nécessairement arrêté d'allaiter plus tôt si j'avais su en amont qu'il pouvait y avoir un lien entre mon syndrome de Lacomme qui perdurait et mon hyperlactation, mais cela m'aurait évité de me poser beaucoup de questions et de passer des examens qui se sont avérés inutiles. J'envisage plus facilement une seconde grossesse (le temps voulu) puisque je sais à quoi m'attendre si jamais les symptômes réapparaissent.
Bibliographie
Le syndrome de Lacomme : Quelle prise en charge ? Mémoire de sage-femme, Elsa Barré, promotion 2009/2013.
Merci beaucoup pour ce témoignage.
Plein de courage pour ces douleurs si invalidantes.
Pour ma part, je n'ai eu aucune douleur pour ma première grossesse. En revanche, j'ai eu des douleurs de type sciatique assez tôt pour ma deuxième grossesse. J'ai un métier physique où je suis sans cesse en mouvement. J'étais parfois bloquée totalement pendant plusieurs minutes sans pouvoir bouger. J'ai été arrêtée dès 4 mois pour modification du col et alitée strictement. Les douleurs ont disparues. Je suis actuellement dans le dernier mois de grossesse et donc mon alitement a pris fin. J'ai repris une légère activité. Mais depuis quelques temps, j'ai des douleurs au niveau de la symphyse pubienne qui sont présentes lors des mouvements (retournements dans le lit, élévation des jambes, etc). J'en ai parlé à la gynécologue aujourd'hui pour ma dernière consultation et elle m'a dit que c'était normal, que c'est ligamentaire. Sauf que j'ai du me rendre à ce rdv en marchant. Sur le chemin du retour, la douleur est devenue très intense. Et ce soir je ne peux plus du tout bouger... Faire quelques pas est extrêmement douloureux. Chaque mouvement, changement de position est insupportable... Je ne sais pas si c'est le syndrome de Lacome ou non. J'espère que cette douleur va céder avec le repos. J'allaite toujours mon bambin et un co-allaitement s'annonce pour très prochainement. J'espère retrouver ma mobilité rapidement et que les hormones de la lactation ne feront pas perdurer ce ressenti.
Merci du partage. Et bravo à la mère-veilleuse maman que vous êtes !
Merci Natacha pour vos retours et conseils. Je dois voir mon médecin pour un diagnostic plus précis (radiographie et échographie envisagées). Pour le moment, j'ai peu d'explications. L'arrêt du sport et de certains mouvements (le fait d'éloigner le lit du bébé pour me forcer à me lever en position correcte - je me déplaçais à genoux avec lui dans les bras pour les tétées de nuit pour m'installer) m'a permis d'atténuer les douleurs. Vos indications me sont précieuses et je vais en discuter avec mon médecin. Je fais des séances de kiné mais après chaque séance les douleurs sont plus forts donc pour le moment je préfère stopper en attendant un diagnostic plus précis.
J'ai accouché par voie basse sans péridurale (volonté d'accouchement physiologique). Le travail a durer 1h car mon bébé a un grand périmètre crânien... j'ai eu quelques complications de remise en route de la vessie ensuite (ce qui apparemment est rare dans le cadred d'un accouchement physio et très fréquent en cas de péridurale). Après l'accouchement j'ai récupéré assez vite. Les douleurs sont arrivées 3 semaines après environ.
Je vous remercie pour vos apports dont les documents que je vais lire avec attention. Je vous tiens au courant sur la suite du diagnostic et solutions apportées. Je vous souhaite un bon rétablissement et félicitations pour la naissance de votre deuxième enfant.
Bonjour Céline,
Tout d'abord, félicitation pour votre accouchement ainsi que l'allaitement de votre bébé !
Je me demandais si vous aviez réussi à diagnostiquer vos douleurs ?
Vous évoquez une symphyse pubienne douloureuse de ce que je comprends. Vous a t-on donné une explication quant à vos douleurs ?
Effectivement, le syndrome de Lacomme apparaît généralement en cours de grossesse mais disparaît assez rapidement (entre 4 à 6 semaines maximum après l'accouchement)
Dans mon cas, comme vous avez pu voir, il a perduré car j'ai hyperproduit du lait maternel. Je vous souhaite d'avoir un allaitement qui se passe bien et que cela n'influe pas trop sur vous douleurs...
Dans votre cas, peut-être serait-il intéressant de chercher du côté d'une diastasis de la synphyse pubienne ?
Les publications sur le sujet sont rares, mais voici tout de même un lien vers un article à propos de la diatasis qui serait susceptible de vous aider :
https://www.babycenter.fr/a6400066/douleur-pelvienne-ou-diastasis-de-la-symphyse-pubienne
Cet article a le mérite d'être assez complet et il explique notamment que ce type de douleurs peut apparaître en post-partum.
A propos du syndrome de Lacomme, cette publication est également très intéressante :
https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02095475/document
Par ailleurs, il peut être intéressant de se pencher sur les conditions de votre accouchement (voie basse ? révision utérine ? forceps ? )
Enfin, si ce n'est pas encore le cas, et que vos douleurs persistent, peut être demander à votre médecin d'explorer la piste de la déchirure ligamentaire visible via une IRM ?
Je tiens à préciser que je n'ai pas de connaissances médicales particulières. Je me permets simplement de vous répondre au travers de mon expérience.
En effet, j'ai accouché il y a 3 semaines de mon second enfant et le syndrome de Lacomme a de nouveau été présent (cette fois dès 1,5 mois de grossesse). Au point d'être en fauteuil roulant à partir du 5ème mois de grossesse et devoir dormir dans un lit médicalisé et d'être sous morphine.
J'ai donc de nouveau dû faire face à la méconnaissance quasi générale de ce syndrome par le corps médical et ai continué mes recherches par moi même. Je suis d'ailleurs en attente d'un RDV chez un endocrinologue. Cela peut également être une piste...
Vous souhaitant de vous remettre le plus rapidement possible de vos douleurs et de profiter pleinement de votre bébé.
Bien cordialement.
Natacha
Je souffre d'une symphise pubienne post natale (aucun soucis pendant la grossesse). Cet article me rassure si cela est provoqué par l'allaitement car pour le moment le repos n'amène aucun soulagement, ni l'osteo ou la prise de curcuma pour sa vocation anti-inflammatoire. Également très sportive, c'est difficile pour moi de ne pas pouvoir reprendre une activité physique régulière. L'allaitement de mon bébé est prioritaire pour le moment, je reviendrai donc après le sevrage dans quelques mois pour indiquer si les symptômes et douleurs ont disparu...
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