Publié dans le n° 147 des Dossiers de l'allaitement, juin 2019.
D'après : Nutritional consequences of bariatric surgery for pregnancy and breastfeeding. McGuire E. Breastfeed Rev 2018 ; 26(3) : 19-26.
En Australie, le taux d’obésité importante (IMC > 40 kg/m², ou > 35 kg/m² avec présence d’une pathologie telle que l’hypertension ou le diabète de type 2) est passé de 4,9 % en 1995 à 9,4 % en 2014-15. En 2014-15, environ 22 700 chirurgies bariatriques ont été effectuées, dont environ 40 % chez des femmes en âge de procréer. Cette chirurgie est beaucoup plus efficace que toutes les autres stratégies de perte de poids, mais son impact à long terme reste mal évalué alors qu’elle peut avoir des implications importantes et durables sur la nutrition et la santé de la femme. En particulier, les femmes qui recommencent à prendre du poids et/ou qui présentent divers effets négatifs suite à l’intervention sont moins susceptibles de participer à une étude sur le sujet, ce qui est un biais important.
Il existe divers protocoles chirurgicaux. Le plus courant en Australie est la sleeve gastrectomie ou "gastroplastie verticale calibrée avec résection gastrique". La majeure partie de l’estomac est retirée pour former un tube stomacal. On peut également poser un anneau gastrique de diamètre modulable autour de la partie supérieure de l’estomac, qui va séparer ce dernier en deux parties, ce qui limite fortement les prises alimentaires ; l’efficacité de ce protocole est toutefois moins importante. Le by-pass est une chirurgie plus complexe, dans laquelle une petite partie du haut de l’estomac est conservée et reliée directement à l’intestin grêle. Si les deux premiers protocoles opératoires n’ont pas d’impact sur la digestion des aliments, ce n’est pas le cas du troisième, qui induit une malabsorption. On a constaté par ailleurs que ces interventions induisaient une baisse du taux de ghréline (avec baisse de l’appétit), des modifications de la sécrétion biliaire, ainsi que des modifications de la flore bactérienne.
Comme toute chirurgie digestive, la chirurgie bariatrique n’est pas dépourvue de complications pouvant être sévères : obstruction intestinale, fuites au niveau de l’anastomose, hernies, ulcérations, saignements… Mais elle a surtout un impact nutritionnel important. Cette chirurgie modifie le transit normal des aliments dans le tractus digestif, avec en particulier perte des macronutriments absorbés au niveau du duodénum ou du jéjunum proximal. Le fer non héminique est solubilisé au pH gastrique avant d’être absorbé au niveau du duodénum. Le fer héminique est directement absorbé au même niveau, suite à l’action des enzymes pancréatiques qui libèrent le fer de l’hème. La chirurgie bariatrique limite fortement l’exposition aux sécrétions gastriques, et le by-pass interdit leur passage par le duodénum. Le fer peut également être absorbé au niveau de l’intestin grêle, mais nettement moins efficacement. La vitamine B12 nécessite également un passage dans l’estomac pour être libérée des protéines sur lesquelles elle est liée, et pour se fixer au facteur intrinsèque produit par la muqueuse gastrique ; elle pourra alors être absorbée au niveau de l’iléon. Il faut par ailleurs prendre en compte le fait que les personnes obèses ont souvent une alimentation de mauvaise qualité. Une évaluation nutritionnelle sera donc indispensable avant la chirurgie, afin de mettre en place des mesures nutritionnelles et une supplémentation adaptée.
Une enquête publiée en 2015 a passé en revue les carences nutritionnelles induites par la chirurgie bariatrique. Jusqu’à 25 % des patients développent une carence protidique (seulement 2 % en cas d’anneau gastrique), susceptible d’avoir un impact négatif important. Trois ans après un by-pass, jusqu’à 50 % souffrent de carence en fer et 33 à 37 % de carence en vitamine B12. Les auteurs disaient que la carence en calcium était fréquente, sans fournir de données précises. Une carence en folates était constatée chez 22 % des patients ayant subi un by-pass au suivi à 2 ans, tandis que le taux de carence en vitamine B1 et B6 était respectivement de 18 et 17 %. Les vitamines liposolubles seront moins bien absorbées après un by-pass, car le bol alimentaire est moins longtemps exposé à la bile et aux enzymes pancréatiques. La carence en vitamine D est fréquente, avec possibilité de perte de la densité osseuse. Une carence en vitamine A était constatée au bout de 4 ans chez 10 % des personnes ayant subi un by-pass, et une carence en vitamine K était présente chez 68 % des patients. Ces carences pendant la grossesse et la lactation peuvent avoir un impact négatif sur le fœtus et le nourrisson, d’autant que les besoins maternels augmentent pendant ces périodes.
En 2015, une méta-analyse a été publiée sur les carences en micronutriments chez les femmes ayant subi une chirurgie bariatrique, et son impact néonatal. Elle incluait 29 études de cas et 8 études de cohorte. La carence maternelle en vitamine A était corrélée à une cécité nocturne maternelle, à un accouchement prématuré, à des malformations oculaires et à une hypoplasie du nerf optique chez le nouveau-né. La carence en vitamine B12 était constatée chez 48 % des femmes dans une étude et 53 % des femmes dans une autre étude. Aucun effet négatif n’a été rapporté chez les nourrissons, mais on sait que cette carence augmente le risque de défaut de fermeture du tube neural. La vitamine B12 et les folates sont indispensables à la division cellulaire, tout particulièrement chez le fœtus et le nourrisson dont la croissance est rapide. Chez l’enfant, la carence induit des dommages neurologiques qui peuvent être définitifs, et des cas ont été rapportés chez des enfants exclusivement allaités par des femmes qui avaient subi une chirurgie bariatrique. Si la mère est déjà carencée pendant la grossesse, l’enfant naîtra avec un faible stock de vitamine B12. La carence en folates est une cause importante de défaut de fermeture du tube neural, et il est très important que les femmes ayant subi une chirurgie bariatrique veillent à avoir un bon statut pour les folates avant de débuter une grossesse. Une carence en vitamine K a été constatée chez ces femmes par 5 études. Certaines d’entre elles n’ont pas relevé de complications chez le nourrisson, tandis que d’autres rapportaient chez eux des hémorragies cérébrales ou un décès périnatal. Cette analyse n’a pas retrouvé d’impact négatif lié à une carence en fer, mais cela peut être en rapport avec une courte durée du suivi dans les études sur le sujet. Enfin, l’une des études prises en compte dans cette analyse faisait état de carences chez la plupart des femmes, avec un taux similaire quel que soit le type de chirurgie bariatrique effectué, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que la pose d’un anneau gastrique ait un impact plus faible. La prise maternelle de suppléments semblait ne pas atténuer cet impact de la chirurgie, mais leur prise était évaluée à partir des réponses des mères, qui pouvaient manquer de fiabilité. Depuis cette analyse, une nouvelle étude a été publiée en 2017. Elle constatait que la majorité des femmes incluses ayant subi une chirurgie bariatrique, quelle qu’elle soit, avaient un risque élevé de carence en vitamines A, B1, C, D, folates et sélénium, et que près de la moitié d’entre elles ne respectaient pas les recommandations concernant la prise de suppléments. Une autre étude récente constatait que 23 % des enfants nés d’une mère ayant subi un by-pass avaient un faible poids de naissance pour leur âge gestationnel, et qu’ils étaient significativement plus nombreux à présenter de multiples carences en vitamines et minéraux. Il est nécessaire de mener d’autres études sur le sujet afin de déterminer la dose optimale de suppléments vitaminiques et minéraux à prescrire à ces mères, et d’assurer un suivi biologique régulier dans ce domaine pendant la grossesse.
Peu d’études ont été menées sur l’impact d’une chirurgie bariatrique sur l’allaitement et la composition du lait maternel. Une équipe a décidé de suivre des femmes pendant les 6 premiers mois post-partum. Entre autres choses, ils ont comparé la composition du colostrum et du lait chez ces femmes et chez des femmes n’ayant pas subi de chirurgie bariatrique pendant les 6 premières semaines. À 4 semaines, le lait des mères du groupe chirurgie avait un taux plus élevé de protéines que le lait des mères de poids normal ou en surpoids n’ayant pas subi de chirurgie, ainsi qu’un taux plus élevé de glucides à 5 semaines par rapport au lait des mères de poids normal (mais similaire au taux lacté de glucides chez les mères en surpoids ou obèses n’ayant pas subi de chirurgie bariatrique). Les auteurs d’une analyse rétrospective des données concernant 24 femmes ayant subi une chirurgie bariatrique et qui souhaitaient allaiter ont constaté qu’une seule allaitait exclusivement, les autres allaitant partiellement. Par ailleurs, la prise de poids de leurs bébés était faible. Une étude publiée en 2017 rapportait que les femmes du groupe chirurgie étaient moins nombreuses à allaiter, et une autre étude publiée en 2018 constatait que 23 % des femmes ayant subi un by-pass avaient allaité exclusivement, 77 % ayant allaité partiellement. Et une étude publiée en 2012 concluait que les femmes ayant subi ce type de chirurgie estimaient que les professionnels de santé qui les avaient suivies pendant la grossesse étaient mal informés sur leurs besoins spécifiques. Enfin, certaines études de cas décrites plus haut ont recherché le taux lacté de vitamine B12 ; elles ont constaté qu’il était bas chez les mères carencées, et qu’une supplémentation en vitamine B12 l’augmentait. Toutefois, l’apparition d’une symptomatologie de carence chez le bébé exclusivement allaité est le signe d’une carence bien établie, et certains dégâts neurologiques pourront être irréversibles même avec une supplémentation à doses importantes.
Il n’existe pas actuellement de consensus concernant les doses de micronutriments à administrer aux femmes allaitantes qui ont subi une chirurgie bariatrique. En l’absence de données scientifiquement fondées, on ne peut qu’extrapoler ces doses à partir des recommandations concernant ces femmes pendant la grossesse. Mais le taux de certains nutriments lactés n’est pas fonction des apports maternels. Dans certains cas, une supplémentation augmente le taux lacté. Dans d’autres, le taux lacté est maintenu même en cas de carence maternelle, même si cela aggrave cette carence. Le statut du bébé pour le fer et la vitamine K dépend essentiellement des stocks constitués en fin de grossesse (et par l’administration en routine de vitamine K à la naissance), les apports via le lait maternel n’ayant qu’un rôle mineur. Le taux lacté de vitamine D est bas sauf en cas de supplémentation maternelle à doses suffisamment élevées. Le taux lacté de calcium n’est guère modifié lorsque les apports calciques maternels sont bas en raison des modifications du métabolisme du calcium pendant la lactation. La mère ayant subi une chirurgie bariatrique aura besoin d’une supplémentation essentiellement pour sa propre santé pour divers micronutriments. Au vu des connaissances actuelles, on doit recommander à ces femmes de prendre régulièrement des suppléments vitaminiques et minéraux, et de passer régulièrement des bilans biologiques pour évaluer l’adéquation de leur statut nutritionnel. Si celui-ci est bon, il n’y a aucune raison pour que leur lait soit carencé. Les professionnels de santé qui suivent ces femmes et leurs enfants doivent informer les mères sur la possibilité d’une carence chez leur bébé allaité, et effectuer rapidement le bilan biologique nécessaire devant des signes évoquant une telle carence.
Il n’existe guère de données sur les éventuelles difficultés d’allaitement spécifiques aux femmes ayant subi une chirurgie bariatrique. Dans la mesure où nombre d’entre elles seront encore obèses ou en surpoids au moment de leur grossesse, on peut supposer qu’elles rencontreront les problèmes spécifiques à ces femmes (comme une montée de lait plus tardive), même si la chirurgie peut avoir amélioré leur statut métabolique. Des études sur le sujet sont nécessaires. Dans l’état actuel des connaissances, la survenue de carences chez ces femmes, dont le risque est plus élevé pendant la grossesse et l’allaitement et dont l’impact sur la santé maternelle et infantile peut être sévère, représente l’impact négatif le plus courant des chirurgies bariatriques. Les femmes devraient en être informées, et il est nécessaire de les conseiller sur l’importance de suivre les recommandations concernant la prise de suppléments et le suivi de leur statut nutritionnel.
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