Publié dans le n° 145 des Dossiers de l'allaitement, avril 2019.
D'après : Breastfeeding by women with physical impairments. Planitz B. Breastfeeding with a disability – It works ! Lact Breastfeed 2018 ; 3 : 4-8, 10-13.
Sani est née avec un bras gauche trop court, une articulation manquante au niveau du bras droit avec une main trop petite, et une scoliose secondaire. Elle pense qu’elle aurait décidé de faire une IVG si son handicap avait été plus important, mais elle a estimé que, dans son cas, la grossesse était possible. Si les infirmières en maternité l’ont aidée et soutenue, la sage-femme lui a juste dit que si ça n’allait pas, elle n’avait qu’à donner des biberons. L’allaitement était important pour elle, et elle a trouvé très gratifiant de voir son bébé prendre du poids grâce à son lait. Comme un seul de ses bras est fonctionnel, elle a dû s’adapter. Les premiers mois ont été les plus difficiles, car son bébé devait être correctement soutenu. Elle ne peut se coucher que sur un seul côté. Elle aimait les tétées, qui étaient pour elle et son bébé des moments de paix et de bonheur. Elle souhaite que les mères souffrant d’un handicap ne soient pas comparées aux autres mères, et qu’on n’attribue pas à l’allaitement tous les problèmes induits par le handicap, d’autant que nombre d’entre eux peuvent être surmontés.
Nina a subi en 2008 un accident qui a provoqué une fracture vertébrale au niveau thoracique avec lésions discales, stabilisée par la pose d’une tige vissée, avec persistance de fragments d’os dans la moelle épinière. Sa principale crainte était l’impact négatif sur son enfant du traitement antalgique lourd repris à partir de 8 semaines de grossesse, mais son bébé est en parfaite santé. La proximité et l’intimité des tétées étaient "vitales" pour elle, et l’allaitement a été encore plus gratifiant que ce à quoi elle s’attendait. La douleur insuffisamment traitée est un important problème au quotidien, mais elle porte son bébé "comme n’importe quelle autre mère", même si elle doit serrer les dents pour le faire. Les spécialistes qui la suivent lui ont dit que vu qu’elle allaitait, l’ibuprofène était l’antalgique le plus puissant qu’ils pouvaient lui prescrire. Elle sait que ces médecins auraient préféré qu’elle donne des biberons. Elle continue à espérer que son corps va s’habituer au handicap et que la douleur va s’atténuer avec le temps.
Elisabeth est née sans bras. Elle a constaté qu’il était nécessaire d’avoir une grande confiance en soi pour décider d’avoir un enfant lorsqu’on est handicapée. Il est également nécessaire de bénéficier du soutien d’un gynécologue empathique qui a envisagé la situation de façon très pragmatique, à savoir lister les obstacles et déterminer comment les surmonter. Son mari exerce une profession indépendante, et il a pu s’arranger pour être présent à la maison au début. Elle fait beaucoup de choses par terre, et elle a appris à transporter son bébé avec ses pieds. Elle apprécierait d’avoir une personne qui puisse l’aider régulièrement au quotidien, mais elle estime qu’il n’est pas facile de trouver une personne qui apporte son aide sans avoir une attitude paternaliste ou condescendante. Elle aimerait qu’il existe des groupes de soutien ciblant spécifiquement les mères handicapées.
Ann-Katrin est née avec un syndrome de Cantrel, une pathologie rare qui induit des malformations au niveau du diaphragme, de la paroi abdominale, du cœur et du sternum. Elle présente une malposition cardiaque, un défaut septal auriculaire, le péricarde est absent, la partie inférieure du sternum est absente (on peut voir son cœur battre sous sa peau) et son poumon droit présente une atrophie partielle. Elle a contacté tous les spécialistes susceptibles de lui fournir des informations sur l’impact de sa pathologie sur la grossesse et l’allaitement, mais au vu de la rareté de ce syndrome et du fait qu’elle semble être la personne la plus âgée encore vivante qui en souffre, personne n’a été capable de lui fournir la moindre information. Elle n’a jamais envisagé de ne pas allaiter. Son nouveau-né a dû être transféré en soins intensifs en raison d’un arrêt respiratoire, et tirer son lait est devenu très important pour elle, car c’était la seule chose qu’elle pouvait faire pour son enfant. Elle est convaincue que son bébé a surmonté ce problème de départ grâce à son lait. Elle garde un vif souvenir de l’étudiante sage-femme à qui elle avait demandé, en maternité, de l’aider à mettre son bébé au sein : celle-ci lui a répondu qu’elle n’avait vraiment pas le temps. La grossesse et l’allaitement ont laissé des traces. Elle a constaté que son corps avait besoin d’énergie pour s’occuper de son bébé. On lui a prescrit un corset de maintien afin de l’aider. Les professionnels de santé lui ont régulièrement dit qu’elle devrait arrêter d’allaiter, que la grossesse avait déjà été très fatigante, que l’allaitement était un stress supplémentaire et qu’elle n’aurait probablement pas assez de lait. Elle a été enchantée de voir qu’elle avait une production lactée abondante.
Sarah est née avec des doigts manquants, pas d’articulation au niveau des chevilles, pas de ligaments croisés au niveau des genoux, et depuis 10 ans, elle souffre de problèmes au niveau des disques vertébraux. Elle est actuellement enceinte. Elle veut allaiter car c’est pour elle un signe de normalité et de respect de la nature humaine.
Suite à une méningite à l’âge de 4 ans, Yvonne est quasiment sourde. Les réactions de ses proches devant son désir d’avoir un enfant ont été très variables, certains d’entre eux estimant qu’elle ne serait pas capable de s’en occuper. Mais elle a eu la chance de recevoir le soutien du médecin qui la suivait. Ce dernier lui a dit que tant qu’elle n’avait pas essayé, elle ne pouvait pas savoir si elle y arriverait. Devenir mère a profondément changé sa vie. Elle a appris à utiliser beaucoup plus efficacement ses autres sens, et elle est devenue plus organisée et plus confiante dans ses capacités. Pendant les premiers jours, on devait la réveiller pour allaiter son bébé la nuit, car elle ne l’entendait pas pleurer. Elle a accouché dans un service ayant le label Hôpital Ami des Bébés, et elle a été choquée de se voir recommander par une infirmière de donner des biberons, car étant sourde elle n’entendrait pas son bébé pleurer, et que de plus les bébés nourris au lait industriel passaient plus de temps à dormir. Personne ne l’a aidée à mettre son bébé au sein, ne s’est préoccupée de ses mamelons crevassés qui saignaient, ou ne lui a expliqué comment tirer son lait parce que son bébé perdait du poids. Après sa sortie de maternité et en dépit des mises en garde des médecins et des infirmières, elle et son mari ont décidé de prendre leur bébé dans leur lit. Cela lui permet de se réveiller dès que son bébé bouge, et de le mettre au sein facilement.
Depuis 2012, Jennifer souffre d’une arthrite psoriasique, d’une fibromyalgie, de vertiges, de troubles visuels et d’une fatigue très importante. Elle aussi a constaté que les réactions de ses proches étaient très variables, et certains l’ont accusée d’être égoïste. Les professionnels de santé à qui elle a eu affaire semblaient penser que l’allaitement était certes bien, mais qu’il devenait parfaitement inutile après 2 ou 3 mois. Lorsqu’elle consultait pour ses problèmes de santé, l’allaitement était estimé être la cause du problème et on lui conseillait d’arrêter parce que "ça n’était pas important de continuer". Elle aurait aimé être mieux écoutée et ses problèmes davantage pris en compte.
Barbara est paraplégique depuis 2001 suite à un accident de voiture ayant provoqué une lésion médullaire au niveau de L1. Son mari était très présent, et tout son entourage savait qu’il continuerait à l’être pendant la grossesse et l’allaitement (ce qui a été le cas), ce qui a grandement facilité l’acceptation de son désir d’enfant par sa famille. Elle s’est toutefois posé des questions sur la façon dont elle gèrerait la situation si elle se trouvait seule à la maison avec son bébé. L’allaitement était très important pour elle, car c’était quelque chose qu’elle pouvait réussir alors qu’elle est incapable de faire de nombreuses choses (ou que cela lui est difficile). Le démarrage de l’allaitement a été très difficile. Elle a eu des problèmes de mamelons très douloureux avec ses deux enfants, de nombreuses mastites s’accompagnant de fièvre élevée, et divers autres problèmes, mais elle a persévéré parce qu’à ses yeux, il n’y avait pas d’alternative possible : "Se lever la nuit pour préparer un biberon ? Non, merci." Le personnel du service de maternité où elle a accouché soutient activement les mères allaitantes. Elle aurait toutefois aimé bénéficier pour son premier enfant d’une aide aussi compétente et efficace que pour son second enfant. Elle adore les moments des tétées, et elle sait qu’elles lui manqueront lorsque son second enfant décidera de se sevrer. Elle a engagé des personnes qui pouvaient venir l’aider pendant la fin de sa grossesse et après son accouchement, grâce à une subvention accordée par l’État. En effet, la moindre tâche est difficile et lui prend du temps (faire sa toilette, aller aux WC…), et elle a dû trouver des solutions pour que son bébé soit en sécurité lorsqu’elle était seule et qu’elle ne pouvait pas s’en occuper. Son handicap rend le maternage nettement plus compliqué, ce qui rend l’allaitement encore plus important et appréciable, car il est pour elle une réussite.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci