Publié dans le n° 148 des Dossiers de l'allaitement, juillet 2019
D'après : ACR appropriateness criteria® breast imaging of pregnant and lactating women. diFloro-Alewander RM et al. J Am Coll Radiol 2018 ; 15(11S) : S263-75.
Le cancer du sein associé à la grossesse (CSAG) est défini comme un cancer mammaire diagnostiqué pendant la grossesse ou pendant la première année post-partum. Sa prévalence est de 1 pour 3 000 à 10 000 grossesse, soit jusqu’à 3 % des diagnostics de cancer du sein. Alors que les grossesses et les allaitements abaissent le risque de cancer du sein, la prévalence des CSAG est en augmentation en raison de l’augmentation du nombre de grossesses tardives. L’imagerie médicale mammaire pendant la grossesse et la lactation présente des difficultés spécifiques en raison des modifications de la structure mammaire pendant ces périodes : prolifération du tissu glandulaire et des canaux lactifères et involution du tissu adipeux pendant la grossesse, sécrétion lactée par la suite. Ces modifications rendent plus difficile la perception de masses, et le diagnostic de cancer sera souvent plus tardif. On ignore si le retard au diagnostic et le fait que les cancers du sein sont plus agressifs chez les femmes jeunes sont les seules raisons du mauvais pronostic des CSAG, ou s’il existe d’autres facteurs. Des études ont constaté que les mutations du gène BRCA sont plus fréquentes dans les CSAG, et ces cancers sont également plus souvent négatifs pour les marqueurs hormonaux.
Le CSAG se présente le plus souvent sous la forme d’une masse palpable, raison pour laquelle la survenue d’une telle masse pendant la grossesse et la lactation doit être rapidement évaluée, même lorsque cette masse a une apparence bénigne. Il peut également se présenter sous la forme d’une douleur diffuse, d’une augmentation du volume du sein, d’un écoulement mamelonnaire ; des cas de rejet du sein touché par l’enfant allaité ont été rapportés. À noter toutefois que plus de 80 % des masses palpables survenues pendant ces périodes et ayant donné lieu à une biopsie s’avéraient bénignes. L’imagerie médicale joue un rôle majeur dans la détermination de la conduite à tenir devant les anomalies suspectes. En raison de la densité élevée des seins pendant ces périodes, l’échographie représente l’examen de première intention. En fonction de ses résultats, on pourra envisager d’autres examens. Un écoulement mamelonnaire sanglant associé à une masse palpable est un problème rencontré chez jusqu’à 20 % des femmes enceintes, et la cause est le plus souvent bénigne, liée à l’augmentation de la vascularisation mammaire et aux modifications de la glande. Le "syndrome du tuyau rouillé", avec écoulement bilatéral, est considéré comme physiologique et il disparaît spontanément. S’il persiste, il peut être en rapport avec une infection, un papillome, et parfois un cancer. L’American College of Radiology (ACR) a émis diverses recommandations sur l’imagerie médicale du sein pendant la grossesse et l’allaitement dans divers cas de figure, que les auteurs analysent dans cet article.
Dépistage en routine d’un cancer du sein pendant la lactation
La présence de lait dans les seins augmente fortement leur densité. Mettre l’enfant au sein (ou tirer le lait) juste avant une mammographie ou une tomosynthèse diminuera cette densité et facilitera la lecture. Ces deux examens sont compatibles avec l’allaitement. Il existe peu de données sur la détection des CSAG grâce à ce type d’imagerie. Une étude récente constatait que chez 7,7 % des femmes souffrant de CSAG, le cancer était subclinique, et qu’il a été détecté uniquement suite à une mammographie de dépistage effectuée chez des femmes à haut risque dans 5 cas. La poursuite d’un dépistage en routine d’un cancer du sein est donc recommandée chez les femmes à haut risque pour ce type de cancer pendant l’allaitement. Il n’existe aucune donnée sur l’intérêt et la fiabilité d’une tomosynthèse pendant ces périodes.
Il n’existe aucune étude sur la fiabilité des échographies sur le sein lactant. C’est une alternative intéressante pour le dépistage du cancer du sein chez les femmes à haut risque, mais il faut garder à l’esprit le taux élevé de faux positif, et le fait que les biopsies sur un sein lactant ont un risque significatif de fistule.
La sensibilité de l’IRM est moins bonne pendant la lactation, mais elle reste un bon examen. Il existe peu de données sur son utilisation pendant la lactation. Une étude a rapporté la découverte de 4 cancers du sein chez 3 patientes allaitantes via l’IRM. Si une femme à haut risque de cancer du sein envisage d’allaiter peu de temps, on peut attendre la fin de l’allaitement, mais si elle prévoit d’allaiter longtemps, l’IRM sera envisagée pour le dépistage. Le produit de contraste à base de gadolinium excrété dans le lait maternel représente < 1 % de la dose injectée à des nouveau-nés chez qui une IRM est pratiquée, et le produit est donc compatible avec l’allaitement. L’imagerie moléculaire au technétium 99m n’a aucune place dans le dépistage du cancer du sein pendant l’allaitement.
Dépistage en routine du cancer du sein pendant la grossesse chez une femme de < 30 ans
Un tel dépistage sera envisagé exclusivement chez les femmes à haut risque de cancer du sein (il est déconseillé dans tous les autres cas). La mammographie est possible pendant la grossesse moyennant le port d’un tablier plombé, l’exposition du fœtus étant négligeable. Il n’existe aucune étude évaluant l’impact de la tomosynthèse dans cette population. La densité du sein est plus importante pendant la grossesse, mais elle est nettement plus basse que pendant la lactation. L’échographie pendant la grossesse montrera habituellement une augmentation de zones hypoéchogènes en raison de la prolifération des acini et des canaux lactifères, mais il n’existe aucune étude évaluant son intérêt pour le dépistage des cancers du sein dans cette population. Là encore, le taux de faux positifs est plus élevé, ce qui augmentera le nombre de biopsies en fait inutiles. Les produits à base de gadolinium traversent le placenta et atteignent le fœtus. Aucun impact négatif n’a actuellement été rapporté, mais il reste préférable de les éviter dans la mesure du possible pendant la grossesse. L’imagerie nucléaire au technétium 99m (Tc 99m) n’a aucune place dans le dépistage du cancer du sein dans cette population.
Dépistage en routine du cancer du sein pendant la grossesse chez les femmes de > 30 ans
Aucun dépistage en routine du cancer du sein n’est conseillé pendant la grossesse chez les femmes à risque faible ou intermédiaire de cancer du sein âgées de 30 à 39 ans, mais cela pourra éventuellement être approprié chez les femmes à haut risque. Un dépistage en routine du cancer du sein est recommandé à partir de 40 ans chez les femmes ayant un risque intermédiaire de cancer du sein. Les données et conclusions sont les mêmes que chez les femmes de < 30 ans (voir plus haut).
Découverte d’une masse palpable chez une femme enceinte ou allaitante
La découverte d’une masse mammaire pendant cette période doit donner lieu rapidement à une évaluation soigneuse, à partir de laquelle on décidera de la conduite à tenir. La mammographie est moins fiable pendant ces périodes. Toutefois, même si elle ne constitue pas l’examen de premier choix, elle reste un examen utile en combinaison avec d’autres techniques d’imagerie médicale. Même si la masse est mal visualisée, la mammographie pourra montrer des calcifications d’aspect suspect ou une distorsion de l’architecture du sein. La tomosynthèse améliore la visualisation d’une masse mammaire, ce qui est particulièrement intéressant pour l’évaluation des masses de faible volume. L’échographie est l’examen de première intention dans ce cadre, quel que soit l’âge de la femme. Elle permettra de repérer les masses qui ne nécessitent aucune évaluation supplémentaire, comme les kystes et les galactocèles. C’est l’examen dont la sensibilité est la plus élevée dans cette population (100 % dans de nombreuses études). Il faut toutefois garder à l’esprit qu’une tumeur maligne peut parfois présenter des caractéristiques spécifiques des tumeurs bénignes (tumeur bien délimitée, renforcement acoustique postérieur). L’IRM avec injection de gadolinium n’est pas un examen de première intention dans ce cadre, pas plus que l’imagerie nucléaire au Tc 99m.
La biopsie échoguidée au trocart n’est pas un examen de première intention, car elle peut interférer avec la visualisation de la masse par l’imagerie médicale. Toutefois, si l’échographie montre une masse présentant des caractéristiques suspectes, une telle biopsie pourra être pratiquée. On expliquera à la mère qu’elle est corrélée à un faible risque de fistule lactée lorsqu’elle est effectuée pendant la grossesse et l’allaitement. L’aspiration échoguidée avec une aiguille fine n’est pas non plus une stratégie de première intention pour les mêmes raisons ; en présence d’une masse suspecte à l’échographie, la biopsie échoguidée au trocart est un meilleur choix. Si l’échographie évoque une tumeur bénigne, la biopsie au trocart et l’aspiration ne sont a priori pas nécessaires.
Écoulement mamelonnaire suspect pendant la grossesse et l’allaitement
Ce type d’écoulement n’est pas rare, et c’est un phénomène habituellement bénin, lié aux modifications de la glande mammaire. Il disparaît spontanément assez rapidement. Toutefois, un écoulement sanglant unilatéral et persistant peut être en rapport avec une infection, un papillome et parfois avec un cancer, et une évaluation sera alors nécessaire. La mammographie avec grossissement de la zone rétroaréolaire pourra être intéressante comme premier examen, ou en complément d’une échographie. S’il n’existe aucune donnée évaluant l’intérêt de l’échographie dans ce cadre, elle constitue cependant le meilleur choix, et permettra de détecter les masses mammaires susceptibles d’être à l’origine de l’écoulement. Les techniques de compression du sein ou de "roulage" du mamelon pourront faciliter cette détection. L’IRM ou l’imagerie nucléaire au Tc 99m n’ont pas d’intérêt dans l’évaluation initiale d’un écoulement mamelonnaire.
Bilan locorégional d’un cancer du sein qui vient d’être dépisté chez une femme enceinte
Une chimiothérapie peut être débutée pendant la grossesse sauf pendant le premier trimestre, mais avant tout traitement un bilan détaillé du stade du cancer est indispensable pour déterminer les stratégies de traitement. Le bilan locorégional déterminera si le cancer est localisé (et dans ce cas un traitement locorégional sera suffisant) ou s’il est nécessaire de rechercher des métastases. Il évaluera le stade de la tumeur d’origine, la présence d’autres masses tumorales dans le même sein et dans le sein controlatéral, et recherchera une éventuelle atteinte ganglionnaire régionale.
Une mammographie des deux seins sera effectuée. La tomosynthèse permet d’obtenir des images de meilleure qualité. Une échographie des deux seins et des zones axillaires sera pratiquée, mais il existe peu de données permettant d’évaluer la fiabilité de cette technique. Une étude faisait état de bons résultats, mais elle impliquait des radiologistes très expérimentés. L’IRM avec injection de produit de contraste à base de gadolinium est déconseillée pendant la grossesse, mais elle pourra être effectuée immédiatement après l’accouchement pour le bilan locorégional. Une petite étude a constaté qu’elle permettait de détecter une extension plus importante du cancer que ce qui avait été constaté par la mammographie et l’échographie. L’imagerie nucléaire au Tc 99m n’a pas d’intérêt dans ce cadre.
En conclusion
Les 59 références citées par l’ACR à l’appui des recommandations décrites ci-dessus concernent des études publiées entre 1990 et 2017. Une référence concerne une étude thérapeutique qui pourrait présenter des limitations de conception. 56 références concernent des études diagnostiques, dont 4 sont de bonne qualité et 12 présentent des limitations de conception. 40 de ces références semblent ne pas avoir d’utilité réelle sur le plan des preuves primaires. Une des références est une méta-analyse.
L’imagerie médicale mammaire pendant la grossesse nécessite de prendre en compte les risques potentiels de cette imagerie par rapport aux bénéfices attendus. Pendant l’allaitement, la conduite à tenir sera la même que chez une femme non lactante, hormis le fait que la densité élevée du sein complique la lecture. Le fait de "vider" les seins avant l’examen limitera cet impact. L’échographie est l’examen de première intention pour le dépistage ou l’évaluation d’un cancer du sein pendant la grossesse et l’allaitement. La mammographie est compatible avec la grossesse et l’allaitement. Les stratégies mises en œuvre seront fonction de la situation exacte et de l’âge de la femme.
Merci pour cette article, les femmes qui ont eu un cancer du sein avant une grossesse (2ans avant) , ont très peu d'informations sur la compatibilité allaitement et suivi médicale (IRM/mammographie/échographie).
Les oncologues déconseillent l'allaitement sans nous expliquer vraiment pourquoi... A priori, c'est simplement la lecture des examens qui est plus complexe.
Pour moi, l'allaitement est primordiale et je suis contente d'avoir eu accès à votre article . Merci
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci