Publié dans le n° 156 des Dossiers de l'allaitement, mars 2020
D'après : Breastfeeding and breast cancer : managing lactation in survivors and women with a new diagnostic. Johnson HM, Mitchell KB. Ann Surg Oncol 2019 ; 26(10) : 3032-9.
Des études ont constaté que l’allaitement était corrélé à un risque plus bas de cancer du sein. Toutefois, la grossesse et le post-partum sont des périodes pendant lesquelles le risque de cancer du sein est plus élevé. De plus, les cancers survenant pendant ces périodes sont habituellement très agressifs. Tous les oncologues seront donc confrontés un jour à la gestion d’un cancer du sein (premier diagnostic ou récidive) survenant chez une femme allaitante. Les auteurs font le point sur le sujet.
Les traitements subis pour soigner un cancer du sein (en particulier chirurgie et radiothérapie) auront un impact sur la capacité ultérieure d’une femme à allaiter. Ces femmes devront être informées sur le sujet et être soutenues dans la mesure où l’impossibilité d’obtenir une production lactée suffisante pourra être une source de stress chez elles. Il leur sera utile de voir un(e) IBCLC pendant la grossesse pour discuter des implications des traitements du cancer et des possibilités et stratégies à mettre en œuvre, avec en particulier des pratiques optimales de démarrage de l’allaitement (première mise au sein précoce, tétées fréquentes, prévention des problèmes courants du démarrage de l’allaitement…). Actuellement, rien ne permet de penser que le fait d’allaiter soit susceptible d’augmenter le risque de récidive d’un cancer du sein. Si une mastectomie totale a été pratiquée, on peut expliquer à la femme qu’il est possible d’avoir une production lactée suffisante avec l’autre sein. Les femmes ayant subi une tumorectomie ou une mastectomie partielle auront une production lactée au niveau du sein concerné, mais les études sur le sujet ont constaté qu’elle était généralement significativement plus basse. La chirurgie peut avoir enlevé une partie plus ou moins importante de tissu mammaire, avoir sectionné des canaux lactifères et/ou touché l’innervation du mamelon. Des données anecdotiques montrent qu’il existe un certain degré de recanalisation et de régénérescence des nerfs après une chirurgie mammaire, mais la radiothérapie supprimera plus ou moins totalement ces réparations spontanées. En effet, l’irradiation induit une fibrose et/ou une atrophie des tissus concernés qui semble irréversible, avec un impact important sur l’élasticité des tissus et sur la production lactée. La chimiothérapie peut également induire des modifications histopathologiques irréversibles au niveau du tissu mammaire avec un impact négatif sur la lactation. Une étude observationnelle a constaté que cet impact négatif était plus fréquent avec certains produits et lorsque la femme avait subi un nombre plus important de cycles de chimiothérapie. Les femmes qui ont un cancer positif pour les récepteurs hormonaux se verront prescrire une hormonothérapie. Les anti-aromatases sont contre-indiquées pendant l’allaitement, car elles sont excrétées dans le lait et peuvent avoir un impact anti-œstrogène chez l’enfant allaité. Il n’existe pas de données sur l’excrétion lactée du tamoxifène ; il a un impact négatif connu sur la montée de lait, mais on ignore s’il a également un impact négatif sur une lactation en cours. Ce produit est habituellement déconseillé pendant la grossesse et l’allaitement. Voir notamment sur e-lactancia : "En attendant de disposer de plus de données sur ce produit en relation avec l'allaitement, les associations scientifiques et les auteurs experts déconseillent fortement l'allaitement pendant la prise de tamoxifène en raison du risque d'interférence avec l'équilibre œstrogénique du nourrisson (Hale 2017 p.906, Pistilli 2013, OMS 2002, Helewa 2002)".
Lorsqu’un cancer du sein est diagnostiqué chez une mère allaitante, il sera nécessaire de discuter avec elles des diverses options de traitement, de leur impact sur l’allaitement et de la nécessité très probable de sevrer son enfant. La nécessité d’un sevrage plus précoce que souhaité venant s’ajouter au diagnostic de cancer augmentera encore le stress de la mère et un soutien adapté, pratique (aide au sevrage) et émotionnel sera essentiel. La prise de produits favorisant la baisse de la production lactée pourra être utile (cabergoline, pseudoéphédrine…). L’imagerie médicale nécessaire au bilan du cancer n’est pas une contre-indication à l’allaitement, que ce soit la mammographie, l’IRM ou la tomosynthèse. Les seins lactants sont nettement plus denses, et on peut recommander à la mère d’allaiter son enfant juste avant l’examen. La scintigraphie et le PET scan utilisent des radionucléotides qui ne sont pas excrétés dans le lait maternel, mais qui pourront nécessiter une courte séparation mère-enfant en raison de la radioactivité émise par le corps maternel. Les cancers agressifs survenant pendant l’allaitement seront traités par chimiothérapie, les produits utilisés contre-indiquant l’allaitement. Ils ont en effet une toxicité élevée. Il serait théoriquement possible de reprendre l’allaitement après leur élimination, mais leur longue demi-vie et la succession des cycles de chimiothérapie font qu’en pratique, les jours pendant lesquels la mère pourra reprendre l’allaitement seront peu nombreux. La mère qui souhaite tirer et jeter son lait pour entretenir sa lactation pendant les périodes où le produit est excrété dans le lait sera informée sur le sujet et soutenue. À noter que la chimiothérapie est susceptible d’avoir un impact sur le métabolome et le microbiote du lait maternel. Il n’existe aucune donnée sur l’excrétion lactée des agents anti-HER2. Ce sont des anticorps monoclonaux et une excrétion lactée significative est improbable, mais ils sont très souvent utilisés en combinaison avec d’autres produits déconseillés ou contre-indiqués pendant l’allaitement.
La chirurgie d’un sein lactant peut présenter des complications spécifiques liées à l’hypervascularisation de la glande mammaire, à la présence de germes dans le lait maternel, ainsi que la possibilité de fistules avec écoulement de lait au niveau de l’incision. Toutefois, le lait humain contient également des facteurs anti-infectieux et anti-inflammatoires susceptibles d’abaisser le risque d’infection, et les études sur le sujet n’ont pas rapporté un taux plus élevé de surinfection suite à la chirurgie mammaire chez des femmes allaitantes par rapport à des femmes non allaitantes. Il n’existe aucun consensus concernant un quelconque délai à respecter entre le sevrage et la chirurgie mammaire. Même si la production lactée est presque complètement arrêtée dans la plupart des cas 6 semaines après l’arrêt de l’allaitement, une étude a constaté que l’involution mammaire chez la femme était totale seulement 12 à 18 mois après le sevrage, et qu’une sécrétion lactée très basse peut donc perdurer pendant des mois. Cela ne doit pas amener à retarder la chirurgie oncologique. La poursuite de l’allaitement avec le sein controlatéral est tout à fait possible en l’absence de chimiothérapie si la femme le souhaite : avec des tétées fréquentes, la production lactée augmentera au niveau de ce sein. Dans certains cas de tumeurs détectées très précocement et pour lesquelles une tumorectomie sera estimée suffisante comme traitement, il est recommandé d’éviter d’inciser le sein dans la zone aréolaire afin de permettre la reprise de l’allaitement après la chirurgie.
Il n’existe pas de données concernant l’excrétion lactée du bleu de méthylène ou du bleu d’isosulfan utilisés pour la lymphographie des ganglions sentinelles. On recommande une suspension de 24 heures de l’allaitement après administration en IV, ainsi qu’après injection intradermique d’un radionucléotide pour cette même recherche. Une suspension de 0 à 24 heures est conseillée après administration IV de technétium 99m. Certains auteurs recommandent une mastectomie prophylactique du sein controlatéral chez les femmes à haut risque (mutation BRCA), tandis que d’autres préconisent une surveillance étroite. Les femmes concernées doivent être informées que si cela apaise le risque de survenue d’un cancer du sein, une méta-analyse de la Cochrane concluait que les données actuelles ne permettaient pas de savoir dans quelle mesure cela présentait des bénéfices sur le plan de la durée de survie. De plus, la mastectomie controlatérale prophylactique n’est pas dénuée de complications. Globalement, la balance bénéfices/risques de cette pratique reste difficile à déterminer. L’équipe qui suit ces mères devra veiller à leur administrer autant que faire se peut des traitements péri-opératoires compatibles avec l’allaitement si la mère choisit de le poursuivre, et à leur permettre de mettre leur bébé au sein ou de tirer leur lait rapidement après la chirurgie mammaire.
Les mères allaitantes qui présentent une récidive de cancer du sein ou chez qui un tel cancer est diagnostiqué constituent une population spécifique qui nécessite une gestion du cancer adaptée, faisant appel si possible à des professionnels compétents en matière d’allaitement. Beaucoup de choses restent encore mal connues dans le domaine de la gestion de l’allaitement chez une femme présentant un cancer du sein. D’autres études sur le sujet sont nécessaires, ainsi que dans un domaine intéressant : celui de la possibilité de dépister très précisément le risque de cancer du sein grâce à l’étude des cellules présentes dans le lait maternel.
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