Publié dans le n° 165 des Dossiers de l'allaitement, décembre 2020.
D'après : Caring for women experiencing breast engorgement : a case report. Gresh A et al. J Midwifery Womens Health 2019 ; 4(6) : 763-8.
Après une grossesse parfaitement normale, cette femme de 32 ans a accouché spontanément à terme et par voie basse de son premier enfant dans un centre de naissance du Maryland (États-Unis), et elle est rentrée chez elle 6 heures après la naissance. Le bébé était en bonne santé, il a été mis immédiatement en peau à peau et a tété rapidement. La sage-femme qui assistait la mère avait constaté l’existence d’une ankyloglossie chez le nouveau-né, mais n’avait pas conseillé d’intervention à ce stade. La mère avait par ailleurs des mamelons rétractés, mais cela n’empêchait pas son bébé de prendre correctement le sein. Toutefois, la situation s’est dégradée par la suite.
Dès le premier jour suivant le retour au domicile, la mère a contacté sa sage-femme pour lui dire que ses seins s’engorgeaient et étaient déjà devenus durs et douloureux. La sage-femme lui a déconseillé d’utiliser un tire-lait afin d’éviter d’aggraver l’engorgement, et lui a recommandé de faire des applications glacées et d’exprimer manuellement son lait plusieurs fois par jour sous une douche chaude. Elle lui a également donné les coordonnées d’une consultante en lactation. La mère l’a immédiatement contactée, et cette dernière lui a recommandé de prendre un bain chaud, de tirer son lait pendant ce bain pour exprimer autant de lait que possible, puis de faire des applications glacées sur ses seins. Ces informations un peu contradictoires ont laissé la mère perplexe sur la conduite à tenir. L’enfant a été vu ce même jour par un pédiatre qui a confirmé l’ankyloglossie et effectué immédiatement une freinotomie.
À J3, la mère avait toujours les seins très engorgés, tendus et de plus en plus douloureux, tout particulièrement lorsqu’elle mettait son bébé au sein. Elle est alors retournée chez le pédiatre, qui a constaté que le bébé avait perdu 11 % de son poids de naissance, et qui lui a recommandé de lui donner des suppléments de préparation pour nourrissons. Il lui a également donné des bouts de sein pour faciliter la prise du sein par le bébé, mais la mère ne souhaitait pas les utiliser car la consultante en lactation les déconseillait. Elle a de nouveau contacté sa sage-femme, qui lui a conseillé de continuer à appliquer des compresses chaudes, de tirer son lait sous une douche chaude et de faire téter son bébé le plus souvent possible. Une amie lui a suggéré de mettre sur ses seins des cataplasmes de feuilles de chou, ce que la mère a fait également. À J5 et J6, le bébé arrivait à prendre le sein, mais difficilement, et les seins étaient toujours douloureux et engorgés. La mère a contacté une autre consultante en lactation, qui est venue la voir à son domicile ; elle a conseillé de mettre son bébé au sein toutes les 3 heures en massant les seins, puis de tirer un maximum de lait, et d’appliquer de la glace après chaque tétée. L’expression après les tétées devait être arrêtée au bout de 24 heures. Ce traitement a été efficace : au bout de 24 heures, l’engorgement avait presque disparu.
Les difficultés de démarrage de l’allaitement, incluant la survenue d’un engorgement important, sont une cause majeure de sevrage très précoce ou d’introduction rapide de suppléments. Dans la mesure où de nombreuses femmes rentrent chez elles après leur accouchement avant d’avoir eu leur montée de lait, il est très important qu’elles soient informées sur la façon de limiter et de gérer l’engorgement. Ce dernier est dit primaire lorsqu’il survient au moment du stade 2 de la lactogenèse (montée de lait) ; il est alors essentiellement lié à l’œdème interstitiel et à l’augmentation du volume sanguin au niveau des seins. L’engorgement est secondaire lorsqu’il survient par la suite, et il est alors en rapport avec un déséquilibre entre la production lactée et la vidange des seins. La montée de lait induit une congestion mammaire, les seins devenant durs et chauds, cela pouvant s’accompagner d’une légère augmentation de la température corporelle. Cet engorgement est normalement spontanément résolutif, et la mère devrait pouvoir continuer à allaiter efficacement. L’engorgement sévère est un problème pathologique induit par la stase lactée (fréquence des tétées insuffisante, enfant inefficace au sein, anomalie mammaire empêchant la sortie du lait…), les seins devenant très durs et douloureux.
Dans la mesure où l’engorgement primaire est très courant mais spontanément résolutif dans la grande majorité des cas, il est difficile de mener des recherches sur sa prévention et sa gestion. Par ailleurs, il n’existe pas d’outil pour son évaluation. Le traitement recommandé se focalise sur la vidange des seins et sur la gestion symptomatique de la douleur et du gonflement. Certains ont préconisé la prise de progestérone ou d’anti-inflammatoires. La progestérone inhibe l’action de la prolactine et pourrait donc abaisser la production lactée, mais une étude menée auprès de 23 femmes présentant un engorgement et qui devaient appliquer sur leurs seins un gel à la progestérone a fait état d’un impact négligeable. Une étude randomisée menée auprès de 70 femmes a évalué l’impact de l’administration de serrapeptase (une enzyme ayant un impact anti-inflammatoire), et a constaté une amélioration plus importante chez les femmes du groupe intervention par rapport à celles du groupe témoin. Pendant long-temps, on a préconisé l’application de compresses chaudes ou glacées pour lutter contre la douleur et l’œdème local. Une étude a comparé chez 70 femmes l’impact de l’acupressure versus l’application de compresses chaudes et glacées en alternance. Ces deux traitements étaient efficaces, mais l’application des compresses l’était davantage. Une étude randomisée menée auprès de 500 femmes a comparé l’impact de l’application de compresses chaudes avec ou sans composante végétale, et concluait que les deux traitements étaient efficaces, en particulier les compresses avec composante végétale (choux…). L’OMS recommande l’application de compresses chaudes avant les tétées pour favoriser la sortie du lait, et l’application de compresses froides après les tétées pour limiter la douleur et l’œdème. L’application sur les seins de feuilles de chou écrasées est un remède populaire, mais les études sur son efficacité pour le traitement de l’engorgement ont donné des résultats difficilement interprétables ; certaines études constataient une efficacité modérée, d’autres ne retrouvaient aucun impact statistiquement significatif. Une étude a évalué l’impact de l’application sur les seins d’une crème contenant de l’extrait de chou versus la même crème sans l’extrait, avec une efficacité subjective modérée et similaire dans les deux groupes.
Le Gha Sha est une technique traditionnelle de "râclage" de la peau traditionnellement utilisée en Chine au niveau des seins en cas de douleurs mammaires. Une étude chinoise randomisée a évalué son impact versus l’application de compresses chaudes, et le Gha Sha s’est avéré plus efficace pour diminuer la douleur de l’engorgement. Une étude a évalué l’impact de l’acupuncture versus des soins standards (massages des seins et expression manuelle) et ne constatait aucune différence entre les deux groupes. Une étude a comparé l’impact d’une séance d’ultrasons versus celui du même appareil modifié intérieurement pour dégager uniquement de la chaleur, et ce pendant 8 à 15 minutes, avec un résultat similaire dans les deux groupes. Enfin, diverses stratégies de massage et de vidange des seins ont été évaluées. Recommander aux mères des tétées fréquentes ne semble pas avoir un impact significatif sur la prévalence de l’engorgement, mais le fait de ne donner qu’un sein à chaque tétée (en le vidant au maximum) en alternant les seins semble réduire l’engorgement. Des massages des seins semblaient également efficaces, en particulier lorsqu’ils sont combinés avec une expression manuelle. La technique d’assouplissement par contre-pression (pression douce exercée avec le bout des doigts sur le mamelon avant de mettre l’enfant au sein) s’avérait efficace pour désengorger l’aréole et permettre à l’enfant de prendre plus facilement le sein et de téter efficacement.
Au vu des données actuelles, il n’existe pas vraiment de stratégie ayant une efficacité marquée pour le traitement de l’engorgement primaire. D’autres études seraient indispensables sur le sujet, afin de permettre aux praticiens de conseiller utilement les mères. Les applications glacées entre les tétées sont les plus employées pour limiter la douleur et le gonflement. Dans le cas présenté plus haut, ces applications glacées, associées à des massages des seins, des tétées toutes les 3 heures suivies de l’expression du lait restant dans les seins, se sont avérées efficaces. Les packs pour applications glacées sont généralement faciles à trouver, peu coûteux, et il est même possible pour une mère de faire elle-même des compresses glacées. Cette mère a entendu des conseils contradictoires, et cela peut être très perturbant pour la mère, qui ne saura que faire. Il serait nécessaire de mettre au point un protocole de gestion de l’engorgement clair, et de le faire connaître aux mères comme aux professionnels de santé. Ce protocole doit être simple et facile à suivre à domicile, afin que toutes les mères puissent l’appliquer.
Pour poser une question, n'utilisez pas l'espace "Commentaires" ci-dessous, envoyez un mail à la boîte contact. Merci