Publié dans le n° 143 des Dossiers de l'allaitement, février 2019.
D'après : Breastfeeding aversion and agitation. McGuire E. Breastfeed Rev 2018 ; 26(2) : 37-40.
De nombreuses femmes rencontrent des difficultés pendant leur allaitement, mais ce dernier est censé être globalement une expérience positive et gratifiante. C’est tout particulièrement le cas pour les femmes qui décident de suivre une formation afin de devenir bénévoles dans une association d’aide aux mères afin de pouvoir aider d’autres mères. L’expérience montre que cela n’est pourtant pas obligatoirement le cas. L’auteur rapporte le cas d’une mère qui a rencontré un problème très particulier : une aversion envers l’allaitement.
Cette femme avait accouché par voie basse de son premier enfant. Le démarrage de l’allaitement n’a pas été facile. Sa petite fille n’était pas intéressée par le sein et une sage-femme a tenté de le lui faire prendre de force ; cela a induit un cercle vicieux de refus du sein par l’enfant. La mère a quand même persisté, en utilisant des bouts de sein, en tirant son lait pour le donner à la seringue et à la tasse, en supportant les morsures de sa fille quand elle a fait ses dents. Elle est à nouveau devenue enceinte, a fait une fausse-couche, et elle a décidé de devenir conseillère en allaitement via l’Australian Breastfeeding Association (ABA) dont elle avait trouvé le soutien très utile.
Elle est à nouveau devenue enceinte, a poursuivi l’allaitement pendant sa grossesse, et a décidé de co-allaiter ses 2 filles. Le deuxième enfant a pris le sein facilement dans l’heure qui a suivi la naissance, et le co-allaitement s’est poursuivi sans problème. Mais avec le temps, sa première fille a commencé à accepter de plus en plus mal les tétées partagées, et s’est mise à pleurer et même à frapper sa petite sœur lorsqu’elles étaient au sein ensemble. Cela a constitué un stress majeur pour la mère, et les tétées qui jusque-là avaient été pour elle des moments de bonheur sont devenues des moments de frustration, de colère et de ressentiment. De plus, sa première fille a recommencé à se réveiller très souvent la nuit pour réclamer le sein (comme sa petite sœur), ce qui était épuisant pour la mère, d’autant que son époux travaillait loin et ne rentrait que le week-end pendant toute cette période, et qu’il ne pouvait donc pas l’aider.
La mère se rendait compte que sa fille aînée voulait passer du temps seule avec elle, en particulier pendant les tétées, qu’elle voulait que sa mère la regarde et lui parle avec tendresse pendant qu’elle était au sein, mais l’intensité des sentiments de colère qu’elle éprouvait rendait les tétées émotionnellement insupportables. Elle devait serrer les dents, se pincer les bras, se mordre la langue jusqu’au sang pour ne pas repousser sa fille. Les choses se passaient beaucoup mieux le week-end, lorsque son mari était à la maison, et les tétées redevenaient agréables. Et en revanche, son vécu était encore pire lorsqu’elle se sentait fatiguée physiquement ou émotionnellement. La mère a fait tout son possible pour dissimuler son vécu négatif à sa fille aînée, et un point positif est qu’elle ne s’est jamais sentie une « mauvaise mère » en raison de l’effort considérable que représentait pour elle la poursuite de l’allaitement de son aînée, vécu comme un cauchemar. Mais elle se sentait très seule sur le plan émotionnel, et elle avait peur de parler de ce qu’elle éprouvait. Lorsqu’elle essayait de le faire pour obtenir du réconfort, personne ne semblait comprendre, et la mère craignait qu’on pense qu’elle était une mauvaise mère et qu’elle maltraitait sa fille aînée (ce qu’elle n’a jamais fait).
Elle a un jour rencontré une autre femme qui ressentait des sentiments du même ordre pendant les tétées ; ces sentiments étaient en rapport avec des sévices sexuels subis pendant l’enfance, dont le souvenir était ravivé par les tétées. La mère n’avait pas du tout ce type de passé, et elle a commencé à se poser des questions sur les raisons de son vécu. Elle avait par ailleurs des problèmes de santé, et pendant sept mois, elle a enchaîné les épisodes de mastites et de canaux lactifères bouchés, ainsi qu’une grippe et une gastroentérite, qui l’ont épuisée. Elle a alors décidé de faire le deuil du co-allaitement et du sevrage naturel qu’elle avait souhaités, et de sevrer sa fille aînée. Le sevrage s’est bien passé. Quelques nuits après avoir pris la décision de sevrer, la mère a été réveillée par la fillette qui souhaitait téter. Elle l’a prise dans ses bras, l’a mise au sein pour une tétée très agréable, elle s’est rendormie avec sa fille dans les bras en sachant que cette tétée serait la dernière. Dès le lendemain matin, elle s’est arrangée pour distraire sa fille chaque fois qu’elle demandait le sein et, très rapidement, la petite fille a accepté le sevrage.
Deux mois plus tard, tout se passait bien. La fillette demandait encore parfois le sein, sans insister lorsque sa mère refusait. Les problèmes de santé de la mère ont disparu, ce qui lui a fait réaliser qu’ils étaient l’expression physique de son mal-être émotionnel. Elle se sent parfaitement bien dans son rôle de mère, elle allaite avec bonheur sa seconde fille, et les mois de vécu difficile avec sa fille aînée lui semblent être un mauvais rêve. Avec le recul, la chose la plus difficile a été de traverser seule cette épreuve en ignorant quelle était la cause de son vécu. Elle a réalisé qu’elle avait tellement peur que son vécu très négatif des tétées avec sa fille aînée s’étende à d’autres aspects de son maternage qu’elle s’était désespérément efforcée de faire comme si tout allait bien pendant les tétées. Mais ce vécu très négatif est toujours resté strictement limité aux tétées pendant toute cette période difficile. Elle souhaite avoir d’autres enfants, et elle a décidé qu’elle ne voulait plus jamais co-allaiter, tout en sachant qu’il est tout à fait possible qu’elle essaye quand même : après tout, elle a déjà connu le pire en la matière, et elle pense qu’elle pourra gérer la situation.
Il existe peu de données sur les sentiments d’aversion à l’allaitement dans la littérature médicale. Ce phénomène diffère du réflexe d’éjection dysphorique (RED – qui est ressenti exclusivement pendant le réflexe d’éjection) par l’absence de mécanisme physiologique clair, mais comme le RED il se signale par des sentiments négatifs intenses pendant les tétées. Ce phénomène semble plutôt en rapport avec des mécanismes psychologiques et/ou émotionnels. Une analyse a constaté qu’un pourcentage plus ou moins important (suivant les études) de femmes éprouvaient des sentiments de malaise, d’irritabilité pendant les tétées lorsqu’elles étaient à nouveau enceintes, ou lorsqu’elles mettaient au sein en même temps 2 enfants d’âges différents. Ces sentiments négatifs pourraient être dus au fait que la femme est centrée prioritairement sur l’enfant à venir ou le bébé le plus jeune. Les sentiments d’aversion pendant les tétées ne concernent pas spécifiquement des femmes qui n’aimaient pas au départ l’idée d’allaiter pendant la grossesse ou de co-allaiter. Par ailleurs, ils ne surviennent pas que dans ce type de situation. Une enquête online a recueilli les témoignages de mères ayant vécu une aversion à l’allaitement ; seulement 22 % d’entre elles co-allaitaient et 11 % étaient enceintes lorsqu’elles ont vécu cette situation. Cette enquête a également constaté que, dans certains cas, l’aversion à l’allaitement était intermittente : pendant l’ovulation ou les règles, pendant les tétées nocturnes, lorsque la mère était plus fatiguée qu’à l’habitude, où à certaines tétées. Dans d’autres cas, l’aversion à l’allaitement débutait dès la première tétée après la naissance. La sévérité des manifestations était également variable. Des facteurs hormonaux pourraient favoriser la survenue de l’aversion à l’allaitement, similaires à ceux qui provoquent une dysphorie à certains moments du cycle, tout au moins dans certains cas.
Les témoignages des mères ayant vécu une aversion à l’allaitement retrouvent des points communs dans ce vécu : chair de poule, orteils qui se recroquevillent, désir intense d’arracher l’enfant du sein, sentiment de rage… vécu qui induit chez la plupart des mères de la culpabilité et de la honte. Ces mères veulent allaiter, et celles qui allaitaient auparavant avec bonheur peuvent être très surprises et choquées de ressentir des émotions aussi violentes et négatives. La mère dont le cas est décrit plus haut se percevait comme une bonne mère car, malgré tout, elle continuait à allaiter sa fille aînée, jusqu’au moment où elle a compris que cet allaitement avait un impact négatif non seulement sur sa santé émotionnelle, mais également sur sa santé physique. Comme elle, certaines mères choisissent de poursuivre l’allaitement en dépit de la détresse que cela provoque chez elles, tandis que d’autres décident de sevrer car leur vécu est intolérable. La chose probablement la plus importante pour aider ces mères est de reconnaître leur vécu, que celui-ci est incontrôlable et très difficile à vivre, et de leur montrer de l’empathie. Suggérer à ces femmes de chercher du soutien sur un forum d’allaitement ciblant les femmes ayant ce type de ressenti pourra également les aider, ne serait-ce qu’en leur montrant qu’elles ne sont pas seules à vivre une telle situation. Elles doivent être rassurées sur le fait qu’elles sont de bonnes mères, qui aiment leur enfant, et encouragées à décider par elles-mêmes de la meilleure conduite à tenir pour elles et leur enfant.
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