Publié dans le n° 167 des Dossiers de l'allaitement, février 2021.
D'après : Influence of intrapartum maternal fluids on weight loss in breastfed newborns. Giudicelli M et al. J Matern Fetal Neonatal Med 2020.
L’administration intraveineuse (IV) de fluides (remplissage vasculaire) est une pratique courante dans le cadre des soins périopératoires. Pendant la grossesse, le volume intravasculaire maternel augmente de 35 à 50 %, le flux sanguin utérin représentant 10 à 15 % du flux total maternel pendant le 3e trimestre. L’eau et divers électrolytes passent essentiellement par diffusion à travers la barrière placentaire, ce qui implique que les liquides administrés à la mère pendant l’accouchement seront également transférés au fœtus. La norme est de peser le nouveau-né rapidement après la naissance afin de suivre l’évolution de son poids en post-partum, et de veiller à ce que la perte de poids ne devienne pas excessive. Si c’est le cas, on recommandera généralement à la mère de donner des compléments de préparation pour nourrissons, mais cela peut avoir un impact négatif sur l’allaitement. Des études ont fait état d’une perte de poids plus importante chez les nou-veau-nés dont la mère avait reçu des fluides en IV pendant son accouchement, l’enfant éliminant le volume liquidien qui lui a été transféré. L’objectif de cette étude était d’évaluer les relations entre l’administration de fluides en IV pendant l’accouchement et la perte de poids du nouveau-né pendant le séjour en maternité.
Cette étude observationnelle rétrospective a été menée dans la maternité d’un CHU de Marseille (France) entre janvier et juillet 2016. Les mères devaient, après une grossesse normale, avoir accouché d’un singleton, à terme (> 36 semaines et 6 jours) et en bonne santé, et souhaiter allaiter. La naissance devait avoir eu lieu par voie basse ou par césarienne en urgence, la mère et son enfant n’avaient pas été séparés après la naissance, et l’enfant était exclusivement allaité. Les dossiers des mères et des enfants ont été analysés. Le volume total de fluides administrés à la mère en IV a été calculé, et les auteurs ont réparti les mères en 2 groupes suivant qu’elles avaient reçu < 1 500 ml ou ≥ 1 500 ml en IV pendant l’accouchement. Les enfants ont été répartis en 2 groupes suivant qu’ils avaient ou non perdu ≥ 8 % de leur poids de naissance à 96 heures post-partum. Les auteurs ont pris en compte l’âge maternel, la parité, les antécédents médicaux, la prise d’alcool, de médicaments ou de drogues, l’indice de masse corporelle, la prise de poids pendant la grossesse, le déroulement de cette dernière, l’âge gestationnel à la naissance, le mode d’accouchement, la durée du travail, le sexe de l’enfant, l’Apgar à 1, 5 et 10 minutes et le poids du nouveau-né noté quotidiennement.
Au total, 150 dyades mère-enfant correspondaient à tous les critères d’inclusion. Le volume perfusé à la mère était de 1 280 ± 841 ml : Ringer lactate chez 80 mères, Bionolyte G5 chez 38 mères et autres liquides chez 32 mères. 82 mères avaient reçu < 1 500 ml en IV et 68 en avaient reçu ≥ 1 500 ml ; 14 % en avaient reçu ≥ 2 500 ml. Le volume administré était positivement corrélé à la durée du travail, à la pose d’une péridurale, à l’administration d’ocytocine, ainsi qu’à un accouchement par césarienne en urgence. Le poids de naissance des enfants était de 3 390 ± 445 g. La perte de poids du nourrisson était significativement plus importante dans le groupe ayant reçu ≥ 1 500 ml en IV pendant l’accouchement : 20,6 % des enfants de ce groupe avaient perdu > 8 % de leur poids de naissance à J2 contre 1,2 % des enfants dont la mère avait reçu < 1 500 ml, ces pourcentages étant respectivement de 14,7 et 3,7 % à J3 et 0 et 1,5 % à J4. La différence de perte de poids était la plus importante entre la naissance et J2 : respectivement – 174,5 ± 120,1 g versus – 80,8 ± 95,7 g, ces chiffres entre la naissance et J5 étant respectivement de – 129,6 ± 88,8 et – 80 ± 56,6 g, alors que le poids de naissance de l’enfant était similaire dans les 2 groupes.
Cette étude présente des limitations. On a sélectionné des mères dont la grossesse avait été normale, pour qui un accouchement à faible risque était prévu, et qui ne devaient pas accoucher par césarienne programmée. Elle a été menée dans un seul service de maternité, et elle était rétrospective. Le travail nécessite beaucoup d’énergie, et il est donc important que la parturiente soit correctement hydratée. Les recommandations sont de permettre la consommation à volonté de liquides clairs chez les femmes dont l’accouchement est à faible risque. Normalement, il n’est pas recommandé d’administrer un volume important en perfusion en cas de pose d’une péridurale ; malgré les recommandations officielles, 85,3 % des femmes chez qui une péridurale a été posée ont reçu ≥ 1 500 ml en perfusion. Par ailleurs, 91,5 % des femmes à qui on a administré de l’ocytocine ont également reçu ≥ 1 500 ml, ainsi que 85,7 % des femmes césarisées en cours de travail. Ces taux sont préoccupants étant donné l’impact sur la perte de poids néonatale, constatée par cette étude et susceptible d’augmenter la prévalence du don de suppléments, avec un impact négatif sur l’allaitement. Il serait nécessaire de documenter avec précision la nature et le volume des fluides administrés aux parturientes, afin d’édicter de nouvelles recommandations. L’utilisation du poids de naissance comme base d’évaluation de la perte de poids est une pratique universelle, mais elle pourrait ne pas toujours être la plus pertinente. Il serait bon d’évaluer quotidiennement et avec rigueur le comportement du nouveau-né et le déroulement de l’allaitement, afin d’évaluer avec plus de fiabilité la nécessité éventuelle d’administration de suppléments à l’enfant.
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