Publié dans le n° 154 des Dossiers de l'allaitement, janvier 2020.
D'après : Is frozen human milk that is refused by mother’s own infant suitable for human milk bank donation. Piti-no MA et al. Breastfeed Med 2019 ; 14(4) : 271-5.
De nombreuses mères tirent leur lait pour leur bébé, en particulier après la reprise du travail. Le lait humain exprimé peut être conservé au congélateur pour une consommation dans les 12 mois. On a constaté toutefois qu’un certain degré de bioactivité persistait même dans le lait congelé. C’est par exemple le cas de la lipase stimulée par les sels biliaires (LSSB), la principale lipase présente dans le lait humain, dont l’activité est à l’origine de la libération d’acides gras libres dans le lait maternel. Ces acides gras peuvent donner au lait un goût rance, et des cas de refus de ce lait par l’enfant ont été rapportés, même s’il n’existe pas de preuve pour l’origine de ce refus. La congélation n’a pas d’impact sur l’activité de la LSSB, mais elle a un impact sur la membrane des globules lipidiques lactés, ce qui augmente la disponibilité des triglycérides qui pourront être métabolisés par la LSSB. Dans la mesure où du lait maternel exprimé ayant subi cette métabolisation et refusé par le bébé pourrait être donné à un lactarium, il est nécessaire de savoir si ce lait présente des caractéristiques spécifiques sur le plan de sa composition et de sa flore microbienne. C’était le but de cette étude.
Elle a été menée auprès de 16 mères qui donnaient leur lait au lactarium de Toronto (Canada), en sélectionnant des mères dont le bébé acceptait le lait exprimé lorsqu’il était donné frais, mais le refusait lorsqu’il avait été congelé, la mère ayant constaté que son lait avait alors une odeur différente (rance, savonneuse…), et qui constituaient le groupe cas. Trois groupes témoin différents ont également été inclus : 17 échantillons de lait maternel mature cru utilisés pour le dosage des macronutriments (T1), 487 échantillons collectés sur une période de 9 mois sur lesquels le lactarium avait effectué des contrôles bactériologiques (T2), et 15 échantillons de lait maternel mature frais, contenant < 5 x 107 UFC/l, utilisés pour des mesures du pH (T3). Le taux de macronutriments et de calories a été déterminé à l’aide de l’analyseur Miris. L’activité de la LSSB a été mesurée. Le taux d’acides gras libres a été recherché par une méthode colorimétrique. Les contrôles bactériologiques ont été effectués suivant les pratiques habituelles du lactarium. Les divers échantillons de lait ont été répartis en groupes en fonction du temps écoulé approximativement depuis la naissance (environ 30, 60, 90, 120 et 150 jours).
Les échantillons de lait des mères du groupe cas provenaient de séances d’expression couvrant 24 heures, et ils avaient été obtenus sur un minimum de 3 mois. Chaque mère a fourni 7 à 12 échantillons, en moyenne à 34, 62, 92, 120 et 152 jours post-partum. Le taux de macronutriments et de calories dans ces échantillons était similaire à ce qui a été constaté dans les échantillons du groupe T1. L’activité de la LSSB était similaire dans les échantillons provenant du groupe cas et ceux des groupes témoin à environ J30, mais elle était significativement plus basse aux autres moments du suivi, en particulier dans les échantillons obtenus à environ J150, tout en restant dans les limites de la normale. Le taux des acides gras libres était également similaire dans les divers groupes d’échantillons, ce taux étant plus élevé que ce qui a été rapporté dans la littérature scientifique. Le pH était plus bas que ce qui a été rapporté dans la littérature dans tous les groupes, et il était plus bas dans les échantillons du groupe cas que dans les échantillons des groupes témoin. Après correction pour les autres variables, le taux des acides gras libres et l’activité de la LSSB étaient tous les deux inversement corrélés au pH. Concernant la bactériologie, les échantillons du groupe cas étaient plus nombreux à ne démontrer aucune croissance bactérienne. Le pourcentage d’échantillons comportant > ou < de 5 x 107 UFC/l était similaire dans tous les groupes, ainsi que le pourcentage d’échantillons positifs pour le Bacillus spp (~ 1 % dans tous les groupes).
Cette étude montre que le lait maternel exprimé qui a été congelé et que l’enfant a refusé de consommer a le même taux de macronutriments que le lait frais, mis à part une variabilité un peu plus élevée pour le taux de protéines et de lipides, les différences pouvant toutefois être attribuées à des variations individuelles ou à l’impact des diverses manipulations des échantillons de lait. Le niveau d’activité de la LSSB était au plus similaire à celle constatée dans les échantillons de lait frais, et souvent plus bas, mais dans les limites de la normale. Il est donc improbable que le goût désagréable du lait qui a été congelé soit en rapport avec l’activité de la LSSB. Il était intéressant de constater que le taux d’acides gras libres était également similaire dans les échantillons du groupe cas et ceux des groupes témoin. La principale différence entre les deux types de groupes de lait était le pH plus bas dans les échantillons du groupe cas, dont l’origine est multifactorielle et nécessite d’autres études. D’autres facteurs pourraient être à l’origine du refus du lait maternel par l’enfant, comme l’oxydation des acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPI – qui pourrait avoir un impact plus important sur l’odeur du lait des mères si leur taux d’AGPI est plus élevé que la moyenne), et cela aussi nécessite d’autres études. Contrairement à l’hypothèse de départ, le pourcentage d’échantillons de lait sujets à une prolifération microbienne était significativement plus bas dans le groupe cas que dans les groupes témoin. Le goût désagréable de ce lait ne peut donc pas non plus être attribué à une prolifération microbienne supérieure à la moyenne. Au vu de ces résultats, le lactarium de Toronto, qui refusait auparavant le lait maternel qui avait été congelé et que l’enfant avait refusé de consommer, a décidé de modifier son règlement, et il accepte maintenant ce lait.
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