Publié dans le n° 161 des Dossiers de l'allaitement, juillet 2020.
D'après : The ketogenic diet including breast milk for treatment of infants with severe childhood epilepsy : feasibility, safety, and effectiveness. Dressler A et al. Breastfeeding Medicine 2020 ; 15(2) : 72-8.
Le régime cétogène est très riche en lipides et pauvre en glucides. Il est utilisé pour le traitement des épilepsies infantiles sévères résistant au traitement médicamenteux, suite à l’amélioration des connaissances sur la façon dont le cerveau des nourrissons métabolise les cétones et à la conception de laits industriels adaptés à un régime cétogène. Lorsqu’un tel régime est mis en place, l’allaitement est habituellement remplacé par l’alimentation exclusive avec un lait cétogène, car les apports glucidiques doivent être très réduits. Cependant, le lait maternel présente de nombreux bénéfices et il semble souhaitable de chercher à maintenir ces bénéfices chez ces bébés particulièrement vulnérables sur le plan neurologique. Il existe peu de données sur l’inclusion du lait maternel dans un régime cétogène. Le but de cette étude était de comparer l’impact d’un régime cétogène incluant ou non du lait maternel, afin de mieux évaluer la faisabilité, l’efficacité et le niveau de sécurité d’un apport en lait maternel.
Pour cette étude rétrospective, les auteurs ont analysé les dossiers de tous les enfants traités par un régime cétogène dans leur service spécialisé d’un CHU de Vienne (Autriche) entre 1999 et 2018. Ils ont sélectionné les enfants de < 12 mois qui avaient été nourris avec un lait industriel cétogène (les mères qui allaitaient étant invitées à inclure leur lait dans l’alimentation de leur enfant), et qui ne recevaient pas d’alimentation parentérale. Avant le placement sous régime cétogène, l’enfant a été hospitalisé, un bilan clinique et biologique détaillé a été effectué, et les modalités précises du régime ont été déterminées par un nutritionniste spécialisé dans le suivi de ces enfants. En fonction de ces recommandations, le lait industriel cétogène a été mélangé avec un pourcentage donné de lait industriel standard ou de lait maternel exprimé (en privilégiant le lait de fin de tétée apportant davantage de lipides). L’adéquation du régime a été évaluée à partir du taux sérique infantile de bêta-hydroxybutyrate (ce taux devant être compris entre < 2 et 5 mmol/l), les apports lipidiques étant adaptés en fonction de ce taux. Lorsque le résultat souhaité était obtenu, les mères ont été encouragées à remettre leur bébé au sein si elles le souhaitaient, le bébé recevant au biberon la quantité préconisée de lait industriel cétogène avant les tétées. La glycémie, le taux de bêta-hydroxybutyrate et le taux urinaire de cétones étaient mesurés trois fois par jour. Ce suivi s’est poursuivi après le retour au domicile, les parents notant les modalités précises de l’alimentation de leur enfant ainsi que les crises convulsives. Les enfants ont été régulièrement suivis sur le plan pédiatrique, nutritionnel et neurologique.
Les données nécessaires ont été collectées pour 16 enfants recevant du lait maternel (Al) et 63 enfants exclusivement nourris au lait industriel standard + cétogène (LISC). L’épilepsie avait été diagnostiquée en moyenne à respectivement 2,2 et 3,1 mois, et le régime cétogène avait été débuté à 5,3 et 6,7 mois. Respectivement 2 et 8 enfants n’avaient reçu aucun médicament antiépileptique avant le démarrage du régime cétogène, les autres enfants en ayant pris 1 à 3. Toutes les mères qui allaitaient au moment du démarrage de l’étude ont souhaité continuer à le faire. Le temps nécessaire à l’obtention d’un état de cétose était en moyenne de 47 heures chez les enfants du groupe Al et de 41 heures chez les enfants du groupe LISC. L’efficacité a été similaire dans les deux groupes ; respectivement 67 et 70 % des enfants répondaient au traitement après 3 mois (baisse de > 50 % de la fréquence des crises convulsives) et respectivement 53 et 36 % ne présentaient plus de crises au suivi final. Après le démarrage du régime, les enfants du groupe Al avaient des apports caloriques significativement plus élevés. Chez les enfants du groupe Al, le lait maternel représentait en moyenne 30 % des apports liquidiens le premier jour du régime cétogène et 9 % de ces apports le troisième jour. L’allaitement de ces enfants s’est poursuivi pendant 127 jours en moyenne (7 à 482 jours). La croissance des enfants a été similaire dans les deux groupes. 8 des 16 mères qui allaitaient au démarrage du régime ont continué à allaiter pendant > 3 mois et 5 mères ont arrêté dans le mois qui a suivi le début du régime. 5 mères ont poursuivi l’allaitement directement au sein, soit dès le départ, soit après une période de don de lait maternel exprimé. 4 mères n’ont jamais utilisé de lait industriel. Aucun effet secondaire significatif n’a été rapporté, et leur prévalence était similaire dans les deux groupes (constipation, faibles apports liquides, taux élevé de triglycérides de façon intermittente…). Aucun enfant du groupe Al n’a présenté d’infection pendant le suivi, alors que 9 enfants du groupe LISC en ont présenté au moins une.
Cette étude montre qu’il est possible d’inclure du lait maternel dans un régime cétogène prescrit à des bébés souffrant d’épilepsie sévère, avec une efficacité et un niveau de sécurité similaires à ce qui est constaté avec un régime cétogène classique. Des conclusions similaires ont été faites concernant la gestion d’autres pathologies métaboliques, comme la phénylcétonurie. Les données portant sur ce régime chez des enfants allaités restent cependant très limitées, même dans le service des auteurs où les connaissances acquises sur le sujet les ont amenés à modifier leurs protocoles concernant le régime cétogène. Les auteurs estiment que l’on peut encourager la poursuite de l’allaitement. On déterminera le volume de lait industriel spécial que doit recevoir l’enfant au cas par cas, l’enfant pouvant recevoir à volonté du lait maternel donné au biberon ou directement au sein. En fonction du suivi biologique, le volume de lait industriel spécial sera ajusté. D’autres études sont nécessaires afin d’évaluer l’impact à long terme de l’inclusion du lait maternel dans un régime cétogène.
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