Publié dans le n° 162 des Dossiers de l'allaitement, septembre 2020
D'après : Antiepileptic drugs during breastfeeding. Anderson PO. Breastfeed Med 2020 ; 15(1) : 2-4.
Les mères traitées pour une épilepsie sont moins nombreuses à commencer à allaiter, probablement en raison de la crainte des effets secondaires de leur traitement chez leur bébé. Pourtant, nous disposons de données fiables concernant certains antiépileptiques, avec un suivi à long terme des enfants allaités. Une étude a suivi 181 enfants dont la mère était traitée par carbamazépine, lamotrigine, phénytoïne ou valproate (en monothérapie), les enfants ayant été suivis jusqu’à 6 ans. 78 enfants ont été allaités (pendant 7,2 mois en moyenne), et comparés aux 103 enfants qui ne l’ont pas été. Après ajustement pour les variables confondantes, le QI des enfants allaités était plus élevé que celui des enfants non allaités (108 versus 104), la différence étant essentiellement liée au sous-groupe des enfants traités par valproate ; chez ces derniers, les enfants allaités avaient un QI plus élevé de 12 points que les enfants non allaités (106 versus 94), l’impact des autres produits n’étant pas statistiquement significatif. Une étude norvégienne a suivi 223 mères traitées ou non par antiépileptiques pendant l’allaitement (lamotrigine, carbamazépine ou valproate en monothérapie), les enfants étant suivis jusqu’à 36 mois. Si les enfants exposés pendant la grossesse avaient un moins bon développement au niveau de la motricité fine, cet impact n’était pas constaté chez ceux qui avaient été allaités plus de 6 mois. Globalement, les données montrent que l’allaitement par une mère traitée par ces antiépileptiques n’a pas d’impact négatif sur le développement neurologique de l’enfant, et qu’il pourrait même contrebalancer un impact négatif de l’exposition in utero.
La carbamazépine (Tégrétol®) est excrétée à un taux relativement élevé dans le lait maternel. Les enfants allaités par les mères sous carbamazépine ont un taux sérique mesurable mais habituellement inférieur au taux thérapeutique. La plupart des enfants ne présenteront pas d’effet secondaire, mais des cas de sédation, de succion faible, de syndrome de sevrage au moment de l’arrêt de l’allaitement ont été rapportés, ainsi que 3 cas de dysfonctionnement hépatique. Dans tous ces cas, l’enfant avait été exposé in utero au traitement maternel et certaines femmes prenaient plusieurs antiépileptiques. Si l’enfant présente des signes de toxicité, il sera utile de faire un bilan hématologique et hépatique. La carbamazépine peut induire un syndrome de Stevens-Johnson ou un syndrome de Lyell de façon non dose-dépendante.
Le clobazam (Likozam®, Urbanyl®) semble faiblement excrété dans le lait humain suite à la prise de doses allant jusqu’à 30 mg/jour. Sa demi-vie est de 36 à 42 heures. Il est métabolisé en N-desméthylclobazam, dont l’activité est 5 fois plus basse que celle du clobazam, et dont la demi-vie est de 71 à 82 heures. Un effet négatif chez l’enfant allaité est hautement improbable, en particulier s’il a > 2 mois.
Le clonazépam (Rivotril®) peut induire une sédation chez le nourrisson allaité, en particulier si la mère prend également d’autres produits ayant un impact sédatif. Rechercher le taux sérique infantile de clonazépam en cas de sédation infantile importante pourra être utile.
L’éthosuximide (Petinimid®, Zarontin®) est excrété à un taux relativement élevé dans le lait humain. L’enfant allaité est exposé via le lait maternel à 50-60 % de la dose maternelle ajustée pour le poids, et le taux sérique infantile est de 25-30 % du taux sérique maternel. Même si aucun effet secondaire réellement attribuable à ce produit n’a été rapporté, l’éthosuximide est considéré comme à utiliser avec prudence. Son taux sérique infantile pourra être recherché si un impact négatif significatif est suspecté.
La gabapentine (Neurontin®) passe faiblement dans le lait avec des posologies maternelles allant jusqu’à 2,1 g/jour. La prise maternelle d’une dose unique de 300 ou 600 mg avant césarienne ne semble pas avoir d’impact sur le démarrage de l’allaitement.
Le lacosamide (Vimpat®) a fait l’objet de peu d’études chez la femme allaitante. Les données disponibles suggèrent qu’une posologie de 200 mg/jour induit une faible excrétion lactée. La prise de doses allant jusqu’à 400 mg/jour n’a pas eu d’impact négatif sur le développement de 3 enfants qui ont été allaités pendant 7-9 mois.
La lamotrigine (Lamictal®) a fait l’objet d’un certain nombre d’études, et il est nécessaire de distinguer l’impact à court et à long terme. Elle est excrétée dans le lait à un taux relativement élevé. Les bébés allaités ont un taux sérique de lamotrigine fortement corrélé au taux sérique et lacté de leur mère. La posologie maternelle doit souvent être augmentée pendant la grossesse car la lamotrigine est métabolisée plus rapidement pendant cette période. Si cette posologie n’est pas rapidement abaissée après la naissance, le taux maternel sérique et lacté peut augmenter fortement. Si aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les enfants allaités par une mère traitée par lamotrigine dans la majorité des cas, quelques cas d’effets indésirables ont été constatés. Une étude française a compilé des données sur les effets secondaires rapportés à un centre de pharmacovigilance sur une période de 26 ans, liés à la prise de médicaments par une mère allaitante. Parmi les 174 cas rapportés, la lamotrigine était en cause dans 6 cas, et c’était l’un des produits les plus suspectés en cas d’effets sérieux tels qu’une sédation, une hypotonie, une perte de poids et des problèmes hépatiques.
Un autre effet secondaire possible est la survenue d’un syndrome de sevrage chez l’enfant en cas d’arrêt brutal de l’allaitement. Un tel cas a été rapporté chez un enfant de 6 semaines dont la mère avait pris 200 mg/jour de lamotrigine pendant la grossesse et l’allaitement. Le syndrome de sevrage a débuté 2 semaines après l’arrêt de l’allaitement et a disparu en 48 heures après le démarrage chez lui d’un traitement par 1 mg/kg/jour de lamotrigine. Le développement moteur de l’enfant s’est normalisé 1 mois après l’arrêt de ce traitement. Les autres effets secondaires attribués à la lamotrigine sont une anémie, une augmentation des plaquettes, une augmentation des enzymes hépatiques ou une apnée en cas de posologie maternelle élevée. En cas de survenue d’un rash, l’allaitement devrait être suspendu jusqu’à ce qu’un diagnostic soit posé. En effet, une hospitalisation suite à un rash sévère a été rapportée chez 0,3 à 0,8 % des enfants de 2 à 17 ans directement traités par lamotrigine. Aucun cas de rash n’a été rapporté suite à une exposition via le lait maternel, mais cette possibilité ne peut pas être exclue.
Le lévétiracétam (Kepra®, Levidcen®) a fait l’objet d’études chez des femmes qui en prenaient jusqu’à 3 500 mg/jour. Il est faiblement excrété dans le lait et un effet secondaire chez l’enfant allaité est très improbable. Il existe des données suggérant qu’il peut parfois abaisser la production lactée maternelle.
L’oxcarbazépine (Trileptal®) a fait l’objet d’études incluant 17 enfants allaités, et le seul effet secondaire rapporté était un syndrome de sevrage en post-partum précoce, probablement lié à l’exposition in utero. L’allaitement semblait en limiter les symptômes. L’eslicarbazépine (Zebinix®) est un produit relativement nouveau, qui est le métabolite actif de l’oxcarbazépine. Il n’existe pas de données portant spécifiquement sur son excrétion lactée, mais on peut s’attendre à ce qu’elle soit similaire à celle de l’oxcarbazépine.
Le phénobarbital (Gardénal®) a une excrétion lactée très variable et qui peut être importante. La primidone (Mysoline®) est active en elle-même, mais elle est également métabolisée en phénobarbital. Une étude menée auprès de 9 mères traitées par primidone a fait état d’un taux sérique infantile de phénobarbital représentant 37 % du taux plasmatique de leur mère. Des effets secondaires ont été rapportés avec ces 2 produits : sédation et succion faible, ainsi qu’un syndrome de sevrage incluant des convulsions après un sevrage brutal. Ces 2 produits sont relativement peu utilisés dans le traitement de l’épilepsie en raison de leur impact sédatif.
La phénytoïne (Dilantin®, Di-hydan®, Diphantoïne®, Epanutin®) est faiblement excrétée dans le lait humain. Les effets secondaires chez l’enfant allaité sont rares lorsqu’elle est utilisée en monothérapie. Elle peut toutefois induire de rares réactions idiosyncrasiques. 2 enfants allaités (un l’étant exclusivement et l’autre partiellement) par une mère traitée par phénytoïne pendant la grossesse et le post-partum ont présenté une hyperexcitabilité lorsque leur taux sérique de phénytoïne est devenu inférieur à la limite de détection 3 à 6 semaines après la naissance. Un syndrome de sevrage suite à l’exposition in utero était beaucoup plus probable qu’un effet secondaire lié à l’exposition via le lait maternel. La phénytoïne peut induire un syndrome de Stevens-Johnson ou un syndrome de Lyell.
La prégabaline (Lyrica®) a fait l’objet de très peu d’études chez la femme allaitante. Une étude sur 10 femmes faisait état d’une exposition infantile de 0,31 mg/kg/jour, soit environ 7 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Elle semble donc utilisable pendant l’allaitement, mais il serait utile d’avoir davantage de données.
Le topiramate (Epitomax®) passe suffisamment dans le lait maternel pour être la plupart du temps détecté dans le sang de l’enfant, son taux sérique infantile représentant 10 à 20 % du taux plasmatique maternel. Dans la grande majorité des cas, aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les bébés allaités. Toutefois, un cas de diarrhée aqueuse et mousseuse (8-10 selles par jour) a été rapporté chez un bébé allaité de 40 jours dont la mère prenait 100 mg/jour de topiramate, et son taux lacté de topiramate était relativement élevé. La mère a arrêté l’allaitement 2 semaines plus tard et les selles se sont normalisées dans les 24 heures.
Le valproate (Dépakine®, Micropakine®) est faiblement excrété dans le lait humain, et son taux sérique infantile est faible ou inférieur à la limite de détection. Il est très largement utilisé depuis des décennies pour traiter l’épilepsie et le trouble bipolaire, sans qu’aucun effet secondaire avéré n’ait été rapporté chez les enfants allaités. Théoriquement, il pourrait présenter une toxicité hépatique, et on suivra donc l’enfant à la recherche d’un ictère ou d’un autre problème hépatique. Un cas de thrombocytopénie a été rapporté, mais il semble peu probable que le valproate soit en cause. Il sera toutefois prudent de suivre également la survenue de saignements anormaux chez l’enfant.
Le zonisamide (Zonegran®) a fait l’objet de 3 études concernant son excrétion lactée, qui ont montré que la prise maternelle de doses allant jusqu’à 400 mg/jour était à l’origine d’un taux lacté élevé. Dans une étude, le bébé d’une mère qui en prenait une dose non précisée pendant la grossesse puis pendant l’allaitement avait à J9 un taux sérique de zonisamide de 3,6 mg/l, soit 17 % du taux sérique maternel. La demi-vie sérique du zonisamide chez l’enfant était évaluée à environ 100 heures. Toutefois, le taux sérique infantile a baissé pendant le 1er mois post-partum en dépit de l’allaitement. Selon les études, le nourrisson allaité recevait via le lait maternel une dose représentant 17 à 36 % de la dose maternelle ajustée pour le poids. Certains estiment que les mères traitées par zonisamide devraient allaiter partiellement afin de limiter l’exposition de leur bébé à ce produit. Même si aucun effet secondaire n’a été rapporté chez les enfants allaités, ce produit semble présenter un risque plus élevé de syndrome de Stevens-Johnson ou de syndrome de Lyell que tous les autres antiépileptiques.
En conclusion
La majorité des antiépileptiques sont utilisables pendant l’allaitement en monothérapie. Les produits pour lesquels un suivi à plus long terme a été mené ne sont pas associés au constat d’un impact sur le neurodéveloppement des enfants allaités, mais cela pourrait être différent si la femme prend plusieurs antiépileptiques, ou d’autres produits à visée neurologique. Des effets secondaires aigus ont été rapportés avec certains produits (lamotrigine par exemple). Les enfants allaités par une mère sous antiépileptique devraient donc être régulièrement suivis à la recherche d’épisodes d’apnée, de sédation, de faible prise de poids, ainsi que sur le plan de leur développement général, tout particulièrement chez les petits nourrissons et lorsque la mère prend plusieurs produits. Dans la mesure où les antiépileptiques sont corrélés à un risque plus élevé de syndrome de Stevens-Johnson ou de syndrome de Lyell que d’autres classes de médicaments, il faudra surveiller de près la survenue éventuelle d’un rash chez le bébé allaité. Rechercher le taux sérique infantile de l’antiépileptique pris par la mère ne sera utile que si l’enfant présente des signes cliniques faisant suspecter chez lui un impact toxique du produit.
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