Publié dans le n° 165 des Dossiers de l'allaitement, janvier-février-mars 2020.
D'après : Management of restless legs syndrome in pregnancy and lactation. Kondori MJ et al. J Prim Care Community Health 2020 ; 11 : 2150132720905950.
Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) touche environ 20 % des femmes enceintes. Ce problème est souvent bénin, mais il peut s’aggraver pendant la grossesse et induire une insomnie et une dépression. Une carence en fer a été évoquée comme facteur étiologique, mais d’autres mécanismes jouent probablement un rôle. Les traitements non pharmacolo-giques sont à privilégier en cas de SJSR pendant la grossesse et la lactation. Une supplémentation en fer peut être envisagée après avoir effectué un bilan du statut pour le fer, mais certaines personnes ne supportent pas ces suppléments, ou ils sont inefficaces en cas de sévère SJSR. Les auteurs présentent un cas sévère de SJSR survenu chez une femme enceinte.
Présentation de cas
Cette femme de 33 ans, professionnelle de santé, attendait son deuxième enfant lorsqu’elle a été référée à la consultation spécialisée dans les troubles du sommeil des auteurs à 29 semaines de grossesse en raison d’un SJSR. Elle prenait 20 mg/jour d’escitalopram depuis longtemps en raison d’une dépression. Elle présentait des manifestations cliniques typiques du SJSR ayant débuté pendant le deuxième trimestre de sa grossesse. Son obstétricien lui avait prescrit de la trazodone (un antidépresseur anxiolytique et sédatif), 50 à 100 mg au coucher, mais ce traitement avait été inefficace et il a donc été arrêté. Son psychiatre lui a prescrit du clonazépam, 0,5 mg au coucher, mais cela a aggravé la dépression et l’anxiété. En raison du risque d’impact sur le fœtus de l’utilisation au long cours de clonazépam, elle a été référée au service des auteurs.
Le clonazépam permettait à la mère d’avoir des nuits normales de sommeil alors qu’auparavant elle ne s’endormait pas avant 3 ou 4 heures du matin, ne dormait guère plus de 2 à 3 heures par nuit, devait régulièrement se lever et marcher et/ou faire des flexions des jambes pour soulager les symptômes, et finissait par passer une partie de la nuit à pleurer. Cela induisait chez cette femme un stress important, car elle avait déjà présenté un SJSR pendant sa précédente grossesse, et elle estimait que cela avait contribué à son accouchement prématuré. Avec le clonazépam, elle s’endormait dans les 45 minutes suivant son coucher, et se réveillait brièvement jusqu’à 4 fois par nuit pour aller aux toilettes. Elle présentait une légère sédation en matinée, mais aucun autre effet secondaire. Pendant la journée, elle ressentait des symptômes mineurs spécifiques du SJSR au niveau des bras, mais les choses devenaient nettement plus difficiles lorsqu’elle se couchait, et elle en ressentait dans les bras et les jambes. Elle s’était beaucoup documentée sur le SJSR et avait essayé d’avoir une activité sportive, d’éviter le sel, la caféine, d’effectuer des massages, de prendre des bains chauds ou froids, et elle avait même acheté un appareil de neurostimulation électrique transcutanée, le tout sans réelle efficacité. Elle ne se sentait pas particulièrement somnolente pendant la journée. Elle ne fumait pas, ne consommait pas d’alcool ni de drogues récréatives et n’avait pas d’antécédents familiaux de troubles du sommeil. Elle avait des antécédents de troubles anxieux, de dépression sévère, de syndrome du côlon irritable, et elle avait accouché à 35 semaines de son premier enfant 2 ans et demi plus tôt. Elle prenait 325 mg/jour de sulfate ferreux depuis le début de sa grossesse en plus des vitamines prénatales, et ne prenait aucun autre médicament ou supplément alimentaire que ce qui lui avait été prescrit. Son indice de masse corporelle était normal ainsi que sa pression sanguine. Son taux d’hémoglobine était de 11,1 g/dl (taux normal hors grossesse : 12 à 14 g/dl), son hématocrite était de 33,1 % (normale : 37-48 %), la numération des globules rouges était à 3,74 millions/mm3 (normale : 4,2 à 5,4 millions/mm3). La glycémie était normale, ainsi que le taux de ferritine, le taux sérique de fer était de 247 µg/dl (normale : 40 à 155 µg/dl), son taux de ferritine était de 14 µg/l (normale : 12 à 150 µg/l) et son taux de saturation de la transferrine était de 10 % (normale : 20 à 50 %). L’ECG était normal.
Cette femme avait effectivement un risque plus élevé d’accouchement prématuré en raison de ses antécédents d’accouchement prématuré et de son SJSR qui aggravait sa dépression et son stress. Après concertation avec l’obstétricien et le psychiatre qui la suivaient, il a été décidé de poursuivre le traitement par escitalopram, la prise des suppléments oraux de fer ainsi que les mesures non pharmacologiques, et de tenter des perfusions d’hydroxyde de fer/saccharose pendant 4 semaines. Une amélioration a été constatée dès la première perfusion, la mère rapportant n’avoir pris du clonazépam que pendant 3 nuits. Elle a été revue en raison d’un rash au niveau du site d’injection après la deuxième perfusion et on lui a conseillé de les arrêter. Son taux de ferritine était alors de 95 µg/l, et il a été décidé d’attendre et de voir venir. Une semaine plus tard, elle allait bien, et elle n’a plus présenté de manifestations de SJSR jusqu’à la fin de sa grossesse. Elle a accouché par voie basse à 39 semaines de gestation sans complication et n’a pas présenté de manifestations significatives de SJSR en post-partum.
Le SJSR pendant la grossesse et l’allaitement
La prévalence du SJSR dans la population générale est de 5 à 10 %, les femmes étant 1,5 à 2 fois plus nombreuses que les hommes à en souffrir. Cette prévalence augmente pendant la grossesse et avec la parité. Elle atteint jusqu’à 20 % des femmes pendant la grossesse en Europe et dans les Amériques, tandis qu’elle est plus basse dans les pays asiatiques. Les facteurs de risque sont les antécédents de SJSR, la survenue d’un SJSR pendant une précédente grossesse, des antécédents familiaux de SJSR, et un taux d’hémoglobine ≤ 11 g/dl. Le diagnostic de SJSR se fait sur 4 symptômes cardinaux : un incoercible besoin de bouger les extrémités inférieures, s’aggravant au repos, soulagé par le fait de se lever et de marcher, et empirant le soir et la nuit. Le diagnostic différentiel inclut les crampes musculaires, l’inconfort induit par la stase veineuse, les œdèmes de position, et les neuropathies de compression ou d’étirement. Environ 40 % des personnes qui se plaignent de la nécessité de bouger les extrémités inférieures ne présentent pas de SJSR. Sa survenue pendant la grossesse débute généralement pendant le deuxième trimestre pour culminer pendant le troisième trimestre. Il disparaît à partir de la naissance chez environ 70 % des femmes, mais réapparaît dans 90 % des cas environ 1 mois après l’accouchement. Chez la majorité des femmes enceintes, les manifestations de SJSR sont modérées à sévères (il est qualifié de sévère s’il survient ≥ 2 nuits par semaine). Il est qualifié de réfractaire s’il n’est pas soulagé par au moins un traitement non pharmacologique et par une supplémentation en fer si le taux de ferritine est < 75 µg/l. Il est dit très sévère et réfractaire si la fréquence des épisodes est élevée et ne cède pas même à un traitement par opiacés. C’est une cause importante d’insomnie pendant la grossesse, et il semble favoriser la survenue d’une pré-éclampsie, d’un accouchement par césarienne et d’une dépression, mais d’autres études sont nécessaires pour évaluer avec précision l’impact du SJSR sur divers problèmes pendant la grossesse. Lorsqu’une femme a présenté un SJSR pendant une grossesse, le risque de récidive pendant une grossesse suivante est d’environ 30 %.
Les traitements du SJSR
Les traitements de première intention sont non pharmacologiques. Il est important de rassurer la femme. La prise d’un placebo induit un soulagement chez 20 à 40 % des femmes non enceintes. Parmi les diverses stratégies évaluées par une méta-analyse, 5 présentaient une certaine efficacité : une activité physique d’intensité moyenne à élevée, le yoga, des massages, les exercices de compression, éviter les facteurs d’aggravation du SJSR, et le traitement d’une apnée obstructive du sommeil. Certaines personnes prennent des bains chauds, mais il est nécessaire d’éviter une longue durée du bain pendant la grossesse dans la mesure où cela semble favoriser les défauts de fermeture du tube neural chez le fœtus.
Il existe des données limitées concernant les bénéfices d’une supplémentation orale en fer pour le traitement d’un SJSR pendant la grossesse et l’allaitement. Le taux sérique de ferritine est environ 2 fois plus bas en milieu de grossesse qu’avant celle-ci. Une supplémentation en fer est couramment recommandée pendant la grossesse. Le sulfate de fer est à privilégier pour ce faire. L’administration de fer en perfusion est conseillée en cas d’anémie sévère si la supplémentation orale est insuffisante et que le taux de ferritine est < 30 µg/l. L’hydroxyde de fer/saccharose est le produit le plus souvent utilisé en pareil cas. Le carboxymaltose ferrique est nettement plus coûteux, mais il est plus efficace. La perfusion doit se faire sous surveillance infirmière régulière. Globalement, les perfusions de fer peuvent être utilisées pendant les deux derniers trimestres de la grossesse en privilégiant une préparation à faible poids moléculaire. Les données concernant l’utilisation des produits administrés en perfusion pendant l’allaitement sont succinctes. Il semble que le pic lacté de fer survienne environ 24 heures après la perfusion de carboxymaltose ferrique, ce qui pourrait induire des troubles digestifs chez le bébé allaité. L’hydroxyde de fer/saccharose ne semble pas être excrété dans le lait maternel après perfusion d’une dose.
Dans environ 1/3 des cas, un traitement pharmacologique sera nécessaire. La combinaison lévodopa/carbidopa (des agonistes dopaminergiques) à la posologie de 25/100 mg à 50/200 mg 1 fois par jour environ 2 heures avant le pic des symptômes de SJSR semble utilisable pendant la grossesse, mais la combinaison avec le bensérazide est à éviter en raison de la possibilité d’un impact sur le développement osseux chez le fœtus. Il n’existe pas suffisamment de données concernant l’utilisation du pramipexole, du ropinirole et de la rotigotine pendant la grossesse. Tous les agonistes dopaminergiques peuvent abaisser la production lactée, et ils sont donc déconseillés pendant l’allaitement. La gabapentine est également utilisée comme antiépileptique, y compris pendant la grossesse. Elle est excrétée dans le lait maternel, mais aucun effet secondaire n’a été rapporté suite à son utilisation par une mère allaitante. La prégabaline et la gabapentine énacarbil ne sont pas recommandées pendant la grossesse et l’allaitement en raison de l’absence de données. Les benzodiazépines peuvent être utilisées en seconde ligne ou en complément d’autres produits pendant les deux derniers trimestres de la grossesse. Si on envisage leur utilisation, on privilégiera le clonazépam à la dose de 0,25 mg en augmentant jusqu’à 1 mg si nécessaire. Le clonazépam passe faiblement dans le lait ; on a rapporté des cas de sédation et d’hypotension chez les nourrissons allaités, mais les données sont peu fiables. Les agonistes des récepteurs des benzodiazépines (BZRA) tels que le zolpidem sont à éviter pendant la grossesse et l’allaitement en raison d’un risque potentiel de sédation et de dépression respiratoire chez le nouveau-né. Les opiacés sont utilisés dans divers cadres pendant la grossesse et l’allaitement. Ces produits ont cependant des effets secondaires significatifs et devraient être réservés aux SJSR très sévères et résistant à tous les autres traitements. Le tramadol est à préférer pendant l’allaitement, en limitant la po-sologie à 50-100 mg 1 fois par jour en fin de journée.
En conclusion
Le SJSR est relativement fréquent pendant la grossesse et il est souvent susceptible d’induire des insomnies, une dépression et des complications liées à la grossesse. Les manifestations disparaissent le plus souvent peu après la naissance. Si les méthodes non pharmacologiques sont à privilégier pendant la grossesse et l’allaitement, une supplémentation en fer pourra être utile pendant la grossesse. Un traitement médical débuté après le premier trimestre de la grossesse sera nécessaire en cas de SJSR sévère et résistant aux stratégies non médicamenteuses. La combinaison lévodopa/carbidopa ou la prise de clonazépam à faible dose peuvent être utilisées en première intention, les faibles doses d’opiacés étant réservées aux cas les plus sévères et résistants. Pendant l’allaitement, la gabapentine, le clonazépam à faible dose ou le tramadol pourront être envisagés dans ce même type de cas après avoir discuté avec la mère des risques et des bénéfices de ce traitement versus ceux du non-allaitement.
Références bibiliographiques dans le n° 165 des DA.
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