L’allaitement est-il une alternative envisageable chez les mères séropositives pour le VIH dans les pays développés ?
D'après : Is breastfeeding an equipoise option in effectively treated HIV-infected mothers in a high-income setting ? Kahlert CR et al. Swiss Med Wkly 2018 ; 148 : w14648.
La mise en œuvre de diverses stratégies incluant les thérapies antirétrovirales ont permis de supprimer virtuellement la transmission verticale du VIH chez les mères dont la charge virale est indétectable. En dépit de cela, on continue à recommander aux mères vivant dans les pays développés de ne pas allaiter, alors que l’allaitement est activement recommandé dans les pays en voie de développement. On sait peu de choses sur le risque de transmission du VIH via l’allaitement chez les mères sous thérapie antirétrovirale (TARV), mais on a constaté qu’il était très bas dans les pays en voie de développement lorsque la mère était efficacement traitée. On peut donc se demander dans quelle mesure il est encore justifié de déconseiller fermement l’allaitement aux mères des pays développés, dans la mesure où par ailleurs cela porte atteinte au principe fondamental du respect des décisions du patient. Les auteurs évaluent les données actuelles afin de proposer des options de conseil aux professionnels de santé suisses lorsqu’ils suivent une femme séropositive pour le VIH qui souhaite allaiter.
Actuellement, les TARV permettent de supprimer la réplication virale chez la grande majorité des personnes séropositives (96 % de suppression dans une étude suisse). C’est également le cas chez les femmes enceintes. Les recommandations de l’OMS publiées en 2016 stipulent que les mères séropositives pour le VIH devraient allaiter pendant au moins 12 mois, et peuvent poursuivre jusqu’à 24 mois et plus (les mêmes recommandations que dans la population générale), en étant soutenues dans la prise d’un TARV. Dans les pays développés, la majorité des mères séropositives pour le VIH sont immigrées et viennent de pays où l’allaitement est la norme selon les recommandations de l’OMS. Ne pas allaiter sera habituellement très mal vécu par ces femmes et risque d’induire chez elles une importante détresse. Certaines d’entre elles décideront d’allaiter malgré l’avis médical, et cesseront de consulter un professionnel de santé. Ce type de situation augmente le risque de transmission du VIH à l’enfant. Il est donc urgent de réévaluer les recommandations en vigueur dans les pays développés.
Dans le scénario optimal, la femme séropositive pour le VIH sera sous TARV, elle prendra correctement son traitement, sera régulièrement suivie sur le plan médical, et sa charge virale sera < 50 copies pendant la grossesse et l’allaitement. Les auteurs ont recherché les études publiées sur la transmission verticale du VIH pendant l’allaitement afin de déterminer le risque de transmission via l’allaitement, et aucun cas de transmission n’a jamais été rapporté dans ce type de scénario. Quelques cas de transmission ont été rapportés chez des mères sous TARV, mais l’intégralité du scénario n’était respectée dans aucun de ces cas (traitement mal suivi, charge virale détectable, possibilité de transmission in utero…). Les études sur le sujet ont constaté que le TARV était globalement efficace pour supprimer le risque de transmission du VIH via le lait maternel, avec un taux de transmission constaté, dans des pays en voie de développement, de 0,3 % à 6 mois et 0,7 % à 12 mois. Des cas de mères séropositives européennes pour le VIH ayant allaité ont été rapportés et aucun cas de transmission n’a été constaté.
Certes, le fait qu’aucun cas de transmission via l’allaitement n’a été rapporté avec ce scénario optimal ne signifie pas que la transmission est impossible, mais si elle existe, le risque est suffisamment infime pour pouvoir être comparé aux bénéfices de l’allaitement. On peut le comparer au risque de transmission dans d’autres situations. Par exemple, aucun cas de transmission via les rapports sexuels n’a été constaté lorsque la charge virale est indétectable, même en l’absence d’utilisation de préservatifs, et virtuellement aucun cas de transmission pendant l’accouchement par voie basse n’a été constaté si la mère était sous TARV pendant la grossesse.
Deux cas d’allaitement en Angleterre chez des mères séropositives pour le VIH
D'après : Two HIV-positive breastfeeding mothers in the UK – their story. Portman M et al. Abstracts of the 19th Annual Conference of the British HIV Association (BHIVA) 2013; 16-19 April; Manchester UK. Poster n°76. HIV Med 2013 ; 14 : 35.
Suite à la publication d’études sur l’allaitement chez les mères séropositives pour le VIH dans les pays en voie de développement, des femmes séropositives enceintes vivant en Angleterre ont commencé à se renseigner sur la possibilité d’allaiter. En 2010, la British HIV Association (BHI-VA) recommandait de ne pas allaiter, et ces mères devaient donner un lait industriel à leurs enfants. Les auteurs présentent deux cas de mères qui ont décidé d’allaiter et de raconter leur vécu. Dans les deux cas, l’allaitement a été discuté pendant la grossesse, incluant des discussions documentées avec les médecins et les sages-femmes sur le risque de transmission du VIH à l’enfant et les recommandations de la BVIHA.
Cette mère de 30 ans, originaire du Nigeria, avait été dépistée comme séropositive en 2008. Elle était depuis sous traitement et sa charge virale était indétectable. Elle avait deux enfants qui étaient séronégatifs et qu’elle n’avait pas allaités. Elle a abordé le sujet de l’allaitement en disant qu’elle avait des amies séropositives qui étaient reparties au Nigeria et qui avaient allaité et leurs bébés étaient en bonne santé. Elle disait souhaiter être une "vraie" mère pour son enfant. Elle a commencé à allaiter immédiatement à la naissance. Elle a présenté une mastite à 6 semaines post-partum, pendant laquelle elle a donné à son enfant un lait industriel. Sa charge virale est restée indétectable pendant toute la durée de l’allaitement. La PCR chez le bébé est restée négative après l’arrêt de l’allaitement à 3 mois post-partum. La mère a dit qu’elle avait été heureuse d’allaiter, que cela avait été une bonne expérience. Elle s’était sentie une bonne mère. La survenue de la mastite l’avait inquiétée et elle a eu peur de souffrir d’une autre mastite, et elle était heureuse que les tests chez son bébé soient restés négatifs.
Cette mère de 24 ans originaire d’Ouganda avait été dépistée comme séropositive en 2008 suite à un viol pendant une prise d’otage, alors qu’elle était à terme. Elle a accouché par césarienne. Elle a constaté que les circonstances de son accouchement ont eu un impact négatif sur sa capacité à créer un lien avec son bébé. Pendant sa seconde grossesse, elle a dit souhaiter faire le maximum pour avoir un lien étroit avec son bébé, et l’allaitement était important pour cela à ses yeux. Elle était sous traitement depuis la découverte de sa séropositivité, et sa charge virale était indétectable. Elle a allaité jusqu’à 5 semaines, moment auquel on a constaté que sa charge virale était de 52 copies/ml. Elle estimait également ne pas avoir suffisamment de lait. Ces deux facteurs l’ont amenée à sevrer son bébé et à lui donner un lait industriel. La PCR chez le bébé était négative trois mois après l’arrêt de l’allaitement.
De plus en plus de femmes séropositives pour le VIH pourront vouloir se renseigner sur l’allaitement car elles sont informées sur les résultats des recherches récentes. Ces femmes ont besoin de recevoir des informations détaillées et de bonne qualité afin de faire un choix informé. Les auteurs ont établi une liste des bénéfices et des risques de l’allaitement, qu’ils utilisent dans leur consultation spécialisée. Si une mère décide d’allaiter, elle devra bénéficier d’un soutien adéquat pendant la grossesse, pendant l’allaitement et après l’allaitement. Les auteurs ont constaté que l’arrêt de l’allaitement était émotionnellement difficile pour ces mères. Actuellement, le mode d’alimentation infantile chez les mères séropositives pour le VIH n’est pas documenté dans le cadre de l’enquête nationale menée en Angleterre sur le VIH chez les femmes enceintes et les enfants. Dans la mesure où la prévalence de l’allaitement est susceptible d’augmenter chez ces femmes, les auteurs suggèrent que cela devrait être documenté.
Les mastites peuvent augmenter le risque de transmission verticale du VIH. Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en compte la toxicité potentielle du TARV pendant la grossesse et l’allaitement. On a constaté qu’une mastite, même subclinique, augmentait le risque de transmission, mais les études sur le sujet ne portaient pas sur des mères à qui s’appliquait le scénario optimal, et elles ont constaté que cela augmentait le risque de transmission uniquement chez les mères dont la charge virale était élevée. La toxicité du TARV pendant la grossesse est bien documentée, mais pendant l’allaitement, l’enfant est exposé à des taux beaucoup plus bas. Une étude a constaté que l’enfant allaité était exposé à respectivement 8,4 et 12,5 % de la dose pédiatrique de lamivudine et de névirapine. Nous manquons d’informations sur les produits les plus récents, et des études sur leur excrétion lactée sont absolument nécessaires. Par ailleurs, le lait maternel contient de nombreux facteurs qui inhibent la réplication du VIH et inactivent un pourcentage élevé des virus libres.
L’allaitement est recommandé chez tous les enfants à l’échelle mondiale en raison de ses nombreux bénéfices. Il présente également des bénéfices démontrés pour la santé maternelle. Toute décision médicale doit tenir compte du rapport bénéfices/risques d’une pratique. Les bénéfices indiscutables de l’allaitement doivent être pris en compte par rapport au risque infime de transmission du VIH via l’allaitement lorsque la mère a une charge virale indétectable. Les auteurs estiment donc qu’il est devenu nécessaire d’informer les mères séropositives pour le VIH qui rentrent dans le scénario optimal sur la possibilité d’allaiter si elles le souhaitent. La décision d’allaiter ou non doit donc être prise par la mère, après discussion des diverses options au cas par cas. Afin de faire un choix informé, la mère doit recevoir des informations de bonne qualité, non biaisées, présentant les bénéfices et les risques de l’allaitement et du non-allaitement, et son choix sera ensuite respecté et soutenu. Les discussions sur le sujet devront intervenir pendant la grossesse. Si la femme décide d’allaiter, le maximum sera fait pour la maintenir dans le scénario optimal, en sachant que cela n’est pas obligatoirement une situation stable, et que cela pourra être difficile en raison de la fatigue liée aux soins à un nourrisson. Le fait d’allaiter pourra toutefois fortement motiver la mère pour respecter son traitement et son suivi médical.
On ne peut pas encore recommander activement l’allaitement aux mères séropositives pour le VIH vivant dans un pays européen tant que nous ne disposons pas de davantage de données. Toutefois, il existe suffisamment de données pour dire qu’il n’y a pas de raisons objectives de déconseiller activement l’allaitement aux mères respectant le scénario optimal si elles souhaitent allaiter, et en pareil cas, le souhait de la mère devrait être respecté. On peut recommander aux professionnels de santé qui suivent ces femmes de discuter ouvertement de la situation pendant leur grossesse.
Point de vue des praticiens américains sur l’allaitement par les femmes séropositives pour le VIH
D'après : "In the United States, we say « No breastfeeding », but that is no longer realistic" : providers perspectives towards infant feeding among women living with HIV in the United States. Tuthill EL et al. J Int AIDS Soc 2019 ; 22 : e25224.
Aux États-Unis (comme dans plus ou moins tous les pays industrialisés), les recommandations officielles des services de santé sont d’enjoindre aux mères séropositives pour le VIH de nourrir exclusivement leur enfant au lait industriel pour éviter sa contamination par le VIH. Par ailleurs, dans les pays en voie de développement où la morbidité et la mortalité infantiles sont élevées et où les laits industriels sont très coûteux pour les parents, l’OMS recommande l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois, puis la poursuite de l’allaitement jusqu’à 2 ans, la mère étant sous antirétroviraux. Or, des études ont constaté que la transmission du VIH était presque nulle lorsque la mère était traitée et qu’elle avait une charge virale indétectable. De plus en plus de professionnels de santé, de spécialistes et de patientes commencent à se demander dans quelle mesure il n’est pas contraire à l’éthique d’une part, et d’autre part irréaliste, de continuer à prôner l’interdiction d’allaiter aux mères séropositives pour le VIH vivant dans les pays industrialisés et qui souhaitent allaiter. Le but de cette étude était d’évaluer le point de vue des praticiens américains sur le sujet.
Un questionnaire anonyme a été mis au point, comportant 28 questions fermées pour collecte de données démographiques et sur leur expérience professionnelle, et 8 questions ouvertes sur leur point de vue en matière d’alimentation infantile dans le cadre du VIH. Il a été envoyé toutes les semaines pendant un mois à tous les praticiens qui étaient abonnés à une liste internationale de discussion et de partage d’expérience sur les maladies infectieuses. On a demandé aux seuls professionnels de santé exerçant aux États-Unis de répondre à ce questionnaire, et ceux qui le souhaitaient pouvaient en outre participer à un entretien semi-structuré par téléphone. Les divers thèmes abordés par les répondants ont été identifiés.
93 personnes correspondaient aux critères d’inclusion et ont fourni toutes les données nécessaires. 82 étaient des femmes, 61 étaient d’origine caucasienne, 64 étaient médecins et 25 étaient spécialisées en pratique avancée. Elles avaient 5 à 23 ans d’expérience professionnelle (12 ans en moyenne). 64 exerçaient en milieu universitaire et 24 en pratique communautaire. 42 étaient gynécologues/obstétriciens, 36 étaient généralistes ou infectiologues et 15 étaient pédiatres généralistes ou spécialisés en infectiologie pédiatrique. Parmi ces personnes, les 2/3 avaient discuté de façon détaillée d’alimentation infantile avec des patientes, et plus du tiers avaient eu l’occasion d’en discuter avec une femme séropositive pour le VIH. 75 % ont dit s’être entendu demander si une mère séropositive pouvait allaiter, et 29 % avaient eu dans leur patientèle une femme qui avait allaité alors que cela lui avait été fermement déconseillé. Si 16 % disaient juste aux femmes séropositives pour le VIH qu’elles ne devaient pas allaiter sans aucune discussion sur le sujet, 21,5 % ont proposé un soutien et des informations à celles qui voulaient allaiter. Ces praticiens estimaient qu’environ la moitié des femmes séropositives qui voulaient allaiter et qui le feraient quoi qu’on leur dise étaient des immigrées. Les raisons pour lesquelles ces femmes voulaient absolument allaiter étaient la crainte de la stigmatisation si elles n’allaitaient pas, et leur conviction que l’allaitement était bon pour leur enfant. Les principaux soucis des praticiens vis-à-vis de ces femmes étaient le non-respect de leur traitement et la possibilité d’un risque de contamination de l’enfant allaité.
21 personnes ont accepté également l’entretien semi-structuré : 2 pédiatres, 6 gynécologues/obstétriciens, infirmier(e)s ou sages-femmes, 2 travailleurs sociaux, 1 infirmière praticienne, 1 spécialiste des pathologies infectieuses, 1 généraliste spécialisé dans le suivi de personnes séropositives ; parmi les 8 autres, 7 étaient médecins et n’ont pas fourni de données sur leur spécialité. Leur expérience professionnelle était variée, et si certains n’avaient suivi que quelques femmes séropositives, ces dernières représentaient la majorité de la patientèle de quelques autres. Globalement, leur perception des recommandations actuellement en vigueur aux États-Unis pouvaient être réparties en 4 catégories.
• Nombre d’entre eux estimaient que ces recommandations étaient inadéquates et irréalistes lorsqu’ils étaient confrontés à une mère qui voulait allaiter. Ils constataient que de nombreuses femmes s’étaient informées sur le sujet et savaient que le risque de transmission du VIH était très bas pendant l’allaitement exclusif. D’autres étaient immigrées, séropositives parfois depuis de nombreuses années, et savaient que les recommandations étaient très différentes dans leur pays d’origine.
• Ces professionnels décrivaient les négociations autour de l’autonomie des patientes dans une situation complexe. Si certaines femmes vivaient dans un contexte où l’alimentation au lait industriel était plus ou moins la norme, ce n’était pas du tout le cas pour d’autres. Les réponses de ces professionnels démontraient l’existence d’un continuum de pratiques vis-à-vis des femmes, allant de la ferme injonction de ne pas allaiter pour quelques-uns au respect de l’autonomie de la mère pour d’autres. Même lorsque la mère se laissait convaincre de ne pas allaiter, ces professionnels constataient que cela ne faisait pas disparaître les problèmes. Ils estimaient que cela pouvait avoir un impact important sur la santé émotionnelle de la mère et sur le lien mère-enfant. Par ailleurs, certaines mères immigrées n’avaient jamais utilisé de biberons et de lait industriel auparavant, et elles devaient recevoir un soutien social et pratique pour les utiliser correctement.
• Le point le plus souvent décrit par ces professionnels concernait leur souhait de "nuire le moins possible". Ils estimaient donc que si une mère séropositive pour le VIH voulait allaiter, leur rôle était de l’aider à le faire en minimisant les risques autant que faire se pouvait. Cela impliquait souvent de travailler en coordination avec les autres professionnels de santé qui suivaient la mère. Cela impliquait également de réunir des informations sur les conditions exactes dans lesquelles vivait la mère, et sur les convictions de son entourage en matière d’alimentation infantile.
• Enfin, ces professionnels étaient conscients des multiples difficultés rencontrées par ces femmes, incluant la stigmatisation qu’elles subissaient. C’était tout particulièrement le cas chez les immigrées originaires d’un pays où l’allaitement était la norme universelle, et où ne pas allaiter était très mal perçu, voire était vu comme une preuve que la femme était séropositive pour le VIH. Dans ce type de situation, ne pas allaiter était particulièrement mal vécu par la femme.
Cette étude présente des points faibles. Elle portait sur peu de personnes, qui travaillaient essentiellement dans un milieu universitaire. Il serait nécessaire de mener d’autres études, portant sur davantage de professionnels de santé travaillant dans des contextes beaucoup plus variés. Elle a quand même permis de collecter le point de vue de professionnels travaillant dans toutes les régions des États-Unis. Ce point de vue est que les praticiens qui suivent les femmes séro-positives pour le VIH rencontrent des femmes dont la situation est complexe, et que les recommandations actuellement en vigueur sont devenues inadaptées, irréalistes, et en contradiction avec les recommandations de l’OMS en la matière. Vouloir absolument pousser les mères à les suivre a un impact négatif sur la relation praticien-patiente, ce qui augmente les risques pour l’enfant si la mère décide d’allaiter sans le dire et sans soutien approprié. Cela laisse également les praticiens sans ressources de bonne qualité pour soutenir correctement les mères. Il est devenu nécessaire de lancer des discussions sur le sujet entre les instances professionnelles concernées afin de revoir ces recommandations.
Allaitement par des femmes séropositives pour le VIH dans un pays industrialisé: 2 cas
D'après : Breastfeeding by women living with human immunodeficiency virus in a resource-rich setting : a case series of maternal and infant management and outcomes. Nashid N et al. J Pediat Inf Dis Soc 2019.
Les recommandations de l’OMS publiées en 2016 concernant l’alimentation des enfants nés de mères séropositives pour le VIH ont pour objectif de maximiser la survie et la séronégativité de ces enfants, et elles ciblent essentiellement les pays en voie de développement. Elles recommandent l’allaitement jusqu’à au moins 12 mois, sa poursuite étant possible jusqu’à 24 mois et plus, la mère prenant un traitement antirétroviral. Si on estime qu’il est préférable de déconseiller l’allaitement dans les pays industrialisés dans la mesure où le risque de transmission du VIH n’est pas nul, il est nécessaire de reconnaître que certaines mères souhaiteront allaiter. De plus en plus de spécialistes estiment que c’est possible dans la mesure où ces mères sont sous plurithérapie, qu’elles sont régulièrement suivies, et que leur charge virale est indétectable pendant la grossesse et l’allaitement. Les auteurs rapportent deux cas de femmes primigestes, séropositives pour le VIH, qui avaient une charge virale indétectable avant, pendant et après la grossesse, vivant au Canada et ayant allaité, et qui ont accepté un suivi étroit, ainsi que la prise par l’enfant d’une plurithérapie antirétrovirale pendant toute la durée de l’allaitement.
La première mère avait 25 ans. Elle était d’origine africaine. Elle souhaitait allaiter, car elle ne voulait pas que son entourage apprenne qu’elle était séropositive. Elle était traitée par emtricitabine + ténofovir + raltégravir. Elle a accouché par voie basse à 41 semaines de gestation. L’enfant a commencé à recevoir dans les 12 heures qui ont suivi la naissance de la zidovudine + lamivudine + névirapine ; la névirapine a été arrêté chez lui une semaine après l’arrêt de l’allaitement (à 6 semaines post-partum), et les deux autres produits deux semaines plus tard. Aucun effet secondaire n’a été rapporté chez l’enfant (pas d’anémie en particulier), la PCR est restée négative chez lui et il était séronégatif à 18 mois. La charge virale lactée est restée indétectable, mais la PCR sur le lait maternel a retrouvé de l’ADN proviral, reflet de virus latents intracellulaires.
La deuxième mère avait 36 ans. Elle était d’origine caucasienne. Elle attendait des jumeaux, et elle souhaitait allaiter en raison du lien mère-enfant favorisé par l’allaitement. Elle était sous emtricitabine + rilpivirine + ténofovir. Elle a accouché à 36 semaines. Les enfants ont été hospitalisés en néonatalogie pendant 5 semaines, période pendant laquelle ils ont été nourris de lait humain provenant d’un lactarium et de lait industriel. La mère a commencé à les allaiter après la sortie de néonatalogie, les enfants recevant également des suppléments de lait industriel, car la mère n’avait pas assez de lait. Dès le début de l’allaitement, ils ont également été traités par zidovudine + lamivudine + névirapine. Cette mère a allaité pendant 12 semaines, et les enfants ont été traités pendant encore 3 semaines après l’arrêt de l’allaitement. La PCR est restée négative chez les deux enfants, et ils étaient séronégatifs à 18 mois. La charge virale lactée était indétectable.
Il existe de plus en plus de données montrant que la prise maternelle et/ou infantile d’une plurithérapie antirétrovirale pendant l’allaitement rend presque nul le risque de transmission du VIH via l’allaitement (0,57 et 0,58 % après une durée moyenne de 16 mois d’allaitement). Parmi les 7 cas rapportés de contamination de l’enfant, seulement 2 sont survenus alors que la mère avait une charge virale indétectable. Une méta-analyse récente faisait état d’un taux de transmission de 1,4 à 1,5 % à 6 mois et 2,93 % à 12 mois, mais la charge virale maternelle n’avait pas été prise en compte. Dans une situation où le lait maternel ne contient pas de VIH libre mais peut éventuellement contenir du VIH intracellulaire, on peut se poser des questions sur le risque potentiel de contamination infantile par ce VIH intracellulaire. Nous manquons de données fiables sur le sujet. Un autre problème est la toxicité élevée des antirétroviraux donnés à l’enfant. Certes, il est indispensable de suivre régulièrement les enfants, mais l’expérience des auteurs est que ces plurithérapies sont habituellement bien tolérées par la majorité des nouveau-nés. Ils préconisent un suivi clinique et biologique à 2 et 4 semaines post-partum, puis tous les mois jusqu’à l’arrêt du traitement de l’enfant.
Plusieurs publications récentes ont abordé le sujet de l’allaitement par des femmes séropositives pour le VIH vivant dans les pays industrialisés, en préconisant une approche fondée sur le don d’information et la prise en compte des souhaits des parents. Les deux mères dont les cas sont présentés ont discuté avec tous les professionnels de santé qui les suivaient, elles suivaient scrupuleusement leur traitement et elles ont accepté toutes les deux le suivi régulier qui était recommandé. Dans la mesure où de plus en plus de mères séropositives pour le VIH souhaitent allaiter, il est capital de bien les informer et de collecter des données précises et détaillées sur leurs pratiques et sur le suivi de l’enfant. Compiler ces données est indispensable afin de pouvoir mieux informer les mères dans cette situation.
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