Publié dans le n° 134 des Dossiers de l'allaitement, mai 2018.
D'après : Mammary candidiasis : a medical condition without scientific evidence ? Jiménez E et al. PloS One 2017 ; 12(7) : e0181071.
La lactation est très probablement la fonction physiologique humaine sur laquelle la médecine moderne a le moins de données scientifiquement fondées. En conséquence, les mères allaitantes qui présentent un problème d’allaitement devront souvent se débrouiller par elles-mêmes pour le surmonter en subissant éventuellement la douleur, ou décideront de sevrer plus rapidement que prévu. Par ailleurs, cet état de fait a contribué à la dissémination de convictions scientifiquement discutables et de traitements empiriques. L’une de ces convictions est qu’une infection à Candida est une cause importante de problèmes de mamelons douloureux. Le diagnostic de candidose mammaire sera donc posé lorsqu’une femme fait état de douleurs d’un type spécifique au niveau des mamelons et/ou des seins, en l’absence de tout examen secondaire et sans tenir compte du fait que les données scientifiques sur les candidoses des mamelons sont largement anecdotiques. Le but de cette étude espagnole était de rechercher la cause du problème chez 529 femmes souffrant de mamelons douloureux, et chez qui on avait posé un diagnostic de candidose mammaire.
Ces 529 femmes chez qui on suspectait une candidose ont été recrutées entre juillet 2011 et juillet 2015 (groupe cas). Toutes avaient les seins douloureux (douleurs irradiantes ou en coups de couteau), et 393 (74 %) d’entre elles avaient également les mamelons douloureux (lésions, sensation de brûlure…). On a exclu les femmes qui souffraient de mastite ou de vasospasme des mamelons. Ces femmes n’avaient pas reçu de probiotiques ni d’antibiotiques avant leur entrée dans l’étude. Elles ont fourni un échantillon de lait exprimé à partir du sein le plus douloureux. Tous ces échantillons ont été mis en culture pour analyse bactériologique, ont été analysés par PCR et par examen microscopique. Divers milieux de culture ont été directement mis en contact avec le mamelon le plus douloureux chez les 303 femmes qui avaient également les mamelons douloureux, et 25 d’entre elles ont accepté une biopsie au niveau du mamelon. Par ailleurs, 30 femmes ne présentant aucun problème d’allaitement (groupe témoin) ont fourni un échantillon de lait exprimé manuellement et un autre échantillon exprimé avec un tire-lait (les deux échantillons provenant du même sein), et la surface interne de la téterelle et le joint du tire-lait utilisé ont été écouvillonnés pour culture bactériologique. Le même protocole d’expression et de collecte d’échantillons a été utilisé chez 30 femmes chez qui une candidose était suspectée. Chacun des différents types de colonies retrouvées sur les milieux de culture a été isolé et analysé (5 échantillons analysés pour chaque type de colonie). Par ailleurs, l’ADN bactérien et fongique a été extrait à partir d’une fraction de chaque échantillon de lait maternel, amplifié par PCR et analysé. Une autre fraction de chaque échantillon de lait maternel a été traitée pour examen au microscope optique après coloration. Les biopsies de mamelons ont été fixées, déshydratées et incluses dans une résine, puis découpées au microtome pour évaluation au microscope électronique.
Le fait que le lait soit exprimé manuellement ou avec un tire-lait avait un impact sur la flore retrouvée dans le lait. La prévalence des Staphylocoques epidermidis, Staphylocoques dorés, des Streptocoques midi/oralis et du Streptocoque salivarius était similaire dans les deux types d’échantillons, ainsi que celle des Rothia et des Corynebactéries. En revanche, celle des Entérobactéries, d’autres bactéries Gram négatif et des levures (incluant le Candida albicans) était significativement plus élevée dans les échantillons de lait maternel exprimé avec un tire-lait, et certains germes, tels que les Pseudomonas et les Stenotrophomonas, étaient présents dans 46 % des échantillons exprimés au tire-lait alors qu’ils n’étaient retrouvés dans aucun des échantillons exprimés manuellement. Il existait par ailleurs des différences dans la concentration de certaines souches entre les femmes du groupe témoin et celles du groupe cas. Globalement, une analyse prenant en compte à la fois le groupe de la femme et le mode d’expression du lait montrait que celles du groupe cas avaient une présence significativement plus importante des germes les plus souvent retrouvés dans le lait maternel (S. epidermidis et doré, S. mitis/oralis, S salivarius, Rothia et Corynebactéries), la charge bactérienne lactée n’étant pas significativement affectée par le mode d’expression ; en revanche, la charge fongique lactée (taux de C. albicans) était fortement corrélée au mode d’expression du lait tandis qu’elle n’était pas significativement corrélée à l’appartenance au groupe cas ou au groupe témoin. Et il était intéressant de constater que les 4 échantillons de lait maternel exprimé manuellement qui s’avéraient positifs au C. albicans provenaient de mères dont le bébé souffrait d’un muguet. Dans le groupe témoin, le lait de 4 femmes ayant exprimé leur lait manuellement était positif pour le C. albicans, le C parapsilosis et/ou le Saccharomyces cerevisiae (l’une de ces femmes souffrait de diabète insulinodépendant) ; dans ce même groupe témoin, 16 échantillons de lait étaient positifs pour le C. albicans après expression au tire-lait, en l’absence de diabète chez ces mères ou de muguet chez leur bébé. Les écouvillonnages effectués au niveau de la face interne des téterelles et au niveau des joints (après nettoyage "normal" du matériel) retrouvaient la présence d’Entérobactéries, de Pseudomonas, de Stenotrophomonas et/ou de C. albicans. Après constatation de l’impact important du mode d’expression sur la contamination du lait maternel exprimé, on a demandé aux 529 femmes incluses dans le groupe cas d’exprimer leur lait manuellement.
Après amplification par PCR, les principaux germes retrouvés chez les femmes du groupe cas étaient les Staphylocoques (présents dans 95 % des échantillons), le plus fréquent étant le S. epidermidis (91 %), le S doré étant retrouvé dans 7 % des échantillons. Les Rothia étaient présents dans 23 % des échantillons, le plus fréquent étant le R mucilaginosa. Les Streptocoques étaient présents dans 77 % des échantillons, les plus couramment retrouvés étant les S. mitis/oralis, salivarius, parasanguinis et vestibularis. 14 % des échantillons contenaient une Corynebactérie, essentiellement C tuberculostearicum et kroppenstedtii. 5 % contenaient un Entérocoque, essentiellement E. faecalis. Le C albicans était présent dans seulement 11 échantillons (2 %). Les analyses bactériologiques menées sur les mamelons retrouvaient essentiellement des Staphylocoques et des Streptocoques, et aucune levure n’a été isolée à partir de ces échantillons. De même, l’analyse au microscope optique retrouvait une présence importante de cocci Gram positif, mais aucun prélèvement ne contenait de levures. L’analyse des biopsies retrouvait les signes d’un processus inflammatoire, un taux élevé de bactéries (essentiellement Staphylocoques et Streptocoques), mais là encore aucune levure.
Le principal point fort de cette étude est sa méthodologie particulièrement rigoureuse, faisant appel à diverses techniques d’analyse. Ses résultats ne permettent pas de retrouver une quelconque association entre les signes cliniques amenant habituellement à diagnostiquer une candidose et la présence objective de levures, que ce soit dans le lait maternel exprimé ou sur les mamelons, quelle que soit la technique d’étude utilisée. En revanche, elle constatait une augmentation significative de la charge lactée pour les germes les plus couramment retrouvés dans le lait maternel chez ces femmes. Par ailleurs, la présence d’un Candida était essentiellement corrélée à l’utilisation d’un tire-lait sur lequel les levures étaient présentes, ou à la présence d’un muguet chez le bébé de la mère. Il est important de noter que les Candida peuvent facilement être isolées et analysées à partir du lait maternel ou de prélèvements cutanés. On peut donc supposer que la présence à un taux plus élevé de certaines bactéries dites "commensales" dans le lait maternel est le signe d’une "mastite subclinique", responsable des problèmes (diagnostiqués à tort comme des candidoses) rencontrés par ces mères lorsque leur taux dépasse un certain seuil. Il serait nécessaire de mener des études rigoureuses sur les divers germes présents dans le lait humain dans des circonstances variées, et de mettre au point des protocoles précis pour la collecte des échantillons de lait et pour leur analyse. Cela permettra de mieux identifier les germes pouvant être à l’origine des problèmes de seins et/ou de mamelons douloureux, et à partir de quel taux. Il serait également recommandé d’exprimer manuellement les échantillons de lait. Enfin, l’expression "candidose des mamelons" devrait être évitée dans la mesure où ce diagnostic ne repose sur aucun fondement scientifique.
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