Publié dans le n° 167 des Dossiers de l'allaitement, février 2021.
D'après : A case of pregnancy and lactation-associated osteoporosis and a review of the literature. Jia P et al. Arch Osteoporos 2020 ; 15(1) : 94.
L’ostéoporose se caractérise par une baisse de la masse osseuse et une dégénérescence de la microstructure des os, ce qui augmente leur fragilité et le risque de fractures. Dans de rares cas, elle touche des femmes jeunes pendant la grossesse et/ou la lactation. Le 1er cas de ce type d’ostéoporose a été rapporté en 1955 et actuellement, seulement environ 120 cas ont été rapportés dans la littérature médicale. La prévalence de ce problème pourrait toutefois être sous-estimée en raison de l’absence de recherches systématiques chez les femmes enceintes ou allaitantes. Le principal symptôme est la survenue de douleurs vertébrales importantes et persistantes, avec diminution de la taille de la personne en raison des fractures vertébrales. L’étiologie est très peu connue et son diagnostic et son traitement restent sujet à controverse. Les manifestations débutent le plus souvent pendant le 3e trimestre de la grossesse ou en post-partum précoce chez des primipares. Les auteurs rapportent un cas d’ostéoporose sévère liée à la grossesse et/ou à la lactation.
Cette femme de 33 ans s’est présentée à J21 post-partum dans la consultation hospitalière des auteurs en raison de douleurs dorsales sévères alors qu’elle n’avait subi aucun traumatisme. Le spécialise qui l’a vue a diagnostiqué une myofascite qui a été traitée correctement. Toutefois, les douleurs dorsales ont continué à s’aggraver. Une radiographie a été effectuée 2 semaines après cette 1ère consultation et a constaté la présence de multiples fractures vertébrales avec compression, en particulier au niveau de T12. Malgré cela, le second spécialiste qui l’a vue a de nouveau diagnostiqué une myofascite et a prescrit un repos au lit. Un mois plus tard, la mère souffrait toujours. Elle a consulté pour la 3e fois et une IRM et une tomodensitométrie ont été effectuées, avec les mêmes constatations que la radiographie effectuée lors de la consultation précédente. À noter que la mère avait été entre-temps traitée par un kinésithérapeute et qu’elle prenait des AINS, ce qui soulageait les symptômes. Elle n’avait jamais fumé, elle ne consommait pas d’alcool, n’était pas traitée par corticoïdes ou héparine, elle avait une alimentation équilibrée, n’avait jamais présenté de problèmes gynécologiques, sa grossesse avait été normale, elle avait accouché à 38 semaines d’un bébé en bonne santé qu’elle allaitait, elle mesurait 1,65 m pour un poids de 55 kg. Le seul antécédent notable était l’existence d’une ostéoporose chez sa mère. Les résultats du bilan biologique étaient dans les limites de la normale, à l’exception d’un taux élevé de phosphatase alcaline et de télopeptide C-terminal, permettant le diagnostic d’ostéoporose.
On a demandé à la mère d’arrêter l’allaitement. Elle a commencé un traitement par carbonate de calcium (1 200 mg/jour), vitamine D3 (650 UI/jour) et alendronate (70 mg/semaine). Les douleurs dorsales ont progressivement diminué, la mère a pu arrêter les AINS, et après 4 semaines de traitement, elle a pu reprendre son emploi sans difficultés. Les taux de phosphatase alcaline et de télopeptide C-terminal étaient revenus à la normale à ce moment, et l’IRM de suivi après 3 mois de traitement ne montrait pas de nouvelles fractures. Un nouveau suivi à 9 mois post-partum a constaté une augmentation significative de la densité osseuse vertébrale, et les douleurs dorsales avaient virtuellement disparu.
Cette pathologie est rare, mais les professionnels de santé doivent l’avoir à l’esprit lorsqu’ils sont consultés par une femme jeune enceinte ou allaitante présentant des douleurs vertébrales importantes. Diverses hypothèses ont été posées. Il semble qu’il existe un facteur héréditaire. Une étude a constaté, parmi les 15 membres d’une famille dans laquelle 5 femmes avaient présenté ce type d’ostéoporose, que 53 % avaient souffert d’ostéoporose. Une autre possibilité est celle d’une mutation génétique. Une étude a constaté que l’association d’un polymorphisme au niveau des gènes codant pour la méthylènetétrahydrofolate réductase (MTHFR) et le récepteur 5 des lipoprotéines prédisposait à une faible densité osseuse. Les modifications du métabolisme calcique pendant la grossesse et la lactation peuvent également contribuer à cette ostéoporose, l’organisme maternel transférant du calcium au fœtus et au nourrisson allaité. La sédentarité, un poids inférieur à la normale, la consommation régulière d’alcool, le tabagisme, les troubles du cycle menstruel, certains médicaments… peuvent aussi être des facteurs de risque.
Il n’existe pas de traitement standardisé de l’ostéoporose liée à la grossesse et/ou à l’allaitement. Certains spécialistes estiment que la mère allaitante doit arrêter l’allaitement, avoir une alimentation équilibrée et une activité physique raisonnable. La prise de calcium et de vitamine D est la base du traitement. La prise de biphosphonates est bien tolérée et efficace dans la majorité des cas, mais il n’existe aucune donnée sur leur utilisation pendant la grossesse. Par ailleurs, ils persistent longtemps dans l’organisme, et on recommande donc d’arrêter le traitement au moins 6 mois avant de débuter une nouvelle grossesse. La calcitonine (une hormone calciotrope) peut inhiber la résorption osseuse et soulager la douleur. Le dénosumab (un anticorps monoclonal) régule la fonction des ostéoclastes et s’est avéré efficace dans 2 études, mais l’innocuité de ce traitement est incertaine. Le tériparatide (séquence active de la parathormone humaine) a vu son efficacité démontrée dans plusieurs présentations de cas, mais il existe un risque potentiel de développement de tumeurs osseuses. Une étude a fait état de l’efficacité de l’administration de vitamine K. 3 études ont constaté l’efficacité du strontium, mais ce produit peut avoir d’importants effets secondaires, et il ne sera utilisé que dans les cas sévères n’ayant pas répondu aux autres traitements. La kyphoplastie (injection de ciment acrylique destinée à traiter les compressions vertébrales) peut soulager la douleur et améliorer significativement la qualité de vie, mais on ignore l’impact à long terme de son utilisation chez des femmes jeunes. Des études randomisées sur ces divers traitements seraient nécessaires.
Une baisse modeste et transitoire de la densité osseuse est courante chez les mères allaitantes en raison des modifications physiologiques du métabolisme calcique. La densité osseuse revient à la normale après le sevrage (ou après le retour de couches). Si la mère présente une ostéoporose modérée, une surveillance régulière pourra être suffisante en attendant un retour spontané à la normale. Un traitement médical sera débuté uniquement en cas de douleurs persistantes s’accompagnant de fractures. L’ostéoporose pourra récidiver lors d’une grossesse suivante, et ces femmes doivent en être informées. Un suivi approprié pourra être mis en place.
Bonjour, j'ai été touché à deux reprises par l'ostéoporose gravidique après chacune de mes grossesses.
Cette pathologie reste très méconnue dans le milieu médical et il n'est pas toujours simple d'être entendu et diagnostiqué.
J'ai crée un groupe Facebook afin qu'un lieu d'échange et de partages existe pour les personnes concernées, car on se sent très seul face à tout cela..
Voici son lien:
http://www.facebook.com/groups/3429601277315114/
Merci à celles et ceux qui y déposeront leur témoignage.
Marion
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