Publié dans le n° 153 des Dossiers de l'allaitement, décembre 2019
D'après : Current trends in research on human milk exchange for infant feeding. Palmquist AEL et al. J Hum Lact 2019 ; 35(3) : 453-77.
Le lait humain est particulièrement important pour la croissance et la santé des nourrissons humains. L’allaitement présente également des bénéfices pour la santé maternelle. Toutefois, certaines mères ne peuvent pas allaiter pour diverses raisons, ou n’ont pas suffisamment de lait. Elles pourront souhaiter que leur enfant reçoive du lait humain provenant d’autres femmes et obtenu auprès d’un lactarium ou auprès d’autres femmes qui donnent leur lait ou le vendent. Le partage informel de lait maternel et la vente de lait humain sont des pratiques en augmentation, et les professionnels de santé ont besoin d’être informés sur le sujet afin de pouvoir répondre aux questions que des parents pourront leur poser. Le but de cet article est de faire le point sur les données publiées ces trente dernières années concernant les études sur l’utilisation de lait humain exprimé (LHE) destiné à nourrir un bébé avec du lait provenant d’autres femmes que sa mère.
Utilisation du lait humain : situations actuelles
Les lactariums, des institutions qui collectent du LHE afin de le donner à des prématurés, des bébés malades ou des orphelins, existent depuis le début du 20e siècle (Moro). Ils font actuellement partie du système de soins aux prématurés. Dans la très grande majorité des cas, les mères donnent leur lait gratuitement, et les lactariums font payer leurs coûts de fonctionnement. Cependant, certains organismes ayant des objectifs commerciaux commencent à rétribuer les donneuses (Boyer ; Fentiman ; Harrison). La situation des divers pays dans le monde concernant les lactariums est très variable. Le Brésil est le pays du monde qui compte le plus grand nombre de lactariums (plus de 220 - DeMarchis). Ce succès est en partie lié à l’intégration des lactariums dans le système national de santé. Dans d’autres pays, comme les États-Unis, il existe d’importantes disparités régionales, qui sont fonction du taux régional d’allaitement, de la présence de services ayant le label Hôpital Ami des Bébés (Perrin)… Dans certains pays, les professionnels de santé sont réticents à préconiser l’utilisation de lait humain car ils doutent de son intérêt (Modi). Il est important de noter que la disponibilité et l’utilisation de LHE sont un sujet rarement pris en compte par les services de santé, ce qui démontre que son utilisation n’est pas une priorité pour eux.
Par ailleurs, l’utilisation de LHE n’est pas accepté de la même façon dans tous les pays, essentiellement pour des raisons culturelles et religieuses. Deux études turques ont constaté que si la majorité des femmes acceptaient l’allaitement croisé ou le don de lait par une femme de leur entourage, elles étaient peu nombreuses à trouver acceptable l’utilisation de lait humain provenant d’un lactarium (Ergin & Uzun ; Gürol). Une étude en Inde retrouvait que les femmes seraient souvent d’accord pour donner leur lait ou pour que leur bébé reçoive du LHE, mais qu’elles se demandaient si cela n’aurait pas un impact négatif sur leur santé, ou ce que leur entourage en penserait (Mondkar). La religion musulmane préconise ouvertement l’allaitement, y compris par une autre femme si nécessaire, mais le fait pour un enfant de recevoir le lait d’une autre femme est à l’origine d’un lien étroit entre les deux enfants (Clarke ; El-Khuffash & Unger ; Ozdemir). De ce point de vue, les mères musulmanes accepteront facilement que leur enfant reçoive le lait d’une femme qu’elles connaissent, mais seront très réticentes à accepter du lait humain provenant d’un lactarium (ce lait pouvant provenir de plusieurs femmes, de plus inconnues de la mère).
Le point de vue des professionnels de santé et leurs connaissances sur l’utilisation de LHE ont fait l’objet d’un certain nombre d’études. Leurs réticences sont en partie en rapport avec leur perception de la sécurité de ce lait (Caroll ; Romero-Bachiller & Santori ; Walts & Ross) Même si les professionnels de santé sont favorables à son utilisation, d’autres obstacles peuvent exister, comme une pénurie de LHE ou le gaspillage d’importantes quantités de LHE en raison de mauvaises pratiques de gestion et de conservation (Mondkar). Il existe également des obstacles politiques, économiques, socioculturels et historiques (Boundy ; Brownell ; Parker ; Profit ; Riley ; Sigurdson). Des études menées aux États-Unis ont constaté que le traumatisme historique que représente l’esclavage pour les femmes afro-américaines, nombre d’esclaves ayant dû allaiter les enfants de leurs maîtres, font que non seulement ces femmes ont beaucoup plus souvent une perception négative de l’allaitement et de l’utilisation de LHE (Assiodu & Flaskerud ; Collins ; DeVane-Johnson ; LoVerde ; Riley ; Street & Lewallen).
Toutefois, le nombre d’enfants recevant du LHE augmente progressivement, parallèlement à l’amélioration des connaissances des professionnels de santé et des parents sur l’intérêt de son utilisation. Des programmes d’information culturellement adaptés donnent de bons résultats auprès des mères musulmanes ou afro-américaines concernant l’utilisation de LHE chez leur bébé prématuré (al-Naqeeb ; Asiodu ; Johnson ; Kozhimannil ; Miracle). Des cas d’utilisation" hors cadre" de LHE ont été rapportés dans la littérature, et ce type de situation doit être connu par les professionnels de santé. Aux États-Unis, deux enfants souffrant de pathologies complexes n’avaient pas été jugés éligibles au don de lait humain provenant d’un lactarium, option souhaitée par les parents. Ces derniers se sont arrangés pour obtenir du lait humain via un réseau de partage de lait humain, ce lait étant donné cru aux enfants sans que les parents aient prévenu les professionnels de santé (Barbas).
Don de lait : lactariums et partage informel
Des études ont analysé le vécu et les motivations des mères qui donnent leur lait à un lactarium, avec pour objectif de trouver des stratégies permettant d’augmenter le volume de lait collecté. Le premier point est que les mères susceptibles de donner leur lait connaissent cette possibilité et ses modalités. Les mères peuvent être encouragées par les professionnels de santé qui les suivent (Paynter ; Pimenteira). Des études ont constaté que des mères dont le bébé hospitalisé avait reçu du lait provenant d’un lactarium étaient par la suite plus souvent enclines à donner leur lait à leur tour pour aider d’autres enfants (Alencar & Seidl ; Azema & Callahan ; Candelaria ; Osbaldiston). Certaines mères donnent du lait après le décès de leur bébé dans le cadre d’un travail de deuil (Caroll). Et nombre de mères préfèreront de loin donner leur lait en surplus plutôt que de le jeter.
Le partage informel de lait humain, à savoir la fourniture gratuite de lait maternel d’une mère à une autre mère, est une pratique qui a fortement augmenté ces dix dernières années, même s’il n’existe aucune donnée fiable sur sa prévalence, via entre autres des réseaux Internet, mais également entre femmes qui se connaissent (famille, amies, relations). Les mères discutent entre elles des conditions précises de ce partage. La majorité des études sur le partage informel de lait maternel ont été menées dans des pays occidentaux, auprès de mères ayant un niveau culturel et socioéconomique élevé. Les mères qui donnent du lait via ces réseaux sont généralement des mères qui ont l’habitude de tirer du lait pour leur propre enfant et qui ont des surplus qu’elles souhaitent partager (Gribble ; Palmquist & Doehler ; Perrin ; Reyses-Foster & Carter). Globalement, leur profil est proche de celui des mères qui donnent leur lait à un lactarium. Les mères qui recherchent du lait pour leur bébé ont plus souvent que la moyenne accouché par césarienne, d’un prématuré, et elles sont moins souvent soutenues par leur famille, leur employeur ou par les professionnels de santé qui les suivent (Palmquist & Doehler). Les parents dont l’enfant tolère très mal les laits industriels pourront également rechercher du lait humain auprès de ce type de réseaux en l’absence d’autre option (Cassar-Uhl & Liberatos ; Gribble ; McKloskey & Karandikar ; O’Sullivan). On retrouve également dans les receveuses des mères qui ont adopté un enfant ou qui doivent s’occuper d’un enfant qui n’est pas le leur, les parents d’un enfant plus âgé, ou d’un bébé souffrant d’une pathologie chronique, les parents LGBTQ+… (Gribble ; MacDonald ; Zizzo). Enfin, certaines mères partagent du lait humain avec d’autres femmes de leur entourage, non en raison d’une production lactée insuffisante ou de problèmes d’allaitement, mais parce qu’elles apprécient les aspects pratiques et conviviaux de ce partage (Gribble ; Thorley ; Tomori). Qu’elles soient donneuses ou receveuses de lait humain partagé, ces femmes ont en commun la conviction que le lait humain a une grande valeur et que les laits industriels ne sont pas une bonne option. Par ailleurs, elles choisissent ce type de partage plutôt que le passage par un lactarium pour des raisons logistiques, philosophiques, ou parce que leur bébé ne pourra pas recevoir du lait humain provenant d’un lactarium ou ne pourra pas en recevoir suffisamment (Cassidy ; Gribble ; Perrin). Il existe très peu de données sur l’achat de lait humain via Internet, à commencer parce que les réseaux de partage de lait humain interdisent cette pratique, et opèrent via des plates-formes nécessitant une inscription afin d’éviter un total anonymat.
Les organisations médicales qui ont commencé à déconseiller énergiquement le partage informel du lait maternel en raison de ses risques potentiels ont dû assouplir leur discours et s’intéresser aux moyens d’informer les parents de ces risques, des stratégies permettant de les limiter, et au rapport bénéfices/risques du partage informel de lait humain. Dans bon nombre de cas, les mères reçoivent du lait humain provenant de femmes qu’elles connaissent car elles font partie de leur entourage. Les femmes qui s’adressent à des réseaux Internet, même si elles ne se connaissent pas au départ, apprennent à créer des liens impliquant la confiance. Dans la grande majorité des cas, les parents n’informent pas les professionnels de santé qui suivent leur enfant de leurs pratiques en la matière, et des enquêtes ont montré que peu de parents disaient que cette option leur avait été suggérée par un pédiatre.
Contamination potentielle par des germes pathogènes
Le lait humain peut contenir des germes pathogènes et diverses molécules susceptibles de présenter des risques. De nombreuses études ont évalué la présence de virus dans le lait maternel, soit des virus pour lesquels une transmission via le lait maternel a été constatée, soit des virus dont la présence dans le lait maternel a été constatée mais sans que cela induise forcément une contamination de l’enfant. Les virus susceptibles d’être transmis via le lait maternel sont le VIH, les HTLV I et II et le CMV. De nombreuses études ont été menées sur ces virus ainsi que les stratégies permettant de limiter ou d’éliminer le risque de transmission. La bactérie responsable de la brucellose peut également être transmise via le lait maternel (Arroyo Carrera ; Ceylan). Pendant longtemps, le lait humain a été considéré comme un fluide stérile, mais on sait maintenant qu’il contient une flore abondante, complexe et diversifiée. De plus en plus d’études montrent qu’il existe des relations étroites entre la flore lactée, le profil des oligosaccharides lactés, la flore intestinale infantile et le développement de l’immunité chez le nourrisson. Le lait humain peut également contenir des bactéries pathogènes qui peuvent proliférer si le lait maternel est exprimé et/ou stocké dans des conditions insuffisantes d’hygiène, ou si la mère souffre de mastite par exemple. Toutefois, le lait humain cru contient également de nombreux facteurs protecteurs et immunocompétents qui limitent la prolifération des germes pathogènes (Marín ; Sosa & Barnes). Quasiment tous les lactariums pasteurisent le lait humain qu’ils collectent, et certains services de néonatalogie veulent que le lait exprimé par une mère soit pasteurisé avant d’être donné à son prématuré. Des études ont toutefois montré que le lait humain non pasteurisé présentait davantage de bénéfices chez les grands prématurés, et on recommande de plus en plus de ne pasteuriser le lait qu’une mère tire pour son bébé que si la présence de germes pathogènes y a été démontrée (Masson ; Montjaux-Régis ; Picaud).
Médicaments et autres substances potentiellement indésirables
On sait que la plupart des médicaments pris par une mère allaitante sont excrétés dans son lait, à un taux qui dépendra des caractéristiques physiques et pharmacocinétique du produit, de la posologie, de la durée du traitement et de l’âge de l’enfant. Cette excrétion lactée est faible pour la majorité des médicaments, et peu d’entre eux sont réellement susceptibles d’induire un problème chez l’enfant allaité (Hale). L’OMS liste les médicaments qui pourraient être contre-indiqués pendant l’allaitement : les psychotropes sédatifs, les opiacés, certains anti-épileptiques, l’iode 131 radioactif, l’utilisation excessive de certains topiques contenant de l’iode et les anticancéreux (OMS, 2009). À noter que les opiacés sont couramment utilisés pendant l’accouchement et en post-partum précoce, ce qui n’est pas une contre-indication à l’allaitement (Martin). Les produits récréatifs tels que la nicotine, l’alcool, l’ecstasy, les amphétamines, la cocaïne et les traitements substitutifs comme la méthadone ou la buprénorphine ne sont pas considérés comme contre-indiquant l’allaitement de l’enfant de la mère qui les utilisent, mais cela pourra être différent pour ce qui est du don du lait de cette mère à l’enfant d’une mère qui n’en consomme pas (OMS).
Divers polluants sont excrétés dans le lait humain, incluant les métaux lourds et les polluants organiques. Leur taux lacté dépend du niveau maternel d’exposition. Il existe toutefois très peu de données sur l’impact à court et à long terme de cette exposition, qui est d’autant plus difficile à évaluer que le fœtus a déjà été exposé à ces contaminants à un taux plus élevé que celui retrouvé dans le lait maternel (LaKind ; Nickerson). Par ailleurs, le lait humain contient divers composants qui contrebalancent l’impact négatif des polluants (Díaz-Gómez ; Hausman ; Nickerson).
Il existe peu de données permettant de savoir dans quelle mesure le fait de payer la mère donneuse a un impact sur la qualité du lait fourni. Une étude a recherché divers médicaments et drogues, des protéines non humaines et une éventuelle dilution du lait dans du lait humain obtenu auprès d’un site commercial après introduction d’une rémunération des donneuses. Très peu de problèmes ont été constatés (0,7 % d’échantillons dans lesquels le lait avait été dilué, 0,04 % dans lesquels des protéines non humaines avaient été retrouvées – Bloom), mais cela pouvait être lié au fait qu’on avait averti les donneuses que le lait fourni serait testé. Certains sites Internet hébergent des "marchés" de lait humain. Une étude sur des échantillons achetés anonymement auprès d’un tel site a retrouvé la présence de virus et bactéries pathogènes dans certains échantillons ; de plus, le lait acheté était envoyé par la poste dans des conditions médiocres (Keim). Dans une étude, environ 10 % des échantillons contenaient des protéines bovines à un taux montrant que du lait de vache y avait été ajouté (Keim), et il existait des différences notables entre le taux lacté de caféine et de molécules provenant du tabac et les réponses fournies par les femmes donneuses concernant leur consommation de ces produits dans une autre étude (Geraghty). La possibilité d’une rémunération doit être mise en balance avec les risques que cela implique.
Caractéristiques du lait humain fourni par les lactariums
Les lactariums permettent de fournir du lait humain dans de bonnes conditions de sécurité à des nourrissons vulnérables. Les méthodes de sélection des donneuses et de gestion du lait humain collecté varient suivant les pays, avec des constantes. Tous les lactariums exigent que les mères aient effectué des tests sérologiques de dépistage de certaines maladies (essentiellement VIH, hépatite B et C, HTLV I et II, maladie de Creutzfeldt-Jacob), tandis que la prise de médicaments, le tabagisme et la consommation de café, d’alcool ou de drogues est recherchée via un questionnaire. Quelques études ont été menées sur la prévalence de diverses substances potentiellement indésirables dans le lait humain collecté par des lactariums. Une étude espagnole n’a retrouvé aucune drogue illégale, mais quelques échantillons de lait contenaient de la caféine et des molécules provenant du tabac (Escuder-Vieco). Le lait humain collecté est généralement pasteurisé selon la méthode Holder, mais si cela élimine virtuellement les germes présents dans le lait, cela a également un impact négatif sur certains de ses composants, et cela diminue ses propriétés bactériostatiques (Akingi ; Chang ; Marx ; O’Connor ; Peila ; Vieira). De plus, les bactéries présentes sous forme de spores (Bacillus cereus par exemple) ne seront pas détruites et pourront proliférer dans le lait pasteurisé et sécréter leur toxine (de Segura). D’autres méthodes de pasteurisation peuvent être utilisées, comme la pasteurisation flash (Naicker). Enfin, d’autres méthodes d’élimination des germes potentiellement pathogènes ont été étudiées, comme la pasteurisation au micro-ondes, l’exposition à une pression élevée, l’irradiation aux UV (Peila). Cela détruit également la flore normale et bénéfique du lait maternel. Une étude récente a évalué la possibilité de réensemencer le lait pasteurisé en le mettant à incuber avec une fraction de lait cru de la même mère (Cacho).
Il n’existe actuellement aucun standard officiel concernant le niveau acceptable de bactéries présentes dans le lait humain avant pasteurisation. Par exemple, la HMBANA définit non un niveau acceptable de bactéries dans les pools de lait (mélange provenant de plusieurs donneuses) avant pasteurisation, mais plutôt un niveau permettant d’utiliser ce lait sans le pasteuriser : taux de bactéries < 104 UFC, et présence uniquement d’une flore commensale cutanée normale (HMBANA). En Angleterre, un pool de lait est constitué avec le lait d’une seule mère, et le niveau considéré comme acceptable avant pasteurisation est de < 105 UFC (NICE). Le lait humain cru présente davantage de bénéfices que le lait humain pasteurisé, et certains lactariums ne pasteurisent pas en routine le lait qu’ils collectent, en particulier lorsque le processus de sélection des donneuses est très strict. Par exemple, le lactarium d’Oslo (Norvège) ne pasteurisait en 2004 que 10,5 % du lait collecté, à savoir ceux qui contenaient > 104 UFC et/ou des germes pathogènes (Lindermann). 62 % des donneuses à ce lactarium étaient séropositives pour le CMV, et leur lait était alors donné cru uniquement à des nourrissons nés à > 32 semaines de gestation ou pesant > 1 500 g.
Le taux lacté des divers macronutriments varie suivant les donneuses, en fonction du stade de la lactation (passage du colostrum au lait mature), mais également en fonction de nombreux autres facteurs, ce qui suggère une individualisation du lait maternel (John ; Wojcik). Cela peut se traduire par d’importantes variations en particulier dans le taux de lipides et de calories du lait fourni par les lactariums, qui pourra être significativement insuffisant pour couvrir les besoins du prématuré qui recevra ce lait, en particulier s’il est de petit poids de naissance pour son âge gestationnel. Il existe peu de données sur les caractéristiques du lait humain obtenu par partage informel. Deux études transversales dont les données provenaient des réponses des mères à des questionnaires amenaient à se poser des questions sur le respect des règles d’hygiène recommandées pour l’expression du lait humain (Gribble ; Reyes-Foster). Une présentation de cas a rapporté la contamination de 5 prématurés suite au don de lait humain obtenu auprès d’une seule mère via un partage informel (Nakamura). À noter que la contamination des enfants n’a pas eu d’impact clinique chez les nourrissons, ce qui confirme que la présence d’un germe pathogène dans le lait humain ne signifie pas que cela posera un problème à l’enfant qui le recevra (Law ; Schanler). Une étude a recherché le niveau de contamination dans du lait humain collecté par un lactarium avant pasteurisation et du lait humain obtenu via un réseau de partage informel, et ne retrouvait pas de différence sur le plan du nombre total de bactéries aérobies et de coliformes, ni sur le plan de leurs taux de macronutriments (Perrin).
Réglementation et position officielle concernant le partage de lait humain
Il existe des recommandations largement utilisées un peu partout dans le monde concernant la collecte et le traitement du lait humain par les lactariums, et son utilisation clinique, en particulier dans les services de néonatalogie. La situation est très différente en ce qui concerne le partage informel de lait maternel. Depuis le lancement des plates-formes Internet hébergeant ce type de partage en 2010, au moins 21 déclarations le concernant ont été émises tant par des Ministères de la santé que par des organisation professionnelles, religieuses ou de soutien à l’allaitement. Ces déclarations sont plus ou moins longues et détaillées, et il est possible d’évaluer leur intérêt et leur efficacité en se fondant sur la façon dont elles définissent le problème, fournissent des données scientifiques à l’appui de leurs affirmations, et proposent des solutions et des moyens d’action. Plus de la moitié de ces déclarations fournissent des références scientifiques, bien que leur pertinence et leur fiabilité soit variable. Certaines mettent surtout en avant des restrictions fondées sur celles en vigueur pour les pratiques commerciales ou pour l’utilisation des tissus humains. D’autres présentent le point de vue de leur organisation, ou se contentent de réclamer l’interdiction du partage informel de lait humain sans fournir aucune justification. Certaines déclarations ne fournissent aucune référence à l’appui de leurs affirmations, et d’autres ne donnent pas de définition précise du partage informel de lait maternel.
Parmi les déclarations qui envisagent le problème spécifique du partage informel de lait maternel, ce problème est abordé de trois façons : les difficultés pour obtenir du lait humain, le partage informel comme étant une pratique à risque, et les responsabilités de l’organisation concernant ce partage informel. Les organisations dont les déclarations sont surtout centrées sur les difficultés rencontrées par les familles dans l’obtention du lait humain sont plus nombreuses à fournir des données scientifiquement fondées, des arguments provenant de multiples sources, et à inclure des informations sur les moyens de minimiser les risques. En revanche, les organisations dont les déclarations sont surtout centrées sur les risques sont plus enclines à fonder leur discours non sur des données scientifiquement fondées, mais sur l’opinion d’experts ou sur les régulations concernant l’industrie alimentaire, et à citer des sources qui ne sont pas pertinentes. Les solutions proposées dans certaines déclarations peuvent être réparties en trois groupes :
- respecter l’autonomie des parents et leur droit de choisir : on part du principe que les parents sont des individus responsables, et on fournit des conseils pragmatiques pour optimiser la sécurité du partage informel ;
- recommander aux parents de demander l’avis d’un professionnel de santé : les parents sont présumés ne pas avoir les connaissances nécessaires pour évaluer par eux-mêmes les bénéfices et les risques de cette pratiques, et ils doivent donc consulter un professionnel de santé perçu comme compétent ; ces déclarations contiennent peu d’informations susceptibles d’aider les familles (ou même les professionnels de santé) à minimiser les risques potentiels ;
- proscrire le partage informel de lait maternel quelles que soient les circonstances : elles ne fournissent aucune possibilité de discussion ni aucune ressource pour aider les familles, leur seule recommandation étant d’utiliser uniquement du lait humain fourni par un lactarium.
L’objectif des recommandations est d’influencer les comportements. Or les comportements peuvent varier en fonction des caractéristiques des enfants qui recevront le lait humain. Ces derniers peuvent être répartis en trois catégories : prématurés et bébé malades hospitalisés, enfants en bonne santé vivant dans leur famille, et enfants plus fragiles que la moyenne mais globalement en bonne santé. Certaines des recommandations concernent exclusivement la première catégorie d’enfants. Plusieurs autres prennent en compte le partage informel de lait maternel pour les enfants en bonne santé, et d’autres prennent aussi en compte les enfants plus fragiles mais globalement en bonne santé. Mais certaines déclarations ne font aucune distinction entre ces trois catégories. Globalement, il n’existe guère de cohérence entre ces diverses déclarations, qui prennent peu en compte la réalité qui existe déjà et qui fournissent peu de données pratiques aux familles impliquées dans le partage informel de lait maternel.
Domaines nécessitant des recherches
L’utilisation de LHE est un domaine majeur de recherches sur le plan biologique, nutritionnel, clinique et social, et les recherches devraient être multidisciplinaires. Certaines stratégies d’utilisation du LHE sont fonction des pratiques culturelles, et il serait donc utile de mieux évaluer les pratiques en matière d’allaitement et d’utilisation de LHE dans divers pays et diverses cultures, afin de mieux évaluer la prévalence de l’utilisation de LHE provenant d’une autre femme que la mère de l’enfant et l’impact de cette utilisation chez l’enfant. Cela permettrait également d’évaluer la faisabilité, l’acceptabilité et le coût des diverses stratégies d’utilisation de LHE en fonction du contexte culturel et socioéconomique, en particulier dans les pays en voie de développement. Des études prospectives sur le sujet seraient les bienvenues. Il existe des données concernant les risques, les bénéfices et les coûts de l’utilisation de LHE dans certains contextes spécifiques (néonatalogie). Il serait nécessaire de mener ce type d’études dans d’autres contextes, prenant en compte l’âge de l’enfant et son état de santé. Il serait également utile de mener des études sur l’impact de la fourniture de lait humain par une femme sur sa santé et sur sa lactation (production lactée, durée de l’allaitement…). Des recherches comparant l’impact chez les enfants de diverses pratiques de don de LHE sont fortement indiquées, en commençant par l’impact des diverses pratiques en vigueur dans les lactariums (sélection des donneuses, collecte du lait, traitement de ce lait…). Des études pour optimiser la préservation des composants bioactifs du lait humain sont nécessaires.
Il existe très peu de données sur les stratégies impliquant du lait humain acheté. C’est pourtant un domaine important de recherche, car cela pourrait mettre en lumière des données encore inconnues. On constate actuellement l’émergence de réseaux de partage informel de lait maternel au sein de communautés sous la supervision de professionnels de santé dans un cadre clinique, ce qui pourrait augmenter le nombre d’enfants recevant du lait maternel. Les recommandations concernant l’alimentation infantile dans les situations d’urgence ou de catastrophe fournissent peu de données sur l’utilisation de LHE dans ce contexte, alors que l’obtention de LHE pourrait être capitale dans une situation à très haut risque pour les petits nourrissons. Les lactariums pourraient participer à des études dans des domaines innovants, tels que la mise au point de lait humain "thérapeutique" ou de protocoles d’alimentation plus efficaces. Enfin, il serait nécessaire de mettre au point des protocoles, fondés sur les données scientifiques et sociales existantes, sur l’utilisation du LHE destinés aux professionnels de santé et aux professionnels du soutien aux mères allaitantes. Plus ce type de protocole sera précis, objectif et pratique, et plus il permettra de modifier les comportements dans le sens souhaité.
Pour les références, voir le n° 153 des DA.
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