Paru dans le n° 136 des Dossiers de l'allaitement, juillet 2018.
D'après : The effects of breastfeeding in infants with phenylketonuria. Kose E et al. J Pediatr Nurs 2018 ; 38 : 27-32.
La phénylcétonurie est une anomalie congénitale du métabolisme de la phénylalanine, en raison d’une mutation du gène codant pour la phénylalanine hydroxylase. La phénylalanine ne peut pas être convertie en tyrosine, et elle s’accumule dans le sang et le système nerveux central, induisant un retard mental et des troubles neurologiques. Le traitement consiste essentiellement en une alimentation pauvre en phénylalanine aussi rapidement que possible après la naissance, avec suivi du taux sérique de phénylalanine. Cette anomalie est recherchée en routine dans les jours suivant la naissance (test de Guthrie). L’allaitement est le mode normal d’alimentation du bébé humain. Toutefois, l’allaitement exclusif recommandé à l’échelle planétaire apporte trop de phénylalanine en cas de phénylcétonurie. Pendant longtemps, on a donc dit aux parents d’arrêter immédiatement l’allaitement afin de nourrir exclusivement l’enfant avec une combinaison de lait spécial sans phénylalanine et de lait industriel standard. Or, on a constaté que le taux de phénylalanine est plus bas dans le lait humain que dans les laits industriels, et que l’utiliser plutôt qu’un lait industriel standard préserverait les bénéfices de l’allaitement pour ces enfants. Des études ont constaté que l’allaitement de ces enfants en conjonction avec le don d’un lait spécial était tout à fait possible et qu’il donnait de très bons résultats. Le but de cette étude était d’évaluer les pratiques d’allaitement chez les mères d'enfants souffrant de phénylcétonurie afin de mieux informer ces mères.
Les auteurs ont analysé rétrospectivement les dossiers de tous les enfants suivis entre 2008 et 2016 par un service hospitalier spécialisé dans la nutrition et le métabolisme pédiatriques et ayant le label Hôpital Ami des Bébés, situé à Izmir (Turquie). Parmi les 142 enfants suivis pour phénylcétonurie pendant cette période, toutes les données (démographiques, socioéconomiques, médicales, anthropométriques…) nécessaires à cette étude étaient disponibles pour 41 enfants, dont 25 avaient été allaités et 16 avaient été nourris avec un lait industriel. Outre le lait maternel ou le lait industriel, les enfants recevaient un lait spécial sans phénylalanine. Les enfants ont été suivis tous les mois, avec dosage du taux sérique de phénylalanine, permettant d’ajuster le volume de lait spécial à donner quotidiennement. Les 2 groupes présentaient au départ des caractéristiques similaires. Au moment du diagnostic, les enfants avaient 19,7 ± 1,5 jours. Tous les enfants sauf un étaient allaités à ce moment, et les enfants que la mère a continué à allaiter ont été allaités pendant 7,4 ± 4 mois, les multipares ayant allaité plus longtemps que les primipares (9,1 mois contre 5,8 mois en moyenne). Le taux sérique de phénylalanine pendant la durée de l’allaitement était significativement plus bas chez les enfants allaités que chez les enfants nourris avec un lait industriel (280 ± 163 contre 490 ± 199 µmol/l), et il était beaucoup plus souvent dans les limites de la normale. La prise de poids des enfants allaités était significativement plus basse pendant les premiers mois (24,5 ± 6,4 contre 30,9 ± 9 g/jour chez les enfants nourris avec un lait industriel), mais entre 6 et 12 mois elle était significativement plus élevée chez ces enfants ; globalement, la prise de poids mensuelle moyenne pendant les 12 premiers mois était plus élevée chez les enfants allaités que chez les enfants nourris au lait industriel (493 ± 159 contre 399 ± 116 g/mois), et les enfants allaités pesaient 10,3 ± 1,1 kg à 12 mois contre 9,6 ± 0,8 kg chez les enfants nourris au lait industriel.
Cette étude confirme le maintien plus facile d’un taux optimal de phénylalanine chez les enfants allaités que chez ceux nourris au lait industriel, et elle retrouve une meilleure prise de poids à 12 mois chez les enfants allaités, en particulier entre 6 et 12 mois. Elle présente toutefois des limitations. Toutes les données étaient disponibles pour seulement un petit groupe d’enfants, ce qui limite la fiabilité statistique. Cette étude n’était pas conçue pour permettre la collecte de données sur des événements susceptibles d’avoir un impact sur le taux sérique de phénylalanine (respect des consignes alimentaires par les parents…) ou la croissance de l’enfant (pathologies variées). Certains facteurs corrélés à l’allaitement (âge maternel, statut marital…) n’ont pas été pris en compte. Ces résultats viennent toutefois s’ajouter aux études déjà publiées, et confirment que l’allaitement de ces enfants est tout à fait possible et recommandable, parallèlement au don d’un lait spécial selon des modalités à définir en fonction du résultat du suivi. D’autres études seraient nécessaires, selon une méthodologie prospective, avec prise en compte de davantage de données.
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