Publié dans le n° 156 des Dossiers de l'allaitement, mars 2020.
D’après : Milk therapy : unexpected uses for human breast milk. Witkowska-Zimmy M et al. Nutrients 2019 ; 11 : 944.
Le lait humain est essentiellement étudié sur le plan de ses bénéfices nutritionnels et développementaux pour l’enfant allaité. Il contient de très nombreux facteurs immunocompétents et il protège l’enfant en particulier vis-à-vis de nombreuses pathologies infectieuses. Ses bénéfices à long terme sont plus difficiles à évaluer, mais il semble également abaisser le risque de diabète, d’obésité, d’hyperlipidémie, de pathologies cardiovasculaires et auto-immunes… La constatation de la présence, dans le lait humain, de facteurs de croissance, de cytokines, de probiotiques, de la HAMLET et d’une population hétérogène de cellules incluant des cellules souches a amené certains chercheurs à s’intéresser aux possibles utilisations thérapeutiques du lait humain. Ce type d’utilisation pourrait être particulièrement utile dans les pays en voie de développement où les mères ont peu accès à des soins médicaux, raison pour laquelle les études menées sur ces utilisations proviennent plus souvent de ces pays. Toutefois, ce type d’utilisation est souvent perçu de façon défavorable car "peu scientifique" par la médecine moderne, parce qu’elle se fonde surtout sur les connaissances, compétences et pratiques culturelles empiriques. Pourtant, la médicalisation excessive et non réellement nécessaire a un coût important et induit des effets secondaires non négligeables. De ce point de vue, le lait maternel est un produit largement disponible, de faible coût, ayant un niveau élevé de sécurité, qui semble réellement présenter des bénéfices inattendus. Les auteurs font le point sur le sujet.
Ils ont recherché les articles publiés en anglais sur les utilisations thérapeutiques du lait humain entre 2010 et 2019. Deux des auteurs ont passé en revue toutes les études potentiellement éligibles portant sur l’utilisation de lait humain en application locale (études cas-témoin) menées chez des humains ou sur un modèle animal. 15 études correspondaient aux critères d’inclusion et étaient de qualité suffisamment bonne pour être prises en compte. Les deux mêmes auteurs en ont extrait les données et les ont classées dans un tableur. Ces études étaient très hétérogènes sur le plan des populations, des interventions, des outils d’évaluation et de la méthodologie. 7 avaient été menées en Iran, 2 aux États-Unis, 2 en Turquie, 2 en Suède, 1 en Norvège et 1 en Allemagne. 10 études étaient randomisées (dont 2 études me-nées sur des souris) et une était quasi-expérimentale.
Traitement de problèmes cutanés infantiles
5 études cliniques randomisées portaient sur le traitement de problèmes cutanés chez le nourrisson tels que l’eczéma atopique et la dermite du siège. Une petite étude pilote ne constatait aucun impact de l’application de lait maternel frais sur les lésions d’eczéma (Berents). Toutefois, elle incluait seulement 6 enfants, âgés de 4 à 32 mois, et 2 d’entre eux avaient été traités avec le lait sécrété par leur mère pour l’enfant suivant. Une autre étude a randomisé 104 enfants souffrant de dermatite atopique chez qui on a testé l’impact du lait maternel versus de l’hydrocortisone à 1 % pendant 21 jours (Kasrae). Le taux de guérison était de 81,5 % dans le groupe lait maternel et 76 % dans le groupe hydrocortisone. Le lait maternel s’avérait donc au moins aussi efficace que le corticoïde tout en étant bien moins coûteux, simple à utiliser et dépourvu d’effets secondaires. Une autre étude évaluait également l’impact de l’application de lait maternel versus de l’hydrocortisone à 1 % pendant 7 jours chez 141 enfants âgés de 0 à 24 mois et souffrant de dermite du siège (Faharani). La mère devait appliquer quelques gouttes de son lait sur les fesses de son enfant après chaque tétée, la crème à l’hydrocortisone étant appliquée deux fois par jour. Il n’y avait aucune différence entre les deux groupes sur le plan de l’efficacité constatée après 3 et 7 jours de traitement. Une autre étude a suivi 30 enfants de 0 à 12 mois souffrant de dermite du siège, qui ont été répartis en deux groupes dont l’un a été traité par application de lait maternel pendant 5 jours, l’autre groupe ne recevant aucun traitement spécifique (Seifi). Au bout des 5 jours d’étude, la dermite s’était améliorée chez 80 % des enfants du groupe intervention contre 26 % des enfants du groupe témoin. Toujours sur la dermite du siège, une étude a évalué l’impact de l’application de lait maternel versus celle d’une crème barrière (contenant 40 % d’oxyde de zinc et de l’huile de foie de morue – Gozen) chez 63 nourrissons. Il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes. Toutefois, cette étude a été menée auprès d’enfants hospitalisés dans un service de néonatalogie (prématurés ou enfants malades) qui étaient pour la plupart sous antibiothérapie, ce qui peut fausser les résultats. Une étude randomisée a évalué l’efficacité du lait maternel versus une pommade à l’oxyde de zinc pour le traitement de l’érythème fessier chez 50 bébés (Penjvini) ; les deux traitements s’avéraient efficaces, l’application de lait humain l’étant un peu plus sans que la différence soit statistiquement significative.
Traitement des problèmes de mamelons douloureux
Ces problèmes sont courants chez les mères allaitantes, et l’application de lait maternel est une pratique traditionnelle dans certaines cultures. Une étude a évalué l’impact de cette application versus celle de lanoline sur les mamelons douloureux et lésés (Abou-Dakn) chez 84 mères chez qui les mamelons étaient devenus douloureux dans les 72 heures suivant la naissance. Les mères randomisées dans le groupe lait maternel devaient appliquer quelques gouttes de lait de fin de tétée sur les mamelons et les aréoles après chaque tétée, tandis que les autres devaient y appliquer de la lanoline. Les mères ont été vues à plusieurs reprises pendant 2 semaines, l’état des mamelons a été évalué et le niveau maternel de douleur a été coté. La lanoline induisait une cicatrisation et une baisse de la douleur plus rapides pendant les premiers jours, la différence entre les deux groupes s’atténuant par la suite. Dans une autre étude, aucune différence n’était constatée entre des groupes de femmes qui devaient appliquer du lait maternel, de la lanoline, des compresses chaudes ou rien du tout sur leurs mamelons (Pugh). Enfin, une autre étude randomisée a comparé 3 groupes de femmes qui ont appliqué soit du lait de fin de tétée (78 femmes), soit de la lanoline (74 femmes), soit rien du tout (73 femmes), les mères étant suivies 3, 7 et 10 jours après le début du traitement, avec examen des mamelons et évaluation de la douleur (Mohammadzadeh). Toutes les mères avaient par ailleurs reçu des conseils concernant leurs pratiques d’allaitement en fonction de leur cas. La cicatrisation a été plus longue dans le groupe lanoline que dans les 2 autres groupes.
Problèmes oculaires
Dans l’Antiquité, divers problèmes ophtalmiques étaient déjà traités avec du lait maternel. Des textes égyptiens, romains, grecs et byzantins rapportent cette utilisation pour le traitement des conjonctivites. Une étude a fait état de l’impact bénéfique du colostrum maternel pour la prévention des conjonctivites chez les nouveau-nés (Ghaemi). Dans cette étude, 269 prématurés ont été randomisés en 3 groupes pour recevoir dans les yeux soit des gouttes de colostrum, soit de l’érythromycine à 0,5 %, soit aucun traitement (groupe témoin). La prévalence des conjonctivites était plus élevée dans le groupe témoin que dans les 2 groupes interventions où elle était similaire, mais le colostrum était facilement disponible, gratuit et dépourvu d’effets secondaires. Une étude a constaté que le lait humain préservait aussi bien la cornée chez des souris souffrant d’un syndrome des yeux secs que l’application d’un topique à la cyclosporine (Diego). Une autre étude également menée sur des souris constatait que l’administration oculaire de gouttes de lait humain permettait une cicatrisation plus rapide et de meilleure qualité des lésions de la cornée que les larmes artificielles ou les gouttes de sérum physiologique (Asena). Enfin, une étude in vivo a testé l’efficacité du lait humain fourni par 23 femmes vis-à-vis des 9 germes les plus couramment rencontrés dans les conjonctivites (Baynham). La croissance de 3 d’entre eux était significativement inhibée par le lait humain : Neisseria gonor-rhoeae, Moraxella catarrhalis et Streptococcus viridans, l’inhibition étant la plus importante pour N. gonorrhoeae, une cause importante de conjonctivite néonatale dans les pays en voie de développement. L’impact sur les autres germes n’était pas statistiquement significatif.
Soins du cordon
Le lait humain est largement utilisé pour les soins du cordon dans les pays en voie de développement. Dès 1998, l’OMS recommandait de faire des études sur cette utilisation du lait maternel (WHO). 7 études randomisées ont été publiées sur le sujet. Dans une étude menée sur 130 nourrissons nés à terme et en bonne santé, on a comparé l’impact de l’application de lait maternel versus le maintien au sec au niveau du cordon ombilical, selon un protocole précis. Tous les enfants étaient allaités (Aghamohammadi). Le délai entre la naissance et la chute du cordon était de 150,95 ± 28,68 heures dans le groupe lait maternel contre 180,93 ± 37,42 heures dans le groupe maintien au sec, et les saignements ont été deux fois moins fréquents dans le groupe lait maternel. Dans une autre étude, 300 nouveau-nés à terme et en bonne santé ont été randomisés en 3 groupes : un groupe lait maternel, un groupe où le cordon était nettoyé à l’alcool, et un groupe où il était maintenu au sec (Gloshan). Là encore, le délai avant la chute du cordon était significativement plus court dans le groupe lait maternel, et il était le plus long dans le groupe nettoyage à l’alcool. Enfin, dans une étude menée auprès de 162 nouveau-nés en bonne santé randomisés en un groupe lait maternel et un groupe chlorhexidine, la chute du cordon intervenait au bout de 7,14 ± 2,15 jours dans le groupe lait maternel contre 13,28 ± 6,79 jours dans le groupe chlorhexidine (Abbaszadeh). Ces 3 études recommandaient l’utilisation du lait maternel pour les soins du cordon, ce produit étant plus efficace que les autres stratégies, et en outre gratuit, facilement disponible, non invasif et sans aucun effet négatif.
La HAMLET : un anti-tumoral
Le complexe HAMLET (human alpha-lactalbumine made lethal to tumor cells) a été découvert par l’équipe de Svanborg lorsqu’elle étudiait les propriétés anti-adhésives de certaines molécules du lait humain (Håkansson). La HAMLET se forme suite à la précipitation de la caséine en raison du pH bas de l’estomac. Cela induit une modification de la structure spatiale de l’alpha-albumine et sa liaison avec un acide gras. La HAMLET s’est avérée déclencher une dégradation rapide des cellules tumorales in vitro ainsi que chez des patients souffrant de cancer (Trulsson). Pour synthétiser la HAMLET, on sépare l’alpha-lactalbumine du lait humain par chromatographie, elle est traitée, puis liée à de l’acide oléique via une matrice échangeuse d’ions, le complexe est lyophilisé, aliquoté et congelé jusqu’à utilisation.
Son efficacité a été démontrée tant in vitro que sur des modèles animaux, et sur divers types de cancer (glioblastome, cancer vésical, intestinal, papillomes – Gustafsson ; Ho ; Rath). De plus, elle n’a aucun impact sur les cellules saines et sa toxicité est nulle. Dans une étude sur des souris chez qui un cancer urinaire à cellules humaines avait été déclenché, l’instillation intra-vésicale pendant 8 jours de HAMLET retardait le développement de la tumeur et prolongeait la survie par rapport aux souris du groupe témoin (Mossberg). Dans une autre étude, la HAMLET a été testée en administration orale sur le cancer du côlon (Puthia) chez des souris. Le nombre et la taille des tumeurs étaient significativement abaissés, et la durée de survie était plus élevée chez les souris traitées que chez celles du groupe témoin. Les auteurs estimaient que l’impact de la HAMLET était en rapport avec des modifications de l’expression de gènes, avec un impact sur la signalisation des protéines Wnt et de la bêta-caténine, sur la glycolyse, la phosphorylation et le métabolisme lipidique au niveau des tumeurs. La HAMLET avait également une forte activité bactéricide vis-à-vis de certains pathogènes de la cavité orale et du tractus respiratoire, en particulier vis-à-vis du Streptococcus pneumoniae (Håkansson) ou du SARM (Marks).
Présentation de cas cliniques
Certaines utilisations n’ont fait l’objet d’aucune étude d’évaluation sur des cohortes de patients, mais ont toutefois donné lieu à la présentation de cas cliniques. L’une des plus anciennes présentations rapportait son utilisation pour le traitement d’un syndrome de l’intestin court chez un prématuré (Brink), un autre cas d’utilisation dans ce cadre ayant été publié en 2008 (Sullivan). Deux articles publiés en 1990 rapportaient l’utilisation de lait humain fourni par un lactarium pour le traitement de 2 enfants souffrant de déficience en IgA dans le 1er (Tully), pour le traitement d’une brûlure et d’une acrodermatite entéropathique infantile (cas dans lequel le don de lait humain a été le seul traitement efficace) dans le second (Arnold). Des articles ont fait état de son utilisation chez un bébé souffrant de cancer, et dans le cas de transplantations hépatiques (Arnold ; Merhav). Il a été utilisé chez 3 bébés souffrant respectivement d’une uropathie obstructive, d’une hydronéphrose et d’une insuffisance rénale sévère (Anderson & Arnold), chez un bébé souffrant d’un trouble congénital de la néoglucogenèse (Arnold), pour la correction d’une stagnation staturo-pondérale chez 4 bébés présentant diverses pathologies (Arnold). Deux articles présentaient son utilisation chez au total 6 nourrissons souffrant de pathologies variées et sévères, l’auteur ayant par ailleurs évalué les économies réalisées par l’utilisation de lait humain sur le coût du traitement de ces enfants dans l’un d’entre eux (Arnold), l’autre listant les circonstances ayant donné lieu à l’utilisation de lait humain provenant de lactariums dans des circonstances inhabituelles (Tully). Il a également été utilisé chez des adultes, pour traiter un reflux gastro-œsophagien suffisamment sévère pour avoir nécessité plusieurs hospitalisations (Wigginds PK & Arnold LDW). Un cas d’utilisation pour le traitement d’un glaucome a été rapporté par une lectrice des Dossiers de l’Allaitement (David). Il a également été utilisé comme traitement d’appoint pour améliorer la qualité de vie chez des cancéreux (Bowers ; McGuire). Une étude pilote cas-témoin très récente a évalué l’intérêt de l’administration intranasale de lait maternel fraîchement exprimé dans le traitement des hémorragies intraventriculaires sévères chez de très grands prématurés, et elle rapportait un taux de séquelles sévères 2,8 fois plus élevé chez les enfants du groupe témoin, ainsi qu’une évolution remarquablement bonne chez 6 enfants du groupe intervention contre aucun du groupe témoin (Keller).
En conclusion
Les données compilées dans cet article sont fondées sur des études publiées en anglais et disponibles dans les bases de données. Il existe probablement nombre d’autres études publiées dans d’autres langues et/ou rapportant des expériences anecdotiques. Il est nécessaire de garder à l’esprit que l’expérience empirique n’est pas dépourvue de valeur, même si elle peut sembler "non scientifique". Le lait humain est utilisé dans de nombreuses cultures pour soigner divers problèmes. Il contient de nombreux facteurs immunocompétents, anti-inflammatoires et bioactifs, ainsi qu’une gamme de cellules et une flore bénéfique (lactobacilles, bifidobactéries…) qui peuvent expliquer son efficacité, même si le mécanisme de leur impact est loin d’être toujours connu. On sait que ces facteurs ont un impact protecteur chez l’enfant allaité, mais également au niveau de la glande mammaire (Arroyo ; Hassiotou ; Heikkila). Le fait que le lait humain soit gratuit et facilement disponible dans de nombreux pays où les mères et les enfants n’ont pas facilement accès à un suivi médical est à prendre en compte. Le taux, les variations individuelles et les facteurs influençant les taux de tous ces facteurs en fonction du stade de la lactation restent mal connus. La complexité et la variabilité du lait humain pourraient expliquer au moins en partie les résultats contradictoires obtenus par certaines études. À noter que le lait humain frais est également susceptible de contenir des germes pathogènes, et que cela pourrait représenter un risque lors de certaines utilisations thérapeutiques (traitement des conjonctivites par exemple).
L’utilisation thérapeutique du lait humain mérite d’être étudiée de façon plus approfondie, en particulier pour les résultats des études in vitro, qui doivent être confortés par des études cliniques (de préférence randomisées et multicentriques). Savoir que leur lait peut être utilisé sans risque pour traiter divers problèmes peut également encourager certaines mères à allaiter plus longtemps et pas seulement pour les bénéfices nutritionnels de leur lait.
Références bibliographiques dans le n° 156 des Dossiers de l'allaitement.
Il y a très peu d'études sur ces utilisations thérapeutiques du lait maternel, qu'il soit frais ou congelé. C'est surtout des retours d'expérience de personnes ayant testé. Et là, on a des exemples de personnes ayant utilisé du lait congelé avec de bons résultats.
On ne peut guère en dire plus.
Est-ce que les vertus du lait maternel frais mentionnées ci-dessus sont valables également pour le lait maternel congelé?
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