Paru dans le n° 143 des Dossiers de l'allaitement, février 2019.
D'après : Unusual milk colors. Anderson PO. Breastfeed Med 2018 ; 13(3) : 172-3.
Parfois, le lait maternel peut présenter des couleurs déconcertantes. Il existe très peu d’études sur le sujet, et les cas rapportés sont habituellement occasionnels. Ils sont toutefois intéressants. Certains médicaments sont fortement colorés, ou ont un métabolite qui l’est. Certaines bactéries peuvent colorer le lait, ainsi que certains aliments très colorés ou des colorants alimentaires. L’auteur présente quelques cas de coloration inhabituelle du lait maternel.
La clofazimine (Lamprène®) est un antibiotique fortement coloré en rouge utilisé pour le traitement de la lèpre, qui peut teinter en rouge le lait maternel. Elle est fortement liposoluble, et elle peut s’accumuler dans la peau du bébé allaité. Sa demi-vie tissulaire est de 70 jours, et la peau du bébé pourra donc prendre la couleur rouge-brun courante chez les personnes traitées. Cette coloration de la peau disparaîtra 3 à 5 mois après le sevrage ou l’arrêt du traitement maternel. Aucun effet secondaire sérieux n’a été rapporté chez les enfants allaités.
Les rifamycines (rifampicine, rifabutine et rifapentine) ont également une couleur rouge prononcée susceptible de colorer en rose ou en rouge les sécrétions corporelles de la personne traitée, incluant les larmes. La rifapentine est la seule pour laquelle une coloration rose du lait maternel est citée comme effet secondaire dans la notice d’utilisation. Dans le seul cas publié, la mère prenait de la rifampicine et de la clofazimine, et son bébé a présenté une coloration rougeâtre de la peau.
Le fer est incriminé dans deux cas rares de lait vert (Di Comite ; Yazgan). Le premier a été constaté chez une mère présentant une thalassémie hétérozygote et qui avait pris quotidiennement un supplément de fer pendant la grossesse en raison d’une anémie. Il semble que le fer relâché à l’occasion d’une pathologie hémolytique, ainsi que le fer pris en supplément, puisse être réduit en ion ferreux, qui peut avoir une couleur vert pâle. Le second cas a été rapporté chez une mère qui a pris un supplément vitaminique et minéral incluant du fer pendant ses deux grossesses. Dans les deux cas, 3-4 semaines ont été nécessaires après l’arrêt du supplément pour que le lait reprenne sa couleur normale.
Le sang peut passer dans le lait à partir de crevasses des mamelons, et il colorera le lait en rose ou en rouge. Le syndrome du tuyau rouillé se caractérise par une couleur brun-rouge du lait d’apparence inquiétante. On pense qu’il est en rapport avec la rupture de capillaires dans la glande mammaire. Dans un cas, un hématocrite effectué sur le lait maternel était de 14 %. Ce syndrome est habituellement remarqué en post-partum précoce, chez les mères qui tirent leur lait. Ce syndrome et la couleur qu’il induit disparaissent généralement au bout de 3 à 7 jours (Cizmeci ; Faridi ; Virdi).
La minocycline est connue pour la coloration noire qu’elle donne à certains tissus (os, yeux, thyroïde, muqueuse - Eisen). Deux cas de lait noir ont été rapportés, le premier chez une mère allaitante qui avait pris de la minocycline pendant 3-4 semaines, le second chez une femme non allaitante qui avait développé une galactorrhée alors qu’elle en prenait depuis plus de 4 ans en même temps que d’autres produits. Dans les deux cas, des macrophages contenant un pigment noir à base de fer ont été retrouvés dans le lait. On estime que la minocycline ou un de ses métabolites chélate le fer. Chez la mère allaitante, cela induira un taux lacté de fer plus de 100 fois plus élevé que la normale. On ignore dans quelle mesure ce fer est absorbé par l’enfant.
Une femme a subi une laparoscopie, et on lui a administré du propofol, du fentanyl, du rémifentanyl, du mivacurium et de la dipyrone, ainsi que des antalgiques et un anti-émétique en post-opératoire. 8 heures après l’intervention, son lait est devenu bleu-vert, puis vert. Le propofol et le métoclopramide peuvent colorer les urines en vert. Toutefois, 30 heures après la modification de couleur du lait maternel, le propofol était retrouvé dans le lait, mais pas le métoclopramide. La couleur du lait est revenue à la normale 48 heures après l’intervention.
La Serratia marcescens est une bactérie qui sécrète de la prodigiosine, un pigment rose foncé. Plusieurs cas de coloration rose liés à la présence de cette bactérie ont été rapportés (Clifford ; Jones ; Statler ; Valle). Le plus souvent, la contamination par S. marcescens provient du tire-lait ou du biberon insuffisamment nettoyés, en particulier si le lait est laissé à température ambiante. Toutefois, des cas de lait sortant rose du sein ont été rapportés, un traitement antibiotique permettant de traiter l’infection.
Certains aliments très colorés peuvent teinter le lait, comme les légumes verts ou la betterave (Lawrence ; Marles ; Thomson). Les caroténoïdes sont présents dans le lait maternel qu’ils peuvent teinter en orange. C’est en particulier le cas du colostrum, ou de la teinte beige de la crème dans le lait mature. Si aucun cas de lait franchement orange n’a été rapporté, un cas de coloration orange de la peau a été constaté chez un bébé allaité par une mère qui mangeait 2 à 3 livres de carottes par semaine. Un cas de coloration du lait maternel lié à la prise de spiruline a été rapporté. Très peu de précisions étaient données, mais au vu de la couleur vert foncé de cette algue, on peut supposer que le lait avait une couleur verte. D’autres algues, ou divers suppléments alimentaires peuvent également teinter en vert le lait maternel, mais là encore, très peu de détails sont fournis.
On a rapporté un cas de bébé allaité qui avait des urines roses chaque fois que sa mère buvait un soda à l’orange contenant des colorants alimentaires jaune et rouge. Aucune donnée n’était fournie sur une éventuelle coloration du lait maternel, mais il semble qu’au moins le colorant rouge passait dans le lait. Il semble que la Gatorade (une boisson pour les sportifs) puisse teinter le lait en vert (Lawrence ; Roseman).
Références
• Cizmeci MN et al. Rusty-pipe syndrome : A rare cause of change in the color of breastmilk. Breastfeed Med 2013 ; 8 : 340-1.
• Clifford V, Dyson K, Jarvis M, et al. My expressed breast milk turned pink ! J Paediatr Child Health 2014 ; 50 : 81-2.
• Di Comite A et al. Green milk : A contribution to the study of iatrogenic pollution of human milk ? Pediatr Med Chir 1985 ; 7 : 423-7.
• Eisen D, Hakim MD. Minocycline-induced pigmentation. Drug Saf 1998 ; 18 : 431-40.
• Faridi MM et al. Rusty pipe syndrome : counselling a key intervention. Breastfeed Rev 2013 ; 21 : 27-30.
• Jones J et al. A case report of pink breast milk. J Obstet Gynecol Neonatal Nurs 2014 ; 43 : 625-30.
• Lawrence RA. Breastfeeding : A Guide for the Medical Profession, 4th ed. St. Louis : Mosby-Year Book, 1994, p. 306.
• Marles RJ et al. United States Pharmacopeia safety evaluation of spirulina. Crit Rev Food Sci Nutr 2011 ; 51 : 593-604.
• Roseman BD. Sunkissed urine. Pediatrics 1981 ; 67 : 443.
• Statler VA et al. A pink milk bottle mystery. J Pediatric Infect Dis Soc 2012 ; 1 : 347-50.
• Thomson ML. Carotinaemia in a suckling. Arch Dis Child 1943 ; 18 : 112.
• Valle CA, Salinas ET. Pink breast milk : Serratia marcescens colonization. AJP Rep 2014 ; 4 : e101-4.
• Virdi VS et al. Rusty-pipe syndrome. Indian Pediatr 2001 ; 38 : 931-2.
• Yazgan H et al. A mother with green breastmilk due to multivamin and mineral intake : a case report. Breastfeed Med 2012 ; 7 : 310-2.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci