Publié dans le n° 152 des Dossiers de l'allaitement, novembre 2019.
D'après : Potentially toxic foods while breastfeeding : garlic, caffeine, mushrooms, and more. Anderson PO. Breastfeed Med 2018 ; 13(10) : 642-4.
La conviction que certains produits (aliments ou boissons) sont à éviter pendant l’allaitement est très répandue partout dans le monde, mais il existe peu de données objectives pour les appuyer. L’auteur passe en revue divers produits qui sont crédités d’effets négatifs chez l’enfant allaité lorsqu’ils sont consommés par la mère allaitante (il n’inclut pas les produits susceptibles d’induire des allergies ou une toxicité à long terme).
La consommation d’ail par la mère allaitante a la réputation d’induire des coliques chez le nourrisson. Toutefois, deux études ont réfuté cette conviction. Dans la première, 153 mères ont répondu à un questionnaire sur leur alimentation, et celles qui consommaient de l’ail n’étaient pas plus nombreuses à rapporter des coliques chez leur enfant que celles qui n’en avaient pas consommé. La seconde était une étude randomisée pour laquelle des femmes ont pris soit une gélule d’ail, soit une gélule placebo pendant trois jours. La prévalence des coliques chez les nourrissons était similaire dans les deux groupes.
Le café, le thé et le chocolat contiennent des méthylxanthines (caféine, théophylline, théobromine…) qui ont un effet excitant. Lorsque la mère consomme une quantité "courante" de ces boissons, le niveau d’excrétion lactée de ces molécules sera insuffisant pour avoir un impact chez l’enfant allaité. Certains spécialistes estiment qu’un tel impact est peu probable si la consommation ne dépasse pas 2 à 3 tasses par jour. Toutefois, les prématurés et les nouveau-nés métabolisent beaucoup plus lentement ces molécules ; si la mère en consomme quotidiennement, ils pourraient avoir un taux sérique similaire à celui de la mère. Un apport maternel très élevé en caféine peut également avoir un impact marqué.
Les parents d’un bébé de 24 jours ont fait état d’une agitation et d’une irritabilité de leur enfant. La mère consommait environ 0,5 l de yerba maté un jour sur deux. Des manifestations similaires étaient rapportées par la mère d’un bébé de 6 semaines, qui consommait quotidiennement 4 à 5 tasses de café et 1 à 1,5 litre de cola, ainsi que du thé et du chocolat de façon occasionnelle. La prise de poids de l’enfant était normale, mais il était hypertonique et présentait des tremblements musculaires. Les signes cliniques infantiles se sont fortement améliorés deux semaines après l’arrêt de la consommation de toutes les boissons contenant de la caféine par la mère. Une troisième mère a fait état d’une agitation importante chez son enfant allaité de 5 mois alors qu’elle buvait 20 tasses de café par jour. Deux mères médecins ont également rapporté ce type de problèmes chez leur enfant allaité. La première a consommé quotidiennement au moins 5 mugs de café, 4 mugs de thé et une canette de cola pendant l’allaitement de deux enfants successifs son premier enfant dormait peu et se réveillait très facilement, et le deuxième était nerveux, irritable, et dormait également très mal jusqu’à ce que sa mère décide d’arrêter les boissons contenant de la caféine. L’autre médecin buvait quotidiennement 1,7 à 2 litres de café décaféiné ; ses jumeaux prématurés étaient irritables, même si l’un des enfants (le plus lourd) était partiellement allaité et semblait moins touché. Lorsqu’elle a encore augmenté sa consommation de café, l’enfant le moins lourd a commencé à présenter des épisodes convulsifs. Tous les symptômes ont disparu 24 heures après l’arrêt de la consommation maternelle de café.
Le chocolat contient un peu de caféine ainsi que de la théobromine. Si une consommation raisonnable pendant l’allaitement est peu susceptible de poser un problème, une consommation importante pourra le faire. Une mère qui consommait environ 250 g par jour de chocolat pendant sa grossesse et qui a poursuivi cette consommation pendant l’allaitement a mis son bébé au sein rapidement après la naissance et, à 12 heures post-partum, le bébé était agité et irritable (probablement en raison de l’exposition in utero). Par la suite, l’enfant passait des heures à pleurer, voulait téter très souvent et dormait très mal. L’administration de phénobarbital n’a eu aucun impact, et la caféine a été retrouvée à un taux mesurable dans le sang de l’enfant. La mère a graduellement supprimé le chocolat sur 10 jours, ce qui a induit une régression progressive des symptômes chez l’enfant, dont le développement était normal à 7 mois.
La carence en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) chez le nourrisson peut avoir diverses conséquences en cas d’exposition à des molécules qui sont métabolisées par cette enzyme. Le cas classique est la survenue d’une hémolyse suite à la consommation de fèves. De nombreux cas d’hémolyse chez des nourrissons ont été rapportés chez des enfants souffrant de carence en G6PD suite à la consommation maternelle de fèves, la plupart de ces cas ayant été constatés chez des nourrissons appartenant à des populations originaires du pourtour méditerranéen ou des pays du Moyen-Orient, régions où la prévalence de cette carence est relativement élevée. Le favisme touche essentiellement les enfants de sexe masculin. Ses conséquences chez les enfants allaités peuvent être graves. Un cas de nécrose corticale rénale a été rapporté chez un enfant allaité suite à la consommation maternelle de fèves, et cet enfant est décédé 10 jours après cette consommation. 4 enfants allaités par 3 mères (3 garçons et 1 fille) ont présenté une hémolyse sévère après la consommation par la mère d’une boisson tonique à base de quinine. La quinine a été retrouvée dans le lait d’une des mères chez qui son taux a été recherché. Tous les enfants avaient une carence en G6PD et présentaient un ictère au moment de leur hospitalisation. L’allaitement a été arrêté et les enfants ont subi une photothérapie et/ou une transfusion, ce qui a fait disparaître l’ictère. Toutefois, l’un des enfants avait à 4 mois une légère baisse de la réactivité et souffrait d’une surdité bilatérale profonde.
Il existe peu de données sur l’excrétion lactée de la toxine botulinique. Cette dernière a été détectée dans le lait d’une mère qui avait absorbé des œufs de saumon fermentés, mais elle était indétectable dans le sang ou les selles de son enfant allaité le jour où sa mère a été hospitalisée. On a administré à la mère un sérum antibotulinique, et la toxine botulinique était indétectable dans le lait maternel 4 heures après cette administration.
Les amatoxines sont des polypeptides hydrosolubles présents dans la plupart des amanites (en particulier dans l’amanite phalloïde), les champignons de la famille des Galerina et certains de la famille des Lépiotes. La principale toxine de l’amanite phalloïde est l’alpha-amanitine, un puissant inhibiteur des ARN polymérases qui bloque la production de mARN et la synthèse des protéines au niveau hépatique et rénal. Si certains estiment que les amatoxines passent dans le lait, il existe peu de données à leur sujet, sauf un cas récent qui semble montrer que ce n’est pas le cas. Cette mère de 32 ans a consommé des amanites bisporigena et a présenté des signes d’intoxication 15 heures après ingestion. Elle est venue aux urgences 29 heures après l’ingestion avec des troubles hépatiques marqués. Elle avait allaité son enfant de 4 mois environ 4 heures après la consommation de ces champignons, et il a été hospitalisé avec elle. Le bébé n’a présenté aucun signe d’hépatotoxicité. L’amatoxine était indétectable dans le lait maternel (délai entre la consommation des champignons et la collecte de l’échantillon non précisé). Il reste cependant indispensable d’être prudent, et le lait des mères intoxiquées par une amanite doit être considéré comme toxique.
La ciguareta est une intoxication provoquée par la chair de poissons contaminés par une microalgue, Gambierdiscus toxicus. Elle sécrète une toxine, la ciguatoxine, qui induit des troubles gastro-intestinaux et/ou neurologiques. Si cette intoxication est rarement mortelle, les manifestations neurologiques peuvent durer plusieurs semaines. Une étude menée sur 12 980 cas en Polynésie française entre 1964 et 1986 a constaté que 3 enfants allaités âgés de 6 à 10 mois avaient été affectés par l’intoxication maternelle.
La ciguatera est une intoxication alimentaire que l'on rencontre dans la zone caraïbe, dans les îles du Pacifique et dans l'Océan Indien.
Le chélonitoxisme survient suite à la consommation de viande de tortue marine contaminée par des chélonitoxines dont on pense qu’elles proviennent de l’environnement et s’accumulent chez la tortue sans l’affecter. Il se traduit par des troubles digestifs, suivis de troubles neurologiques, hépatiques et rénaux. Une telle intoxication a été rapportée chez une famille micronésienne. 2 adultes et 4 enfants âgés de 2 à 4 ans sont décédés avant d’arriver à l’hôpital. 2 des enfants décédés étaient allaités ; l’un d’entre eux était exclusivement allaité, et l’autre avait également consommé un peu de chair de tortue. Un autre cas a été rapporté à Madagascar, et a fait 76 victimes, dont 7 mères et leurs 7 enfants allaités. Aucune des mères n’est décédée, mais 4 enfants sont morts, dont un bébé exclusivement allaité. 5 mères avaient arrêté l’allaitement suite à l’apparition des symptômes, mais 2 de leurs enfants sont décédés en dépit de l’arrêt de l’allaitement. Un certain nombre de décès pour ce type d’intoxication ont été rapportés dans la littérature. Dans la culture traditionnelle des îles Fidji, la consommation de certaines espèces marines (incluant les tortues de mer) est interdite chez les femmes enceintes et allaitantes. De nombreuses autres espèces marines sont potentiellement toxiques, mais aucun cas d’intoxication via le lait maternel n’a été rapporté.
L’acide domoïque est une phycotoxine sécrétée par une algue, qui se concentre dans les fruits de mer, les sardines et les anchois. Cette toxine induit chez les humains un syndrome dit de l’empoisonnement amnésique aux fruits de mer, car cette neurotoxine affecte la mémoire à court terme. On a constaté que cette toxine passait dans le lait des mammifères marins et qu’elle pouvait intoxiquer leurs petits, et on a constaté en laboratoire qu’elle était excrétée dans le lait de rates. Il semble de plus qu’elle puisse persister très longtemps dans le lait après exposition.
En conclusion, l’excrétion lactée de toxines provenant de l’alimentation est très peu documentée, mais elle est possible et elle peut être très dangereuse dans certains cas. Il est donc prudent de partir du principe que les toxines les plus dangereuses peuvent passer dans le lait maternel et intoxiquer l’enfant. Dans la mesure où la pharmacocinétique de ces toxines est également mal connue chez les humains, la durée pendant laquelle elles peuvent persister dans le lait est inconnue, et la prudence serait de recommander aux mères de tirer et jeter leur lait pendant plusieurs jours en l’attente de données supplémentaires. À noter toutefois que, dans la grande majorité des intoxications alimentaires (en particulier en l’absence de toxine pathogène), la poursuite de l’allaitement est recommandée ; le lait maternel aide à protéger le bébé vis-à-vis de nombreux germes pathogènes.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci