Publié dans les Dossiers de l'allaitement n° 144, mars 2019.
D'après : Serratia marcescens colonization causing pink breast milk and pink diapers : a case report and literature review. Quinn L et al. Breastfeed Med 2018 ; 13(5) : 388-94.
La Serratia marcescens est un germe environnemental ubiquitaire, qui peut également être un opportuniste en cas d’infection hospitalière chez des patients fragiles. La capacité de certaines souches de ce germe à sécréter un pigment rouge (la prodigiosine) a été décrite pour la première fois en 1819. C’est une bactérie Gram négatif de la famille des Entérobactéries. Son pigment spécifique ainsi que la conviction de son absence de pathogénicité ont amené à l’utiliser comme marqueur expérimental. On l’a par la suite isolée dans le contexte d’épidémies hospitalières, y compris dans les services de néonatalogie où l’origine de l’infection était les cathéters et sondes, les solutions d’alimentation parentérale, les appareils d’oxygénation, les tire-lait et le lait maternel exprimé ou les mains des soignants. Des contaminations chez des nourrissons à terme et en bonne santé ont été rapportées, mais elles sont très rares. Les auteurs présentent un cas de bébé en bonne santé qui a développé un syndrome des couches roses en raison d’une colonisation par la S. marcescens, et ils font le point sur les données publiées sur ce syndrome.
Cet enfant né à terme par voie basse et en bonne santé a été amené en consultation à 11 semaines en raison de régurgitations et d’urines qui viraient au rose depuis 2 semaines. Le bébé semblait plus agité, en particulier pendant les tétées, mais il était par ailleurs en bonne santé. La seule complication en post-partum avait été une réhospitalisation de courte durée en raison d’un ictère. Sa mère était en congé de maternité et elle tirait occasionnellement son lait, qui était de couleur "normale". Elle était infirmière ; elle avait fait des recherches au sujet de cette coloration rose, et elle a suggéré la possibilité d’une infection à S. marcescens. Le bébé ne présentait aucune anomalie clinique. Des échantillons d’urines et de selles infantiles ainsi que de lait maternel ont été prélevés et envoyés en bactériologie, qui s’est avérée négative. Un traitement de 10 jours par sulfaméthoxazole-triméthoprime (SMX-TMP) a été prescrit à la mère et à son enfant, et on a conseillé à la mère de suspendre l’allaitement pendant la durée du traitement, et de changer toutes les parties du tire-lait en contact avec les seins ou le lait. Pendant le traitement, l’enfant est devenu moins agité et la coloration rose des couches a disparu. Dans les 10 jours qui ont suivi la reprise de l’allaitement, le bébé a recommencé à être agité, le lait maternel est devenu rose, ainsi que les couches du bébé. De plus, certaines pièces du tire-lait sont également devenues roses. On a prescrit un nouveau traitement de 10 jours par SMX-TMP au bébé et un traitement de ciprofloxacine chez la mère. De nouveaux échantillons de selles et d’urines infantiles et de lait maternel ont été collectés, et cette fois la bactériologie a retrouvé une S. marcescens dans les selles de l’enfant, qui était sensible à l’association SMX-TMP et à la ciprofloxacine. Par la suite, l’enfant a eu un certain nombre d’épisodes de couches roses sans aucune autre manifestation clinique. Il avait 9 mois lorsque ce syndrome a totalement disparu chez lui, et son développement était parfaitement normal à 12 mois.
Les auteurs ont recherché tous les articles publiés en anglais sur le sujet entre 1958 et 2017 concernant des enfants de moins de 12 mois. Parmi les 138 articles retrouvés, 105 n’étaient pas des présentations de cas, 25 concernaient des épidémies hospitalières et 2 n’étaient pas en anglais, et ces articles ont été exclus. Les auteurs ont retenu 6 présentations de cas concernant 7 mères et leurs 9 enfants (2 mères de jumeaux), soit 8 mères et 10 enfants en incluant le cas présenté dans cet article. Sauf une dyade de jumeaux prématurés légers, tous les cas concernaient des enfants nés à terme. 9 enfants étaient allaités au moment de l’apparition de la coloration rose des couches et/ou du lait maternel, et parmi leurs 7 mères, 5 utilisaient de temps à autre un tire-lait. Les enfants avaient de 1 à 12 semaines au moment de l’apparition de la teinte rose, constatée dans le lait maternel chez 7 mères, au niveau des couches des enfants de 3 mères, les 2 étant présents chez 1 dyade mère-enfant. La S. marcescens a été retrouvée dans les selles de 2 enfants et dans le lait de 6 mères. Tous les enfants avaient une croissance normale. Toutes les mères ont été encouragées à poursuivre l’allaitement, même si on a conseillé à 4 mères de le suspendre pendant le traitement antibiotique. 3 enfants ont été traités par SMX-TMP, et un enfant par sulfasuxidine, les autres enfants n’ont pas été traités. Une mère a également été traitée par SMX-TMP, une mère par céphalosporine, et 3 mères par ciprofloxacine, les autres mères n’étant pas traitées. Aucun enfant n’a développé de signes cliniques d’infection, et aucune manifestation autre que les couches roses n’a été rapportée. Les enfants ont été suivis pendant plusieurs semaines à plusieurs mois, et leur développement a été normal, y compris l’enfant suivi par les auteurs de cet article. Toutes les mères ont poursuivi l’allaitement, sauf une mère qui a décidé de sevrer en dépit des encouragements à poursuivre et les informations qui lui ont été données sur la bénignité de ce problème.
S’il est nécessaire d’évaluer soigneusement les enfants présentant un syndrome des couches roses, cette revue de cas permet de penser que la colonisation par la S. marcescens est un problème bénin, pour lequel il n’existe pas de données fiables démontrant l’intérêt d’une antibiothérapie chez la mère ou l’enfant, dans la mesure où tous les enfants étaient par ailleurs en bonne santé, qu’aucun n’a présenté de signes infectieux, et qu’une antibiothérapie peut avoir des effets secondaires et contribuer à l’apparition de résistances. On trouve facilement sur Internet des témoignages concernant le "lait rose", et les professionnels de santé devraient donc être préparés à informer les mères sur la contamination par S. marcescens et sur le fait qu’aucune complication n’a jamais été rapportée chez les enfants concernés.
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