Publié dans le n° 154 des Dossiers de l'allaitement, janvier 2020
D'après : The breastfed child with diabetes mellitus type 1. How breastfeeding can be integrated into diabetes manage-ment. Reith-Herrmann, van den Boom L. Lact Breastfeed 2019 ; 1 : 5-9.
On estime qu’en Allemagne plus de 30 000 enfants et adolescents de moins de 19 ans souffrent de diabète de type 1, et le taux de diabète a fortement augmenté chez les enfants de moins de 5 ans. En pratique, un diabète va donc être diagnostiqué chez un nombre croissant de bébés et de jeunes enfants encore allaités. Or, il existe peu de données dans la littérature scientifique concernant la place de l’allaitement dans la gestion du diabète de type 1, et on recommande souvent aux mères de ces enfants d’arrêter immédiatement l’allaitement, tout particulièrement si l’enfant a plus de 9 à 12 mois, dans la mesure où il est estimé ne plus être utile à cet âge. Or, c’est l’inverse qui est exact. L’allaitement rend plus facile l’acceptation du diabète par l’enfant et par sa famille, il peut parfaitement être intégré à sa gestion, et en pra-tique il facilite cette gestion. De plus, un sevrage brutal sera un stress pour la mère et l’enfant, d’autant que ce dernier sera souvent en mauvaise santé au moment du diagnostic de diabète. L’état clinique de l’enfant s’est habituellement dégradé pendant plusieurs semaines avant que le diagnostic soit évoqué, et les parents sont anxieux devant l’état de leur enfant.
Le diabète de type 1 est une pathologie auto-immune, causée probablement par la conjonction de facteurs génétiques et environnementaux. L’organisme fabrique des anticorps qui détruisent les cellules pancréatiques qui sécrètent l’insuline, hormone indispensable à l’absorption du glucose par les cellules de notre corps, où il pourra être stocké ou utilisé, entre autres pour la production d’énergie. En cas de diabète, la glycémie augmente car le glucose n’est plus capté correctement par les cellules, et le corps tente d’éliminer le glucose excédentaire dans le sang via les urines. Les principaux signes cliniques sont la perte de poids, la fatigue, l’émission d’un volume important d’urines (pour éliminer le glucose), qui s’accompagne d’une soif intense. Chez les enfants de moins de 6 mois, il est nécessaire de distinguer le diabète insulinodépendant du diabète néonatal. Ce dernier est une pathologie rare (0,17 % des diabètes infantiles) ; sa gestion sort du cadre de cet article, mais les mêmes principes de gestion de l’allaitement peuvent très probablement être utilisés.
Le diabète de type 1 est une pathologie chronique actuellement incurable, mais qui peut être contrôlée par l’administration d’insuline. Cette dernière doit obligatoirement être administrée par voie parentérale, avec une seringue, un stylo injecteur, ou via une pompe à insuline. En Allemagne, environ 80 % des bébés et des jeunes enfants touchés par le diabète reçoivent l’insuline via une pompe. Cette dernière est un petit appareil fonctionnant sur piles, qui comprend un réservoir rempli d’insuline rapide, relié par une fine tubulure à une canule pénétrant sous la peau où elle est maintenue par un adhésif, ainsi que des composants électroniques qui contrôlent avec précision l’administration d’insuline. Les besoins de l’enfant en insuline sont automatiquement couverts grâce à un programme individuel gérant l’administration d’une dose donnée d’insuline toutes les heures, des bolus calculés à partir des apports glucidiques pendant les repas pouvant être administrés facilement en appuyant sur un bouton. D’importants progrès ont été effectués dans le domaine des pompes à insuline, et certaines incluent un dispositif de mesure en continu du glucose.
Afin d’intégrer l’allaitement dans la gestion du diabète de type 1, il est nécessaire de savoir quelle quantité de glucides l’enfant reçoit pendant les tétées. Les jeunes enfants ont une croissance rapide et des besoins élevés en glucides, et la dose d’insuline sera calculée en fonction de leurs apports. Plus important encore que le volume de lait maternel consommé est le fait que l’enfant est mis au sein à la demande ou à heures fixes. Lorsque le bébé ou le bambin prend le sein à des horaires globalement réguliers, les tétées seront incluses dans le schéma utilisé pour calculer le taux d’insuline à administrer régulièrement. Lorsque l’enfant tète à la demande, un bolus supplémentaire d’insuline sera administré juste avant la tétée. Le lait mature contient environ 70 g/l de glucides, et la question est donc de savoir quel volume de lait maternel l’enfant a absorbé. Les besoins en insuline peuvent être évalués par divers moyens.
Pendant les premiers jours du traitement, il sera probablement nécessaire de rechercher régulièrement la glycémie avant et après les tétées afin d’évaluer l’impact de ces dernières sur la glycémie, et donc la dose d’insuline à administrer. Par ailleurs, une mère habituée à l’allaitement peut avoir une idée relativement fiable de la quantité approximative de lait que son enfant a absorbé pendant une tétée, en fonction de l’heure de la journée, des variations de volume de ses seins avant et après la tétée, de si cette dernière était une "bonne grosse tétée" ou "juste un petit coup". Si cela s’avère insuffisant (ou si les parents souhaitent davantage de précision), l’enfant peut être pesé juste avant et juste après la tétée ; cette stratégie est plus contraignante, elle nécessite une balance précise, et elle peut être difficile à utiliser si le bébé bouge beaucoup ou lorsque l’enfant est plus âgé. Par ailleurs, il est important de savoir qu’en pratique, il est difficile de savoir avec précision quelle quantité de glucides consomme un bébé, y compris lorsqu’il consomme des solides et que les parents ont soigneusement pesé les aliments donnés (ces aliments n’arrivant pas forcément dans l’estomac de l’enfant). L’absence de mesure précise du volume de lait maternel consommé ne sera que l’un des paramètres à prendre en compte, et la glycémie devra être régulièrement suivie afin d’adapter les doses d’insuline administrées.
Par ailleurs, d’autres facteurs que les glucides consommés peuvent avoir un impact sur la glycémie, comme les intervalles entre les injections et les repas, la durée d’efficacité d’une injection, les variations du métabolisme (poussée de croissance, maladie de l’enfant…). La gestion du diabète chez les bébés et les jeunes enfants repose donc avant tout sur un suivi régulier de la glycémie avec administration d’insuline en fonction des résultats du suivi, sans trop se focaliser sur les apports glucidiques de l’enfant.
Des mesures simples peuvent faciliter la gestion du diabète. Les capteurs permettant le suivi en continu du glucose représentent un progrès important, car ils permettent un suivi simple et précis particulièrement appréciable chez les jeunes enfants. Un tel capteur permet même de suivre l’évolution de la glycémie pendant une tétée. Tenir un journal des tétées (horaires, durée, estimation du volume de lait absorbé par le bébé, évolution de la glycémie si l’enfant porte un capteur) sera très utile. Si la mère n’arrive pas à estimer ce volume, il est préférable de limiter la dose d’insuline administrée afin d’éviter une hypoglycémie dangereuse. Au pire, une petite dose supplémentaire d’insuline sera administrée plus tard en cas d’hyperglycémie. Lorsque l’enfant est un bambin, il consomme habituellement nettement moins de lait maternel, et ce dernier aura un impact mineur sur la glycémie. Les petites tétées ne nécessitent probablement pas l’administration d’un bolus d’insuline ; un tel bolus pourra être administré 2 à 3 heures plus tard si la glycémie s’avère trop élevée. Enfin, la mère aura besoin de soutien pour la poursuite de l’allaitement, au moins pendant la période d’adaptation à la gestion du diabète de son enfant.
Si les soignants qui suivent l’enfant sont défavorables à l’allaitement et poussent la mère à sevrer, quelques arguments peuvent leur être présentés afin de les encourager à modifier leur point de vue et à accepter le fait que l’allaitement présente des bénéfices pour les enfants diabétiques et qu’il limite le risque de complications sérieuses. Le principal risque pour les personnes souffrant de diabète de type 1 est l’hypoglycémie, qui induit divers symptômes désagréables et peut provoquer une perte de connaissance. En pareil cas, la personne doit absolument absorber un sucre rapide. Les bébés et les jeunes enfants ont un métabolisme plus actif que les adultes, et ils ont donc un risque plus élevé d’hypoglycémie. Le lait maternel contient des glucides rapides, et il est beaucoup plus facile de mettre au sein un bébé ou un bambin, même somnolent ou à moitié endormi (en particulier la nuit) pour une petite tétée qui lui apportera les quelques grammes de glucides dont il a besoin pour corriger l’hypoglycémie, que de tenter de lui faire avaler un autre produit sucré. La gestion du diabète implique diverses mesures, d’autant plus désagréables qu’elles se répètent régulièrement (mesure de la glycémie au doigt, injections d’insuline, changement de place de la pompe…), le suivi étant particulièrement étroit pendant les premiers jours. Les tétées ont un impact calmant et analgésique démontré et pourront favoriser l’acceptation des procédures par l’enfant, ce qui évitera d’avoir à se battre avec lui plusieurs fois par jour. La poursuite de l’allaitement normalise la situation tant pour l’enfant que pour la mère, et facilite l’acceptation des contraintes liées à la gestion du diabète. Les tétées seront pour tous les deux des moments rassurants et gratifiants. Enfin, la gestion d’un diabète chez un bébé ou un bambin est plus souple que chez un enfant plus âgé ou un adulte, et repose essentiellement sur le suivi de la glycémie qui détermine les doses d’insuline à administrer. L’allaitement dans ce cadre ne complique pas cette gestion et peut même la rendre plus simple, tout particulièrement en cas d’utilisation d’une pompe à insuline et d’un capteur de glucose, ce matériel étant fortement recommandé chez les jeunes enfants. Une suspension de l’allaitement ne sera nécessaire que dans des circonstances très particulières, comme la survenue d’une sévère acidocétose.
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