Publié dans le n° 157 des Dossiers de l'allaitement, avril 2020.
D’après : Migraine drug therapy during breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2019 ; 14(7) : 445-7.
La migraine se caractérise par la survenue récurrente de céphalées sous forme de crises de quelques heures à quelques jours, parfois précédées de manifestations neurologiques transitoires ou "aura". Les crises peuvent être suffisamment douloureuses pour provoquer l’alitement et avoir un impact négatif sur la vie familiale et professionnelle. La migraine touche environ 12 % de la population. Elle est deux fois plus fréquente chez les femmes que chez les hommes à l’âge adulte (18 % contre 6 %). Si la grossesse induit souvent un abaissement de la fréquence des crises, cette fréquence réaugmentera habituellement après l’accouchement, et le climat hormonal de l’allaitement peut même, dans certains cas, induire une aggravation de la symptomatologie. Bien qu’il n’existe aucune donnée montrant qu’il existe des relations entre les migraines et l’allaitement, la fatigue et le manque de sommeil, courants chez les nouvelles mères, peuvent favoriser la survenue de crises migraineuses.
Plusieurs classes de médicaments sont utilisées dans le traitement de la crise de migraine : antalgiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens, dérivés de l'ergot de seigle, triptans... D'autres substances (en particulier caféine et antiémétiques) peuvent s'avérer des adjuvants utiles. Les traitements antimigraineux peuvent par ailleurs être répartis en deux groupes : les traitements de fond destinés à prévenir les crises, et les traitements de la crise. Le traitement de fond de la migraine a pour objectif la réduction de la fréquence des crises. Il est généralement proposé aux personnes qui présentent au moins deux crises importantes par mois. Diverses stratégies non médicamenteuses peuvent également être utilisées (relaxation, thérapie cognitive et comportementale, biofeedback, techniques de gestion du stress, méditation, yoga, réflexologie…) pendant la grossesse et l’allaitement.
Anticonvulsivants
Divers anticonvulsivants ont été utilisés pour la prophylaxie antimigraineuse, mais le valproate et le topiramate sont les plus efficaces.
• Le valproate (Depakine®, Depakote®…) est couramment utilisé pour le traitement de l’épilepsie pendant l’allaitement. Son excrétion lactée est très faible et le taux sérique des enfants allaités par une mère sous valproate en monothérapie est compris entre indétectable et très bas. Le valproate ne semble pas avoir d’effets secondaires démontrés chez l’enfant allaité et il est considéré comme compatible avec l’allaitement.
• Il existe moins de données sur l’excrétion lactée du topiramate (Epitomax®), mais des posologies maternelles allant jusqu’à 200 mg/jour induisent un taux lacté relativement bas. Un cas de diarrhée aqueuse a été rapporté chez le bébé d’une mère dont le taux lacté de topiramate était relativement élevé.
• Le lévétiracétam (Keppra®, Levidcen®) est également utilisé dans ce cadre, et les études sur son excrétion lactée montrent que des posologies maternelles allant jusqu’à 3 500 mg/jour sont corrélées à un taux lacté trop bas pour induire un impact chez l’enfant allaité. Il semble toutefois que le lévétiracétam puisse abaisser la production lactée chez certaines femmes.
L’enfant allaité par une mère traitée par ces produits devra être suivi sur le plan de l’état d’éveil, de la prise de poids et du développement général, en particulier s’il est un petit nourrisson exclusivement allaité.
Antidépresseurs
Des antidépresseurs peuvent également être utilisés.
• L’amitriptyline (Elavil®, Laroxyl®) est le produit dont l’efficacité semble la plus élevée. Son excrétion lactée est faible, ainsi que celle de ses métabolites. Elle semble n’avoir aucun impact sur le développement infantile, mais quelques cas de sédation ont été rapportés chez l’enfant allaité.
• La venlafaxine (Effexor®) peut également être utilisée. Ce produit et son métabolite actif sont excrétés dans le lait maternel et sont retrouvés dans le sang de l’enfant, mais les effets secondaires chez ce dernier sont rares. La prise pendant la grossesse peut induire un syndrome de sevrage après la naissance.
• La sertraline (Zoloft®) et la paroxétine (Deroxat®, Divarius®) sont à préférer en raison de leur faible excrétion lactée et de l’absence d’effets secondaires rapportés chez les enfants allaités. La prise d’IRS pendant la grossesse peut retarder la montée de lait. Les mères ayant pris un antidépresseur pendant la grossesse pourront avoir besoin d’un soutien plus actif pour le démarrage de l’allaitement.
Bêta-bloquants
Divers bêta-bloquants sont utilisés pour le traitement des migraines (aténolol, labétalol, métoprolol, nadolol, propranolol et timolol). Le métoprolol et le propranolol semblent être les plus efficaces, et ils sont de plus à privilégier en raison de leur faible excrétion lactée.
• Toutes les études menées sur le métoprolol (Lopressor®, Seloken®) ont constaté un taux lacté supérieur au taux sérique, avec un rapport lait/plasma allant de 2 à 8. Cependant, la quantité absorbée par l’enfant était négligeable. Une étude portant sur 3 femmes qui ont pris 100 mg 2 fois par jour pendant 4 jours a constaté un taux lacté maximum de 0,69 mg/l. Dans une autre étude sur 9 femmes prenant 50 à 100 mg 2 fois par jour à l’occasion d’un traitement au long cours, le taux lacté était en moyenne sur la journée de 0,28 mg/l. L’enfant recevait au maximum 0,07 mg/kg/jour. Dans une autre étude, il recevait moins de 0,009 mg/kg par tétée. Aucun enfant n’a présenté d’effet secondaire. Il est considéré comme compatible avec l’allaitement.
• L’excrétion lactée du propranolol (Adrexan®, Avlocardyl®, Hémipralon®) a été étudiée chez une femme après prise d’une seule dose de 40 mg, et après prise au long cours de 40 mg 4 fois par jour. Lors d’une prise unique de 40 mg, le pic plasmatique et lacté était observé 2 à 3 heures après absorption, le taux lacté représentant environ 40 % du taux sérique. Après prise au long cours, le taux lacté représentait moins de 64 % du taux sérique 3 heures après la prise la plus récente, mais le taux lacté était similaire au taux sérique à un autre moment ; pour une absorption de 500 ml de lait maternel, l’enfant recevait au maximum 0,021 mg/jour de propranolol ; ce chiffre est très inférieur à la posologie pédiatrique (0,60 mg/kg/jour). Selon une autre étude, l’enfant reçoit au maximum 0,041 mg/kg/jour de propranolol. Un autre auteur faisait état d’un taux lacté de 4 à 20 µg/l chez une femme prenant 40 mg/jour de propranolol, l’enfant recevant environ 0,003 mg/jour. D’autres études ont donné des résultats similaires. Dans l’ensemble, les auteurs estimaient que l’enfant recevait approximativement 0,1 % de la dose prise par la mère pour un taux lacté moyen de 35,4 µg/l (soit nettement moins que pendant la grossesse). Il n’a pas été rapporté d’effets secondaires liés à l’utilisation du propranolol, qui est considéré comme compatible avec l’allaitement.
• L’aténolol (Ténordate®, Ténormine®) passe plus fortement dans le lait et des effets secondaires ont été rapportés chez des nourrissons allaités ; il est donc préférable de l’éviter, en particulier si l’enfant est un nourrisson.
• Le vérapamil (Isoptine®, Tarka®) semble efficace même si les données sur son utilisation pour la prophylaxie des migraines restent succinctes. Des doses maternelles allant jusqu’à 360 mg/jour induisent une faible excrétion lactée ; le vérapamil peut être retrouvé dans le sang de l’enfant à un taux faible.
Antisérotoninergiques
Des antisérotoninergiques sont utilisés pour le traitement de fond de la migraine. Il n’existe aucune donnée sur l’excrétion lactée de ces molécules, dont l’utilisation est déconseillée pendant l’allaitement.
• La flunarizine (Sibélium®) est utilisée lorsque tous les autres produits se sont avérés inefficaces. Elle est liée à 99 % aux protéines plasmatiques. Son volume de distribution est très élevé. Sa demi-vie est très longue (18-19 jours). Aucun effet secondaire n’a été rapporté suite à son utilisation chez une mère allaitante, mais son utilisation est déconseillée, sa très longue demi-vie étant susceptible d’induire une accumulation chez l’enfant allaité.
• L’indoramine (Vidora®) est fixée à 80 % aux protéines plasmatiques, et sa demi-vie est de 3 à 8 heures. Il existe d’importantes différences individuelles dans son métabolisme.
• Il existe peu de données pharmacocinétiques sur l’oxétorone (Nocertone®). Si sa biodisponibilité orale est basse, sa demi-vie est d’environ 24 heures.
• Le pizotifène (Sanmigran®) est lié à plus de 90 % aux protéines plasmatiques. Sa demi-vie est d’environ 23 heures. Il n’existe aucune donnée sur l’utilisation de ces deux dernières molécules pendant l’allaitement.
Toxine botulinique A
La toxine botulinique A (Azzalure®, Botox®, Bocouture®, Dysport®…) est administrée en intramusculaire via 31 injections au niveau de 7 zones spécifiques de la tête et du cou pour la prophylaxie des migraines chroniques. Il n’existe pas de données sur son excrétion lactée dans ce cadre. Toutefois, la toxine botulinique reste indétectable dans le sang maternel après administration intramusculaire, et son excrétion lactée est donc hautement improbable. Des mères ont allaité alors qu’elles souffraient de botulisme sans que la toxine soit détectable dans le lait ou dans le sang de leur enfant et sans effet négatif chez ce dernier. Elle est donc utilisable pendant l’allaitement.
Anticorps monoclonaux
Trois anticorps monoclonaux sont utilisés pour leur capacité à se fixer sur le peptide relié au gène calcitonine (PRGC), un médiateur de la douleur. Ces produits peuvent être auto-injectés en sous-cutané.
L’érénumab (Aiùpvog®) est injecté une fois par mois, le frémanézumab l’est une fois par mois ou tous les trimestres (administration de trois fois la dose mensuelle), et le galcanézumab est administré tous les mois après une dose de charge de deux fois la dose mensuelle. Ces produits sont très coûteux et ils sont donc utilisés uniquement si tous les autres traitements se sont avérés inefficaces. S’il existe très peu de données sur l’excrétion lactée de ces produits, les anticorps monoclonaux ne sont pas considérés comme contre-indiqués pendant l’allaitement en raison de leur poids moléculaire très élevé (rendant hautement improbable une excrétion lactée significative) et de leur biodisponibilité orale à peu près nulle (ils seront a priori détruits dans le tractus digestif de l’enfant). L’érénumab est le seul produit dont l’utilisation chez une mère allaitante a été suivie, et aucun effet secondaire n’a été constaté chez l’enfant allaité, mais l’excrétion lactée du produit n’a pas été recherchée. En cas de traitement maternel par anticorps monoclonaux, l’enfant allaité sera suivi régulièrement, en particulier s’il est un nouveau-né ou un prématuré.
Suppléments alimentaires
La prise de suppléments alimentaires a été proposée. Le magnésium, la riboflavine et le coenzyme Q 10 semblent avoir un certain degré d’efficacité, bien que les études les concernant soient de qualité insuffisante. Aucun de ces produits n’est déconseillé pendant l’allaitement. La grande camomille (Tanacetum parthenium) est une plante traditionnellement utilisée pour la prévention des migraines. Il n’existe aucune donnée sur son excrétion lactée ou sur son niveau d’efficacité et de sécurité dans ce cadre pendant l’allaitement. Elle est habituellement bien tolérée chez les adultes, mais il semble qu’un arrêt brutal de la prise favorise un rebond des crises de migraines. En raison du manque de données sur son utilisation pendant l’allaitement, il est préférable de l’éviter.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci