Paru dans le n° 157 des Dossiers del'allaitement, avril 2020.
D'après : Complications following frenotomy for ankyloglossia : a 24 month prospective New Zealand Paediatric Surveillance Unit study. Hale M et al. J Paediatr Child Health 2020
L’ankyloglossie se caractérise par un frein lingual trop court et/ou épais, qui limite les mouvements de la langue, ce qui peut interférer avec l’allaitement en début de vie, et avec le langage par la suite. Ses critères de diagnostic et son traitement font l’objet de débats dans la mesure où de nombreux bébés qui semblent présenter une ankyloglossie n’ont aucun problème d’allaitement. Le pourcentage d’ankyloglossie va de 0,1 à 10,7 % suivant les études. En cas de problème d’allaitement, on recommande une freinotomie, traditionnellement effectuée aux ciseaux (mais de plus en plus souvent au laser). Dans certains cas, on recommande de sectionner également le frein labial supérieur. Une étude récente a, pour la première fois, décrit en détail la structure anatomique du frein lingual ; il n’est pas une bande de tissu distincte, mais il est une sorte de repli du fascia qui constitue le plancher buccal. Dans de nombreux pays, le pourcentage de nourrissons chez qui on diagnostique une ankyloglossie et qui subissent une freinotomie a beaucoup augmenté, et cette procédure a la réputation d’être sans danger et quasiment indolore. Mais de plus en plus de spécialistes estiment que non seulement ce n’est pas exact, mais que de plus elle risque de retarder le diagnostic du problème réel. L’objectif de cette étude était de rechercher le taux de complications sévères suite à une freinotomie effectuée par les pédiatres néo-zélandais exerçant en milieu hospitalier.
Le New Zealand Paediatric Surveillance Unit (NZPSU) a pour objectif de suivre certaines pathologies infantiles peu courantes via des rapports mensuels électroniques complétés par les pédiatres. Pendant la période d’étude choisie (août 2016 à juillet 2018), 89 % des pédiatres ont complété ces rapports. Les auteurs ont pris en compte les enfants de moins de 12 mois chez qui toute complication consécutive à une freinotomie a été constatée par un pédiatre. Pour chaque notification d’une complication, on a demandé au pédiatre de compléter un questionnaire plus détaillé sur le cas.
Pendant la période concernée, 17 pédiatres ont rapporté 23 cas de complications suite à une freinotomie, et un rapport détaillé sur le cas a été complété pour 16 cas. Cela correspondait à une incidence annuelle de 13,9/100 000 enfants (susceptible d’être nettement plus élevée si on extrapole le nombre moyen de cas rapportés par chaque pédiatre aux pédiatres qui n’ont pas fourni les rapports mensuels). La freinotomie avait été effectuée entre 1 et 79 jours (31,7 jours en moyenne) et la complication était survenue entre 6 et 206 jours (45,3 jours en moyenne). 14 enfants étaient d’origine européenne, les autres étant Maori ou Asiatiques. Les raisons ayant amené à effectuer une freinotomie étaient les problèmes d’allaitement (13 enfants), la douleur éprouvée par la mère (3 enfants), une prise de poids insuffisante (3 enfants), la raison étant non spécifiée pour les autres enfants. Le diagnostic d’ankyloglossie avait été posé par une IBCLC ou une sage-femme dans 12 cas, par un orthophoniste dans 1 cas, par les parents dans 1 cas, par une personne inconnue dans les autres cas. La freinotomie a été effectuée dans une consultation privée chez 8 enfants, à l’hôpital pour 6 enfants, dans un autre cadre privé pour 1 enfant, et dans un lieu inconnu dans les autres cas. Elle a été pratiquée par des médecins généralistes, des IBCLC, des otolaryngologistes, un pédiatre… Dans 9 cas, la technique de freinotomie était inconnue. Elle concernait une ankyloglossie antérieure dans 8 cas, 8 enfants ont eu le frein labial supérieur sectionné et 8 bébés ont eu au moins 2 types de frein sectionnés. 4 bébés avaient déjà subi une ou plusieurs freinotomies auparavant.
Les principales complications rapportées étaient des problèmes de succion (44 %), des épisodes d’apnée ou d’autres problèmes respiratoires (25 %), des manifestations de douleur (19 %), des saignements (19 %) et une perte de poids (19 %). Les complications ont été visibles presque immédiatement dans 38 % des cas. Une aversion orale a été constatée chez un nourrisson. Chez 3 enfants, la freinotomie a retardé le diagnostic d’un problème médical sous-jacent (malformation cardiaque, déshydratation sévère, perte de poids importante). La complication a été à l’origine d’une hospitalisation dans 75 % des cas, pendant une durée moyenne de 3,7 jours (1 à 14 jours). L’un des bébés a présenté un saignement suffisamment important pour nécessiter un traitement chirurgical, des transfusions et un traitement par vitamine K (le bilan biologique a constaté une carence en cette vitamine K alors qu’il en avait reçu à la naissance).
Ces pédiatres ont fait des commentaires cliniques sur l’impact négatif de la freinotomie : aggravation de l’obstruction aérienne chez un nourrisson hospitalisé et placé sous ventilation en pression positive continue, perte de poids importante (plus de 20 %) et déshydratation hypernatrémique en raison des problèmes de succion alors qu’on avait affirmé aux parents que la freinotomie résoudrait ces problèmes… Ces pédiatres faisaient également état de conflits d’intérêt (la freinotomie rapportant de l’argent), et de l’absence de prise en compte suffisante du risque de complications. Ils signalaient que les familles regrettaient d’avoir accepté la freinotomie, qu’elles n’avaient pas été informées des complications possibles et/ou que la freinotomie n’avait pas réglé le problème pour lequel elle leur avait été recommandée. Le cas le plus emblématique montrant l’importance d’un bilan approfondi avant de recommander une freinotomie était celui d’un bébé de 4 semaines qui a fait une apnée sévère pendant la procédure, pour laquelle il a été immédiatement hospitalisé. Le bilan a constaté l’existence d’une malformation cardiaque congénitale qui était à l’origine des problèmes constatés. La freinotomie (langue et lèvre supérieure) avait été effectuée au laser par un dentiste, l’enfant ayant été référé par une IBCLC.
Il n’existe pas de statistiques nationales sur la prévalence de l’ankyloglossie et des freinotomies en Nouvelle-Zélande, mais les données d’une enquête dans l’une des provinces permettent d’estimer la prévalence des freinotomies à environ 12 % des enfants, environ 1 % d’entre elles étant à l’origine de complications sévères. Il est préoccupant de constater que, dans cette étude, la freinotomie a été effectuée dans la majorité des cas dans un cadre qui n’était pas équipé pour gérer une complication immédiate et importante telle qu’une apnée. Il est également inquiétant de constater que 3 enfants ont subi une freinotomie pour des problèmes qui étaient en fait en rapport avec une autre pathologie potentiellement grave dont le diagnostic a de ce fait été retardé. Le fait que plusieurs enfants avaient déjà subi une ou plusieurs freinotomies avant celle qui a induit la complication rapportée dans cette étude doit amener à se poser des questions : ne serait-il pas nécessaire de rechercher attentivement d’autres causes possibles lorsqu’une première freinotomie n’a eu aucun impact positif ?
Cette étude présente des limitations. Elle a été menée uniquement auprès de pédiatres exerçant en milieu hospitalier (et tous n’ont pas fourni toutes les données nécessaires), alors que les pédiatres exerçant dans un autre cadre doivent probablement rencontrer des cas similaires. Il est très possible que le taux de complications soit sous-estimé, même si on peut supposer que les complications qui n’ont pas nécessité d’hospitalisation sont probablement mineures. Cette étude n’était pas conçue pour assurer un suivi des enfants concernés, ou obtenir des données objectives et précises sur les indications ayant amené à pratiquer une freinotomie. Ces résultats montrent toutefois que les praticiens qui effectuent des freinotomies doivent être conscients de la possibilité de complications sérieuses. Les parents doivent en être informés. Les personnes qui évaluent la situation en cas de problème d’allaitement ne devraient pas recommander une freinotomie sans avoir évalué l’ensemble de la situation de façon approfondie et, dans l’idéal, les parents devraient demander un second avis avant d’envisager la freinotomie.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci