Publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 140, novembre 2018.
D'après : Quantitative sensory testing, antihistamines, and beta-blockers for management of persistent breast pain : a case series. Muddana A et al. Breastfeed Med 2018 ; 13(4) : 275-80.
Les problèmes de mamelons ou de seins douloureux constituent une cause majeure de sevrage plus précoce que souhaité par la mère. Dans la majorité des cas, les problèmes douloureux disparaissent spontanément avant J15, mais environ 20 % des femmes ont toujours mal au bout d’un mois. Les causes des douleurs persistantes sont multiples : problème de succion, dermatose, vasospasme, douleur fonctionnelle (sans cause organique déterminée). On estime que les douleurs fonctionnelles sont liées à un syndrome de sensibilisation centrale (SSC), en rapport avec des altérations du traitement des signaux douloureux par le système nerveux central, induisant entre autres une hypersensibilité sensorielle. Les auteurs ont constaté dans leur pratique professionnelle les importantes variations individuelles dans la sensibilité à la douleur, et ils ont mis au point un test destiné à différencier les douleurs fonctionnelles des autres causes de douleurs chez les mères allaitantes, le Lactation Quantitative Sensory Test (L-QST), en se fondant sur les tests de contrôle sensoriel quantitatif utilisés chez les femmes souffrant de vulvodynies.
Pour le test, la patiente se met torse nu et on lui demande de fermer les yeux et de se concentrer sur ses sensations. L’extrémité d’un coton-tige est utilisée pour évaluer les sensations douloureuses, d’abord au niveau de l’épaule droite pour déterminer la sensation "normale". Puis la personne effectuant le test exerce la même pression douce avec le coton-tige en partant de l’extérieur du sein droit vers le mamelon, en se déplaçant de 1 cm pour chaque nouvelle pression au niveau du cadran externe. Pour chaque nouvelle pression avec le coton-tige, la mère doit décrire ce qu’elle ressent, et la douleur est déterminée sur une échelle de 0 à 10. Le même processus (en commençant par l’épaule) est répété sur le cadrant externe du sein gauche, puis pour 3 autres cadrans de chaque sein, en alternant sein droit et sein gauche à chaque cadran. L’examinateur dresse un tableau détaillé des résultats de cet examen, avec indication de tous les points douloureux. L’intégralité de ce processus est ensuite répétée en enlevant le coton de l’une des extrémités du coton-tige, qui est utilisé pour piquer doucement la peau. Chez les femmes ne souffrant pas de douleur neuropathique, la perception sensorielle est généralement "différente" au niveau de la jonction entre le sein et l’aréole et/ou au niveau du mamelon, sans être douloureuse ou désagréable. Chez celles qui souffrent de douleur neuropathique, la sensation peut être désagréable déjà au niveau de la peau du sein, loin du mamelon.
Il est possible que la douleur soit médiée par la sécrétion d’histamine et de catécholamines. De nombreux mastocytes sont présents dans le sein lactant, et leur dégranulation peut jouer un rôle dans la douleur ressentie par la mère. Par ailleurs, des études in vivo ont constaté le rôle de l’histamine dans la nociception. La noradrénaline contribue à l’inhibition de la douleur, et on a constaté que les variations du métabolisme des catécholamines étaient associées à la sensibilité à la douleur. Les problèmes douloureux chroniques sont associés à une augmentation du taux de catécholamines et une baisse de l’activité de la catéchol-O-méthyltransférase (COMT). Enfin, on a constaté que le propranolol pouvait être efficace chez des femmes souffrant d’hypersensibilité mammaire. Les auteurs présentent 3 cas de mères souffrant de douleurs neuropathiques.
Premier cas
Cette femme de 31 ans, primipare, s’est présentée à 8 semaines post-partum en raison de douleurs mammaires persistantes et d’une production lactée insuffisante. Elle avait souffert de crevasses sur les mamelons pendant la première semaine post-partum, et la freinotomie effectuée à 4 semaines chez son enfant n’avait eu aucun impact sur la douleur. Elle allaitait partiellement. À 8 semaines, l’examen des mamelons était normal, l’examen oral et l’évaluation de la succion de l’enfant n’ont pas révélé d’anomalies. Ses mamelons étaient très douloureux (douleur cotée à 8) à la fin de toutes les tétées, avec sensation de brûlure et de démangeaison. Le sein gauche était nettement plus volumineux que le sein droit, et cette mère présentait un dermatographisme marqué. Le résultat du test L-QST a retrouvé une douleur au niveau du sein gauche, à 10-12 cm du mamelon, suggérant une douleur fonctionnelle. En raison du dermographisme et des caractéristiques de la douleur, on lui a prescrit de la cétirizine (10 mg/jour). Une semaine plus tard, la douleur avait diminué de façon importante.
Second cas
Cette primipare allaitait exclusivement son bébé de 17 semaines lorsqu’elle a appelé une permanence téléphonique de soutien aux mères allaitantes pour une douleur intense, à type de brûlure et de coups de couteau dans la partie inférieure du sein gauche, qui la réveillait la nuit. La douleur avait débuté après une antibiothérapie de 10 jours suite à une mastite diagnostiquée à 3 semaines post-partum. Une section du frein labial supérieur avait été effectuée à 11 semaines chez le bébé, sans résultat sur la douleur ressentie par la mère, la douleur s’étant même aggravée. Elle avait des antécédents d’allergies saisonnières, d’hypertension, de migraines, d’hypothyroïdie, de douleurs abdominales, de dysménorrhée, d’infertilité et de fausses couches répétées, et ses seins présentaient une sensibilité douloureuse au froid. La personne qui a pris son appel téléphonique a suggéré un traitement par cétirizine, et a programmé un rendez-vous à la consultation des auteurs deux semaines plus tard. Lors de cette consultation à 19 semaines, la mère a signalé une amélioration franche de la douleur, qui était passée d’intense à faible. Le test L-QST a constaté une hyperalgie bilatérale, ainsi que l’apparition d’un érythème marqué dans la zone touchée avec le coton-tige sur la poitrine, ce qui suggère une dégranulation des mastocytes. On a recommandé à cette mère de poursuivre le traitement par cétirizine, et de prendre également du propranolol (20 mg trois fois par jour). Le suivi une semaine plus tard a constaté la totale disparition de la douleur. La mère a arrêté le propranolol et aucune récidive n’est survenue. Elle a allaité exclusivement jusqu’à 6 mois et elle a sevré à environ 1 an.
Troisième cas
Cette primipare de 35 ans s’est présentée en consultation à 4 semaines post-partum en raison de douleurs intenses au niveau des mamelons pendant les tétées. Elle avait souffert de crevasses sur les mamelons, qui étaient toujours présentes au moment de la consultation en dépit d’un traitement par mupirocine. Elle prenait également de l’ibuprofène. L’examen a constaté un exsudat jaunâtre au niveau des fissures, suggérant une surinfection à Staphylocoque doré. La douleur empirait si les seins étaient exposés au froid. On lui avait également prescrit de la dicloxacilline, et de la nifédipine pour la sensibilité au froid. Deux semaines après, elle avait terminé le traitement antibiotique et la douleur avait disparu. Elle est toutefois revenue deux semaines plus tard en raison d’une douleur à type de brûlure au niveau du sein droit à chaque tétée, estimée intolérable par la mère. Le L-QST constatait que la douleur était déjà présente lorsqu’on touchait le pectoral droit. Les causes possibles étaient une douleur fonctionnelle, une infection des canaux lactifères ou une douleur musculaire ou squelettique. On lui a recommandé de poursuivre la prise de nifédipine, et on lui a prescrit du propranolol. Une dysbiose au niveau mammaire étant également possible en raison de l’antibiothérapie récente, on lui a suggéré la prise de probiotiques, et un rendez-vous a été fixé avec un ostéopathe. Deux semaines plus tard, la douleur avait totalement disparu, la mère avait arrêté de prendre la nifédipine, et elle avait annulé son rendez-vous chez l’ostéopathe. Après deux autres semaines, elle a arrêté de prendre le propranolol. Elle n’a présenté aucune récidive. Elle a allaité exclusivement jusqu’à 6 mois et a sevré à 12 mois.
Ces trois mères souffraient toutes de douleurs intenses à type de brûlure et de démangeaisons, et toutes présentaient une hypersensibilité douloureuse au niveau des seins objectivée par le L-QST. Classiquement, ce type de douleur est attribué à une candidose mammaire, mais cette étiologie est de plus en plus remise en question suite aux études n’ayant pas réussi à mettre en évidence la présence d’un Candida chez ces femmes. L’histamine est également impliquée dans les mycoses vulvaires, et des femmes chez qui le fluconazole avait été inefficace ont vu leurs problèmes se résoudre suite à un traitement par cétirizine. L’expérience des auteurs est encourageante, mais leurs constatations doivent être confirmées par des études en double aveugle. Des études sur la fiabilité du L-QST sont également nécessaires, afin d’établir un protocole d’utilisation. La gestion des douleurs mammaires chroniques chez les mères allaitantes est difficile en l’absence d’une cause évidente. Ce rapport de cas permet de penser qu’un traitement par antihistaminique et bêtabloquants pourrait être une alternative intéressante chez les mères souffrant de douleurs fonctionnelles.
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